Sésamath se distingue depuis plusieurs années par un militantisme très actif en faveur de l’usage des TIC dans l’enseignement des mathématiques. Elle fédère et dynamise de nombreux sites qui sont très utilisés par les collègues.
En 2006, les responsables de Sésamath ont décidé de compléter leurs activités par la création d’une revue en ligne, consacrée tout entière à l’intégration des TIC dans l’enseignement des mathématiques. Avec une caractéristique : la revue sera collaborative à distance, conception, mise au point et réalisation, numéro après numéro.
Les animateurs de la future revue m’ont demandé de participer à l’aventure, en raison de mon expérience déjà ancienne des comités de rédaction des revues classiques (Repères et le Bulletin de l’APMEP) et de mon intérêt soutenu pour les TIC. J’ai donc vécu de l’intérieur le début de la création de cette revue d’un nouveau type.
La genèse de MathémaTICE : ligne éditoriale et solutions techniques issues du débat collaboratif à distance
Les initiateurs du projet de revue en ligne se connaissaient de longue date. Tous faisaient confiance au travail collaboratif, dont ils avaient une expérience approfondie. Ils ont coopté d’autres collègues connus pour leurs qualités professionnelles et pour leur engagement en faveur des TIC. Intégrer de nouveaux acteurs à un ensemble constitué ne va pas de soi : il a fallu de nombreux échanges de courriels (durant six semaines) pour définir en commun le projet, l’expliquer, vaincre les réticences, calmer les agressivités liées à l’incertitude. L’absence de rencontre en direct doit être compensée par d’intenses interactions où se mêlent aspects personnels et psychologiques, aspects techniques et éditoriaux.
De nombreuses questions ont été débattues : qu’entendons-nous par revue consacrée aux TIC ? Comment utiliser au mieux la publication en ligne des articles ? Faut-il en prévoir une version imprimable ? Quelle longueur pour les articles ? Quelle place pour des numéros à thèmes ? etc.
Pour mieux discuter de ces questions (et de bien d’autres), plusieurs membres du comité de rédaction ont écrit des articles prototypes tels qu’ils les imaginaient pour la future revue. Il est en effet plus simple de débattre à partir d’exemples pour dégager des principes … Le flot d’échanges devint rapidement torrentiel… Certains demandèrent grâce…
Pour débattre sereinement des textes proposés, il fallut renoncer au courrier électronique et utiliser un espace de travail (sous SPIP) où les articles sont déposés, avec pour chacun un forum de discussion.
La nécessité de structurer le groupe apparut rapidement (des responsables de secteurs et de dossiers furent désignés) et une méthode de discussion et d’appréciation des articles a été définie. Un groupe chargé des nombreuses et délicates questions techniques a été mis en place. Il a résolu bien des difficultés au fil des numéros : grâce à lui, les inclusions d’animations ou de vidéos au cœur même des articles sont monnaie courante aujourd’hui dans la revue.
Le nom de la revue, MathémaTICE, est lui aussi issu d’un échange à distance au sein du comité de rédaction, suivi d’un vote en ligne.
Une difficile réalisation collaborative, numéro après numéro
Une fois le terrain déblayé et la ligne éditoriale définie (elle est affinée et infléchie numéro après numéro), un appel à contributions a été lancé sur les diverses listes de discussion de Sésamath, accompagné d’une description précise de la forme et de l’esprit des textes attendus. Les premiers articles venus « du terrain » n’ont pas tardé : examinés par le comité de rédaction et accompagnés par des re-lecteurs, ils ont été publiés pour la plupart, après avoir été améliorés (si nécessaire), par un dialogue à distance avec les auteurs. Le premier numéro parut en septembre 2006.
La première année fut difficile, car beaucoup d’articles arrivaient peu de temps avant la parution du numéro auquel ils étaient destinés. Nous avons à plusieurs reprises travaillé sur la corde raide : il fallut apprendre à planifier suffisamment à l’avance les différents numéros de l’année pour pouvoir consacrer un temps raisonnable à la lecture des textes et au dialogue avec les auteurs. Ce but essentiel est acquis maintenant : quand nous commençons la préparation d’un numéro (deux mois avant sa parution), plusieurs articles sont déjà disponibles et les échéances des autres articles sont précisées. Les appels d’offres suscitent des propositions d’articles, d’autres sont issus de commandes auprès d’auteurs potentiels, responsables de sites, auteurs de billets de Sesablog ou acteurs (locaux ou régionaux) du déploiement des TICE.
Avec le développement de nombreux projets d’envergure de Sesamath, une nouvelle difficulté apparut fin 2008 dans le groupe d’animateurs de MathémaTICE : engagés sur trop de fronts, plusieurs des responsables de la revue n’arrivaient plus à faire face au travail indispensable à la parution sereine de la revue. Un appel lancé sur la lettre de Sesamath (07/02/ 2009) a apporté du sang neuf au comité de rédaction de la revue, tant sur le plan technique (mise en ligne des articles) que sur celui du travail quotidien du comité (susciter des articles et les suivre jusqu’à leur parution).
Tout cela se fait à distance, avec des échanges de courriel nourris, auxquels participent ceux des membres du comité de rédaction qui ont les compétences ou les connaissances nécessitées par les questions traitées. Contrairement aux comités de rédaction des revues traditionnelles, celui de MathémaTICE travaille en continu, avec (à peine) une accélération dans les quinze jours avant la parution d’un numéro.
Un exemple de décision collaborative
Illustrons le propos par un exemple récent : en janvier dernier, nous avons décidé de choisir les thèmes des dossiers de l’année à venir. Chacun des membres de l’équipe de MathémaTICE (y compris les collègues « techniciens ») ont été invités à envoyer leurs propositions sur la liste interne à la revue. J’avais demandé que les propositions soient expliquées et que leurs auteurs réfléchissent à leur faisabilité (y a-t-il des auteurs potentiels pour y répondre ?). En quelques jours, sept propositions ont été avancées. J’en ai fait la synthèse, puis j’ai suggéré une procédure : chacun allait classer ces thèmes par ordre de préférence (de 1 à 7) : la somme des résultats obtenus thème par thème fournirait un classement final, dont les quatre premiers seraient nos thèmes de l’année.
Benjamin Clerc a immédiatement transformé l’idée en feuille de calcul de tableur, que chacun a remplie, en complétant la version précédente. Un des participants a ajouté à la feuille des résultats pondérés reprenant la méthode de la Formule 1 (F1). En quelques jours (vacances et maladies obligent) la consultation a livré son verdict, sans déplacements (donc sans frais), sans réunion interminable où chacun commence à réfléchir pour décider sans recul, tranquillement, en fonction des disponibilités de chacun.
En ouvrant le fichier qui suit, vous verrez les 7 thèmes ainsi que le vote de chacun et ses résultats.
Dernière remarque, « Maths TICE dans le premier degré » a perdu pas mal de terrain après qu’un des membres du groupe eut proposé de publier des articles correspondant plutôt dans chaque numéro de la revue, le premier degré étant un niveau à part entière dans le système éducatif. Le débat à distance n’est pas un vain mot.
Nouveaux visages, nouvelles écritures, nouvelles perspectives
Au fil des numéros, de nouveaux auteurs, enseignants issus du monde des technologies, ont inventé de nouvelles écritures, en synergie avec le blog de Sesamath : le jeune revue a gagné en notoriété (18 000 connexions mensuelles actuellement) grâce à la puissance de diffusion d’Internet, qui la rend accessible dans le monde entier. (voir fin de ce billet)
Et, chose curieuse et inattendue, voici que se réalisent de fructueux allers et retours entre l’édition en ligne et l’édition sur papier.
La réalisation collaborative et bénévole , la publication exclusivement en ligne (chacun imprime les fichiers pdf joints qu’il souhaite), l’accessibilité à tous, la gratuité, autant de choix qui font de MathémaTICE un laboratoire du futur, auquel chaque lecteur peut apporter sa contribution, sous forme d’ article d’un dossier à thème ou comme article hors dossier.
D’indispensables conditions pour une pratique collaborative efficace et performante
L’expérience de MathémaTICE confirme la puissance et l’efficacité du travail collaboratif à distance. Mais certaines conditions indispensables doivent être réunies, faute de quoi il s’enlise inexorablement. En voici quelques-unes, pour rendre la création collaborative agréable, efficace et productive.
- la confiance
Le groupe qui s’y livre doit suffisamment bien se connaître pour qu’un climat de confiance règne dans les échanges à distance et les rende efficaces. Pour souder un esprit d’équipe, des rencontres « en direct » sont souhaitables (sans être indispensables, l’expérience de MathémaTICE le montre), en alternance avec les débats habituels au moyen des TIC. Un groupe virtuel n’échappe pas plus aux conflits qu’un groupe habituel…
- la complémentarité des compétences
Des compétences nombreuses et variées au sein du groupe permettent de faire face aux tâches complexes qui caractérisent la création collaborative : compétences solides sur le fond du domaine abordé, compétences techniques, artistiques, rédactionnelles, capacités de négociation, de modération, de gestion des conflits, capacités de synthèse, de relance de débats enlisés… etc. Les membres du groupe sont en formation permanente.
- l’organisation concertée et structurée du travail
Les responsables des secteurs d’activités doivent être clairement désignés et leurs responsabilités soigneusement définies. Leur désignation et leurs responsabilités doivent être acceptées par les intéressés et par les autres membres du groupe de travail, faute de quoi des conflits risquent de freiner le projet entrepris. Il vaut mieux perdre un peu de temps dans cette phase de structuration que d’en perdre beaucoup par la suite….
- la répartition des tâches négociée dans la communauté
Chaque membre de la communauté virtuelle doit avoir des tâches clairement définies et pleinement acceptées. Au cours du projet, ces responsabilités peuvent être renégociées, en fonction des besoins ou des propositions.
- les échanges et les communications très fréquents
Il est capital que les membres de la communauté virtuelle communiquent entre eux de façon intense pour que les ambiguïtés soient levées au fur et à mesure, les difficultés repérées et analysées et les conflits désamorcés. Dans ces échanges, le rôle des responsables de secteurs est essentiel : ils doivent repérer les idées et les propositions nouvelles, les difficultés et les lassitudes. Ils peuvent aider à leur diffusion ou à l’amélioration du climat… Parfois, leur arbitrage est déterminant pour résoudre un conflit.
On le voit, les conditions requises sont nombreuses et contraignantes. Une minorité seulement d’enseignants formés initialement hors des TIC semble s’y adapter, s’y mouvoir à l’aise et y trouver plaisir. On ne passe pas facilement d’une conception individuelle du travail à une pratique collective dont le coût en adaptation et en temps est élevé. C’est en formation initiale qu’on peut montrer aux futurs enseignants ce qu’apporte en retour la participation exigeante à diverses communautés virtuelles.
En effet, quand ces différentes conditions sont réunies, un groupe virtuel peut s’attaquer avec succès à des tâches d’une grande complexité. Sesamath en témoigne par son expansion. L’exemple de MathémaTICE le confirme.