par Christophe Auclair
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Le contexte en 2015
Le Plan Numérique pour l’Education, lancé en 2015, s’articulait autour de quatre piliers ; le troisième pilier, centré sur le matériel, annonçait l’équipement pour les collégiens d’appareils mobiles à compter de la rentrée 2016 (jusqu’en 2018).
Le quatrième pilier, lui, indiquait la création de ressources pédagogiques adaptées aux usages du numérique, mais avec un décalage dans le temps non négligeable avec le pilier trois. Cette absence de ressources à la rentrée 2016, conjuguée à l’arrivée d’un nouveau type de matériel, posait deux problèmes importants :
- Si on s’intéresse aux applications mathématiques disponibles sur les différents stores (Play Store ou AppStore, pour citer les deux principaux), la liste est rapidement établie : les applications sont très peu nombreuses, essentiellement centrées sur le primaire, le lycée ou le supérieur, et rares sont celles disponibles en français. Il y a donc un vrai risque que les tablettes arrivant dans les établissements ne soient pas utilisées, faute d’applications adéquates.
- Il existe bien sûr des ressources en ligne, de très bonne qualité, et d’autres sont créées chaque jour, mais avec à mon sens deux inconvénients :
- Utiliser des ressources en ligne implique que tous les collèges disposent d’une connexion wifi, avec un débit suffisant. C’est malheureusement très loin de la réalité du terrain, où de nombreux établissements ne disposent que d’une connexion filaire, avec un débit très limité. Rare sont les collègues qui n’ont jamais été confrontés à une séance chaotique, due à une connexion défaillante…
- Parmi les ressources existantes, nombreuses sont celles développées en flash, non supporté par les tablettes (ou au prix de manipulations plus ou moins complexes, et sur lesquelles l’enseignant n’a souvent pas les droits), ce qui limite d’autant le panel de ressources disponibles…
Pour pallier ces différents écueils, une solution s’est donc imposée : Développer des applications mathématiques pour le collège, utilisables sans connexion internet !
Genèse du projet
N’ayant pas de connaissances préalables en développement sur appareils mobiles, la quantité de travail à fournir pour arriver à un résultat acceptable était conséquente… Il convenait donc de s’assurer de l’utilité de la chose, avant de se lancer dans les apprentissages nécessaires. L’utilisation des tablettes en classe (ou à la maison) apporte-t-elle une plus-value ? A-t-on besoin d’applications spécifiques autres qu’un tableur ou qu’un logiciel de géométrie dynamique ?
Pour avoir déjà développé des ressources en mathématiques auparavant (voir le site ), je reste persuadé de l’intérêt de l’utilisation de l’outil numérique, pour de nombreuses raisons déjà largement évoquées : Individualisation/différentiation facilitées, meilleure prise en charge des élèves DYS [1], développement de l’autonomie et de la collaboration, amélioration de l’entraînement aux tâches répétitives, etc. Et, plus spécifiquement pour les mathématiques, la géométrie dynamique, notamment en 3D, est un vrai plus.
Les exerciseurs que j’avais déjà développés ont été bien accueillis par les élèves, bien plus enclins à faire une série de 20 questions sur un ordinateur que sur une feuille : Environnement plus attrayant, correction immédiate, pas de regard négatif du logiciel, possibilité de recommencer, de travailler seul à la maison en prenant son temps… autant d’avantages à ne pas négliger ! Outils confortables également pour l’enseignant, qui peut mettre très rapidement en place une séance de calcul mental, en autonomie ou en classe entière, ou utiliser simplement des petits jeux tels que le compte est bon, les carrés magiques, etc.
Malgré tout, je n’étais pas (et ne suis toujours pas) un fervent défenseur de la tablette par rapport à un ordinateur, celle-ci restant à mon sens davantage un outil de consommation que de production : je ne me verrai en aucun cas rédiger cet article sur une tablette, par exemple ! Ceci étant, puisque l’outil nous est proposé, autant l’utiliser au mieux, plutôt que le laisser dormir dans une armoire, faute de contenu adapté.
Le jeu en valait donc la chandelle, malgré une difficulté supplémentaire : la diversité des OS pour tablettes… Ayant déjà travaillé avec Adobe Flash, je me suis donc tout naturellement tourné vers son successeur, Adobe Animate, qui permet de compiler, à partir d’un code source (quasiment identique), une application pour Android, IOS, Windows ou macOS
L’idée du projet « tablettes » s’est donc ainsi développée, autour de deux contraintes auto-imposées :
- Les ressources produites doivent être utilisables sur les 3 plateformes principales, Android, IOS et Windows, chaque Conseil départemental choisissant le matériel pour ses établissements.
- Les ressources développées doivent être accessibles à tous, et donc gratuites.
Pour avoir dans un délai raisonnable un nombre suffisant d’applications, il n’était de ce fait pas envisageable que je développe ces ressources sur mon temps libre, comme j’avais pu le faire précédemment pour plusieurs applications.
Avec l’aide précieuse de Mme Ingremeau, IA-IPR de mathématiques, nous avons monté un projet afin que je puisse travailler à mi-temps au développement de ressources pour tablettes. L’affaire n’a pas été aisée : il est compliqué, surtout en ce moment, d’octroyer une décharge à un professeur de mathématiques. Malgré les difficultés, le projet a pu cependant aboutir et a été validé en juin 2016.
2016 – 2017 : Premières applications
Sept applications ont été développées à mi-temps de septembre à juin :
Défi Tables (Cycle 3), permet de travailler l’apprentissage des tables de multiplications, seul ou à deux en mode défi.
Gain pédagogique : Prise en compte du niveau des élèves facilitée (choix des tables, du délai de réponse, opérations à trous ou non), entrainement intensif facilité, motivation pour le mode défi qui se joue à deux, pas de regard négatif de la tablette en cas de non réussite, possibilité d’enregistrer ses scores pour mesurer les progrès.
Défi Relatifs (cycle 4), permet de travailler les opérations avec les nombres relatifs seul ou à deux en mode défi.
Gain pédagogique : Prise en compte du niveau des élèves facilitée (choix des opérations, du délai de réponse, opérations à trous ou non, écritures simplifiées ou non), entrainement intensif facilité, motivation pour le mode défi qui se joue à deux, pas de regard négatif de la tablette en cas de non réussite, possibilité d’enregistrer ses scores pour mesurer les progrès.
Domino Fractions et Domino Calcul Littéral (cycle 4) sont deux applications destinées à un travail de groupe sur ces deux thèmes, à base de chemin de dominos à construire.
Gain pédagogique : Mise en place facilitée d’un travail de groupe (différent pour chaque groupe !) adapté aux compétences des élèves (choix des opérations, du nombre de dominos). Ici, l’utilisation d’une tablette prend tout son sens, par rapport à un ordinateur devant lequel il est difficile de travailler à plusieurs.
120 s (Cycle 3) est une petite application dans laquelle il s’agit de faire un maximum d’opérations… en 120 secondes !
Gain pédagogique : 120 s fait travailler toutes les opérations et de nombreuses procédures de calcul mental, le tout étant à mobiliser de façon très intensive, mais sur une période très courte, de deux minutes. Le fait d’avoir un « top 10 » des scores qui défile dans le bandeau supérieur est une très grosse motivation pour les élèves, qui recommencent plusieurs fois pour y apparaitre ! A noter que la première version de l’application était 180 s, au lieu de 120 s, mais l’exercice était jugé trop long par les élèves (« on ne peut pas tenir aussi longtemps ! »)
Transformations (Cycle 4), permet de travailler l’image d’un point ou d’une figure par les transformations vues à partir de cette année au collège : Symétries axiales et centrales, rotation, translation et homothétie. Un exercice sur les pavages est également disponible.
Gain pédagogique : Prise en compte du niveau des élèves facilitée (choix des transformations, du nombre de questions), accès facilité pour les élèves dyslexiques, dyspraxiques, etc., souvent mal à l’aise avec les instruments de géométrie usuels.
Probabilités, la dernière et la plus ambitieuse des ressources produites, se veut une application compagnon sur le thème des probabilités. Elle permet de simuler la plupart des expériences aléatoires classiques, propose un exerciseur sur les expériences à une ou deux épreuves, et donne accès à une banque de problèmes classiques de probabilités, introduits par une approche fréquentiste. L’application n’est pas destinée à être utilisée seule, mais intégrée comme support d’une séquence pédagogique. Un livret d’accompagnement est en cours de rédaction.
Gain pédagogique : Permet de formuler des hypothèses d’après une simulation pas toujours évidente à effectuer en classe ou avec un tableur (côté élève), permet d’offrir un soutien conséquent aux activités du chapitre, et une réflexion autour de thèmes classiques de probabilités, de difficultés variées (côté professeur)
Toutes ces applications sont disponibles sur le site de l’académie de Dijon (en version Android pour l’instant…), à cette adresse : http://mathematiques.ac-dijon.fr/spip.php?article196#196.
Les versions iPad sont prêtes, et seront diffusées sur l’appStore dès que sera résolu l’imbroglio concernant la licence développeur. Les versions pour tablettes Windows 10 nécessitent encore quelques tests, mais 4 d’entre elles sont également disponibles pour PC (non tablette) et Mac.
Elles sont, comme souhaité au départ, gratuites et utilisables par tous.
Mon collège ne disposant pas de tablettes, j’ai eu la chance de pouvoir assister à quelques cours de collègues profs ou PE d’autres établissements, en classe entière ou en Aide Personnalisée, notamment les deux Défis Tables et Relatifs. Souvent organisées sous forme de tournoi, ces séances ont été riches d’enseignements et de discussions avec les élèves, permettant ainsi d’envisager les corrections nécessaires et développements correspondant à leurs attentes.
Quelques phrases glanées lors des discussions avec les élèves de primaire :
« C’est bien de pouvoir s’entraîner tout seul à l’école, sans que la maîtresse voit qu’on se trompe »
« C’est super de jouer à deux, ça motive pour apprendre mieux ses tables »
« Par contre, pour le mode à deux, il faudrait un autre mode défi, où on pourrait écrabouiller ( sic ) son adversaire, le faire perdre exprès ! »
A la rentrée 2017, les applications Défi tables et Défi relatifs seront donc mises à jour, pour y intégrer un second mode en duo, le mode « Bras de Fer », qui devrait correspondre aux attentes des élèves, puisqu’il s’agira d’éliminer son adversaire en répondant plus vite que lui !
Testée sur plusieurs élèves DYS de collège, les applications ont reçu également un bon accueil : prise en main aisée, développement du travail autonome, mise en place facilitée de stratégies de contournement, saisie facilitée grâce à un clavier tactile réduit au minimum, couleurs attrayantes, etc. Il a fallu faire cependant quelques aménagements : les animations, notamment, ont été réduites, de façon à ne pas distraire l’élève pendant son exercice. D’autres sont à venir, comme la possibilité de jouer aux Défi tables et Relatifs sans délai de réponse ni chronomètre affichés, qui ont tendance à stresser et à déconcentrer les élèves… Des demandes ont également été formulées par les élèves, particulièrement pour aider à la visualisation dans l’espace (gros problème pour les élèves DYS), mais dont la réalisation est encore au-delà de mes compétences… peut-être l’année prochaine !
2017 – 2018 : Les perspectives
A priori, le mi-temps devrait être reconduit pour l’année scolaire 2017-2018. Il reste encore beaucoup de travail à faire, entre les mises à jour des applications existantes (génération d’un qrcode pour la récupération des scores, par exemple…) et le développement de nouvelles applications !
Travailler seul présente des avantages (maîtrise complète du processus, depuis l’idée de l’application à développer, jusqu’à la réalisation des pages du site qui l’héberge, en passant par le développement, le design, la diffusion, le débogage, etc.), mais également des inconvénients : mes besoins et les attentes ne sont pas forcément les mêmes que ceux de mes collègues ! L’idée directrice de mon travail étant de réaliser des outils utilisables par le plus grand nombre, je souhaite pouvoir travailler en phase avec les demandes des enseignants : si plusieurs collègues me soumettent une idée de scénario pédagogique à développer, pourquoi s’en priver ?
En cas de problème avec l’une des applications existantes, ou si vous avez une idée d’application qui vous semble pertinente pour les élèves, n’hésitez pas à me contacter par l’intermédiaire du site académique de Dijon, ou directement depuis l’une des applications !