Le lycée professionnel dans lequel ce travail s’est effectué expérimente depuis deux ans les pédagogies coopératives. L’auteur de cet article est le coordinateur de cette initiative. Faire un lien entre co-intervention et coopération est donc à la fois un besoin (répondre à l’injonction institutionnelle) et une envie (ce projet de pédagogies coopératives est de l’initiative d’une équipe enseignante).
Il nous semble que la coopération encouragée dans les classes doit se vivre dans les équipes éducatives. Et nous proposons d’avoir une utilisation du numérique dans ce cadre.
Avant de lancer dans une seconde partie des pistes, voici quelques éléments de réflexion.
Il nous est apparu que cette communauté d’apprentissage (entre élèves, entre enseignant.es) nécessitait la mise en commun de valeurs et d’une vision. Si le groupe valorise l’apprentissage collectif, qu’en est-il dans ce cadre de la coopération entre enseignant.es ?
Une classe coopérative se caractérise en effet par un certain nombre de valeurs :
– la solidarité (la coopération institue une solidarité consciente qui met en jeu la responsabilité de chacun et la volonté de concourir au bien commun. Apprendre à vivre ensemble, c’est coopérer et participer à la réalisation d’objectifs et de projets communs. On peut dire « co-fabriquer » avec les autres en solidarité : adultes et enfants.) ;
- La fraternité (c’est bien devant la difficulté, lorsqu’il est nécessaire de s’entraider que se créée une fraternité humaine : reconnaître l’autre comme un autre moi, l’empathie, cela dépasse la simple admission de son existence, c’est apprécier l’existence et la présence des autres à ses côtés, voir ses différences et similitudes, les accepter pour s’enrichir ou se différencier, c’est pouvoir un jour se réjouir et profiter positivement des différences entre les êtres, en jouissant de la complémentarité qu’elles offrent. Accepter l’autre tel qu’il est et non tel que l’on voudrait qu’il soit, ne plus en avoir peur pour s’accepter soi-même.) ;
- La responsabilité (le projet coopératif est l’objet d’un choix collectif réfléchi et lucide. Former un citoyen engagé, apte à s’exprimer, à agir avec les autres et à prendre des responsabilités, au sein des collectivités où il vit, où il travaille. « Nous préparons, non plus des écoliers dociles, mais des hommes qui connaissent et assument leurs responsabilités, décidés à s’organiser dans le milieu où le sort les a placés, des hommes qui relèvent la tête, regardent en face les choses et les individus, des hommes et des citoyens qui sauront bâtir demain le monde nouveau de liberté, d’efficience et de paix. » (Célestin Freinet))
- Développer un climat de confiance qui assure la sécurité, développe l’estime de soi, une attitude de l’adulte qui encourage et respecte les droits, la dignité, la différence et les capacités de chacun.
Ces valeurs sont-elles transposables pour la coopérations entre enseignant.es ?
Les élèves coopèrent pour apprendre ensemble et acquérir des savoir-faire. L’abandon au moins partiel de la pratique magistrale et l’appel le plus large possible à l’organisation par les enfants, les jeunes, de la vie de leur classe, de leur cours, voire de leur établissement. Mais cet abandon de la pratique magistrale change la place de l’enseignant.es dans la classe : il n’est plus la source identifiée comme unique du savoir. Cela est encore plus vrai en co-intervention.
La fin de la compétition entre les élèves au profit de la coopération dans les apprentissages, ce qui implique l’exercice de la solidarité et de l’aide mutuelle : il ne peut y avoir aucune coopération possible dans une école où les élèves pratiquent quotidiennement le « chacun pour soi » et la compétition. Ceci se joue aussi entre les enseignant.es : qui « dirige » la co-intervention ?
L’école coopérative c’est une école transformée politiquement, où les enfants qui n’étaient rien sont devenus quelque chose, c’est l’école passée de la monarchie absolue à la république et où les enfants, livrés en certains domaines à leur initiative, apprennent le jeu de nos institutions et s’exercent à la pratique de la liberté et de la responsabilité.
L’école coopérative c’est enfin l’école où l’instruction n’est pas le but exclusif, mais celle où l’on vise surtout à former par une pratique particulière facilitée, l’être pensant, qui sait écouter la voix de la raison, l’être moral, conscient et responsable, l’être social plus attaché à l’accomplissement de ses devoirs qu’à la revendication de ses droits.
Un collectif institutionnel est-il possible ? Oui : une co-intervention coopérative et connectée !