par Cyril Jeanbourquin
Ne pas confondre MITIC et... mythique. Dans le canton du Jura (en Suisse) d’où nous vient cet article, MITIC signifie Médias, Images et Technologies de l’information et de la Communication.
J’enseigne les mathématiques dans un collège dont les 300 élèves ont entre 12 et 16 ans. Les élèves proviennent de sept petites localités avoisinantes, la plus grande atteignant les 3300 habitants. Les élèves habitant les localités les plus éloignées ont à peine 20 minutes de transports publics pour rejoindre l’école le matin.
La région est rurale, vallonnée. Les élèves sont encore préservés, avec notamment peu de problèmes majeurs de disciplines.
J’ai un plaisir énorme à enseigner les mathématiques à mes deux classes. Pour chaque classe, je dispose de 5 leçons hebdomadaires. Les élèves qui s’orientent vers les études scientifiques disposent en plus de 2 leçons de mathématiques appliquées, pas forcément avec le même prof.
Le plaisir vient du fait que les élèves sont pour la plupart très motivés. Les questions fusent, les problèmes se résolvent avec passion. Evidemment, certains domaines passent mieux que d’autres, et certaines périodes de l’année sont un peu plus pénibles.
De ce côté, pas de miracle.
Un poste d’enseignant, au collège et à plein temps, représente chez nous 28 périodes de 45 minutes par semaine. Nous avons 39 semaines d’école. A cela s’ajoute évidemment la surveillance des pauses, des récréations, les préparations de cours, les corrections, les séances de parents et les séances des maîtres. Nous voyons les parents une fois par année scolaire, parfois deux. Pour ce qui est des séances des maîtres, cela dépend des périodes et des écoles, mais on peut compter en moyenne une séance de deux à trois heures chaque mois.
Au niveau du programme, je constate, en utilisant Mathenpoche, un certain nombre de différences entre la France et notre programme. Ne pouvant être exhaustif, je serai juste anecdotique.
Nous abordons par exemple les systèmes d’équations qu’en 9e (3e), soit lors de la dernière année de collège. Des équations à une inconnue apparaissent en 8e (4e France) pour la 1ère fois.
Il me semble également que nous passons plus de temps dédié à travailler les transformations de mesures, surtout entre la 6e et la 8e (6e-4e).
Le système scolaire jurassien
Il faut savoir que jusqu’en 2010, chaque canton a ses propres plans d’études, sa propre organisation scolaire. Je vous présente la situation de la République et Canton du Jura.
Les élèves commencent leur scolarité par une ou deux années de maternelle, de 4 à 6 ans. Ensuite, ils passeront six années dans le cycle primaire.
En 6e année (6e France), les élèves passent deux tests qui, pris avec la note d’année, leur permet, en mathématique, français et allemand, d’accéder à 3 niveaux au collège : A, B et C.
Ainsi, un élève doué en math, faible en français et moyen en allemand se retrouvera en A en math, C en français et B en allemand (profil ACB). C’est un cas assez rare mais existant. L’essentiel des profils est homogène, soit AAA pour les élèves destinés aux études et CCC pour les élèves ayant de grandes difficultés scolaires.
Dans les classes de niveaux C, les élèves sont peu nombreux, soit une douzaine d’élèves en moyenne pour les cours. Au niveau A, les classes peuvent atteindre 24 élèves.
Le collège dure trois ans.
Pour la moitié des élèves, l’école obligatoire s’arrête au terme de ces trois ans. Ils s’orienteront alors vers l’apprentissage d’un métier, soit en gros 3 jours par semaine en entreprise, et 2 jours dans une école professionnelle. L’apprentissage se termine par un CFC (Certificat Fédéral de Capacité).
Sur une même population scolaire, un élève sur cinq choisit la voie du Lycée. Car il y a d’autres voies de formations.
Nouveaux moyens d’enseignement
Revenons à l’enseignement des mathématiques. Il y a 5 ans, un projet ambitieux a vu le jour. Dans toute la Romandie (7 cantons suisses de langue française), une seule et même collection de livres de mathématiques a été réalisée pour l’ensemble des élèves de 12 à 16 ans. Que les élèves soient doués ou qu’ils soient en difficulté scolaire, les mêmes ouvrages sont utilisés comme fil rouge.
Arrivé en 7e année (3e), chaque élève reçoit aujourd’hui une pile de livres (5 livres de format A4 et de 170 pages chacun en moyenne). L’élève garde ces ouvrages durant les 3 années de son parcours au collège.
En plus de ces livres, l’élève reçoit un CD, qui accompagne la collection : ce CD contient une version simplifiée de Cabri II Plus, et d’autres outils : un grapheur, des animations, des visualisations de problèmes en 3D.
Les ouvrages sont axés vers la résolution de situation-problèmes, et vers des démarches socio-constructivistes. Ce moyen tout comme notre enseignement est aujourd’hui très influencé par des chercheurs français comme Roland Charnay et Michel Mante.
La place des nouvelles technologies dans mon enseignement.
Pour moi, il n’y a pas de maths sans utilisation des nouvelles technologies. Quel mathématicien moderne n’utilise pas l’ordinateur comme un « esclave » dévoué aux tâches lourdes et complexes ?
Comment peut-on faire croire que tout doit se faire à la main ou dans la tête, dans un monde comme le nôtre où toute application des mathématiques rime avec simulation numérique ou temps de calcul informatique ?
L’intégration de l’outil informatique dans les séquences d’apprentissages est mon cheval de bataille.
Dans mon parcours, j’ai notamment rencontré Jean-Marie Laborde, le père de Cabri-Géomètre et Luc Trouche, actuellement à l’INRP-Lyon, ex-directeur de l’IREM de Montpellier, lors de deux conférences sur l’usage des technologies en mathématique lors d’un Congrès en Belgique. Des conférences qui ont eu pour moi d’importantes conséquences sur mon enseignement depuis dix ans.
Dans ma classe, tout travail de géométrie, dès qu’il doit être généralisé, vérifié ou réalisé de manière minutieuse, fait passer les élèves par un logiciel de géométrie interactive (Cabri, GeoGebra et Tracenpoche).
J’illustre par un petit problème.
« Je viens de déchirer mon pantalon. La déchirure forme un triangle quelconque. Je désire cacher entièrement cette déchirure par une pièce de tissu, de forme circulaire, dont la surface doit être la plus petite possible. Comment procéder ? »
Ce problème est issu de notre « nouveau » moyen romand (Mathématique 7-9, LEP, 2003). Son approche « papier-crayon » provoque chez 95% des élèves... et des maîtres une réponse erronée, ou en tout cas très incomplète. L’outil informatique sera ici un révélateur d’erreur. Il ne donne pas la solution, mais brise la nôtre, la fausse... Essayez !
Toute étude de fonctions passe par un logiciel de représentation graphique, dès qu’il s’agit d’assurer des tâches répétitives ou pour rechercher une généralisation un peu abstraite :
Par exemple, sous forme de recherche par deux pour les élèves en dernière année de collège :
– Toute représentation graphique d’un fonction du 2e degré possède-t-elle un axe de symétrie ?
– Est-il possible d’imaginer une fonction qui soit un demi-cercle ? Quelle serait son expression fonctionnelle ?
– Est-il possible d’imaginer une fonction qui possède 3 asymptotes verticales ? Quelle serait son expression fonctionnelle ?
La recherche se fait surtout sur le papier et dans la tête, mais l’ordinateur valide ou dément rapidement les impressions. Et puis, il donne des pistes, amenant de nouvelles réflexions.
Tout travail dans les nombres irrationnels ou dans les formules de résolutions d’équations passe finalement par un tableur que les élèves doivent pouvoir programmer.
Mais quand je dis tout travail, il faut relativiser. En fait, mes élèves travaillent 20% de leur leçon de math avec l’aide d’un ordinateur (en moyenne une leçon sur cinq). La mise en place se fait dans le cahier, un temps important est consacré à acquérir des notions par la force de l’esprit et des calculs faits à la main. Mais je tiens à une ouverture vers les mathématiques de laboratoire en intégrant des séquences utilisant l’outil informatique au moment opportun. Je dois avouer que j’ai de bonnes conditions me permettant de travailler de la sorte, car nous disposons dans notre école de 34 PC pour les 300 élèves. 24 sont en salles multimédias et 10 ordinateurs portables peuvent être emporter en classe de math.
Dans les classes les plus performantes, mes élèves utilisent l’ordinateur pour simuler dans le but de constater, et ils programment lorsque les calculs sont longs et répétitifs.
Dans les classes plus difficiles, je m’oriente vers Mathenpoche, utilisant là les avantages de l’autocorrection immédiate du logiciel et sa démarche souvent « behavioriste », qui complète la démarche socio-constructiviste du cours. Surtout et c’est important, Mathenpoche sécurise les élèves, organise leurs idées, vérifient leurs compétences fines. La version réseau me permet, dans un cadre plutôt collectif, de suivre les apprentissages et les difficultés de chaque élève, semaine après semaine, et plus uniquement au moment de l’évaluation sommative.
Si Mathenpoche n’existait pas, il faudrait l’inventer aujourd’hui, sans plus attendre.
Et internet ?
A l’exception de Mathenpoche, je constate que je ne ne fais pas grand usage de l’Internet. Je pense que les mathématiques s’y prêtent moins que la géographie par exemple.
A mon sens, un avantage d’Internet est de fournir des logiciels en ligne qui révolutionne le logiciel éducatif, diffusé à l’époque sur CD.
Ils ne s’installent pas car ils fonctionnent directement en utilisant un navigateur « internet » (équipé de Flash et Java)
Pour la même raison, ils fonctionnent sur tous les types d’ordinateurs.
Les erreurs sont corrigées en un seul point, sur le site internet du logiciel (quelle révolution par rapport aux séries de CD bugués...), et tout le monde bénéficie de cette correction de manière instantanée.
Je pense que tout a été inventé en matière de logiciels mathématiques avant l’an 2000, donc jusqu’à l’arrivée massive d’Internet. Les progrès réalisés ces dernières années ont donc visé à faciliter l’accès à ces logiciels (compatibilité et gratuité). Le développement de Geogebra est un modèle du genre. Celui de Mathenpoche également.
J’utilise peu d’autres sites internet en classe. Je signale des évidences, comme Quickmath. Mais à nouveau, il s’agit là d’un logiciel en ligne.
Toujours dans les bons plans, je vous conseille chaudement une suite logicielle développée aux Pays-Bas et qui a été négociée, traduite et mise en place par les cantons de Fribourg, Bâle et du Tessin.
Je peux dire que beaucoup d’enseignants de notre canton utilisent le site Matlet.ch , Mathenpoche réseau, ou encore le site de Thérèse Eveilleau. Je pense que la moitié des profs de math utilisent ces sites pour leur enseignement. C’est une véritable aubaine de pouvoir ainsi utiliser du matériel livré « clé-en-main ».
Nous sommes par contre nettement moins nombreux à essayer des démarches différentes, plus exploratoires, utilisant un spectre plus large de l’Internet. J’hésite moi-même à me lancer, d’une fois à l’autre, car il m’en coûte (énergie, fatigue, temps de corrections). Je voudrais toutefois vous relater ces expériences « parallèles », réalisées, je tiens à le préciser, dans le cadre du cours de math obligatoire.
Expériences exploratoires
Je plonge donc de temps à autre les élèves dans une situation de recherche intensive, d’une durée de une à deux semaines, sur un même problème. Habituellement, je n’aime pas les devoirs à domicile, mais je trouve qu’en situation d’exploration, de recherche, les élèves doivent prendre du temps, hors des leçons, pour mener leur quête. Dans ce cas, « tous les coups sont permis », dont l’utilisation d’Internet et de forums. Je me mets également à disposition pour une aide par courriel ou par le biais d’un forum.
Constatant que plus de 90% des élèves ont un accès internet, je pense qu’il est temps que l’école marque de son empreinte l’utilisation d’Internet par les enfants, en donnant des pistes, des techniques et des idées d’utilisation d’Internet.
Partant donc d’une donnée de problème complexe ou très floue (des dessins sans légende), les élèves doivent me rendre dans les 10 jours un rapport de 2-6 pages qui raconte la résolution du problème ou la présentation d’un concept.
Voici deux idées qui ont vraiment bien marché :
Ce problème est intéressant, car il permet, vers la fin du collège de faire la synthèse sur bon nombre de connaissances et sur leurs maîtrise informatique appliquée. Des dessins réalisés avec Cabri ou Geogebra, des suites de nombres extrapolées grâce à un tableur, un grapheur pour montrer la progression de la hauteur de la tour. Les élèves sont libres d’utiliser ou non les outils informatiques. Ils font le choix qui leur convient le mieux.
Ce problème amène à un constat peu évident à admettre au niveau du collège : on continue à empiler, à empiler et à empiler encore des triangles, mais il y a un plafond, une hauteur qui ne sera jamais atteinte mais approchée. Si on est encore loin d’inculquer formellement la notion de série convergente, on donne l’occasion à l’élève d’observer ce phénomène étonnant de plusieurs manières : en discutant, en calculant, en observant la somme des hauteurs dans un tableur, en dessinant la tour sur Geogebra (zoom possible).
Les travaux d’élèves, réalisés en 10 jours, sont souvent magnifiques, et ils en sont très fiers.
Autre situation, autre style. A partir du dessin ci-dessous, les élèves avaient deux semaines pour faire le point, en cherchant « tout azimut » et en utilisant notamment l’Internet et un forum auquel je participais.
Questions :
Il y a ci-dessous 4 éléments distincts :
– explique-les, explique leur mécanisme
– Peut-on passer d’un des éléments à l’autre ?
– Quel nombre est le lien entre tout cela ?
Ce type de démarche a donné lieu à un investissement important de la part de certains élèves. D’autres ne sont pas rentrer dans le jeu, récupérant les recherches des autres. J’ai relevé que certains élèves qui avaient tendances à être habituellement un peu passifs en classe se sont retrouvés en tête de toutes les recherches menées à domicile ou en classe, avec un comportement autrement plus dynamique. Pour d’autres élèves, l’absence de cadre « traditionnel » a été un élément perturbateur.
Au terme du parcours, les élèves savaient qu’ils seraient interrogés par écrit sur les notions découvertes, ce qui équilibrait le volume de travail consenti par chacun.
Perception des MITIC par mes collègues.
Dans le cadre de ma fonction au Centre MITIC inter-jurassien je suis régulièrement confronté à l’usage que les enseignants de mon canton font de l’outil informatique en classe. Je dirais que le taux d’utilisation avec les élèves est fonction de plusieurs paramètres :
– La facilité d’accès aux ordinateurs.
– La compassion et la souplesse du responsable du matériel informatique.
– Le coaching et les ateliers de formation thématique pour les enseignants au sein de l’école.
– Le nombre suffisant d’ordinateurs correctement configurés. L’option des ordinateurs portables permet désormais plus de souplesse et un partage des ressources matérielles entre collègues.
En conclusion, tout dépend des écoles. Il y a des écoles dans notre région où il existe une culture du travail avec internet ou avec des logiciels. Dans ce cas de figure, plus de 50% collègues utilisent les MITIC (Multimédias, Images et Technologies de l’Information et de la Communication).
Dans les écoles les moins bien loties, le taux peut descendre en-dessous des 10%.
Mon canton a mis en œuvre des moyens en oeuvre pour faire intégrer l’outil informatique à l’école.
Au niveau matériel, une vague d’équipement a permis jusqu’en 2002 à chaque classe d’être équipée au minimum d’un ordinateur connecté à internet. Une nouvelle vague d’équipement prend forme aujourd’hui, avec un équipement de 3 ordinateurs par classe (Mac ou PC), livrés entièrement configurés avec une cinquantaine de logiciels incontournables. Ces portables sont financés à plus de 60% par l’état.
Au niveau de la formation, toutes les écoles ont bénéficié entre 2003 et 2007 d’une formation en établissement de 2 jours centrées sur l’utilisation des MITIC. Les deux étapes suivantes ont été les ateliers de formation de proximité, et on arrive aujourd’hui progressivement au coaching de collègues dans la classe.
Au niveau des ressources, nous avons développé des ressources « élèves », propres à nos plans d’études, qui favorisent une intégration des MITIC à l’école. Un site d’entraînement pour les élèves est né, www.educlasse.ch , et un concours annuel a été mis en place. Le Cyberdéfi (www.cyberdefi.ch) permet de réaliser chaque année à la fin novembre une activité courte mais intense d’utilisation des MITIC, sous la forme d’un concours par classe. Il est ouvert à toute classe francophone (à noter que les inscriptions sont encore ouvertes...).
La conjonction de ces trois axes de développement a permis à nos écoles de vivre un peu mieux la révolution numérique. Toutefois, on remarque comme partout de grandes différences d’appréhension des MITIC chez les enseignants : certains les considèrent comme un mal nécessaire, d’autres mettent les pieds au mur, d’autres y voient une réelle révolution.
Je ne pense pas que nous ayons le choix, en tant qu’enseignant, d’occulter les nouvelles technologies. Pour ou contre, nous nous devons d’éduquer les élèves à un usage rationnel, efficace, et intelligent des MITIC.
Pour conclure, je dirais que nous avons la chance d’enseigner une matière dans l’air du temps. Les mathématiques ne sont pas vieillottes et elles accompagnent chaque grand événement. La compréhension ou tout du moins la lecture de notre monde est à la portée d’une suite de raisonnements mathématiques.