Un parcours détaillé de la courte vie, romantique et tragique, d’un des grands génies scientifiques du siècle passé, au fil de quatre émissions de France Culture...
France Culture a consacré une grande traversée à Alan Turing en août 2018 : quatre émissions de deux heures retracent la courte vie de ce personnage romanesque qui connut une fin tragique et prématurée.
Ces émissions constituent une documentation dense et extrêmement riche, dont l’utilisation, avec des élèves de Lycée ou des étudiants, pourrait infléchir leur regard sur l’importance des mathématiques et des sciences dans l’histoire humaine [1]. Cédric Villani le dit à sa façon, en conclusion de ces émissions : Alan Turing est l’une des très rares personnes dont on peut dire que, s’il n’avait pas été là, l’histoire du 20ème siècle aurait été différente.
Le mémorial de Turing dans Sackville Park à Manchester résume sa vie en quatre têtes de chapitres, complétées par une citation étonnante de Bertrand Russell à propos des mathématiques :
Le grand mérite de ces émissions est de mêler intimement les activités scientifiques de Turing et ses traits de personnalité, qui en ont fait un personnage complexe, énigmatique, solitaire, unique et pour finir, tragique. Les thèmes du mémorial y sont bien évidemment présents, mais tissés ensemble de telle façon que le génie de Turing garde une dimension humaine, fragile, faillible, mortelle.
La difficile fracture du code des machines Enigma utilisées par les nazis durant la guerre n’occulte pas les problèmes éthiques issus du succès de l’entreprise : pour continuer à lire les messages ennemis à livre ouvert, il fallait donner l’impression que leur code était inviolé et donc sacrifier des convois maritimes alliés dont on savait qu’ils allaient à la mort... Les historiens s’accordent sur le fait que la fracture des codes nazis a écourté la guerre de deux ans .
Sa contribution décisive à la naissance de l’informatique est développée dans la deuxième émission : son article sur les fonctions calculables et la machine virtuelle, dite de de Turing, y tiennent la place qu’elles méritent. La théorie occupe une place fondamentale dans l’œuvre de Turing.
Son homosexualité est très largement abordée, en particulier dans la troisième émission, avec ses répercussions judiciaires et médicales, qui finirent par le mener au suicide, à 41 ans. Sa mort ne fit pas la une des journaux et Turing fut rapidement oublié...
La dernière émission s’interroge sur les heurs et les malheurs de la popularité de Turing [2]. Son activité de décryptage d’Enigma était couverte par le secret absolu, y compris après la guerre : elle ne lui valut aucune célébrité... Ses travaux sur la décidabilité en arithmétique et la célèbre machine virtuelle qui porte son nom, ne dépassèrent pas, au départ, le cercle restreint des mathématiciens. Son suicide en 1954 acheva de le faire disparaître dans l’esprit de ses contemporains. Cinquante ans d’oubli, presque total !
Le développement fulgurant de l’informatique au début du 21ème siècle ranime son souvenir. La reine Élisabeth II le reconnaît comme héros de guerre et le gracie à titre posthume en 2013. Ses travaux scientifiques sont réévalués et finissent par dépasser largement le cadre des spécialistes pour atteindre le grand public. Le film Imitation Game (2014) qui lui est consacré et dont le titre fait allusion à ses travaux sur l’intelligence artificielle achève d’en faire un personnage médiatique... La persécution qu’il subit en tant qu’homosexuel n’est sans doute pas étrangère à sa popularité actuelle.
On le voit, la grande traversée que France Culture a consacrée à Turing mérite l’attention. On y entend les voix de nombreux scientifiques (dont Cédric Villani) analyser son œuvre et son influence. Le poids de la personnalité et la lourde influence de la société sur l’activité intellectuelle de Turing soulignent le fait que le recherche scientifique ne se fait pas hors sol et que la célébrité est fragile et aléatoire.
Après avoir écouté ces documents, personne ne pourra plus se demander à quoi servent les mathématiques, ni si elles contribuent au bonheur de ceux qui les pratiquent !
Voici les quatre émissions de cette grande traversée :
- Enigma, la guerre du code
En 1939, la guerre vient d’éclater et Alan Turing, jeune mathématicien britannique sorti de Cambridge, rejoint Bletchley Park où, dans le plus grand secret, les Britanniques tentent de percer les communications ennemies. - Des marguerites à l’ordinateur
En 1945, après son apport décisif dans le cassage des codes de l’Enigma allemande pendant la guerre, Turing poursuit ses travaux sur les machines et contribue à la naissance de l’informatique. Retour aux origines d’une intelligence hors-normes. - Le bug
Le 8 juin 1954 est découvert, allongé sur son lit dans sa maison des environs de Manchester, le corps sans vie d’Alan Turing. A ses côtés une pommes enduite de cyanure... - Les mythologies d’Alan Turing
Très rapidement, il est tombé dans l’oubli, jusqu’à ce qu’on le réveille, comme Blanche-Neige, par un baiser. Cinquante ans plus tard, le monde reconnaît enfin le grand penseur qu’il fut.
Ce n’est sans doute pas un hasard si le mémorial consacré à Alan Turing est situé près de Canal Street, le quartier gay de Manchester, et de l’université de Manchester. Il y tient la pomme associée à son probable suicide et dont s’est peut-être inspirée la firme Apple pour son célèbre logo.