Eric Trouillot fait le point sur le mariage entre les mathématiques et le jeu, après de nombreuses années de pratique.
Auteur de l’article : Eric Trouillot, eric.trouillot@wanadoo.fr
Jeux et mathématiques, oxymore pour certains, évidence pour les autres. Cette vision binaire, quasi-manichéenne, est fortement ancrée dans la population. On est dans un camp ou dans l’autre mais rarement entre les deux. Pour moi qui suis venu aux mathématiques à partir du jeu, ça a longtemps été une énigme et une incompréhension. Mais l’analyse des faits et de l’histoire récente, conjuguée avec mon parcours et l’aventure du jeu Mathador m’ont progressivement permis de donner du sens et de mieux comprendre cette étonnante situation.
Parmi les disciplines scolaires, il semble bien que les mathématiques soient la matière la plus marquée par cette opposition. Et ça se complique encore, si on y ajoute que pour beaucoup de nos concitoyens, chacun d’entre nous naît avec ou sans la bosse des maths ! Qui n’a pas entendu lors d’une réunion parents-professeurs, des parents expliquer sérieusement que leur enfant n’est pas très bon en mathématiques, mais que tout est normal puisque c’était déjà le cas du papa ou de la maman !
On comprend donc très vite que cette association mathématiques et jeu est loin d’être naturelle pour tout le monde. Mais, heureusement, un véritable mouvement de rapprochement est désormais bien lancé. Les concours de jeux mathématiques tels Kangourou ou Lewis Carroll qui ont une trentaine d’années maintenant, ont fait de nombreux émules. Les clubs mathématiques axés sur le jeu ou la recherche et les échanges comme Maths en Jeans se comptent désormais par milliers. Les structures qui les accueillent sont aussi nombreuses : école, collège, lycée, université, Maisons pour la Science, Maison des mathématiques… Les intersections avec les IREM et l’APMEP ne se comptent plus. Bref, il y a de quoi être raisonnablement confiant pour l’avenir et la généralisation de ce mouvement.
Petit retour, pourquoi cette situation ?
Comme souvent l’éclairage de l’histoire est intéressant, et c’est le cas pour donner du sens à cette image complexe du jeu. Les jeux sont présents dans toutes les sociétés et toutes les cultures. On retrouve le dé dans les jeux depuis plus de 5000 ans, il permettait déjà de se déplacer sur le premier jeu de plateau égyptien, le Senet, qui utilisait l’astragale, un os de mouton, qui faisait office de dé à 4 faces. Le dé, marque de fabrique de l’aléatoire, commençait alors sa longue histoire. Les solides de Platon que l’on doit aux grecs et leur prolongement en dés n’étaient pas encore là ! Les Romains ont beaucoup joué avec les dés mais c’est dans les cours royales, notamment au 16ème et 17ème siècles, que les jeux de pari avec des dés faisaient fureur. C’est à cette époque, avec les échanges épistolaires, notamment entre Pascal, Fermat et le Chevalier de Méré que sont posées les premières pierres des probabilités. Le jeu où il fallait parier sur la somme obtenue, après le lancer de deux dés cubiques, avait un grand succès. La répétition des parties a permis de mettre en lumière que certaines sommes permettaient de gagner plus souvent que d’autres : c’est aujourd’hui un classique dans l’enseignement du dénombrement et des probabilités.
Cette place prise par les jeux de hasard et d’argent a toujours été rejetée et même diabolisée par l’église catholique, allant jusqu’à les interdire. C’est aussi la période noire des guerres de religions et de la Réforme. La position ferme et définitive de l’église catholique est très différente de celle des églises issues de la Réforme, beaucoup plus tolérantes sur ces questions de jeu et d’argent.
Il y a fort à parier que cette relation ambiguë au jeu présente dans notre culture et à ces liaisons dangereuses avec le gain et l’argent trouve ses racines dans cette période. Aujourd’hui la différence est très marquée entre la culture du jeu, vecteur conjugué d’apprentissage et de plaisir, plutôt anglo-saxonne et souvent présente dans des pays de culture protestante et les pays de tradition catholique où le jeu est plutôt associé à amusement et apprentissage, et le travail à labeur et sueur.
Cet esprit se retrouve dans de nombreuses expressions populaires. Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il est joueur, c’est bien souvent péjoratif, cela fait référence à quelqu’un de pas très fiable, peut-être sympa mais pas très sérieux ! On peut aussi entendre : « Il a un double jeu » ou « il est vieux jeu ». Il y a aussi cette ambiguïté permanente entre travail et jeu. Qui n’a jamais dit à un enfant : « tu iras jouer quand tu auras fini tes devoirs ». Cela n’aide pas vraiment à rapprocher jeu et apprentissage ! Les dictons populaires anciens sont nombreux et vont la plupart du temps dans le sens d’une image plutôt négative du jeu : « Le jeu n’en vaut pas la chandelle », « jeu de main, jeu de vilain », « Au jeu et au vin, l’homme devient coquin ». On sent bien que tout cela est enfoui dans notre inconscient collectif qui s’est forgé génération après génération. L’inversion de la courbe qui est en cours, prendra inévitablement du temps et son installation solide encore plus.
A ces citations et dictons concernant le jeu en général, je ne peux m’empêcher d’ajouter une anecdote vécue de nombreuses fois en salon de jeux lorsqu’au début de l’aventure Mathador, au début des années 2000, je me rendais régulièrement à des invitations de manifestations ludiques grand public. J’avais pour habitude de présenter Mathador comme un jeu dans l’univers des mathématiques permettant de faire du calcul avec l’idée d’y prendre du plaisir. Que n’avais-je pas dit ! Il m’a fallu quelques années pour comprendre pourquoi beaucoup d’adultes n’attendaient pas la 2ème phrase avant de s’éclipser. Il y avait dans ma 1ère phrase deux mots « à hauts risques » : mathématiques et calcul. A partir du moment où j’ai commencé à présenter Mathador comme un jeu de dés qu’il fallait lancer et dans lequel on pouvait choisir les nombres que l’on voulait pour en fabriquer un autre, le phénomène de fuite précoce a disparu. Je ne prononçais plus les gros mots mathématiques et calcul qui sont pour beaucoup d’adultes déclencheurs de sueurs froides ! La multiplication de ces situations au début de l’aventure Mathador m’a fait prendre conscience de l’acuité particulièrement forte pour une partie de la population d’une forme de traumatisme lié au vécu scolaire mathématique et de cette dichotomie évoquée au début de l’article entre mathématiques et jeu.
Mais au fait, qu’est-ce qu’un jeu ?
JEU, un petit mot tout simple, connu de tous mais complexe à définir car sa polysémie est riche. Qu’y a-t-il de commun entre une partie d’échecs, le grattage d’un billet de loterie, une grille de sudoku et une partie de Scrabble ?
Les rares dénominateurs communs sont l’envie, le rêve, le plaisir. Mais ces concepts sont personnels et subjectifs, d’où cette difficulté à donner un sens clair et précis au mot jeu. Pourtant il est important d’essayer de comprendre ce qui se cache derrière le jeu car apporter du jeu dans une classe n’est pas un acte anodin. Il faut lui donner un sens pédagogique.
Sur le terrain, on constate que la pratique du jeu à l’école est installée de façon solide en maternelle puis de moins en moins au fil des années du primaire, puis du secondaire pour devenir finalement marginale. Se cache un peu l’idée que les apprentissages par le jeu s’adressent aux petits et qu’ensuite, lorsqu’on devient grand, on fait du « vrai travail ». « Tu iras jouer lorsque tu auras fini tes devoirs » traduit bien cette dichotomie entre jeu et travail.
Les ludologues, notamment Roger Caillois ou Gilles Brougères, ont établi une liste de paramètres qui tentent de définir ce qu’est le jeu, cette activité mystérieuse pratiquée par l’homme et de nombreux animaux. Voici les principaux :
- Le jeu, c’est d’abord l’évasion
Le jeu sort du cadre du réel. Les ludologues parlent d’une réalité seconde ou d’une fiction réelle, à vous de choisir ! C’est là tout le mystère du jeu. J’ai une préférence pour la sortie du cadre, sorte de fuite de la réalité, avec la mise en place, grâce à la règle, d’une nouvelle réalité, totalement autarcique. Une sorte de parenthèse spatio-temporelle avec un début et une fin, qui permet d’oublier provisoirement toutes les contingences du quotidien.
- Le jeu, c’est une activité réglée
C’est un des piliers de base de la définition du jeu. Cette fameuse règle, définie noir sur blanc dans toutes les notices des jeux de société, ou la règle orale que l’on se transmet dans la cour de récréation pour définir le jeu de la récré !
La règle du jeu définit le cadre dans lequel la communauté des joueurs va évoluer. Il y a un début et une fin, un but clairement défini. Ces deux derniers paramètres distinguent un jeu d’une activité ludique qui n’a pas forcément un début et un but déterminés. La règle change tous les repères, les joueurs changent de cadre, de monde, le temps de la partie.
- Trio : Atteindre le nombre cible à partir de trois nombres et de certaines règles
- Le jeu, c’est prendre des décisions
Le fait de jouer implique au joueur d’être acteur. On ne joue pas si l’on est spectateur. C’est une des forces du jeu et peut-être son atout pédagogique majeur. Une des conséquences pédagogiques de l’apport du jeu dans la classe est de mobiliser et d’intéresser une grande partie des élèves. Au-delà du changement de cadre, cela incite l’élève naturellement spectateur à s’impliquer davantage et donc à mieux s’approprier les concepts et les connaissances.
- Le jeu, c’est un peu de hasard
Une grande part du mystère du jeu réside dans sa dimension aléatoire. Il faut qu’il y ait cette part d’incertitude qui participe à l’évasion et au rêve. Lorsqu’on joue, rien n’est écrit. Rien n’est déterminé à l’avance. On peut recommencer la partie, elle ne se déroulera pas de la même façon.
Cela contribue à créer le mystère et le plaisir de jouer. Cette part de hasard permet aussi de déterminer des catégories de jeu. « Réflexion », si la part est raisonnable sinon le jeu rentre dans la catégorie des « jeux de hasard ».
- Le jeu, c’est un peu de mystère
Le mystère du plaisir que l’on éprouve en jouant, réside dans ce que les ludologues qualifient de frivolité ou improductivité.
Que fait-on réellement lorsqu’on joue ? Que cherche-t-on ? Le joueur est sorti du cadre du réel, donc ses actions ludiques n’ont aucune conséquence sur la réalité. Il peut se libérer totalement des contingences du réel et prendre des risques, tenter des expériences.
- Le jeu, c’est la liberté
On ne joue pas contraint et forcé. Un joueur doit se sentir libre et pouvoir décider, notamment de quitter le jeu s’il le désire, en évitant de jeter toutes les pièces sur le plateau de jeu, façon mauvais joueur ! Cela pose la question du jeu en classe au regard de ce postulat. Lorsque l’enseignant propose à sa classe de jouer, il ne fait pas le tour de toute la classe pour demander à chaque élève s’il accepte de jouer. Le principe de liberté est un peu biaisé. Il y a une sorte de transfert vers le collectif, c’est le groupe classe qui se substitue aux élèves et qui donne implicitement l’accord du jeu. On retrouve le mystère de l’alchimie du groupe derrière lequel les individus s’effacent.
Quelle place et quelle utilité particulière pour les versions numériques des jeux ?
L’univers du jeu s’est enrichi ces dernières années avec l’arrivée d’autres formes de jeux. Prolongement du développement du numérique, on trouve des applis pour tablettes où jeux et apprentissage se conjuguent parfaitement. Les jeux sérieux sont, dans de très nombreux domaines, en progression exponentielle.
Autre nouveauté en lien avec la dimension physique et sociale du jeu, le développement des Escape Game, où l’on retrouve le plaisir de chercher des énigmes en équipe. L’engouement pour les Escape Game est à mettre en lien avec le développement des rallyes mathématiques dans les Écoles, Collèges et Lycées : on y retrouve travail collaboratif et défi pour résoudre des problèmes.
Pour Mathador, notamment pour les applis Chrono et Solo, l’apport du numérique est vraiment intéressant : il permet de sélectionner et de classer les tirages avec des niveaux de difficultés, d’éliminer les tirages sans solution et enfin de ne sélectionner que des tirages avec un coup Mathador (voir l’annexe en fin d’article). Pour les joueurs qui connaissent bien Mathador Chrono, le fait de savoir que chaque tirage contient au moins un coup Mathador est une information capitale car on peut obtenir 18 points sur chaque tirage. Depuis 4 à 5 ans, depuis que Mathador Chrono existe en ligne sur le site Mathador.fr et en appli, on découvre avec Canopé la montée en puissance de calculateurs aux capacités extraordinaires : il s’agit de joueurs qui dépassent régulièrement les 300 points et qui peuvent atteindre 500, 900 ou 1400 points.
Ces supercalculateurs sont en constante progression et réalisent des prodiges. Actuellement, Julie, une élève de Seconde, avec des mois d’entrainement et une demi-heure à une heure de jeu quotidien, dépasse régulièrement les 1000 pts et vient de réaliser 2500 points. Je ne pensais pas que c’était accessible à un cerveau humain. Elle a été filmée pendant une partie où elle obtient 1400 points. La vitesse d’exécution mentale des calculs et d’agilité des doigts est tout à fait hallucinante. Elle réalise 50 coups Mathador en une partie de 180 secondes, soit un coup Mathador toutes les 3,6 secondes !
Avec quelques années de recul, une mesure empirique donne environ 10% d’une classe d’âge pouvant atteindre de telles capacités, au-delà de 300 pts. C’est en effet, ce que je constate dans toutes mes classes depuis une petite dizaine d’années. Attention, cela ne peut concerner que des élèves qui ont un enseignement régulier de calcul mental et des pratiques ludiques régulières de type Trio et Mathador. Au-delà de la performance en calcul, ces élèves développent pratiquement tous une aisance avec le sens des nombres et des opérations qui diffusent dans de très nombreux domaines, comme la résolution de problème. Et surtout, ces élèves ont une relation amicale, voire jubilatoire avec les nombres et les opérations qui leur donnent une confiance en eux qui fait plaisir à voir.
Jouer avec les mathématiques, quelle idée !
Avec le recul et les années de pratiques ludiques dans mes classes, au-delà de l’envie et du plaisir que le jeu suscite, le premier argument qui me vient à l’esprit, est cette capacité à rendre acteur et actif pratiquement tous les élèves. C’est toujours avec autant de plaisir que j’observe chaque année ces élèves en grande difficulté qui s’investissent à partir du moment où on rentre dans l’univers du jeu. Un élève qui est actif, c’est un élève qui s’implique et qui apprend. On le constate tous, un cerveau passif n’apprend rien. Voilà peut-être la force pédagogique principale de l’apport du jeu à l’école, rendre chacun acteur.
Le jeu reste un outil pédagogique à la disposition de l’enseignant qui va permettre de dépasser la ligne de partage : acteur-spectateur. Nous avons dans nos classes des élèves naturellement acteurs : actifs, volontaires, curieux, parfois extravertis.
A l’opposé, il y a toujours ces élèves réservés, pour qui la vie en groupe n’est pas simple et peut même poser des problèmes. Ces élèves n’osent pas, ils sont parfois introvertis. S’impliquer, s’approprier des concepts, n’est pas naturel et peut être source de difficultés pour ces élèves.
De toute évidence, le jeu est un outil qui va aider ces élèves à évoluer et à s’impliquer davantage. L’apport du jeu dans la classe, à dose modérée mais régulière, doit permettre avec le temps de modifier cette vision des mathématiques. Les notions de plaisir et de jubilation pourront y trouver leur place.
Un autre argument fort en faveur du développement de la pratique du jeu en mathématiques est la proximité avec la démarche scientifique. En effet, l’activité réglée du jeu fixe implicitement un objectif, le but du jeu.
Souvent pour l’atteindre, le joueur est amené à formuler des hypothèses, à les tester, éventuellement en expérimentant mentalement, en tâtonnant, puis à faire un choix. Dans un cadre de jeu en groupe ou participatif, il y aura même échange et verbalisation.
Dans un jeu de réflexion, ce choix sera validé ou invalidé dans le cadre de la règle du jeu par l’évolution de la partie ou par la réponse d’un adversaire. De plus, pour quelques grands jeux de réflexion type échecs, il existe un stade supérieur avec des modélisations et des théories de jeu. Bref, la proximité avec la démarche scientifique est grande.
Le jeu apporte souvent la notion de défi. Ce dernier, qui peut être individuel ou collectif, est également un levier pédagogique que l’on retrouve dans les concours individuels de jeux mathématiques ainsi que dans les rallyes mathématiques pour les classes. Sans en abuser, cette notion de défi est un des paramètres qui concourt à susciter la curiosité et l’envie pour certains élèves.
Enfin, le jeu est une façon de redistribuer les cartes dans la classe. Le changement complet de cadre qu’apporte le jeu, donne l’occasion aux élèves en difficultés d’oublier momentanément cette situation d’échec et de se remotiver, voire d’être valorisés.
Il ne faut pas oublier la dimension sociale et fédératrice du jeu qui, dans une pratique collective de classe, est créatrice de liens et rapproche les élèves à la fois des autres mais aussi des savoirs en développant l’estime de soi et le respect et l’écoute des autres.
Vous ai-je convaincus ?
Quelques conseils pratiques…
Apporter le jeu dans sa classe n’est pas un acte anodin. Les étiquettes s’effacent, il n’y a plus les bons élèves ou les élèves en difficulté , ni de professeur mais des joueurs ! C’est enrichissant pour l’enseignant de découvrir d’autres facettes de ses élèves. C’est aussi déstabilisant, car il faut accepter de se mettre en situation de joueur et donc de changer de statut vis-à-vis de ses élèves. Pour accompagner ce changement de posture, un premier conseil est d’introduire le jeu à petites doses pour commencer, sur de courtes durées, de façon à constituer progressivement un univers ludique. Deuxième conseil, utiliser des jeux que vous connaissez bien. Cette maîtrise vous permettra d’accompagner plus sereinement vos élèves dans ce nouvel univers et de répondre sans difficultés aux questions et aux sollicitations. Enfin, ce n’est pas la quantité, mais la qualité qui est prépondérante, avec un paramètre essentiel : la régularité des pratiques. Comme très souvent en pédagogie, mais aussi en sport comme en musique, il faut pratiquer régulièrement de façon à pouvoir en récolter les fruits. Dans le domaine des jeux de calcul, c’est essentiel.
Le jeu est synonyme de plaisir et de joie pour un élève, il faut donc parfois accepter un volume sonore en augmentation. Il y a nécessairement plus de verbalisation et d’échanges, c’est juste un peu de souplesse dans la gestion de la classe mais, bien sûr, en responsabilisant les élèves.
Concernant l’organisation pratique, plusieurs modalités sont possibles mais c’est aussi fonction du jeu utilisé. Certains s’utilisent sans problème en grand groupe ou en classe entière, mais d’autres ne peuvent se mettre en place qu’avec des petits groupes en raison du matériel ou de la règle. Dans le premier degré, du fait d’une gestion plus souple de l’emploi du temps, de nombreux professeurs des écoles prévoient un temps « ateliers jeux » dans la journée. Quatre ou cinq jeux sont mis en place sur des tables dans la classe et les élèves en petits groupes se répartissent autour des tables. On change de jeux toutes les dix minutes environ. En une heure, il est possible de pratiquer 4 ou 5 jeux. En utilisant cette formule, c’est également envisageable au collège et au lycée, dans le cadre d’une heure de cours.
La montée en puissance de la place du jeu dans l’enseignement des mathématiques
Oui, comme je l’ai évoqué précédemment, l’histoire de notre relation au jeu n’a pas facilité l’installation du jeu dans le cadre de l’enseignement des mathématiques comme un outil pédagogique à part entière. Cela a longtemps été de l’ordre du « Oui, le jeu…, mais… ». Cette idée que le jeu, c’est pour les petits à la maternelle et qu’après, on se met au travail, se fissure de plus en plus.
Force est de constater que la tendance est nettement à un développement de la colonne du Oui et à un appauvrissement de celle du Mais , et c’est une bonne nouvelle !
La multiplication dans toute la France des manifestations autour du thème du jeu est impressionnante. Le salon de la Culture et des Jeux Mathématiques de la Place St Sulpice à Paris est l’exemple emblématique de cette évolution. Les éditeurs et diffuseurs de jeux ont connu un boom dans leur développement au cours de ces 20 dernières années. Et cette dynamique a également gagné l’Education Nationale. Canopé qui édite et diffuse Mathador s’inscrit parfaitement dans cette évolution.
Le jeu a toujours accompagné les mathématiques dans l’enseignement, les récréations mathématiques jalonnent toute l’histoire des mathématiques. De nombreux concepts sont issus d’énigmes ludiques mathématiques. Un exemple classique est le problème des Ponts de Königsberg d’Euler qui est à l’origine de la théorie des graphes.
Depuis une vingtaine d’années, il y a également une montée en puissance dans les textes officiels de l’Education Nationale pour donner au jeu une véritable place. C’est un changement important de statut. De simple agrément au cours, le jeu est de plus en plus considéré comme un outil pédagogique à part entière et encore mieux, qui peut et doit s’insérer dans une progression annuelle. Depuis les programmes de 2002, le nombre de textes officiels autour de la place est important, le BO n°10 du 10/03/2011 est une étape importante de cette montée en puissance. Le rapport Villani-Torossian en est un autre exemple récent. Il donne une place importante à la manipulation et à la verbalisation dans l’enseignement des mathématiques. On sous-estime certainement l’importance de la verbalisation dans les mécanismes cognitifs d’acquisition des connaissances. Manipuler, verbaliser, jouer facilitent la mentalisation des concepts mathématiques en présence. C’est cette proximité à la fois mentale et affective qui fait défaut à certains de nos élèves, particulièrement ceux de milieux défavorisés. En effet, des études montrent que les enfants de milieux défavorisés jouent moins avec les nombres. A la différence d’enfants de milieux favorisés qui sont initiés à la pratique du jeu dès les premières années dans leur cadre familial. Un accompagnement, dès les premières années, pour découvrir les premiers nombres et les premières opérations dans un cadre ludique semble être un facteur discriminant. D’où l’importance de le mettre en place avec régularité dans le cadre scolaire.
Jouer avec les mathématiques est une piste très sérieuse qu’il faut continuer à creuser pour réduire les écarts entre les élèves dans nos classes et développer l’idée de plaisir dans l’apprentissage des mathématiques.
Annexe : Le coup Mathador
Le principe de Mathador s’inscrit dans la famille des jeux de Compte est bon. C’est-à-dire un nombre-cible (entre 0 et 99) à fabriquer avec 5 nombres issus d’un lancer de 5 dés (les 5 solides de Platon).
Si c’est une version numérique Chrono ou Solo, le tirage est généré de façon aléatoire mais en fait, il provient d’une banque de données de tirages pré-établis.
Lorsqu’on lance les dés, certains tirages sont impossibles. Par exemple, cas extrême, fabriquer 99 avec 1 / 1 / 1 / 1 / 1 !
Le numérique permet d’éliminer tous les cas impossibles et en plus, ne sélectionne que des tirages avec au moins un coup Mathador.
Qu’est ce donc qu’un coup Mathador ?
C’est un coup qui produit le maximum possible de points.
Pour obtenir le maximum de points possibles à Mathador Chrono (version numérique) ou Mathador Flash (version avec les dés), il faut fabriquer le nombre-cible en utilisant les 5 nombres donnés et les 4 opérations chacune une fois.
Soit une addition, une soustraction, une multiplication et une division, la quintessence en calcul mental !
Par exemple, comment fabriquer 33 avec 4 / 6 / 6 / 8 / 15
Voici une petite analyse avec de nombreuses solutions, classées en fonction du nombre de points qu’elles rapportent.
Pour rappel, 5 pts dès que l’on a trouvé le nombre-cible auquel on ajoute 1 pt pour une addition, 1 pt pour une multiplication, 2 pts pour une soustraction, 3 pts pour une division et 13 pts pour le Graal, le coup Mathador.
- Tirage Mathador
Une première solution simple car dans le registre additif : 15 + 8 + 6 + 4 = 33
C’est une solution qui rapporte 8 points (5+1+1+1)
Voici quelques solutions, par ordre croissant de points, par ajustement inférieur ou supérieur à 33 :
6x8 = 48 et 48 – 15 = 33 8 points (5+2+1)
4x6 = 24 puis 24+15 = 39 et 39 – 6 = 33 9 points (5+1+1+2)
4x8 = 32 puis 6:6 = 1 et 32 + 1 = 33 10 points (5+1+3+1)
6x6 = 36 puis 8 + 4 = 12 puis 15 – 12 = 3 et 36 – 3 = 33 11 points (5+1+1+2+2)
Voici une solution fondée sur l’unique décomposition multiplicative de 33, 3x11 :
15 – 4 = 11 puis 8 – 6 = 2 et 6:2 = 3 et on termine par 3x11 = 33
Cette solution rapporte 13 points (5+2+2+3+1)
Voici un beau coup Mathador :
8:4 = 2 ; 6 + 2 = 8 ; 8x6 = 48 puis 48 – 15 = 33
Et voici un autre coup Mathador fondé sur l’idée de fabriquer le double du nombre-cible puis de le diviser par 2 :
4x15 = 60 ; 60 + 6 = 66 ; 8 – 6 = 2 et 66:2 = 33
Quelques articles complémentaires, issus du blog Mathador