Faire progresser les représentations des stagiaires comme on le ferait avec des élèves sur la base de l’exploration dynamique d’une situation culturellement largement consensuelle ...
Pour agir sur les figures dynamiques, il peut être utile d’actualiser la page courante en cliquant sur cette icône en haut de page
N.D.L.R. (novembre 2021) Cet article était tombé en rade, avec la disparition de ses figures dynamiques (fin de CabriJava). Yves Martin a remédié à cette situation en refaisant avec DGPad l’ensemble des figures et en ajoutant de très intéressantes précisions dans la partie « Autres démarches d’homologie didactique que permet la géométrie dynamique ». Nous souhaitons à cet article une seconde vie, en particulier dans le cadre de la formation des professeurs.
N.D.L.R. (septembre 2007) L’article qui suit a été mis en ligne dans Mathematice en novembre 2006. En juillet-août 2007, il a été repris dans le cadre du partenariat entre le Bulletin de l’APMEP et MathemaTICE. Des modifications et d’importants compléments y ont été apportés, en vue de sa publication dans le n° 473 de la revue de l’APMEP. Ce nouvel article est joint à l’article en ligne (en bas de page). Le lecteur peut en télécharger ci-dessous le fichier pdf (documents associés à cet article) pour découvrir l’intérêt d’une double édition, sur papier et en ligne. Mais voici tout d’abord l’article initial, retouché au fil des échanges.
Présentation de l’article (Yves Martin)
On lit souvent dans les manuels scolaires qu’en perspective cavalière, seuls les objets entièrement dans des plans parallèles au plan frontal sont en vraie grandeur, d’où les stratégies de « rabattement », en dessin industriel, pour construire des objets en vraie grandeur.
Dans cet article, on propose à des stagiaires l’activité classique de construction d’une section de cube en vraie grandeur, puis on dévie, par l’utilisation de la géométrie dynamique, vers d’autres questionnements.
Comme leurs élèves en classe, les stagiaires vont devoir confronter leurs représentations à la réalité de l’exploration proposée et modifier ainsi sensiblement leur propre rapport à la représentation plane de l’espace : c’est ce que l’on appelle en didactique l’homologie, car on fait rencontrer aux enseignants les mêmes parcours cognitifs que leurs élèves.
Sur la figure ci-dessous [construite initialement avec Cabri II donc dans un logiciel de géométrie plane, reproduite ici avec DGPad, dans sa version 2D] A, B, et E sont des points initiaux de la figure. Comme [AE] est une arête du cube, ces trois points déterminent entièrement la perspective cavalière sans que celle-ci ait à être précisée.
La face ABCD est dans un plan frontal. Elle est donc en vraie grandeur, tout comme le segment [IJ]. K étant dans un autre plan, a priori, IK et JK ne sont pas en vraie grandeur.
Les stagiaires commencent par faire cette figure. L’objectif de l’activité est ainsi présenté : il s’agit de construire un triangle I’J’K’ qui représente - dans un plan frontal, la vraie grandeur du triangle IJK.
Pour cela, on commence par construire un segment [I’J’] parallèle à [IJ] et de même longueur. D’un point de vue « dynamique » ce segment est construit avec précaution (par translation si possible) pour que toute la figure continue d’exister quand I’ vient exactement sur sur I. En particulier on n’utilise pas de parallèle à la droite (II’).
il s’agit désormais de construire un point K’ tel que I’J’K’ soit la vraie grandeur de IJK.
Pour nombre de stagiaires - ceux qui n’ont pas l’habitude de pratiquer le dessin dans l’espace, et c’est souvent le cas des jeunes stagiaires PLC2 en particulier - cette construction n’est pas immédiate car la problématique reste sur la représentation plane de la rotation d’un quart de tour dans l’espace selon l’axe (CD).
Toutefois, en précisant qu’il s’agit d’une construction réalisable en fin de collège (et non pas un exercice difficile sur l’espace qui serait proposé en 1°S), la méthode traditionnelle de rabattement de la face DCGH sur la face DCBA par Thales émerge assez rapidement. Et on construit facilement M sur (BC) tel que CM soit la vraie grandeur de CK, et donc IM la vraie grandeur de IK. De même on construit N sur (CD) tel que JN soit la vraie grandeur de JK.
La construction de K’ est alors toute simple mais parfois les stagiaires - en particulier s’ils n’ont pas beaucoup de pratique de la géométrie dynamique - peuvent se tromper dans l’utilisation de l’outil compas (Cabri ou Geogebra) ou assimilé.
C’est pour cela que naturellement, le formateur propose une validation : vérifier que le lieu de K’ quand K varie est bien un segment (et non pas un arc d’hyperbole dans l’erreur classique de confusion des cercles).
Une fois le lieu tracé, on peut demander à quoi il correspond : c’est la trace de l’arête [CG] dans le dessin précédent. La discussion peut s’engager sur ce que signifie cette trace exactement. Jusqu’ici l’activité est perçue comme classique par les stagiaires.
Puis, le formateur pose cette question surprenante : « Serait-il possible que ce lieu de K’ coïncide avec l’arête elle-même ? » Question surprenante, pour de nombreuses raisons (j’ai fait cette activité plus de 10 fois en formation sur des public assez variés), avec des réponses plus ou moins surprenantes, dont même parfois celle-ci « on sait bien que ce n’est pas possible ». Vérifions quand même :
Ci dessous, le lecteur est invité à placer I’ exactement sur I et à essayer de faire coïncider le lieu rouge de K’ avec l’arête [CG] en déplaçant le point J et pour affiner, en déplaçant d’un pixel si nécessaire le point E.
simplement à la souris sur la figure ailleurs que sur les points.
Et quand vous y arrivez, il suffit de déplacer K pour faire coïncider les deux triangles IJK et I’J’K’ : et donc la vraie grandeur et le dessin.
Autrement dit, au cours d’une activité sommes toute relativement banale, grâce à la géométrie dynamique nous venons d’expérimenter qu’il existe des plans autres que les plans frontaux dans lesquels les objets sont aussi en vraie grandeur.
Et pour des raisons de continuité, l’expérimentation de la relation ’avant-après" entre K et K’, aboutit naturellement à la conjecturer l’existence d’un tel plan.
Note : pour des raisons d’unicité du prolongement affine des applications isométriques [qui conservent les distances], il suffit que ce soit vérifié sur un (vrai) triangle pour que la propriété soit vérifiée pour le plan entier.
Une fois notre propre regard sur la représentation plane en perspective cavalière ainsi bousculé, il serait intéressant de construire un tel plan, et de tester que la construction de la vraie grandeur donne bien les mêmes valeurs que les dimensions du triangle initial.
Là encore l’homologie didactique joue (sur l’aspect « zone proximale de développement » par exemple) : c’est parce que le formateur - comme enseignant - laisse entendre qu’il va être facile de construire ce plan, que les stagiaires vont s’impliquer dans cette recherche : sans cela, comme les élèves, parfois la seule exploration - et la validation par la géométrie dynamique - suffirait à une bonne partie d’entre eux : et faire cette remarque renvoie chacun à une prise de conscience de son propre niveau d’exigence en classe.
Pour réaliser la construction - et surtout la valider - il y a deux options. Si on dispose d’un logiciel permettant la reconstruction de points (en fait la plupart des logiciels maintenant), alors éloigner le triangle I’J’K’, cacher les autres points de construction à partir de J et K pour pouvoir, à la fin, redéfinir ces points comme identifiés aux nouveaux construits, ce qui réactualisera la construction de la vraie grandeur.
Sinon, on peut supprimer aussi le point K’, on refera alors à la fin la construction de la vraie grandeur pour tester la construction.
On se situe dans la première option. On conserve le point I (J et K ont cachés). On cherche à construire U sur l’arête [CG] et P sur l’arête [CB] tel que IUP soit en vraie grandeur.
Analyse
Dans l’espace, une rotation d’un quart de tour de (CG) autour de l’axe (CD) envoie U sur V l’intersection de (BC) avec la parallèle à (BG) passant par U (par Thalès dans le plan de la face). Iv est donc la mesure de IU en vraie grandeur.
IU sera en vraie grandeur ssi IU=Iv, c’est-à-dire ssi IUv est isocèle en I sur le dessin.
Toujours sur le dessin, la hauteur issue de I du triangle IBG est la perpendiculaire à (BG) passant par I. Cette droite d doit être médiatrice de [UV], toujours sur le dessin. Ainsi, le point U cherché est l’intersection de [CG] avec l’image (B’C’) de (BC) dans la symétrie d’axe d.
Ci-dessous, on a ajouté les mesures des longueurs de [IU] et [IV] et ainsi on peut vérifier que la longueur IU est aussi égale à la longueur de « [IU] en vraie grandeur » (soit IV).
ou encore B pour modifier la taille du cube.
Reste à construire P.
I et U étant connus, la parallèle à (DG) passant par U coupe (CD) en un point R qui est l’image de U dans la rotation d’un quart de tour autour de l’axe (BC) ... dans le bon sens ...
Et donc pour tout point M de (BC), MR est la longueur de [MU] en vraie grandeur.
Il en résulte que la médiatrice, sur le dessin, de [UR] coupe (BC) au seul point P pour lequel les longueurs PR et PU sont égales sur le dessin. Comme ci-dessus on a affiché les longueurs égales (sur le dessin et en vraie grandeur).
ou B pour agir sur la taille du cube.
Alors, le triangle IPU ainsi construit est à la fois en perspective cavalière et en vraie grandeur.
Dans la figure ci-dessous, on redéfinit les points J et K initiaux (de la manipulation précédente comme identifiés à ceux construits (U et P), et on vérifie, sur I’J’K’ que les mesures des côtés des deux triangles sont bien les mêmes : on a bien construit un triangle IJK tel que ses côtés sont, sur le dessin, en vraie grandeur !!!
Dans cette figure, le point U a été défini comme intersection de deux segments, donc on peut se retrouver dans des situations où U serait en dehors de l’arête du cube : il suffirait de définir U et P comme intersections de deux droites pour que le plan (IUP) existe dans tous les cas.
Si on ne dispose pas de cette fonctionnalité de redéfinition d’un point, on peut refaire la figure en vraie grandeur comme au début : on verra alors que les points de constructions sont confondus avec les points construits ... on est donc bien en vraie grandeur.
Autres démarches d’homologie didactique que permet la géométrie dynamique
D’une manière générale, l’efficacité de la formation à des questionnements didactiques comme on la connait en primaire n’est pas directement transférable dans le secondaire : les différents rapports au savoir des élèves comme des enseignants ne sont pas les mêmes et ne permettent pas les engagements didactique pertinents que l’on peut voir en formation des professeurs d’école.
C’est une des raisons de se tourner vers d’autres pratiques pour sensibiliser, au dela du discours institutionel, les jeunes enseignants aux enjeux mis en évidence par la didactique des mathématiques.
L’homologie didactique en est une. Nous avons vu brièvement un premier exemple, qui reste relativement soft puisque, s’il engage les représentations, celles ci peuvent évoluer vite et - s’ils ont besoin de se rassurer - les stagiaires peuvent mettre cette activité sur le compte d’un prolongement de formation disciplinaire.
Dans la formation qui est proposée à l’IUFM de La Réunion (autour des années 2006), nous avons quelques séances de géométrie non euclidienne (sur support dynamique) ce qui permet de plonger les stagiaires dans une classe de 5° hyperbolique : les macros du logiciel utilisé sont des outils comme la règle ou le compas de l’élève, données au stagiaire comme les élèves achètent une règle, une équerre, un compas. Et il s’agit d’explorer la géométrie comme on peut le faire en classe : de manière structurée et construite certes, mais tout en faisant des explorations individuelles surprenantes dont il faut rendre compte.
La principale question préalable des stagiaires est celle du modèle : ils demandent - de manière récurrente - comment sont construites les droites, et l’orthogonalité, pensant que cette connaissance permettra d’anticiper les propriétés géométriques hyperboliques. La réponse renvoie à la pratique géométrique scolaire : qu’est-ce qu’une droite pour un élève de 5° ? L’orthogonalité ? Nous nous plaçons dans le même contexte : un modèle donné, avec ses outils, virtuels, certes, mais équivalent des objets physiques correspondants.
L’un des points significatifs de cette séance (en particulier parce qu’il ne permet pas l’échappatoire mentionnée plus haut) est le moment où nous démontrons notre premier théorème hyperbolique qui, pour le symbole, est le même (ou à peu prés) que le premier euclidien : le théorème ’des milieux" : si une droite passe par le milieu de deux côté d’un triangle alors ... alors quoi ?
La séance est construite pour que les stagiaires comprennent très facilement la démonstration du théorème : le formalisme algébrique sur les symétries centrales, les figures dynamiques font que chacun comprend - et reconnait qu’il comprend très bien - la démonstration.
Mais quand celle-ci est finie, quand chacun atteste qu’il a bien compris le résultat, si on demande d’énoncer le théorème, chacun est renvoyé à lui-même et à ses questionnements. Voici la figure proposée à la manipulation du lecteur.
Les yeux des stagiaires montrent bien la métacognition engagée : ils font tout de suite le lien entre leur incapacité à énoncer un théorème élémentaire dont ils ont tout compris de la preuve, et les situations de classe.
On peut alors parler de ce que peut signifier le concept d’institutionnalisation dans le secondaire : le choc provoqué par cette homologie didactique rend le discours non plus théorique ou institutionnel mais comme conceptualisant des expériences vécues dont on cherchait justement les mots pour en rendre compte.
La géométrie dynamique en formation des enseignants permet de construire de nouveaux paradigmes dans nos rapport au savoir, à l’enseignement, et à l’élève comme on peut le lire dans les articles de ce dossier. Il permet aussi de rendre visibles aux stagiaires - avec une ingénierie adaptée - bien des enjeux implicites de l’enseignement.