Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Fonction numérique d’une variable réelle via un usage des TICE
Article mis en ligne le 31 août 2012
dernière modification le 1er septembre 2012

par Hafida Bouanani

Cet article complète ceux, très consultés, que des chercheurs marocains ont déjà confiés à MathémaTICE.

Une version pdf de l’article est téléchargeable en fin de l’article en ligne.

Les auteurs : Hafida BOUANANI [1] ; Mohamed BAHRA [2] ; Naceur ACHTAICH  [3] ; Mohammed TALBI [4]

Résumé

Avec l’avènement des TICE, le milieu physique s’est considérablement enrichi d’objets qui, contrairement aux objets statiques qui sont seuls disponibles avant cet avènement, sont autant de virtualités dynamiques, autant de potentialités de formes et de configurations évolutives, éventuellement passibles de concrétisation. Dorénavant, l’activité de l’apprenant ne saurait être mathématicienne que si elle est ponctuée par une dialectique ‘configuration/dé-configuration’, en ce sens que la configuration dynamique de points est alors une ‘monstration’ de quelque relation. Par contre, cette monstration appelle de manière nécessaire une démonstration. Dans cet article, nous tentons de montrer en quoi les courbes de fonctions numériques de la variable réelle, vues comme autant de captures de mouvements de points mobiles, constituent, via les logiciels de géométrie dynamique, un substrat pour cette dialectique.

Mots clés  : capture du mouvement, géométrie dynamique, monstration, démonstration dialectique ‘configuration/déconfiguration’.

Problématique

Le système d’enseignement des mathématiques marocain connaît des changements notables induits par l’avènement des TICE en général, et des logiciels de géométrie dynamique en particulier. Un besoin de formation des enseignants s’est ressenti, d’où des sessions successives de formation des enseignants, des futurs enseignants, et de tous les acteurs impliqués. Des équipements nécessaires sont mis à la disponibilité des établissements. Or ces formations se centrent uniquement sur le matériel accompagnant ces technologies et sur leur mode d’emploi et non pas sur l’apport épistémologique éventuel des variables didactiques spatiotemporelles que ce matériel rend désormais disponibles.

La géométrie est pourvoyeuse de moyens de modélisation pour les mathématiciens et gagnerait, par conséquent, à être outil d’enseignement. Par contre, pour les pratiques scolaires, la géométrie est uniquement objet d’enseignement. La géométrie s’est émancipée de sa conception originelle, la mesure de la terre, pour devenir, surtout via ces logiciels qu’on appelle, à juste titre, logiciels de géométrie dynamique, une géométrie des virtualités de configurations de points et de directions. Cependant, l’usage de ces logiciels dans le milieu scolaire ne saurait être efficient sans montrer, les preuves à l’appui, qu’il peuvent porter à l’évidence la caducité de certaines pratiques enseignantes et de certains choix didactiques.

Deux conceptions de la fonction numérique de la variable réelle : une conception sténographique et une conception kinesthésique.

La conception sténographique

Les pratiques scolaires font apparaître les courbes représentatives Cf de fonctions numériques f de la variable réelle x comme résultat d’un calcul : les courbes Cf interviennent à la fin de l’étude des expressions analytiques des fonctions f à la fois comme résultat et comme illustration. Elles n’apparaissent point comme objets d’étude et de description à part entière. Les courbes Cf sténographient alors un calcul déroulé sur ces expressions et, ce faisant, dénotent une conception de la notion de fonction que nous proposons de qualifier de sténographique. Ces courbes peuvent pourtant être vues comme les sténogrammes de mouvements rectilignes et participer ainsi d’une tout autre conception de la notion de fonction numérique de la variable réelle : il s’agit de cette conception que nous proposons de qualifier de kinesthésique

La conception kinesthésique

Pour que les courbes Cf soient des sténogrammes de mouvements rectilignes, il serait nécessaire d’user du vocabulaire de la cinématique, à coté du vocabulaire spécifique à l’étude de fonctions, dans la description de la courbe de toute fonction étudiée : dérivée et rapports des vitesses des points mobiles M(0,f(x)), N(x,f(x)), P(x,0), dérivée seconde et rapports des accélérations de ces points, entre autres choses, doivent faire l’objet de reprises répétées. Notifier que la trajectoire du premier point est évidemment contenue dans l’axe des ordonnées, celle du second dans la courbe Cf et celle du troisième dans l’axe des abscisses revêt une importance capitale quoiqu’insoupçonnée des pratiques scolaires. Il en est de même de la vitesse de balayage de la surface comprise entre Cf et l’axe des abscisses par le segment [HM] avec H(x,0) et M(x,f(x)). Ces éléments ne sont anodins qu’en apparence et ils constituent, du fait de cette illusion trompeuse, un point aveugle des pratiques scolaires. De ce fait, des pans entiers de l’analyse mathématique et des modèles mathématiques restent, en tant qu’objet d’enseignement, des objets immotivés

Nous tenterons de montrer que la concomitance des deux conceptions est nécessaire pour restaurer cette motivation qui, seule, est susceptible d’entraîner celle des apprenants et d’instaurer une nouvelle structuration des contenus d’enseignement suggérant enseigner autrement.

Un exemple archétype : un point ‘chutant’ comme modèle géométrique plausible du mouvement de corps en chute libre

Le plan étant rapporté à un repère orthonormé , g, un réel positif, l’on considère les droite D et G d’équations respectives D : x= 1, G : y=-g. représentées sur la feuille du papier comme suit :

Posons, pour tout point T sur [OI), xT=t et T’, la projection orthogonale de T sur G, l’on considère le rectangle OTT’O’. Si :

  • est l’axe des temps ;
  • , l’axe des positions instantanées, trajectoire d’un point mobile animé d’un mouvement rectiligne d’accélération (–g).

Il serait important de montrer que la surface rectangulaire OTT’O’ ‘balayée’ par le segment TT’ de l’instant 0 à l’instant t voit son aire a’(t) varier avec une vitesse a« (t) égale à , soit à –g. Quel serait donc le lieu des points T » de (TT’) tels que =a’(t) : on s’intéresse ici à un procédé de genèse point par point de ce lieu pour illustrer les configurations de points et la dialectique « configuration/dé-configuration » qui, comme nous l’avons souligné ci-dessus, fait pendant à la dialectique ‘monstration/démonstration’.

(O’T’) coupe D en un point H’ et (OH’) coupe (TT’) en le point T« cherché. Quand T parcourt [OI) ,H’ étant un point fixe, le lieu des points T » est la demi-droite [OH’). Cette demi-droite est la caractéristique de la vitesse instantanée d’un des points animés dans (OJ)= , d’un mouvement dont la caractéristique de l’accélération est la demi-droite [O’H’).
Il est intéressant d’envisager, de même, le lieu géométrique, quand T parcourt [OI), du point M’ de (TT’) tel que avec

Puisque le lieu des points T« est la demi-droite [OH’), a(t) serait égale à l’aire du triangle OTT ».
La médiatrice du segment [TT« ] coupe [TT »] en son milieu T’’’, D en un point M« et (OJ) en un point M’’’. L’aire du triangle OTT »est égale à l’aire du rectangle OTT’’’M’’’ et la demi-droite [OM") coupe (TT’) en le point M’ cherché.
Le lieu géométrique du point M’ est un segment de parabole (voir figure ci-dessous). Ce segment de parabole est la caractéristique du mouvement du point M, projection orthogonale de M’ sur (OJ), quand T parcourt [OI) avec une vitesse constante dont le vecteur-vitesse est

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Le point M s’éloigne de O dans le sens ‘haut-bas’, à mesure que T s’en éloigne dans le sens ‘gauche-droite’. Si l’éloignement de T modélise l’écoulement du temps, alors M est un point qui ‘tombe’ avec une vitesse instantanée proportionnelle au temps et parcourt des distances proportionnelles au carré du temps . Un dispositif empirique adéquat peut devenir le discriminant expérimental d’établissement de la validité de cette construction du point M comme modélisation géométrique du mouvement de corps en chute libre.

Chaque choix de la caractéristique de l’accélération du mouvement pose le problème de retrouver le procédé systématique de positionnement sur l’axe des ordonnées du point M dont c’est le mouvement via la position du point T.

Une hypothèse alternative à une hypothèse institutionnelle

Cet exemple archétype de capture de mouvement, ainsi que des exemples similaires, n’ont pas fait explicitement leur apparition dans l’histoire des systèmes de l’enseignement des sciences et des techniques alors que le discriminant expérimental mentionné ci-dessus est l’incarnation même du fait scientifique. Ces systèmes fonctionneraient alors sous l’hypothèse erronée selon laquelle la conception sténographique implique la conception kinesthésique de la notion de fonction numérique de la variable réelle. Les résultats des tests qui suivent, passés sur des hordes d’étudiants marocains, sont autant de preuves que non seulement le système marocain selon cette hypothèse, mais que celle-ci est une hypothèse erronée.

Tests passés sur des hordes d’étudiants

Nous avons soumis aux étudiants licenciés es mathématiques un premier test que nous avons nommé « situation du policier »

Énoncé

Ce schéma est censé représenter le parcours d’un automobiliste qui, après s’être arrêté et garé sa voiture dans le bas-côté d’une route (une cachette), il a redémarré sa voiture et repris sa route. Après avoir atteint sa vitesse de croisière, il a observé devant lui, à quelques centaines de mètres, un obstacle (par exemple, un policier qui lui fait signe de s’arrêter). Il ralentit, pour enfin s’arrêter au niveau de cet obstacle. Après un arrêt, il fit demi-tour pour rejoindre sa cachette

Questions :

Est-ce que le schéma représente effectivement ce qu’il est censé représenter ? Sinon pourquoi ? Si oui où placeriez-vous l’obstacle (mettre une croix dans le schéma sur la position choisie et justifiez votre réponse) ?

Nous leur avons soumis ce test sur le positionnement afin de voir s’ils font une distinction nette entre courbe représentative d’une fonction numérique de la variable réelle et la trajectoire d’un point mobile du plan, et entre trajectoire et diagramme.

Nous avons conclu, d’après la cueillette et l’analyse des résultats que la représentation que ces étudiants se font de la courbe en question ne leur permet pas de la mobiliser comme outil de détermination de la position , à l’instant, du point mobile M(0,f(x)) sur l’axe des ordonnées, via le chemin liant, dans cet ordre, les points P(x,0), N(x,f(x)) et M(0,f(x)).

 En effet, les étudiants ont placé l’obstacle sur la courbe aux points correspondant aux extrémums de la fonction, au lieu de le placer sur l’axe des positions.

 Ces résultats alarmants nous ont poussés à imaginer un autre test pour des élèves ingénieurs (niveau un peu plus élevé que les licenciés es mathématiques) de différentes filières : Electronique/Maintenance Industrielle (2ème année ENIM), Informatique (2ème année EMI), Télécommunication (2ème année INPT), CAPES/ECONOMIE-GESTION (5ème année ENSET), (voir énoncé de ce test nommé « problème des trains » ci-dessous).

Test : problème des trains.

Enoncé

Deux trains roulent dans deux voies parallèles et dans le même sens, avec des vitesses constantes respectivement, V et v, données telles que V > v , qui à instant connu t0 se positionnent dans deux endroits séparés d’une distance connue d . Il s’agit de déterminer l’instant et l’endroit où le train à la grande vitesse rattrape le train à petite vitesse.

Question :

Les deux trains peuvent-ils se rencontrer ? Si oui ; montrer comment. Si non : expliquer pourquoi ?

Ce problème met en scène deux trains qui roulent dans deux voies parallèles et dans le même sens, avec des vitesses constantes V et v données telles que V>v et qui à instant connu t0 se positionnent dans deux endroits séparés d’une distance connue d , et où il s’agit de déterminer l’instant et l’endroit où le train à la grande vitesse rattrape le train à la petite vitesse

Remarques  :
 Cet exercice est un problème classique.
 Ce diagramme active, comme variable didactique de commande, l’animation, pour développer chez l’apprenant, à propos des éléments fondamentaux de géométrie analytique, une conception qui en fait les éléments constitutifs de la stratégie optimale de capture du mouvement.

Constat préoccupant

153 élèves ingénieurs sur 169, soit 90,53% des étudiants n’ont pas su résoudre le problème. Quant aux étudiants licenciés es mathématiques, la quasi totalité des étudiants interrogés étaient incapables de retrouver le diagramme modélisant l’évolution des deux trains.

Ces résultats révèlent un fait : les pratiques scolaires promeuvent une conception au domaine d’efficacité trop limité de la fonction numérique de la variable réelle. Cette notion fait les frais d’un obstacle didactique qui concernerait les premiers enseignements de l’analyse mathématique. Le seul moyen de dévoiler et cette conception et cet obstacle serait de proposer une alternative à la manière avec laquelle on aborde habituellement cette notion et ces enseignements.

Les connaissances impliquées dans les tests sont très simples, voire triviales. Les réponses obtenues montrent que, malgré cette simplicité, ces connaissances ne sont pas intégrées par la majorité des étudiants. Nous estimons que ceci constitue un argument assez fort en faveur de l’approche que nous suggérons quant à l’enseignement de l’analyse mathématiques dans les écoles d’ingénieurs et ailleurs : Il serait d’un grand intérêt d’user du vocabulaire de la cinématique, à coté du vocabulaire spécifique à l’étude de fonctions, dans la description de courbe des fonctions numériques de la variable réelle, objets d’études. Comment et pourquoi ?

Nous proposons d’accompagner l’introduction de la notion de fonction de la variable nouvelle avec une notion qui lui est inhérente mais que les pratiques scolaires feignent d’ignorer, il s’agit de cette notion que nous intitulons « Capture cartésienne du mouvement » que le tableau statique ne permet point et que les logiciels de géométrie dynamiques favorisent une simulation très proche de la réalité.

Solution du test, situation sur les trains, faite avec le logiciel de géométrie dynamique GeoGebra.

Deux cas sont à envisager suivant l’avantage à accorder au train de petite vitesse v .

1er cas : l’avantage accordé est en espace

Dans ce cas l’instant de départ est alors le même pour les deux trains, mais les points de départ sont espacés et celui du train de vitesse v est placé devant celui de vitesse V à une certaine distance d.

2 ème cas : l’avantage accordé est en temps :

Dans ce cas l’instant de départ n’est pas le même, le train de vitesse v part le premier avec une certain avance T sur le train de vitesse V, mais le point de départ est le même pour les deux trains.

(La droite D1 est parallèle à celle définie par y=vt, et la droite D2 est parallèle à celle définie par y=Vt)

L’avantage en temps est équivalent à l’avantage en espace si, pour les deux avantages, le point où le train de vitesse V rattrape le train de vitesse v est le même

Voici une solution animée de l’exercice utilisant le logiciel de géométrie dynamique Geogebra (voir ci-après)

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Figure animée représentant le va et vient de deux trains-navettes
Les deux courbes représentent les positions respectives de chacun des deux trains. Aux points d’intersection des deux courbes correspondent, dans l’axe dans l’axe des ordonnées, les points de dépassement du train de grande vitesse V le train de petite vitesse v : un point à l’allée, un autre au retour. Et ils leur correspondent, dans l’axe des abscisses, les instants où ces dépassements ont lieu. Les deux trains font des allers-retours. Le petit cercle représente le chronomètre.

La résolution de l’exercice des deux trains, dans les deux propositions, n’interpelle que des connaissances exigibles de l’élève du collège.

Bien que cet exercice fait objet de l’enseignement du cycle fondamental (le primaire), en manipulant la notion de vitesse (v= ,où d est une distance et t est le temps), la représentation graphique le modélisant n’apparaît à aucun niveau de l’enseignement des mathématiques.

Intégrer les TICE dans l’enseignement /apprentissage des mathématiques c’est intégrer de telles situations problèmes, impossibles avant l’avènement de la nouvelle technologie.

Conclusion

Avant l’avènement des logiciels de géométrie dynamique, la configuration des théorèmes et des structures mathématiques pouvait s’avérer un obstacle à l’activité d’abstraction nécessaire pour rendre intelligibles ces théorèmes et structures : le caractère foncièrement statique de la configuration permise par les outils d’alors risquait de rendre les notions mathématiques configurées fortement rattachées aux conditions référentielles particulières de la configuration. Les TICE atténuent ce risque quand les figures sont bien pensées, elles deviennent autant de systèmes dynamiques et les calculs et démonstrations doivent participer de la dé-configuration nécessaire à l’abstraction : une dialectique ‘configuration/dé-configuration’ doit ponctuer l’activité mathématicienne de l’apprenant. Sinon, comme le montre les résultats du questionnaire présenté ci-dessous le calcul formel seul risque de se constituer en un obstacle didactique tenace.

Après la généralisation des TICE, la cherté d’invoquer le mouvement en question n’est plus de mise, puisque les TIC permettent de mobiliser, via le mouvement de la souris, la 4ième dimension, le temps, comme on le voit à travers l’exemple des deux trains.

Bibliographies

- BAHRA M. (2005), La théorie des situations comme outil d’analyse a priori de la transformation d’une étude d’épistémologie historique en question d’enseignement, in Sur la théorie des situations, éd. HELENE S., CLANCHE P., SARAZZY B. La Pensée Sauvage 109-124.

 BROUSSEAU G. (1998), « La théorie des situations didactiques”. Recueil de textes de Didactique des mathématiques 1970-1990 » présentés par Cooper M. et Balacheff N., Sutherland R. et Warfield V. Ed. La pensée sauvage, Grenoble.

 THOM. R. (1991), « Prédire n’est pas expliquer » d’après des entretiens avec NOEL. E. Rédigés par BONIN. Y.

Webographies
 CHAACHOUA H. « Usage des TICE dans l’enseignement : Quelles compétences pour un enseignement des mathématiques ? » :
http://www.inrp.fr/Tecne/Rencontre/Chaach.pdf.

 TOUMA, G (2005). Un environnement informatisé d’Expérimentation Assisté par Ordinateur intégrant les sciences et les mathématiques. Skholê, (hors-série 2, 97-102. 97) : http://www.aix-mrs.iufm.fr/recherche/publ/skhole/pdf/05.HS2.97-102.pdf

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