Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Une expérience de travail interdegré dans l’Académie de Normandie
Article mis en ligne le 13 août 2023
dernière modification le 26 novembre 2023

par Christelle Fieret, Claire Lommé

Vous êtes enseignant(e), et vous avez envie de changement ? Par exemple intervenir dans un degré différent vous intéresse ? Hé bien c’est possible. Il faut s’organiser un peu, mais ça en vaut la peine. On vous explique.

D’abord, présentons-nous : Christelle Fieret, professeur des écoles, en CE1 en REP, aime lire, tricoter et jouer de la musique. Claire Lommé, professeur de mathématiques, en collège, aime le cinéma, le chocolat et jouer aux jeux de société et aux jeux de rôles. Nous exerçons toutes les deux en Normandie.

Une rencontre

C’est un dispositif institutionnel qui nous a mises en relation, en 2018 : l’académie de Normandie portait un beau projet de formation au travers du plan mathématiques Villani-Torossian. Le but était de trouver des enseignants en école, qui soient volontaires pour accueillir un enseignant-formateur du second degré, coconstruire et tester des séquences, coenseigner, en prenant appui sur les besoins des professeurs des écoles. Ça avait très bien fonctionné dans cette école. Tellement bien qu’au terme de ce dispositif, après deux ans, nous n’avons pas pu nous résoudre à nous arrêter là.

Il nous fallait continuer : le contact était naturel, la communication facile, les désaccords n’en étaient pas : nos différences de points de vue ne posaient pas de problème et enrichissaient nos réflexions, simplement. Un binôme pérenne repose sur cette relation de confiance : personne n’a le dessus, on est juste ensemble, au même niveau, sans jugement, pour aider nos élèves et mieux enseigner.

Une organisation

Alors il fallait s’organiser : puisqu’il n’était pas question de stopper cette belle aventure, nous avons cherché comment poursuivre notre chemin ensemble. Il n’y avait plus de décharge de formation côté second degré, c’est donc sur le temps libre de Claire qu’elle est allée à l’école. Il fallait plusieurs autorisations : celle de l’inspection second degré pour le principe des interventions, celle de l’inspection de circonscription pour le premier degré, et celle du directeur de l’école. Tous les voyants ont été directement au vert, alors zou, c’était parti. C’est toujours parti, d’ailleurs.

Les rythmes scolaires étant différents à l’école et au collège, nous avons joué sur l’emploi du temps de Claire pour dégager, chaque année, une demi-journée compatible avec les activités de classe de Christelle, en évitant la piscine, en contournant les décloisonnements, etc. Nous n’avons pas travaillé toutes les semaines ensemble, mais cette organisation nous a permis une grande régularité.

En classe

Notre truc, c’est de construire, tester, enrichir des séances pour pratiquer les maths différemment, et pas seulement les maths. Nos points de convergence principaux sont le jeu, les albums, l’art et l’inclusion. Alors nous partons d’une idée ou d’un besoin et nous fonçons, avec pour principe que c’est toujours possible, que ça vaut le coup d’essayer, et que même si on échoue, il y aura du positif à en tirer.

Un exemple : Albert. Albert le détestateur de livres est un album dont nous nous sommes emparées pour faire découvrir, identifier et tracer des angles droits aux élèves (voir lien). Nous en avons passé, du temps, au fil des ans, avec ce cher Albert… « Et si on faisait plutôt comme ça ? », « Tu vois, ce matériel-là serait intéressant. », « Et si on partait par là, qu’on ajoutait ça ? », « Dis donc, t’as dit une bêtise, là, non ? »… Nous avons tiré de cette expérience une séquence solide, avec de la découverte du vivant, des arts visuels, de la prévention routière, en plus de la géométrie, des grandeurs et des mesures. Et une classe couverte d’Albert-le-garçon-rectangle, dessinés par les élèves.

Un autre exemple : une séance intitulée « gauche, droite ! » (voir lien). Là, c’était un besoin de Christelle, qui ignorait encore que Claire allait avoir des sueurs froides à l’énoncé de cette demande, elle qui n’est pas du tout latéralisée… Mais au moins, elle a pu travailler sur sa propre difficulté et se mettre à la place des élèves ! L’outil bricolé cette fois-là s’est avéré très utile dans tout un tas de classes de niveaux bien différents.

Un dernier exemple : nous adorons jouer. Nous avons donc, plusieurs fois, fait concevoir et fabriquer des jeux de plateaux aux élèves, centrés sur les maths, qui reprennent tout le programme. Et ils sont magnifiques, leurs jeux, en plus d’être pédagogiquement et didactiquement efficaces.

Des plus-values

Parce que tout est là : Christelle a appris beaucoup de pédagogie à Claire ; et Claire a apporté à Christelle beaucoup de didactique des mathématiques. Quand l’une montre en actes comment gérer la diversité des profils, des comportements, des besoins, l’autre pointe tel ou tel mot prononcé qui soulève une question conceptuelle, ou interroge un affichage qui interpelle. Ensemble nous réfléchissons à nos bricolages de matériel et nous les fabriquons : « Regarde ce que j’ai fait ce weekend », « Hé, Christelle, je t’ai fait un Number stick ! »…

La clef, c’est la confiance. Nous nous sommes rencontrées, observées, et puis nous avons décidé de lâcher prise : quoi que propose l’autre, elle a raison de le proposer. On en discute, on teste, on se trompe ensemble, et surtout on remédie et on évolue. On apprend, côte à côte. Et le temps long de notre chemin commun facilite chaque année notre progression. Pour un peu nous n’aurions même plus besoin de nous parler… Mais nous sommes pipelettes, et communiquer, c’est important pour nous.

Pour les élèves, c’est une jolie aventure aussi : ils ont deux maîtresses (même si l’une d’elle est intérimaire), c’est un moment différent, dont tout le monde ne bénéficie pas, et ils travaillent autrement, d’une façon ludique et créative.

Ensemble, on va plus loin

Notre aventure nous a emmenées là où peut-être nous ne serions pas allées : dès la deuxième année de collaboration, nous avons animé ensemble une formation de circonscription sur la Course aux nombres, dispositif formidable pour développer le calcul mental, initialement mis en place par l’académie de Strasbourg. Nous avons poursuivi par des animations de conférences ou d’ateliers autour de notre ami Albert, d’histoires de baleines (voir lien) et de loutres, et de jolies bigarrures à la Kandinsky. Cela nous a menées aux Journées Nationales de l’APMEP, ensemble, beau moment partagé, mathématique mais pas seulement.

Christelle est allée plus loin avec l’APMEP : son goût pour les jeux et les maths l’a amenée à intégrer le groupe « Jeux », qui nous concocte des merveilles, avec des réalisations clef en mains, d’un intérêt et d’une robustesse didactique formidables.

Claire est allée plus loin vers l’école : elle s’est mise à écrire, forte de son expérience en classe, sans laquelle elle ne se serait pas sentie légitime pour produire des séances et des outils de classe édités. Mais cette expérience est aussi pour beaucoup dans son souhait, aujourd’hui, de devenir coordonnatrice ULIS et de ne plus enseigner que les maths…

Et maintenant ?

Pour nous, c’est simple : quoi qu’il arrive, on continue. Évidemment, nous sommes de ferventes partisanes de l’interdegré. Nous rêvons de dispositifs qui permettraient à toutes celles et tous ceux qui en ont envie de travailler ensemble, de franchir les barrières interdegré, de façon organisée institutionnellement. Pour que ça marche, il faudrait intégrer ces temps aux services, allouer une liberté d’action aux enseignants et transmettre LE principe sans quoi cela ne fonctionnera pas : ce n’est pas le second degré qui va gentiment former le premier degré qui en a tant besoin. Ce n’est pas le premier degré qui vient gentiment au collège, en plus de son service, pour animer des heures de remédiation. Ce sont des professionnels à part entière qui se rencontrent et travaillent ensemble, au service de la réussite de tous les élèves, au même niveau, même si leurs apports sont différents.

Et parfois il en naît même une amitié.