Patrice Debrabant fait l’apologie de la transcendance en mathématiques et présente des activités pratiques qui visent à les réenchanter.
Pour le professeur de mathématiques, les motifs de désenchantement sont nombreux :
- marchandisation de l’éducation ;
- réformes par strangulation ;
- comportement des élèves ;
On va s’intéresser ici aux contenus enseignés, à l’interprétation de ces contenus, et à la manière de les enseigner (de les transmettre). Dans l’optique d’une résistance (d’une sorte de contre-attaque) contre le désenchantement. Pour être plus dans l’air du temps [1], on pourrait présenter l’article comme une apologie de l’enchantement.
« Le monde doit être romantisé. C’est ainsi que l’on retrouvera le sens originel. Cette transmutation est encore totalement inconnue... ...En donnant à l’ordinaire un visage mystérieux, au connu la grandeur de l’inconnu, au fini l’illusion de l’infini, je le rends romantique. » [2] (Novalis)
Pour arriver joyeusement où l’on veut en venir, on va assumer la naïveté. Qu’est-ce qui n’a pas marché en pédagogie ?
Notoirement, la réforme des mathématiques modernes(…).
Résumé :
Au cours des années 70, des pédagogues distingués se donnent pour mission de dépoussiérer les programmes pour réduire le fossé qui les sépare de la recherche mathématique. On veut initier plus tôt les élèves au point de vue « bourbakiste » » (caractérisé par une prédominance des structures algébriques abstraites) alors en vogue. « A bas Euclide ! » clame Jean Dieudonné. Ces nouveaux programmes promeuvent un contenu mathématique rigoureux et indépendant de la réalité physique.
C’est un bide total.
Qu’est-ce qui a marché ?
Le système éducatif de la Grèce antique a engendré des générations de mathématiciens (d’artistes, de citoyens...) émérites.
Evidemment, ce jugement péremptoire gagnerait à être étayé par des analyses savantes. Au bas mot, il demande une interprétation. Il y a beaucoup de facteurs en jeu. Réinventer/réactiver pareille synergie éducative ne va pas de soi. En particulier les contenus enseignés doivent être mis à jour.
On peut néanmoins s’arrêter sur une différence notable : pour les Grecs, les mathématiques enchantaient le monde. Pour ceux qui ont subi la réforme des mathématiques modernes, les mathématiques n’enchantaient pas le monde.
La réforme des mathématiques modernes a certes pu plaire à certains et leur rendre l’existence plus agréable. Les élèves qui comprenaient le cours étaient probablement auréolés d’un prestige à la mesure de l’incompréhension des autres. Pour autant, les nouveaux programmes n’enchantaient pas le monde.
Il y a dans la notion d’enchantement une dimension « magique ». Et l’enchantement ne peut fonctionner sans une adhésion enfantine, qu’il s’agit de susciter. On est à l’opposé des « mathématiques modernes », où le fonctionnement mental (quand il est en réussite) est de type geek.
Que l’on s’entende bien : il ne s’agit pas d’un enchantement benêt et benoit qui encouragerait à s’enthousiasmer devant des niaiseries. C’est un émerveillement actif. C’est une religion active au sens où Ciceron définissait une religion, à savoir « le fait de s’occuper d’une nature supérieure que l’on appelle divine et de lui rendre un culte ».
Prenons l’exemple emblématique du nombre d’or.
Une pédagogie désenchanteresse consisterait à présenter le nombre d’or à l’occasion de la résolution de l’équation de degré 2, et se contenterait de le réduire à la racine positive de l’équation $\phi^2+ \phi + 1 = 0$.
Là où une pédagogie enchanteresse le ferait découvrir préalablement (dans le pentagramme, via la suite de Fibonacci, dans un pavage de Penrose...) et lui conférerait un statut « magique ».
Attribuer au nombre d’or un statut « magique » est un acte de foi. Cela vaut pour les mathématiques en général. C’est un acte de foi qui enchante le monde.
Poussons la naïveté. On va proposer un programme d’étude sous le signe de l’enchantement pour les cycles 3 et 4.
Ce programme sera composé :
- A) d’un ensemble de compétences (en géométrie, en programmation et en géométrie dynamique)
- B) d’un projet (cinématique et Scratch)
- C) de considérations et de recommandations pour l’apprentissage de la démonstration
A) Compétences en géométrie, en programmation et en géométrie dynamique
Compétence I : autour du carré
Les 6 sous-compétences suivantes sont à valider (type oui/non) et permettront d’évaluer la compétence I de façon standard.
1) Construire un carré avec une règle, une équerre, un compas
2) Construire un carré avec un logiciel de géométrie dynamique (CaRMetal ou GeoGebra)
Solution avec CaRMetal |
3) Construire un carré dynamique par rapport à deux points avec un logiciel de géométrie dynamique (CaRMetal ou GeoGebra)
Solution avec CaRMetal |
4) Construire un carré en géométrie de la tortue avec Scratch (plus précisément en construisant une procédure carre_main_gauche ou carre_main_droite).
Solution avec Scratch |
5) Construire un carré rempli en géométrie de la tortue avec MathABlocs.
Solution avec MathABlocs |
6) Construire un carré rempli dynamique par rapport à deux points en géométrie de la tortue avec DGPad
Solution avec DGPad |
7) Expert : construire la figure ci-dessous en géométrie de la tortue (avec Scratch, MathABlocs ou DGPad)
Solution avec MathABlocs |
Compétence II : autour du triangle équilatéral
6 sous-compétences à valider :
1) Construire un triangle équilatéral à la règle et au compas
2) Construire un triangle équilatéral avec un logiciel de géométrie dynamique (CaRMetal ou GeoGebra)
Solution avec CaRMetal |
3) Construire un triangle équilatéral dynamique par rapport à deux points avec un logiciel de géométrie dynamique (CaRMetal ou GeoGebra)
Solution avec CaRMetal |
4) Construire un triangle équilatéral en géométrie de la tortue avec Scratch : construire une procédure triangle_main_gauche ou triangle_main_droite
Solution avec Scratch |
5) Construire un triangle équilatéral rempli en géométrie de la tortue avec MathABlocs.
Solution avec MathABlocs |
6) Construire un triangle équilatéral rempli dynamique par rapport à deux points en géométrie de la tortue avec DGPad
Solution avec DGPad |
7) Expert : construire la figure ci-dessous en géométrie de la tortue (avec Scratch, MathABlocs ou DGPad)
Solution avec MathABlocs |
Compétence III : le diamant (d’après une activité GéoTortue de l’IREM Paris Nord) [10]
4 sous-compétences à valider :
1) a) Construire le diamant au trait avec CaRMetal ou GeoGebra
Solution avec CaRMetal |
1) b) Colorier dans CaRMetal ou GeoGebra
Solution avec CaRMetal |
2) Construire le diamant au trait en géométrie de la tortue avec Scratch.
Solution avec Scratch |
3) Construire le diamant en couleur en géométrie de la tortue avec MathABlocs
Solution avec MathABlocs |
4) Expert : Construire le diamant en couleur, dynamique par rapport à deux points, en géométrie de la tortue avec DGPad
Solution avec DGPad |
Cette figure peut être réalisée collectivement par découpage de triangles et de carrés construits à la règle et au compas.
C’est ce que l’on a fait avec la classe de Mme Crevet de l’école d’Idron dans le cadre d’un projet approuvé par la CARDIE (académie de Bordeaux).
Compétence IV : autour du mythique pentagramme
Le Pentacle de l’Art tel que décrit dans une publication du Sixième livre de Moïse datant du xixe siècle (d’après Wikipédia) |
6 sous-compétences à valider :
1) Construire un pentagone régulier ou un pentagramme à la règle et au compas
2) Construire un pentagone régulier ou un pentagramme avec un logiciel de géométrie dynamique (CaRMetal ou GeoGebra)
a) sans les angles
Solution avec CaRMetal |
b) avec les angles
Solution avec CaRMetal |
3) Construire un pentagone régulier ou un pentagramme dynamique par rapport à deux points avec un logiciel de géométrie dynamique (CaRMetal ou GeoGebra)
Solution avec CaRMetal |
On pourra utiliser cette figure pour lire les angles / les rapports de longueur (en particulier le nombre d’or) qui seront utiles pour construire la figure en géométrie de la tortue.
4) Construire un pentagone régulier ou un pentagramme en géométrie de la tortue avec Scratch.
Solution avec Scratch |
5) Construire un pentagone régulier ou un pentagramme rempli en géométrie de la tortue avec MathABlocs.
Solution avec MathABlocs |
6) Construire un pentagone régulier ou un pentagramme rempli dynamique par rapport à deux points en géométrie de la tortue avec DGPad
Solution avec DGPad |
7) Expert : construire une variante de la figure ci-dessous en géométrie de la tortue (avec Scratch, MathABlocs ou DGPad)
Solution avec MathABlocs |
Cette figure peut être réalisée collectivement par découpage de pentagrammes et de pentagones construits à la règle et au compas.
C’est ce que l’on a fait avec la classe de Mme Doby de l’école de Meillon dans le cadre du projet CARDIE évoqué plus haut.
Ce projet est présenté dans cet article du site carmetal.org.
Compétence V : autour des quadrilatères particuliers et des paramètres
4 sous-compétences à valider :
1) Construire un bloc avec paramètres avec Scratch :
carre_main_gauche(a)
rectangle_main_gauche(a, b)
losange_main_gauche(c, angle)
parallelogramme_main_gauche(x, y, ang)
2) Construire un bloc avec paramètres en utilisant une palette limitée (selon une hiérarchie) avec MathABlocs
Principe : on utilise une version de MathABlocs dans laquelle on ne peut pas poser le stylo et dans laquelle on dispose d’un bloc parallelogramme (main gauche). L’élève doit créer les autres blocs avec paramètres (carré, rectangle et losange) en utilisant ce bloc (ce qui permet de « concrétiser » la hiérarchie des quadrilatères).
La version de MathABlocs que l’on va utiliser est hébergée ici : carmetal2.free.fr/MathABlocs-para
Dans cette version de MathABlocs, la palette tortue ne contient pas de bloc pour poser le stylo (qui est initialement levé). La seule façon de tracer quelque chose est d’utiliser le bloc « Tracer un parallélogramme ».
Solution :
Solution avec MathABlocs-para |
On peut poursuivre l’activité en construisant des classiques issus du site de l’IREM Paris Nord (avec Scratch ou avec MathABloc-para) :
3) Construire les figures suivantes :
Solution avec MathABlocs-para |
Solution avec MathABlocs-para |
4) Expert : construire le motif du plat de Soissons :
Solution avec MathABlocs-para |
B) Projet cinématique et Scratch : la course de pédalos infernale
On va travailler avec Scratch en mode turbo, autrement dit en géométrie de la tortue avec des tortues de vitesse infinie.
Dans ce contexte, comment obtenir le mouvement (ou l’illusion du mouvement) ?
Comme au cinéma, c’est la succession d’images qui va donner l’impression de mouvement.
Le script principal aura la forme suivante :
répéter
Effacer tout
Tracer une image légèrement différente par rapport à la précédente
Attendre 0.05 s (pour une fréquence égale à 20 images par seconde)
Si on se contente d’afficher le lutin, le script est le suivant :
Si on veut aussi tracer notre propre figure en géométrie de la tortue (et ce sera le cas), le script peut être du type suivant :
Avec le script ci-dessus, on trace un carré :
Dans notre activité, on souhaite tracer un cadre de pédalo.
On souhaite aussi gérer le mouvement circulaire des pales.
Le script modèle sera le suivant :
a ← 0
répéter
Effacer tout
Avancer de 2 px
Construire le cadre du pédalo les pales tournées d’un angle a
Attendre 0.05 s (pour une fréquence égale à 20 images par seconde)
Augmenter a de 4°
Pour le pédalo basique suivant :
le script pourrait être structuré ainsi :
Solution avec Scratch (passer en mode turbo) |
L’activité peut être approfondie en organisant une course (factice) de plusieurs pédalos dans l’esprit des courses loufoques [11]
C) Considérations sur l’apprentissage de la démonstration
La démonstration peut aussi être source d’enchantement.
Mais c’est moins évident d’en convaincre les adolescents dans certains contextes.
Quelles démonstrations proposer, et en quelle classe ?
En 6e :
La propriété de la médiatrice peut être mise en œuvre dans des exercices de type carte au trésor.
On peut proposer des exercices simples avec la propriété des angles du triangle isocèle.
En 5e :
Les propriétés des quadrilatères particuliers.
A mettre en œuvre avec des constructions.
L’analogie que l’on peut faire avec la classification des animaux est une source d’enchantement.
En 4e :
La propriété de Pythagore.
Dans un article du site Images des maths, Etienne Ghys avance l’idée que la présentation du théorème de Pythagore au collège ne se justifie dans les programmes que si elle est associée à sa démonstration. [12]
C’est contestable dans la mesure où la démonstration du théorème de Pythagore demande une certaine expertise sans laquelle la portée (et la beauté) de cette démonstration ne peut pas être perçue.
En revanche, la simple application du théorème est une source d’enchantement qu’il semble important de préserver. Et la démonstration du théorème de Pythagore pourrait fort bien figurer au programme du lycée (certaines démonstrations, par exemple celles qui utilisent les produits remarquables, s’y prêtent très bien).
En classe de 4e, on peut mettre l’accent sur les démonstrations avec le calcul littéral (possibilité de faire des tours de magie), et proposer par exemple « le L de Fibonacci » (voir 1b) de la mathémagie de Dominique Souder).
Pourquoi diable les démonstrations avec les triangles égaux ?
Difficile à dire… En tout état de cause, on peut dire que les démonstrations avec les triangles égaux sont rarement sources d’enchantement. Sauf assurément pour ceux qui ont initié le retour de ces notions dans les programmes.
Sans compter le terme même de « triangles égaux », auquel on pourrait préférer celui de « triangles superposables ». En effet, quand on parle par exemple d’angles ou de segments égaux c’est par abus de langage. Mais c’est nettement plus subtil quand on parle de triangles égaux (le terme « triangles isométriques » est tout aussi court et ne justifie donc pas l’abus de langage consistant à lui substituer « triangles égaux »).
En 3e :
Démonstrations avec les triangles semblables (qui permettent « d’étendre » l’application du théorème de Thales et de mieux le comprendre).