Pour améliorer les résultats des élèves de l’école élémentaire en mathématiques, une des pistes explorées depuis plusieurs années porte sur un usage du numérique dans des situations de calcul mental, pour impulser un nouvel engagement des élèves, en particulier en utilisant une application en ligne ou sur didacticiel tel que Calcul@tice. Nous allons rendre compte de son usage dans une classe de CE1-CE2, dans la situation de « la caisse ».
Des ressources en ligne pour l’école primaire
Résumé : il s’agit de rendre compte d’une expérience de classe. Une professeure de CE1-CE2 a proposé à ses élèves de CE1 d’utiliser le didacticiel Calcul@tice sur une tablette, autour des activités sur la monnaie. Dans un premier temps, la professeure a choisi de présenter la situation sur un tableau interactif. Dans un deuxième temps, les élèves se sont emparés de la situation en autonomie. Nous allons montrer des détails didactiques accessibles par le dispositif expérimental mis en œuvre qui sont, de fait, invisibles pour la professeure dans la configuration choisie. À partir de l’analyse fine des actions d’une élève sur le logiciel, nous voulons montrer que la présentation collective en amont est indispensable pour faire comprendre certains enjeux mathématiques de la situation. La conclusion porte sur des perspectives possibles pour permettre à tous les élèves d’apprendre.
Présentation des auteures
- Francine Athias est chercheure en éducation. Ses recherches portent sur ce qui se passe en classe au cours de situation mathématiques ;
- Anne-Laure Vaterkowski est conseillère pédagogique départementale enseignement et numérique ;
- Aurélie Ochem est conseillère pédagogique de circonscription ;
- Sandra Joly est professeure des écoles.
Cet article est issu du travail de mémoire effectué dans le cadre d’un Master recherche en éducation.
Introduction
De nombreuses questions se posent autour de l’enseignement des mathématiques à l’école élémentaire (CP-CM2). D’un côté, ce dernier doit permettre l’acquisition chez tous les élèves d’un socle commun de connaissances et de compétences sur les nombres, les calculs et la résolution de problèmes (MEN, 2013). D’un autre côté, les résultats aux évaluations internationales (TIMSS, 2019) restent préoccupants. En effet, les résultats français pour des élèves en quatrième année de scolarisation (CM1 en France) sont sous la moyenne des pays de l’Union Européenne et des pays de l’OCDE (i bid. ). Une des pistes explorées depuis plusieurs années (CNESCO, 2015) porte sur un usage du numérique dans des situations de calcul mental, pour impulser un nouvel engagement des élèves, en particulier en utilisant une application en ligne ou sur didacticiel tel que Calcul@tice. Nous allons rendre compte de son usage dans une classe de CE1-CE2, dans la situation de « la caisse ».
La caisse
Description
L’écran de début se présente de la manière suivante :
Explicitons cet écran de présentation qui est organisé toujours de la même manière :
1. Un énoncé à gauche : par exemple Silvère achète un article à 5 € . Il paie avec un billet de 20 € . Rends-lui la monnaie.
2. La caisse en bas de l’écran avec des pièces (1, 2, 5, 10, 20 et 50cts, 1 et 2€) et des billets (5, 10, 20, 50, 100, 200 et 500€)
3. Un espace où il faut faire glisser la monnaie
4. Un clavier numérique qui ne sera pas utilisé.
5. La rétroaction de Calcul@tice : « Bravo ! » (comme sur l’image) ou « Faux, Regarde la correction »
Pour cette activité, 4 niveaux sont également envisagés.
La caisse niveau 1 est composée de deux exercices sur le complément à 20 puis de trois exercices sur le complément à 50. La caisse niveau 2 et les niveaux suivants contiennent deux exercices sur le complément à 20 puis trois exercices sur le complément à 50 dont le premier nombre donné est supérieur à 10. Le temps pour répondre est de plus en plus limité.
En cas de réussite à l’exercice, un encart vert s’affiche « Bravo ». En cas d’échec, un encart rouge apparaît sur lequel est écrit « Faux, regarde la correction ». Une correction est présentée lorsque l’élève propose une réponse erronée ou lorsque le temps est dépassé.
Un usage dans la classe de CE1/CE2
Résumé de la séance
Nous présentons d’abord un résumé sous forme de tableaux, puis nous expliciterons deux moments.
Épisode 1 (3 min) | Rappel collectif sur les compléments à 10 | La professeure propose d’associer des nombres pour former le complément à 10. |
Épisode 2 (2 min) | Entraînement collectif avec la monnaie sur les compléments à 10. 3 exercices collectifs sont proposés. | |
Épisode 3 (6 min) | Entraînement collectif avec la monnaie sur les compléments à 20 avec étape intermédiaire. 3 exercices collectifs sont proposés. | |
Épisode 4 (1 min) | Analyse et explicitation des stratégies | |
Épisode 5 (6 min ) | Entraînement collectif avec la monnaie sur les compléments à 50 avec étape intermédiaire. 2 exercices collectifs sont proposés. | |
Épisode 6 (32 min) | Entraînement individuel sur le didacticiel calcul@tice | Une élève Isa est filmée |
Un premier moment étudié
Description et analyse
Au cours de l’épisode 3, la professeure dévoile sur le tableau blanc interactif une addition à compléter.
La somme initiale est de 7€, représentée par un billet de 5€ et d’une pièce de 2€. La somme à atteindre est 20€, représentée par un billet de 20€.
Une somme d’argent (7€) est suivie de deux signes d’additions et d’espace. Sur cette même ligne est positionnée le billet de 20€. La consigne est proposée par une bulle « Complète jusqu’à 20 € ».
Une file numérique fait place sous l’addition à trous. Sous le cache se trouve la monnaie qui pourra être utilisée lors de la correction de l’addition.
La professeure demande à une élève Ève le calcul de départ. Cette dernière répond sans hésiter 3. La professeure l’écrit au tableau. Puis elle complète immédiatement la première partie en écrivant 3.
La professeure reprend rapidement : « Tu as ajouté 3 unités. Tu te retrouves à 10 ». Elle encadre alors le 7 et le 3.
Elle active ainsi des connaissances déjà-là des élèves (CDpE, 2019). Les échanges sont rapides, montrant ainsi une bonne connaissance des compléments à 10. Les élèves ne rencontrent pas de difficulté particulière.
La professeure interroge alors Ève : « Qu’est-ce que tu fais quand tu es à 10 ? ». Sans hésiter cette dernière complète par 10. La professeure continue : « quand on est arrivé à 10, c’est plus facile de faire des grands sauts de dizaines et marque un pont de 10 sur la bande numérique.
Cette bande rend visible le passage de 10 à 20 grâce au pont dessiné par la professeure. Cependant, atteindre 20, ne présente pas de difficulté particulière mais savoir que l’on a avancé de 10 cases n’est pas si simple, à moins de savoir déjà qu’il y a 10 d’écart.
Pour conclure, la professeure demande à l’élève de combien elle a avancé. Sans hésiter, Ève répond 13.
La réponse attendue est facile pour de nombreux élèves, en particulier pour Eve, qui sont capables de donner oralement le résultat. Le tableau comporte de nombreuses informations, des nombres écrits à la main par la professeure, 7, 3, 10 dont le 7 et le 3 encadrés ; des pièces et des billets (1 billet de 5€ et une pièce de 2€, un billet de 20€). Il faut retenir le 3 qui est dans l’encadré rouge et le 10 qui est en dehors du cadre pour pouvoir compléter l’opération 7 + ...= 20. Les calculs qui apparaissent sur le tableau rendent visibles la stratégie de calcul, à savoir commencer par compléter à 10 (+3) puis compléter à la dizaine supérieure (+10).
La question est de savoir si le 13 est accessible à tous les élèves ?
Analyse des savoirs
À partir d’un nombre entier n avec 0
Un deuxième moment étudié
Après le temps collectif, (épisodes de 1 à 5), certains élèves de CE1 travaillent sur une tablette sur le didacticiel calcul@tice. Pendant ce temps, la professeure est avec l’autre groupe (les CE2). Au cours de l’épisode 6, nous allons voir une élève Isa qui fera 12 exercices de « la caisse ». Elle répond correctement à 6 d’entre eux. Pour comprendre ce qui se passe, nous allons analyser les exercices réussis et les exercices non réussis. Isa résout tous les problèmes lorsqu’il est demandé de payer avec 20€, elle se trompe dans tous ceux pour lesquels il est demandé de payer avec 50€.
Description et analyse d’un exercice réussi
Un exercice proposé par la caisse est le suivant : Nordine achète un article à 3€.. Il paie avec un billet de 20€.. Rends-lui la monnaie.
Pour résoudre cet exercice, Isa complète le 3€ initial avec 7€, sous la forme d’un billet de 5€ et d’une pièce de 2€. Puis elle ajoute un billet de 10€.
Précédemment, pendant le moment collectif, la professeure avait rappelé les compléments à 10, en particulier 3 est le complément de 7.
Au cours de ce premier exercice, Isa est capable de voir cette connaissance dans le problème. Elle a 3 € (qui vient de l’énoncé, Nordine achète un article à 3€). Elle atteint 10€ en construisant 7€, comme la professeure, avec un billet de 5€ et une pièce de 2€. Elle ne surcompte pas en ajoutant des pièces de 1€ jusqu’à obtenir 10€. Par ailleurs, la première dizaine étant atteinte, elle ajoute une nouvelle dizaine pour atteindre 20€. Là encore, elle ne surcompte pas en ajoutant des pièces de 1€ ou 2€ pour atteindre 20€.
Description et analyse de deux exercices non réussis
L’activité « la caisse » propose un autre exercice dont l’énoncé est : Sophie achète un article à 35€. Il paie avec un billet de 50€. Rends-lui la monnaie.
Isa complète le 5€ initial avec 5€, sous la forme d’un billet de 5€. Puis elle ajoute un billet de 20€. La proposition n’est pas validée. Une proposition de correction est faite sous la forme d’un billet de 5€ et d’un billet de 10€.
Un troisième exercice suit avec l’énoncé suivant : Sophie achète un article à 11€. Il paie avec un billet de 50€. Rends-lui la monnaie.
Isa complète le 1€ initial avec 9€, sous la forme de deux pièces de 2€ et d’un billet de 5€. Le temps étant écoulé, la tablette propose la correction, sous la forme de deux pièces de 2€, d’un billet de 5€, d’un billet de 10€ et d’un billet de 20€.
Comme précédemment, au cours de ces exercices, Isa est capable de voir le complément à 10 : 10= 5+5 ou 1 + 9. Les informations 5 ou 1 sont prélevées correctement dans le problème. Par contre, à partir de la dizaine construite en appui sur 10€, Isa ne parvient pas à atteindre 50€. Dans le premier cas, il semble qu’elle voit 30 (du 35€. initial) pour aller à 50. Dans le deuxième cas, elle n’a pas le temps de terminer. Le temps de réflexion porte sur la recherche à la dizaine suivante. Il ne permet pas d’aboutir.
Conclusion
Dans ces extraits, nous avons vu comment les actions de la professeure permettent de préparer l’enquête de l’élève Isa, lorsqu’elle travaille seule sur un didacticiel tel que calcul@tice. Le complément à 10 est maîtrisé par l’élève, et ce à chaque énoncé. Le travail en amont dans le moment collectif permet un réel travail sur les nombres. Le surcomptage n’est pas utilisé, alors que la situation pouvait le permettre.
Par contre, lorsque c’est un problème de rendu de monnaie sur 50€, l’élève ne parvient pas à atteindre 50. En appui sur les connaissances d’Isa, nous proposons un travail en amont pour l’aider dans un tel calcul.
Calcul | Aides envisagées |
35 + ? + … = 50. | |
35 + 5 + … = 50. | Aide 1 : voir le 5 de 35 comme les unités à compléter pour atteindre 10, en appui sur la connaissance de 5 + 5 =10 Aide 2 : voir 35 + 5 comme 30 + 10 puis comme 4 dizaines, en appui sur la connaissance 30 = 3d ; 10 = 1d ; 40 = 4d. |
35 + 5 + 10 = 50. | Aide 3 : voir que 4d + 1d = 5d en appui sur la connaissance 4 + 1 = 5. |
Ainsi le problème pourrait devenir un problème de complément à 5 : comment passe-t-on de 4 dizaines (35+5) à 5 dizaines ? Si Isa peut le faire avec le complément à 10, elle pourrait apprendre à faire le complément à 5, non plus en utilisant des unités mais en utilisant des dizaines.
Comme nous pouvons l’imaginer, Isa est une élève qui a des difficultés en mathématiques. Elle fera 12 exercices issus de « la caisse », elle répondra correctement aux six exercices faisant intervenir un rendu de monnaie sur 20€ (le début). Lorsqu’elle arrive aux exercices faisant intervenir un rendu de monnaie sur 50€ (le quatrième exercice dans chaque niveau), elle propose une réponse, se trompe et change de jeu. Grâce à notre analyse, nous pouvons rendre compte de ce qu’elle sait faire (rendu de monnaie sur 20€) et de ce qu’elle ne sait pas encore faire (rendu de monnaie sur 50€). Les rétroactions du logiciel favorisent l’engagement (partiel) dans le jeu.
Nous avons d’abord envisagé une anticipation de la part de la professeure. Nous pourrions également envisager un autre usage de ce didacticiel, en développant un tutorat entre pairs. Nous envisageons de continuer à investiguer sur les usages de Calcul@tice, avec une meilleure prise en compte des caractéristiques de l’activité par la professeure et des usages didactiques et pédagogiques pour permettre à tous les élèves d’apprendre.
Bibliographie
Collectif Didactique Pour Enseigner, CDpE (2019). Didactique pour enseigner. Presses Universitaires de Rennes.
CNESCO (2015). Conférence de consensus « nombres et opérations : premiers apprentissages à l’école primaire ». Dirigée par J. Grégoire.
http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2017/04/Numeration_Dossier_synthese.pdf
Ministère de l’Éducation nationale (Ed) (2013). Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Bulletin Officiel n°17 du 23 avril 2013. repéré à [http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=87834]