par Michel Carral, Patrick Lanneau
Cet article ne se préoccupe pas de mathématiques, mais il décrit dans le détail une expérience de travail collaboratif de grande ampleur entre l’Europe et le Canada. Son nom, RESO, est hautement significatif : Rayonnement de l’Enseignement dans les Sociétés Ouvertes. Tous les outils du travail collaboratif à distance sont mobilisés, de la messagerie aux ENT en passant par les blogs. Les enseignants de mathématiques pourront tirer parti de cette expérience en la transposant dans leur propre univers.
Cette expérience emblématique des nouveaux outils de communication et de création de ressources est un des articles phares de ce dossier, à ne manquer sous aucun prétexte !
Plan |
Le programme RESO Europe/Canada a permis d’expérimenter des outils et des stratégies de communication pour la mise en œuvre d’un travail collaboratif entre les formateurs de trois établissements européens et de trois établissements canadiens autour du suivi des étudiants et professeurs stagiaires en mobilité longue durée au cours des années universitaires 2004 à 2007. Les TICE ont été au cœur de ce travail. Outre les outils classiques de communication, nous avons utilisé un Bureau Virtuel (BV) au travers d’un Environnement Numérique de Travail (ENT), et commencé à expérimenter l’utilisation de Blogs pour le suivi de la mobilité. Ces outils ont montré une grande efficacité. Ils ont augmenté la productivité de l’équipe de manière significative et facilité le suivi des étudiants et professeurs stagiaires. Ils ont provoqué l’émergence de Communautés de Pratique (WENGER [1]), et créé des situations d’apprentissage pour l’acquisition des compétences TICE notamment le C2I2E [2] en France.
Le cadre de l’action
D’une durée de trois ans, un programme Europe/Canada est basé sur un partenariat de mobilité enseignante et étudiante transatlantique entre, au moins, trois universités européennes et trois universités canadiennes constituant un consortium.
Le programme RESO (2004-2007) fait partie du programme de coopération dans les domaines de l’enseignement supérieur, de la formation professionnelle et de la jeunesse entre l’Union Européenne et le Canada. Le consortium RESO est constitué de l’IUFM Midi-Pyrénées –France–, leader européen du programme, l’Université Complutense de Madrid –Espagne– et de l’Université de Coïmbra –Portugal– et trois universités canadiennes, la Faculté Saint Jean de l’Université d’Alberta –Alberta–, leader canadien, l’Université d’Ottawa –Ontario–, et l’Université Simon Fraser –Colombie Britannique–.
L’objectif principal du programme consistait à donner une dimension internationale aux programmes de formation des futurs enseignants des deux continents afin qu’ils puissent s’initier à un système scolaire et à des pratiques pédagogiques différents de ceux de leur milieu d’origine et ceci, dans une langue autre que celle utilisée habituellement.
La réalisation de cet objectif comprenait une mobilité transatlantique d’au moins trois mois de soixante étudiants et la création de deux modules communs de formation reconnus par tous les membres du consortium, à savoir, un module culturel et un module pédagogique. Le module culturel a traité la dimension culturelle du pays et de l’institution hôte et le module pédagogique était une étude comparative du système éducatif et des pratiques pédagogiques. La question du suivi à distance des étudiants en mobilité s’est révélé être à la base de la construction des éléments du module pédagogique (Colloque de Toulouse, Septembre 2007).
Dès le lancement du programme RESO, nous savions que notre principal obstacle était la gestion de l’espace et du temps. C’est la spécificité de tout programme transcontinental qui doit coordonner des activités de deux continents où des espaces largement étendus et éloignés se conjuguent à des temps différés. La nécessité d’un suivi des étudiants à distance s’est imposée d’elle-même et s’est additionnée à une dynamique commune de travail entre formateurs de futurs enseignants de part et d’autre de l’Atlantique.
Mais c’est aussi cette nécessité d’un suivi à distance et ses difficultés de conception et de réalisation qui nous ont amené à mettre en œuvre des solutions innovantes autour des TICE allant au-delà de celles prévues dans le projet initial. La conception de stages professionnalisant à l’étranger a conduit pour tous les établissements du consortium à être attentif, à chercher des solutions originales et a fait que le programme RESO n’est pas resté dans de simples voyages d’étude. Il s’est créé une réelle dynamique de travail intercontinentale autour de la formation des maîtres.
L’expérience RESO aura été le lieu de mise en place et de mise en œuvre de plusieurs dispositifs de suivi qui ont abouti début 2007 au projet Blog, projet qui n’était pas prévu dans le programme initial RESO. Les divers dispositifs expérimentés dans ce programme ont été généralisés à l’ensemble des programmes de mobilité étudiante à l’étranger de l’IUFM Midi-Pyrénées et particulièrement aux échanges France/Canada qui ont succédé au programme RESO.
La genèse d’une Communauté de Pratique (CP)
Ce programme nous a amené à réaliser ce que WENGER [3] nomme « une Communauté de pratique ».
Une communauté de pratique est un groupe dont les membres s’engagent régulièrement dans des activités de partage de connaissances et d’apprentissage à partir d’intérêts communs.
La constitution de communautés de pratique est favorisée par le développement des TIC qui multiplient la diversité des liens interpersonnels au-delà de la présence physique des membres de la communauté.
Une communauté de pratique échappe aux définitions institutionnelles de communauté construite pour réaliser un but commun (l’entreprise, l’université, …), elle fait partie plutôt du domaine d’une agrégation spontanée. Certes, en tant que formateurs à l’initiative de ce projet, nous étions des semeurs ; cependant nous n’avions pas une conscience claire de ce que nous semions, et ce sont les choix successifs que nous avons effectué dans l’environnement TICE qui ont modifié et transformé la nature du grain que nous avions voulu semer. En choisissant de proposer des outils de communication à un groupe qui se trouvait dans une dynamique complexe commune avec une organisation éclatée, nous avons été amené à donner naissance à une « communauté de pratique » où les TICE étaient le vecteur et le liant qui allait devenir générateur de productions nouvelles dépassant nos intentions premières.
RESO se construit sur des Réseaux…
Le contexte même du projet RESO posait le problème central de la gestion de l’espace. Lors des mobilités, nos étudiants et professeurs stagiaires se trouvaient très loin de leur espace de formation, et perdaient le contact avec leurs formateurs de leur établissement. De même, si les formateurs des établissements du consortium se rencontraient deux fois par an pour coordonner leur travail, ils avaient besoin de tisser des liens de travail plus nombreux. Pour effacer ce fossé spatial, nous avons décidé d’utiliser le réseau (Net) et de tirer des flux de communication entre formateurs et formés.
Des outils institutionnels
La volonté de l’institution de créer des outils TICE pour répondre aux besoins de la formation a amené ces dernières années au développement de plates-formes pour faciliter le travail collaboratif et le travail à distance. Les universités avaient été pionnières sur ce secteur en facilitant l’usage du courrier électronique pour tous les étudiants à une époque où il n’était pas encore entré dans la sphère grand public. Celles-ci ont ensuite développé des outils collaboratifs plus complexes : Espaces Numériques de Travail (ENT), Bureaux Virtuels (BV). Ces plates-formes offrent des fonctions qui permettent aux groupes de travail de disposer d’un espace collaboratif où les notions de droits sont bien définies afin de faciliter le partage de l’information tout en prenant en compte la notion d’auteur. Ces plates-formes sont accessibles depuis l’espace virtuel ce qui les dispense des contraintes spatiales et temporelles. L’utilisateur y accède depuis n’importe quel poste informatique relié au réseau, dans son université ou ailleurs, à n’importe quel moment.
Courriel
Dans notre première expérimentation, nous avons utilisé des outils classiques liés essentiellement au courrier électronique. Les étudiants et les formateurs avaient l’habitude d’échanger des courriers électroniques, de les utiliser pour échanger des documents de travail dans le cadre universitaire. D’où une certaine réactivité, les étudiants consultant assez régulièrement leur courrier bien qu’ils ne répondent pas toujours aux sollicitations. Nous avons cependant constaté une nette amélioration dans la réactivité des étudiants entre 2005 et 2007, preuve que l’outil était mieux maîtrisé. En 2005, on rencontrait encore une proportion non négligeable d’étudiants qui ne consultaient pas régulièrement (quotidiennement) leur courriel. On avait parfois du mal à les amener à ces pratiques. En 2007, l’amélioration était notable. Ce moyen de communication leur était devenu plus naturel.
Le Bureau Virtuel : un Espace Numérique de Travail.
A cet outil courriel, nous avons ajouté l’usage d’un Bureau Virtuel (BV), c’est-à-dire un espace de communication, de partage et de stockage de l’information détaché des localisations géographiques. Cela a permis aux formateurs des deux rives de l’Atlantique de garder en permanence le contact avec le travail de leurs étudiants partis en mobilité. Chaque étudiant avait le devoir de déposer son travail de manière hebdomadaire sur le Bureau Virtuel, permettant à l’ensemble de l’équipe de formateurs de suivre semaine après semaine celui-ci.
Le Bureau Virtuel de l’IUFM Midi-Pyrénées a été choisi : il venait d’être lancé et l’établissement avait accepté de créer des identificateurs pour tous les participants au programme RESO et de maintenir ces identificateurs pendant toute la durée du programme et au-delà. Un groupe de travail consacré au programme a été créé et a perduré tout au long du programme. Tous les participants au programme RESO, étudiants et formateurs y ont été associés.
La structuration de l’espace du groupe de travail était composée de plusieurs dossiers permettant la consultation et l’archivage des documents relatifs au programme. Un espace a été réservé aux formateurs, pour les outils collaboratifs, les documents de formation et les documents de synthèse, et un autre espace a été réservé aux étudiants en mobilité pour archiver leur portfolio.
La structuration par année universitaire et par continent a été choisie pour faciliter la navigation et la lisibilité de cet espace collaboratif, chaque étudiant créant un dossier à son nom pour y déposer son portfolio.
Nous demandions aux étudiants de déposer dans ce dossier trois types de documents :
– Leur journal hebdomadaire où ils rendaient compte de leurs activités en termes de formation durant leur mobilité ;
– Leurs documents de travail relatifs à des préparations spécifiques pour une intervention pédagogique dans le cadre de leurs stages pratiques dans une école locale du pays d’accueil ;
– Leur synthèse terminale, bilan de leur mobilité, ainsi qu’une étude particulière mettant en parallèle le pays d’origine et le pays d’accueil.
Le Bureau Virtuel a été un bon outil pour assurer le suivi à distance des étudiants en mobilité, mais c’est surtout pour le travail de recherche des formateurs qu’il s’est révélé être un outil irremplaçable en fin de programme. On pouvait y retrouver toute la stratification, y compris au niveau des brouillons, des traces du travail des étudiants qui pouvaient ainsi mesurer leur évolution et nous, nous pouvions faire de même. Les objectifs étaient mieux précisés et les étudiants participant au programme s’étaient nourris des productions antérieures avant et pendant le stage, réalisant ainsi un travail plus en profondeur.
Des outils générationnels
Professionnaliser les outils générationnels pour faire l’économie de la formation.
Pendant que l’institution imaginait des outils de travail collaboratif, les TICE se développaient en parallèle avec un foisonnement multiforme dans la sphère grand public. Des outils et des processus de communication naissaient et mourraient selon une dynamique quasi darwinienne permettant l’émergence d’outils plébiscités par la sphère publique. Outils nés hors de la sphère professionnelle ou universitaire, ils l’ont parfois pénétrée parce qu’il est plus aisé d’utiliser un outil générationnel pratiqué par tous plutôt que de former des utilisateurs à un outil réservé à usage professionnel.
De tels outils grand public ont déferlé pendant la durée de notre programme. Ils étaient souvent pratiqués par nos étudiants dans la sphère privée. Leurs principes leur étaient connus et si besoin était, par l’effet social, ils étaient plus à même d’utiliser ces techniques, économisant ainsi la phase d’apprentissage.
Durant notre programme, nous avons comme outils générationnels utilisé essentiellement la messagerie instantanée, et le Blog. Leur utilisation a perduré après la fin du programme expérimental pour le suivi à distance des étudiants dans les programmes de mobilité.
La messagerie instantanée
Tous les étudiants des universités participant au programme RESO disposaient d’une adresse informatique institutionnelle sur laquelle était supposé arriver tout leur courrier administratif et pédagogique. Nous avions cependant constaté que, lorsqu’on leur demandait leur adresse électronique, ils n’indiquaient presque jamais cette adresse professionnelle. Nombre d’entre eux indiquait une adresse fournie par un Fournisseur d’Accès à Internet (FAI). Mais la majorité proposait une adresse du domaine Hotmail de par leur pratique antérieure et l’usage de l’outil de messagerie instantanée MSN.
En effet, la plupart des ordinateurs sont livrés avec un système d’exploitation Microsoft, qui installe automatiquement la messagerie instantanée MSN et les lycéens et les adolescents l’utilisent naturellement et spontanément lors de leurs communications générationnelles. MSN nécessitant une adresse de courrier électronique propose à l’utilisateur d’en créer une dans le domaine hotmail.
Initialement, peu nous importait le FAI, mais la persistance des étudiants à utiliser MSN a piqué notre curiosité. Nous avons pris un compte sur MSN et leur avons communiqué notre identificateur.
Nous avons constaté que sans aucune injonction particulière de notre part, une bonne partie d’entre eux nous avait ajouté à la liste de leurs correspondants. Lorsque nous nous connections sur l’outil de messagerie instantanée, ils l’utilisaient éventuellement pour nous interpeller et engager une séance de communication personnelle autour de nos intérêts communs professionnels et du suivi de leur mobilité.
Etre agrégé à leur « carnet d’adresse » montre que, dans leur esprit, implicitement ils nous associaient à un cercle plus étroit de leur sphère relationnelle. C’était le signe de naissance d’une « communauté de pratique » au sens de WENGER à laquelle ils nous associaient, communauté se situant entre leur communauté privée (leurs relations sur MSN) et une communauté de travail.
Cet outil permet une réactivité instantanée plus forte dans la communication entre étudiant et formateur ; en cela il fait bouger les frontières entre espace privé et espace professionnel. Il induit une transformation des représentations des étudiants vis-à-vis de leurs formateurs, y compris dans l’espace temporel auquel ils les font accéder. Avec les outils classiques de communication, le temps du travail reste circonscrit au temps défini par l’institution (temps de « bureau », de la « classe », de la réunion de travail, …). Avec les TICE, les frontières entre ces temps s’estompent, et le temps professionnel et le temps personnel s’imprègnent l’un de l’autre, libèrent l’étudiant qui explicite ses interrogations.
Le Blog
Lors de la dernière année du programme RESO, nous avons complété ce dispositif par l’utilisation d’outils de Blog.
Dans notre esprit, le Blog pouvait donner une meilleure réponse au suivi des étudiants et des professeurs stagiaires en mobilité et peut-être à l’apprentissage de la formation des enseignants. La particularité du système éducatif en France implique que ce ne sont pas des étudiants qui partent en mobilité mais des professeurs stagiaires ; ceux-ci ont un statut particulier, statut induisant des postures et comportements caractéristiques. Si, la première année de formation à l’IUFM, ils sont étudiants à part entière, cette année est aussi et surtout une année de préparation au concours. Ils n’accèdent à la deuxième année qu’à l’issue d’un concours de recrutement national qui fait d’eux des fonctionnaires stagiaires donc des moyens de formation, tout en étant eux-mêmes en formation professionnelle. Du fait du poids de la préparation du concours de recrutement, les mobilités sont réalisées lors de cette deuxième année de formation. La difficulté de ce concours et le fait que la formation de l’année de stage et de titularisation soit presque toujours validée, fait que l’enjeu statutaire de cette année de formation est négligeable pour nombre de fonctionnaires stagiaires et nécessite donc de la part de l’institution un suivi conséquent pour les stages de mobilité à l’étranger.
En tant que moyen de formation, les professeurs stagiaires du secondaire assurent un service de six à huit heures de cours avec une ou deux classes en responsabilité tout au long de l’année dans un établissement d’enseignement secondaire. Les professeurs stagiaires du primaire effectuent un stage filé d’un jour par semaine dans une classe du primaire tout au long de l’année, et ont deux périodes de stage à temps plein au cours de cette formation. Ce service d’enseignement est partie intégrante de leur formation parallèlement à la formation théorique.
Cette première relation didactique crée assez souvent un affect fort. Il provoque une quasi-imprégnation du fait de cette primalité professionnelle et de la jeunesse de l’apprenant.
Dans ce rapport enseignant-enseigné, une crainte légitime maintes fois exprimée est que le départ dans une mobilité de longue durée (trois mois) ne vienne la perturber. Aussi, nous voulions trouver un outil qui évite une possible cassure dans la continuité pédagogique de l’année de stage et de titularisation. Pour cela nous avons suggéré aux professeurs des écoles stagiaires (futur professeur dans le Primaire) qui partaient en mobilité au début du mois de janvier 2007 de créer un Blog à l’intention de leurs élèves avec lesquels la relation directe qui avait été établie en début d’année allait cesser.
Cette idée les a séduits, mais il a fallu vaincre les craintes qu’ils ont émises, réelles ou non, sur les difficultés techniques qu’ils mettaient en avant masquant ainsi certaines inquiétudes de représentations et de changement d’attitude. L’usage des plates-formes grand public de Blog est d’un emploi simple, leur maîtrise ne nécessite que quelques minutes, cela nous a permis de balayer ces arguments.
Dans la préparation du projet de mobilité avec les professeurs stagiaires nous nous sommes appesanti plus sur les ouvertures multiples qu’offrait l’outil que sur une procédure précise. Nous nous sommes placé sur un paradigme d’apprentissage du point de vue du professeur stagiaire et non dans un paradigme d’enseignement mettant en œuvre un outil supplémentaire.
L’argumentation que nous avons proposée aux professeurs stagiaires a reposé en grande partie sur le prolongement de la relation pédagogique qu’ils avaient établie dans le cadre des stages effectués. Nous leur avons proposé de rédiger un Blog pour continuer à communiquer avec leurs élèves. Ils pourraient faire ainsi des « leçons » à distance, indépendamment de l’espace et du temps. Ils seraient des sortes d’envoyés spéciaux de leurs élèves dans un autre pays pour le leur faire découvrir, et réaliser par exemple des leçons de géographie ou de civilisation.
L’outil Blog permettant à un lecteur de déposer des commentaires, les élèves pourraient à distance garder un dialogue réel écrit, même s’il n’avait pas la réactivité d’un dialogue oral.
Une autre suggestion a été l’utilisation du Blog pour permettre des rencontres à distance entre leurs élèves de l’établissement d’origine et les élèves qu’ils allaient rencontrer lors de leur mobilité. Ce dispositif pourrait remettre au goût du jour les pratiques de correspondances de classe trop souvent négligées car ne correspondant plus aux pratiques sociales actuelles de la communication.
Un autre argument a été celui de la capitalisation d’une bibliothèque personnelle professionnelle virtuelle pour les années à venir.
Les professeurs stagiaires ont rapidement vu la richesse du dispositif, non seulement pour les raisons que nous avions invoquées, mais aussi parce qu’ils voyaient la possibilité de mettre en œuvre au moyen de cet outil de nombreuses compétences inscrites dans les programmes scolaires. Évidemment, cet outil permettait de travailler sur les compétences TICE du B2I [4] (Brevet initiation à l’informatique) qui, depuis 2006, doivent être évaluées en cours de formation par les enseignants de toutes les disciplines.
Une autre utilisation que nous n’avions pas anticipée a été de faire participer à leur stage de mobilité à l’étranger d’autres professeurs stagiaires et des membres de leur famille.
En fait, de notre point de vue de formateur, notre proposition a remis en question les rapports entre l’apprenant, le formateur, et le savoir. Dans notre pratique antérieure du suivi et de l’évaluation de la mobilité, le professeur stagiaire était placé dans une situation d’apprenant, de formé qui rend des comptes à ses formateurs, c’est-à-dire dans un paradigme d’enseignement où la relation est inégale. Il avait un cahier des charges et à lui de s’y conformer.
Avec le Blog et les objectifs que nous leur avons assigné, la mise en œuvre étant totalement libre (ce qui est l’essence du Blog), tout s’inverse. Le professeur stagiaire ne s’adresse plus à ses formateurs, même s’il sait qu’ils en prennent connaissance et qu’ils en sont à l’initiative, mais à ses élèves et à un public plus large et moins identifié. Confusément, le professeur stagiaire sent qu’il doit être plus précis dans ses écrits pour ne pas donner libre cours à une interprétation erronée. Il n’est plus étudiant, mais professeur, il a changé de statut et il doit l’assumer directement. Certains professeurs stagiaires en ont été étonnés. Ils entrent dans un paradigme d’apprentissage prolongeant leur pratique professionnelle antérieure au moyen d’un autre mode de communication. Le Blog devient un outil d’apprentissage professionnel et de professionnalisation. Le professeur stagiaire est confronté à l’autonomie nécessaire de l’enseignant et au doute de la relation pédagogique. Il abandonne sa situation d’élève appliquant une consigne pour se retrouver dans la peau d’un expérimentateur rendant scrupuleusement compte des phénomènes observés sur sa paillasse. Le regard porté sur son analyse n’est plus limité à celui du formateur bienveillant qui aspire à se reconnaître, mais à celui de ses pairs (les autres professeurs stagiaires en mobilité), et de ses élèves, et d’un public méconnu.
Le rapport au savoir a été inversé : il devient responsable de ses écrits.
La première promotion d’utilisation du Blog
Nous avons expérimenté pour la première fois l’utilisation du Blog pour des stages de mobilité à l’étranger en 2007. Lors de l’appel à projet et de la sélection, nous avions mis dans le cahier des charges un suivi au moyen de l’Espace Numérique de Travail (ENT) de l’IUFM. Ce dispositif avait été expérimenté à partir de 2005 et les étudiants en avaient une meilleure expérience puisqu’ils l’avaient utilisé dans de nombreuses filières dans le cadre du travail pédagogique disciplinaire.
Le suivi au moyen du Blog a été proposé de manière optionnelle en janvier 2007 aux professeurs stagiaires comme un plus, un supplément pouvant prolonger les productions institutionnelles attendues. Bien que l’utilisation du Blog n’était pas obligatoire, les professeurs stagiaires de l’IUFM ont majoritairement souscrit au projet : 24 sur 37, ont créé un tel Blog et nous en ont transmis l’adresse.
Spontanément, nombre d’étudiants ont constitué des éléments d’une « Communauté de Pratique » en donnant en tête de leur Blog une liste d’adresses de Blogs (liens hypertexte) de leurs camarades de promotion en stage de mobilité à l’étranger. L’analyse de ces liens montre que cette communauté s’est constituée sur la base de communautés de pratiques existantes, à savoir, les groupes disciplinaires de formation. Ainsi, les professeurs stagiaires du primaire, même issus de centres de formation géographiquement distincts, ont fortement utilisé ce système de liens croisés qui faisait apparaître en transparence un projet commun, une dynamique sous-jacente.
L’analyse de cette expérimentation est pour l’instant trop hâtive au niveau statistique pour être significative. En ce qui nous concerne, l’échantillon est encore trop réduit et le recul insuffisant. L’essentiel des professeurs stagiaires sont affectés dès leur retour sur des postes éloignés du territoire national avec pour la première fois un service complet d’enseignant et peu d’entre eux ont pu se livrer à une étude complète de ce dispositif. Toutefois les premiers résultats montrent que si la moitié des professeurs stagiaires n’avaient pas un bon niveau dans l’utilisation des TICE avant leur départ, près de 70% déclarent que cette expérience en a transformé leur vision. Mieux, 83% pensent utiliser plus tard l’outil Blog dans leur pratique pédagogique et 67% pensent que leur Blog peut être utile à d’autres personnes, illustrant ainsi inconsciemment la naissance dans leur esprit d’une « Communauté de Pratique ».
Tous n’ont pas parlé de leur Blog à leurs élèves avant de partir en stage de mobilité à l’étranger. C’est en particulier le cas de professeurs stagiaires du primaire dont les élèves leur semblaient trop jeunes pour accéder à Internet et au Blog. Mais la réalité a balayé leurs craintes puisque 83% des professeurs stagiaires déclarent que leurs élèves ont suivi leur mobilité à travers le Blog, et celui-ci a donné lieu dans un tiers des cas à des interactivités (utilisation de commentaires, courriels classiques, séances de messagerie instantanée).
Pour nous, c’est au niveau des transformations induites par la pratique du Blog que les effets les plus intéressants apparaissent. Laissons de côté les transformations sur le plan personnel dont on peut pour l’instant difficilement distinguer des transformations produites par la mobilité elle-. Pour nous, le plus intéressant concerne les éléments afférents à la professionnalisation. Le fait que le Blog soit un espace visible de tous a élevé de manière significative le niveau d’exigence de la part des professeurs stagiaires. Léa explique qu’elle s’est posé la question du « souci de clarté pour améliorer la lisibilité », Mélanie affirme qu’elle a ressenti la « nécessité de s’informer davantage sur la région, l’histoire, l’économie, les paysages ». Pour elle, le Blog a eu des « effets stimulants et bénéfiques ». Enfin, Léa aborde un point profondément lié à la professionnalisation : l’écriture du Blog, mais aussi le fait de devoir « modérer les commentaires » l’a amenée à « développer la compétence responsabilité ».
Des perspectives…
Lors de la campagne de mobilité 2008, nous allons exploiter les leçons de ces pratiques spontanées. Le Blog sera le cœur du suivi de la mobilité des professeurs stagiaires. Nous allons développer l’embryon de communauté de tous les Blogs pour observer le phénomène de « communauté de pratique » dans ce contexte en activant des outils ad hoc.
Les Blogs des professeurs stagiaires sont relativement disparates et pour en faciliter l’accès, nous avions créé une page sur le site de l’IUFM qui recense les liens sur ces Blogs. Ce système permet aux nouveaux professeurs stagiaires de découvrir les productions des promotions antérieures. Mais ce système trop centralisé n’est pas satisfaisant et n’est pas dans l’esprit Blog car il nécessite le maintien d’un carrefour qui dépend d’une institution et du modérateur. Tant que la tension collective maintient le lien, cela fonctionne, mais avec le temps, ce lien risque de se déliter.
Lors de la préparation des départs en mobilité de 2008, nous avons proposé aux professeurs stagiaires de rédiger un blog sur une plate-forme externe à l’établissement («  over-blog »). Nous avons choisi cette plate-forme car elle est gratuite et libre de publicité, elle dispose d’outils de qualité, et elle permet l’usage d’un outil communautaire. Indépendante de l’institution, elle rend les auteurs pleinement responsables de leurs écrits et affranchit l’établissement de toute responsabilité liée au contenu.
Pour faciliter l’émergence d’une communauté de pratique, nous avons créé sur la plate-forme la communauté « IUFM Midi-Pyrénées » pour que les professeurs stagiaires s’y agrègent. Sur les Blogs des professeurs stagiaires apparaît automatiquement l’accès à la communauté et aux Blogs qui en font partie. La circulation entre les Blogs ne nécessitant plus d’interface en est facilitée. L’auteur du Blog peut désigner les articles associés à la communauté et les rendre visibles sur cet espace. Un lecteur de cet espace a accès à la connaissance de tous les partenaires de cette communauté et pourra avoir accès à leurs Blogs.
Cet outil peut être considéré comme un Blog fédérateur car émanation de la communauté des professeurs stagiaires en mobilité et non le Blog d’un professeur stagiaire en particulier.
C’est surtout avec la promotion de professeurs stagiaires suivante que nous attendons la montée en puissance de cet outil. Pour les professeurs stagiaires préparant une mobilité, il devrait faciliter l’accès aux ressources constituées par les promotions précédentes. Pour les formateurs, il constituera la médiathèque que les professeurs stagiaires en mobilité ont constituée.
Nous pensons que se trouvera là le cœur de la « communauté de pratique » que nous cherchons à faire émerger.
Bibliographie.
– ANONYME, « APRENDIENDO A EXPRESARSE CON WEBLOGS »,
http://dewey.uab.es/pmarques/dim/revistaDIM/aprendiendo%20a%20expresarse%20con%20weblogs.doc
– ACCART Jean-Philippe « Les Blogs dans les bibliothèques allemandes », in Archimag, juin 2007, p. 30. http://www.jpaccart.ch/publier/les-techniques-documentaires/2007-les-blogs-dans-les-biblioth-ques-allem.html
– POYET Françoise et BACCONNIER Brigitte, « Les Environnements Numériques de Travail en milieu scolaire », la lettre d’information n°21 - octobre 2006, INRP,
http://www.inrp.fr/vst/LettreVST/pdf/octobre2006.pdf
– LECLET Dominique, LEPRETRE Eric, PETER Yvan, QUENU-JOIRON Céline, TALON Bénédicte, VANTROYS Thomas « Améliorer un dispositif pédagogique par l’intégration de nouveaux canaux de communication », in Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, Lausanne 2007,
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/16/16/25/PDF/39.pdf
– MICHEL Christine, GARROT Elise, GEORGE Sébastien, Laboratoire LIESP, INSA-Lyon « Situations d’apprentissage collectives instrumentées : étude de pratiques dans l’enseignement supérieur », Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, Lausanne 2007,
http://arxiv.org/pdf/0707.3014
– PLEDEL Iannis « LES BLOGS ET LA FORMATION A DISTANCE : UNE LOGIQUE DU CHANGEMENT ? » IEP Aix-en-Provence, CRAIC, TICE Méditerranée, 2007,
http://isdm.univ-tln.fr/PDF/isdm29/PLEDEL.pdf
– WENGER Etienne, « Communities of Practice : Learning, Meaning, and Identity » Cambridge University Press, 1999.
Aussi : « La théorie des communautés de pratique », PUL, 2005.
– CARRAL Michel, LANNEAU Patrick, « LES TIC (COURRIEL, BUREAU VIRTUEL, BLOG) COMME OUTIL TRANSVERSAL DE FORMATION ET DE SUIVI DES ÉTUDIANTS EN MOBILITÉ À L’ÉTRANGER. », RIFEFF, Actes du Colloque, 2007.
Annexe :
Questionnaire pour l’évaluation de la pratique du suivi de mobilité par les TIC :
Avant le départ
– Aviez vous un Blog personnel ?
– Aviez-vous un bon niveau dans l’utilisation des TICE ?
– Utilisiez-vous Internet régulièrement ? Combien de fois par semaine ?Après votre retour
- Avez-vous tenu un Blog pendant votre mobilité ?
- Si oui :
- L’avez-vous tenu régulièrement ?
- La tenue du Blog représentait-elle une charge de travail importante (réponse entre 1, très faible à 5 très importante) ?
- Avez-vous eu des retours sur votre Blog ?
- Si oui, lesquels ?
- Quels effets ont eu la tenue de ce Blog dans votre travail ?
- Aviez-vous parlé de ce Blog à vos élèves avant votre départ ?
- Vos élèves ont-ils suivi votre mobilité ?
- Votre Blog a-t-il donné lieu à des interactivités ?
- Si oui, lesquelles ?
- Pensez-vous utiliser votre Blog après votre mobilité ?
- Pensez-vous que votre Blog puisse servir à quelqu’un d’autre ?
- Pensez-vous utiliser l’outil Blog dans votre propre pratique pédagogique à venir ?
- L’usage du Blog a-t-il modifié votre vision des TICE ?
- Que pensez-vous que le Blog vous a apporté ?
- Au plan personnel, au plan professionnel ?
- pendant votre stage (dans la compréhension d’une autre culture)
- Le Blog vous a-t-il amené à avoir certaines exigences ? Lesquelles ?