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Construction d’une série de cartes anamorphiques
Article mis en ligne le 22 avril 2024
dernière modification le 27 avril 2024

par Fanny Arbogast


Pour célébrer les « maths à la carte » lors de la semaine des mathématiques du mois de mars 2023, les équipes de mathématiques et d’histoire-géographie ont décidé d’initier un projet transdisciplinaire ayant pour objectif de faire construire aux élèves des cartes anamorphiques. Dans les faits, il est souvent difficile de faire un lien « naturel » entre des matières aussi différentes que les mathématiques et l’histoire-géographie, mais les problèmes soulevés par la construction de telles cartes échappent au domaine de l’une ou de l’autre discipline. Nous avons donc vu là l’occasion de rassembler les savoirs au-delà des frontières disciplinaires.

Une carte anamorphique (ou carte par anamorphose) est une représentation cartographique déformée qui ajuste la surface des zones géographiques en fonction de la variable étudiée plutôt que de la simple géographie physique. Une telle carte permet par exemple de visualiser les concentrations ou les disparités de population ou d’échanges commerciaux sur une carte.
On peut trouver des exemples de cartes par anamorphose dans des domaines variés comme on peut le constater dans le petit atlas Population et développement durable, des cartes pour voir de Pierre Peltre, ou bien encore dans l’article Worldmapper, des centaines de cartes du monde sur Internet d’Anna Barford.

Nous souhaitions que le travail soit mené par les élèves de bout en bout. C’est donc à partir de données brutes qu’ils devaient construire leurs cartes, et si nous étions là pour les accompagner, nous attendions d’eux qu’ils perçoivent eux-mêmes les enjeux d’une telle construction et qu’ils planifient les étapes de la réalisation de leur carte.

Éléments du programme travaillés

En mathématiques :

  • Interpréter, représenter et traiter des données ;
  • Résoudre des problèmes de proportionnalité.

En histoire-géographie :

  • Utiliser des représentations analogiques et numériques des espaces à différentes échelles ;
  • Réaliser des productions graphiques et cartographiques.

Compétences travaillées

En mathématiques : Chercher ; modéliser ; représenter.

En histoire-géographie : Situer des lieux et des espaces les uns par rapport aux autres.

 La préparation : choix des thèmes et des conventions à adopter

Le collègue d’histoire-géographie de chaque classe cherche un thème au programme de la classe en question qui se prêterait à l’exercice de la construction d’une carte anamorphique.
Les thèmes retenus sont :

6eA Densité moyenne 4eB Migration nette
6eB Population rurale 3e Tourisme international (arrivées)
5eA Population 2de PIB par habitant
5eB PIB 1re Population : villes de plus de 1 million habitants
4eA Population urbaine

Ensuite, les deux équipes de maths et d’histoire-géographie se concertent pour se mettre d’accord sur deux choix importants.

  • Celui du ratio terre : mer à adopter pour que la carte soit réaliste sans que les continents ne soient trop petits. En effet, dans la réalité, ce ratio terre : mer est de 3 : 7. Mais si 70% de la feuille restent vides, la surface disponible pour les différents pays est trop réduite. Nous avons donc opté pour un ratio 2 : 3.
  • Celui du seuil à partir duquel nous ne représenterions pas le pays : nous avons choisi de ne pas représenter un pays qui représenterait moins de 1% de la surface totale de tous les pays, car nous craignions que les pays soient trop petits et donc difficiles à placer, à coller et à nommer.

 La collecte des données

Le collègue d’histoire-géographie fournit aux élèves un document Excel provenant de la banque mondiale sur lequel chaque élève doit collecter la donnée d’une dizaine de pays (par exemple pour la population mondiale, document tableur à télécharger sur cette page).
Chaque élève doit alors reporter ces données sur un document tableur collaboratif déposé sur l’espace de travail de la classe.
Des discussions sont ensuite menées pour analyser ces données et le chapitre en lien avec le thème est traité.

 Construction des premières cartes anamorphiques simplifiées


Pour que les élèves puissent appréhender les enjeux de la construction d’une carte anamorphique, le choix a été fait de leur faire d’abord construire une carte « par continent. »
En cours de mathématiques, on leur fournit donc le même document Excel que celui qu’ils ont crée en cours d’histoire-géographie, mais avec les données par continent plutôt que par pays.
Leur travail : construire la carte anamorphique correspondante sur une feuille A4.
Très vite, les élèves, autorisés à travailler par groupe de quatre, sont amenés à se poser les questions essentielles :
Quelle est la population totale ? Quelle est l’aire de la feuille ? Quelle est l’aire disponible pour les continents ?
Pour les plus jeunes (6ème-5ème), le coefficient de proportionnalité apparaît ; à partir des classes de 4e, c’est la recherche de la 4e proportionnelle qui émerge.

Une fois la surface de chaque continent déterminée, c’est la question de la forme du rectangle qui se pose. Quelle longueur choisir pour que le rectangle « ressemble » au continent à représenter.

Un élève propose une représentation du monde pour que l’on se mette d’accord sur l’aspect qu’aura la carte anamorphique ; les élèves valident, puis déterminent des longueurs et des largeurs possibles pour les différents rectangles.

 Construction des cartes anamorphiques finales : création des rectangles

Maintenant que le principe est compris, il est temps de passer à la construction des cartes anamorphiques « par pays ».
Les élèves reprennent donc le document tableur élaboré en cours d’histoire-géographie, et calculent maintenant l’aire des rectangles de chaque pays qui leur a été attribué.
La production finale sera réalisée cette fois-ci sur une feuille de format A0.

On élimine ensuite les pays qui représentent moins de 1% du total, puis une réflexion est menée sur la question de la largeur et de la hauteur à adopter pour chaque pays.
Certains ont choisi de calculer la racine carrée de l’aire du rectangle pour se faire une idée du côté du carré qui pourrait représenter le pays en question ; ils partent alors du nombre obtenu pour l’adapter selon la forme réelle du pays.
Pour les élèves de 6e, un fichier GeoGebra leur a été fourni. Il leur permet de simuler différentes formes pour un rectangle d’aire donnée.

 Un point sur l’utilisation des outils numériques

La réalisation de ce travail n’aurait pas été possible sans l’utilisation du tableur. De ce fait, les élèves ont vraiment perçu l’intérêt de cet outil, et ont découvert avec plaisir certaines fonctionnalités du tableur, car elles étaient au service de la réalisation d’une tâche. Souvent les activités que je propose ont pour objectif d’apprendre à se servir du tableur ; ici, apprendre à se servir du tableur avait pour objectif d’avancer dans notre projet, et cela a fait la différence.

Voici une liste non exhaustive des savoir-faire techniques du tableur mobilisés :

Vocabulaire :

  • Savoir utiliser le vocabulaire propre au tableur : classeur, feuille, ligne, colonne, cellule, plage de cellules, adressage…

Utilisation des formules :

  • utiliser le tableur pour faire des calculs simples : formule sans référence à une cellule ;
  • écrire une formule avec référence relative à une cellule (référence relative – pas d’utilisation de $) ;
  • écrire une formule avec référence fixe à une cellule (référence absolue – utilisation de deux $) ;
  • écrire une formule avec référence mixte à une cellule (référence mixte – utilisation du $ pour fixer la ligne ou la colonne).

Recopie de formules :
 savoir recopier une formule ;
 savoir étirer une formule.

Format des cellules :
 savoir accéder au format d’une cellule ;
 savoir changer le format numérique d’une cellule (écriture décimale, fractionnaire, pourcentage, scientifique…) ;
 savoir mettre en forme un tableau.

Utilisation de fonctions :
 quelques fonctions simples : SOMME, RACINE.

Tri de données :
 savoir trier une colonne par ordre alphabétique ou par ordre (dé)croissant.

 Construction des cartes anamorphiques finales : assemblage

C’est maintenant l’heure d’assembler les cartes anamorphiques. C’est un défi, car nous disposons d’un temps limité.
Nous commençons par disposer les plus gros pays de chaque continent, puis ajoutons les pays de plus en plus petits.

Assez rapidement, un problème se pose : nous créons malgré nous des « mers intérieures » qui n’existent pas, et donc certains rectangles doivent être refaits, de manière à ce que l’aire soit inchangée, mais que les dimensions soient ajustées.
Nous évoquons le fait qu’une carte anamorphique ne peut pas être complètement fidèle à la réalité et à la localisation géographique. Certains pays se retrouvent frontaliers avec d’autres alors que ce n’est pas le cas si l’on observe une carte classique, et cela mène à des discussions intéressantes sur les choix à faire.
Dans certaines classes, l’assemblage ne sera pas fini avant la fin de l’heure ; nous utilisons de la pâte à fixe pour pouvoir conserver notre travail et le terminer à l’heure suivante.

 L’exposition

L’exposition est une belle réussite.
Tous les élèves du Lycée Français de Taipei ont travaillé sur un thème, et sur une dizaine de pays. Ils sont donc curieux de comparer les dimensions de leurs pays selon les cartes, débattent et posent des questions aux collègues d’histoire-géographie pour comprendre certaines différences. Un réel échange a lieu.

 Bilan

Le projet a été très bien accueilli par les élèves ; ils ont pris plaisir à travailler sur les thèmes proposés, en histoire géographie comme en mathématiques.
Il a fallu faire évoluer le projet tout au long de la semaine ; il n’était en effet pas prévu au départ de faire les cartes « par continent » ; c’est en faisant une première séance avec les élèves les plus âgés que l’idée nous est venue. Cela était déjà en effet très compliqué pour les lycéens de trouver quelle démarche adopter et nous nous sommes rapidement rendu compte que les collégiens n’y parviendraient pas sans une étape préliminaire.
Il me semble donc nécessaire d’être très attentif aux réactions des élèves lors de la première séance, pour pouvoir adapter la suite du projet à leurs besoins.
Le projet a duré environ deux semaines (un peu moins pour les plus grands).
Il a été suivi d’une évaluation sur les thèmes de la proportionnalité et de la manipulation du tableur. Cette évaluation a été bien mieux réussie que celles sur les mêmes sujets les années précédentes.
Exemple d’exercice proposé en évaluation aux élèves de 5e suite au projet :

Les professeurs d’histoire-géographie ont apprécié le travail également, puisque beaucoup de questions ont émergé.
Nous le reconduirons sans aucun doute dans les années à venir.

Pour élargir le regard :