Cet article a été rédigé en réponse à l’appel à contribution n° 5
MathemaTICE a publié deux autres articles de Francine Dubreucq :
- I Expérience
- II Analyse de l’expérience
- Première partie : les élèves doivent tracer un segment
- Deuxième partie : les élèves doivent tracer la perpendiculaire
- Troisième partie : le tracé de D situé à la même distance (...)
- Quatrième partie : Placer le point D (erreur sur la (...)
- Cinquième partie : placer le point C
- Sixième partie : enlever les traits de construction
- Septième partie : vérifier que la figure construite est (...)
- III Conclusion
- Annexes
Nous proposons, dans cet article, d’exposer comment nous avons travaillé sur le carré dans une classe de CE2.
Le concept de carré évolue au cours de la scolarité. Le mot ’’carré’’ appartient d’abord au monde sensible. En effet, dans les tâches d’observation et de tri d’objets à l’école maternelle, l’enfant devra reconnaître la forme carrée parmi d’autres formes. Puis le mot ’’carré’’ change de statut. L’enfant devra être capable de décrire, de reproduire ou de tracer un carré sur son cahier. Nous nous intéressons à ce changement de statut. Nous faisons l’hypothèse qu’un logiciel de géométrique dynamique est un agent favorable à cette évolution. Nous analyserons comment les contraintes du logiciel entraînent la structuration des connaissances géométriques.
I Expérience :
Le titulaire de la classe [1] a introduit les notions de perpendiculaires et de parallèles en prenant comme support les situations Ermel, trait sur trait et droites penchées pareil. D’une part, il a mené conjointement un travail en arts sur les oeuvres de Mondrian, Kandinsky et Vasarely et sur les notions de mathématiques qu’elles recèlent. D’autre part, le projet de classe consiste en la création d’un répertoire de jeux du monde. Les élèves cherchent des informations sur Internet sur différents jeux. Le jeu de marelle demande un plateau de jeu dont la base est représentée par trois carrés concentriques. Nous avons choisi de travailler sur ces carrés avec un logiciel de géométrie dynamique pour diffuser le plateau de jeu accompagnant les règles du jeu. Le plateau de jeu est présenté en annexe 2. La dévolution du problème a été faite par le titulaire dans l’environnement papier.
Nous présentons la première séance d’introduction du logiciel TracenPoche (TeP) dans la classe de CE2. Nous ne parlerons pas précisément des conditions [2] Nous avons choisi de tracer d’abord le grand carré.
II Analyse de l’expérience :
Première partie : les élèves doivent tracer un segment.
Nous sommes dans une phase d’initiation instrumentale. Du point de vue mathématiques, à notre niveau d’enseignement, le segment est un trait qui s’arrête. Les connaissances mathématiques sont faibles. Par contre, le tracé du segment avec TeP nécessite des connaissances instrumentales importantes. Le processus cognitif fait appel à la représentation iconique du segment, tout en plaçant l’élève sur le mode de l’action. Il est à souligner, qu’à ce moment précis, se passe la compréhension de la validation d’un point. La tâche dans l’environnement informatique est de tracer le segment [AB] sachant que les points A et B ont été placés. Un élève doit comprendre la signification de l’affichage rouge. Cette tâche est nouvelle dans l’environnement informatique et ne repose pas sur une technique ancienne de l’environnement papier. Certains élèves expriment la couleur rouge comme celle de l’interdit. Ils vont valider la position de l’extrémité du segment et un point C sera malencontreusement tracé. Il faudra l’intervention du maître pour expliquer ce qui s’est passé. D’autres expliquent rapidement « C’est rouge, tu cliques ». Nous devons évoquer également les différences entre la tâche dans l’environnement papier et dans l’environnement numérique. Pour tracer le segment [AB], l’élève place le point A, puis il prend la règle pour tracer le ’’trait’’ et enfin il place le point B à la fin du ’’trait’’. Par contre, dans l’environnement numérique, l’élève place le point A, puis le point B et enfin, en utilisant le bouton ’’segment’’, il relie les points A et B. Ces chronologies différentes n’ont pas soulevé de difficulté.
Deuxième partie : les élèves doivent tracer la perpendiculaire à (AB) passant par A.
La connaissance mathématique est importante. Il n’est pas facile de visualiser la perpendiculaire à une droite passant par un point de cette dernière et encore moins de la tracer avec l’équerre. Le tracé avec TeP se fait sans difficulté. La représentation des boutons de TeP permet aux élèves de trouver la perpendiculaire. Ils reconnaissent le symbole de perpendicularité. En activant le bouton perpendiculaire, le logiciel favorise le passage au mode symbolique. Même si cette étape est difficile du point de vue mathématique, il semble important de faire formuler les élèves. Cela permet de passer par le langage mathématique. Le rapport entre les tâches mathématiques et instrumentales est maximal.
Nous avons remarqué que les élèves ont été surpris par notre formulation. Lorsqu’on leur demande « Trace la droite, qui est perpendiculaire à (AB) et qui passe par le point A » dans l’environnement papier, ils doivent effectivement prendre leurs instruments de géométrie et leur crayon pour tracer. Ils sont dans le mode de l’action. Dans l’environnement TeP, ils veulent faire de même, à savoir tracer une droite. Il faut préciser aux élèves que c’est le logiciel qui va dessiner la droite, mais il ne le fera que sur notre ordre. Il est donc nécessaire de préciser ce que l’on demande au logiciel. Cette verbalisation est essentielle : elle permet d’utiliser le vocabulaire géométrique. L’utilisation de TeP aide à exprimer leur action avec les mots.
Troisième partie : le tracé de D situé à la même distance que B par rapport à A.
Le choix a été fait de proposer un tracé sur papier et sur TeP sous forme de « symbiose instrumentale », définie par T. Assude. Les tâches dans l’environnement papier et dans l’environnement TeP sont imbriquées. Les procédures acquises dans une situation sont appliquées dans l’autre situation. C’est la présence du cercle qui assure la conservation des longueurs. Cette contrainte donnée sur le papier est exigeante. Elle repose sur l’équidistance des points du cercle au centre du cercle. Les élèves n’utilisent pas le compas pour le report des longueurs. Les connaissances mathématiques sont maximales. Cette difficulté étant surmontée, les élèves n’éprouvent aucune difficulté à utiliser TeP : ils reconnaissent le bouton de tracé du cercle. Pourtant, ils ne parviennent pas au mode symbolique : ils expliquent avec les doigts ce qu’ils vont faire. Les enfants se placent sur le mode iconique : ils placent le curseur sur le point A, et lorsqu’ils le valident comme étant le centre du cercle, ce dernier grandit au fur et à mesure du déplacement. Les traits de construction ne leur posent pas de problème. L’imbrication entre les tâches nouvelles et anciennes est importante. En effet, les élèves de CE2 n’utilisent habituellement pas le report des longueurs avec le compas. Cette tâche est nouvelle dans l’environnement papier. Pourtant, ils ont tracé de nombreux cercles au cours de cette année scolaire. Le tracé est donc une tâche ancienne.
Un groupe propose de tracer le point D à une distance égale sans mesurer. Cette technique n’est pas proposée dans l’environnement papier. On peut donc en déduire que le changement de cadres induit des comportements différents. L’enseignant permettra cette découverte en utilisant la zone d’analyse pour vérifier l’égalité des longueurs.
Quatrième partie : Placer le point D (erreur sur la lettre proposée par TeP, non corrigée)
Pour la tâche dans l’environnement papier, il n’y a pas de difficulté. On pourrait dire alors que les connaissances mathématiques sont minimales. Les élèves placent le point D à l’intersection du cercle et de la droite. Par contre, la tâche dans l’environnement TeP est difficile. C’est la conservation de la forme lors du déplacement qui pose problème. Les élèves placent le point D de la même manière que sur le papier. Il faut que l’enseignant intervienne pour montrer que le point D ne se déplace pas en même temps que le carré.
Le langage permet de surmonter cette difficulté : l’enseignant demande de décrire la position de D. Il aide à formuler la solution. On est dans la zone proximale de développement décrite par Vygotski : l’enfant ne peut pas trouver seul. Cependant avec l’aide d’un adulte, il parvient à formuler que le point D est à l’intersection du cercle et de la droite. On peut alors dire que les connaissances mathématiques deviennent intéressantes. C’est la tâche dans l’environnement instrumental qui déclenche la nécessité de le formuler. On peut noter que la tâche dans l’environnement numérique implique de comprendre la tâche mathématique.
TeP propose des lettres dans l’ordre alphabétique. Il propose donc C pour le troisième point que nous avons tracé. Un enseignant et un groupe d’élèves ont donc construit un carré ABDC qu’ils ont nommé ABCD...
Cinquième partie : placer le point C
Toutes les connaissances instrumentales ont été introduites. Il s’agit donc de réinvestir ce qui a été construit. Les élèves ont choisi la méthode qu’ils souhaitaient. Les connaissances mathématiques sont maximales : un quadrilatère qui a quatre angles droits et quatre côtés de même longueur est un carré. Pourtant les élèves utiliseront d’autres propriétés selon la construction qu’ils vont choisir : un quadrilatère qui a trois côtés de même mesure et deux angles droits ou un quadrilatère qui a quatre côtés de même mesure et un angle droit est un carré. La connaissance instrumentale est maximale : l’élève doit utiliser toutes les potentialités du logiciel qu’il connaît.
On se retrouvera avec un quadrilatère qui a trois angles droits et trois côtés consécutifs de même longueur. La figure est proposée en annexe 1. Il s’agit pour l’élève de savoir tracer un carré, puis de reconnaître que le quadrilatère obtenu est un carré.
Sixième partie : enlever les traits de construction
Il n’y a pas de connaissances mathématiques. Il n’y a que des connaissances instrumentales. Les enfants confondent « rendre invisible » et « effacer un trait de construction ». Un groupe va effacer toute la figure. Il hésitera à prendre de nouvelles initiatives. Puis il rend invisible le cercle. Ce dernier disparaît, mais, avant de poursuivre, les élèves se posent la question de savoir si les points de ce cercle vont également disparaître. Nous pouvons remarquer que cette tâche est nouvelle et contraire à ce que les élèves doivent faire dans l’environnement papier. Les élèves n’ont pas été gênés par cette contradiction. Cette situation-problème a permis aux élèves d’échanger sur ce qui s’est passé : la plupart des droites et segments sont invisibles. Ils se sont posés la question de savoir comment faire pour avoir un carré. Ils ont utilisé le bouton ’’segment’’ sans difficulté pour reconstruire les droites effacées.
Septième partie : vérifier que la figure construite est un carré
Selon les méthodes de construction utilisées, le quadrilatère a des propriétés, mais il n’a pas quatre angles droits ni quatre côtés de même longueur. Or c’est le seul critère que les élèves connaissent. On n’est plus dans la géométrie perceptive mais dans la géométrie instrumentale : c’est le recours aux instruments de tracé et de mesure qui permet de conclure. La connaissance mathématique est maximale. Les élèves doivent changer de point de vue. Ils ne peuvent pas vérifier l’égalité des longueurs en utilisant une règle graduée, ni contrôler les angles droits en utilisant leur équerre. Comme ils ont déjà utilisé la zone « analyse », ils proposent facilement l’accès à cette zone. La connaissance instrumentale est maximale. Il est indispensable que l’outil utilisé réponde positivement aux exigences mathématiques.
Les élèves connaissent deux formulations pour expliquer la présence d’un angle droit : soit l’angle est droit, soit les droites sont perpendiculaires. Il n’est pas possible d’utiliser la formule angle (...) du logiciel. D’une part, les élèves parlent de l’angle droit sans le nommer $ \widehat{BAC}$ ; d’autre part, la réponse proposée est 90 degrés. Il est donc indispensable d’aider les élèves à formuler quelles sont les droites perpendiculaires pour travailler sur la zone ’’analyse’’. Une élève formulait « c’est compliqué » en étant dans la zone analyse. Puis elle a enchaîné « Il faut sans arrêt enlever et remettre le cadenas ». En effet, le symbole ’’(’’ s’écrit en minuscule, tandis que AB doit être en majuscule.
Les enfants concluent que l’utilisation de TeP est facile quand on leur a montré.
III Conclusion :
Nous avons filmé une classe avec des élèves qui manipulent TeP avec une certaine aisance. Les élèves ont découvert une autre manière de faire de la géométrie. Ils ont compris qu’il ne suffit pas de faire un beau dessin, mais qu’il faut s’appuyer sur des connaissances géométriques.
Ils ont évidemment travaillé sur leur cahier. La présence du logiciel n’exclut pas le travail dans l’environnement papier, il est un complément indispensable.
Le logiciel de géométrie semble être le catalyseur pour favoriser les échanges entre les agents (élèves ou professeur). Il modifie leurs positions. Il modifie également le rapport au savoir mathématique. Il serait intéressant de comprendre comment se fait cette évolution sur un échantillon d’élèves plus important et sur une échelle temporelle plus longue. Enfin, il met en valeur l’évolution des connaissances. Le concept de carré a évolué au cours de cette séance. Le carré est un dessin, qui évolue vers un dessin sur lequel sont présentes des propriétés géométriques. C’est ainsi que le dessin deviendra la figure mathématique. En effet la construction avec le le logiciel de GD favorise la compréhension de ce qu’est un carré. Dans l’environnement papier, l’élève sait qu’il a dessiné un carré, il n’éprouve pas le besoin de vérifier. Dans l’environnement numérique, environnement nouveau dans le cadre des mathématiques, il accepte de le faire. La nouveauté facilite ce changement de position. On pourrait ainsi y voir le tremplin nécessaire pour éviter la rupture entre la géométrie instrumentée et la géométrie déductive introduite au collège. Cette modification de l’espace géométrique de travail passe par une genèse instrumentale qu’il conviendrait d’analyser ultérieurement. Il faudrait réfléchir à l’articulation entre la composante d’instrumentalisation (relative à l’artefact, à la découverte et à la sélection des commandes et à la personnalisation de l’objet) d’une part, et à la composante d’instrumentation (relative à l’émergence et à l’évolution des schèmes pour la réalisation d’un type de tâches) d’autre part.
Annexes :
Annexe 1 : figure obtenue à l’issue de la première séance
Annexe 2 : plateau de jeu
Bibliographie :
- Assude T., (2007), Modes et degré d’intégration de Cabri dans les classes de primaire, dans Environnements informatiques, enjeux pour l’enseignement des mathématiques, De Boeck, Université
- Assude T, Gelis J-M (2002), La dialectique ancien-nouveau dans l’intégration de cabri-géomètre à l’école primaire, Educational Studies in Mathematics, 50.259-287
- Bruner J.S., (1983), Le développement de l’enfant, savoir faire, savoir dire, P.U.F
- Vygotski L., « Pensée et langage », La dispute
- Rabardel (Rabardel P., (1995), Les hommes et les technologies, approche
cognitive des instruments contemporains, ed. Armand Colin, Paris) - Trouche L., (2005), Construction et conduite des instruments dans les
apprentissages mathématiques : nécessité des orchestrations, Recherches en
Didactique des Mathématiques, vol. 25, n°1.