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Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Un labomaths collège-lycée dynamique à La Châtre
Article mis en ligne le 17 janvier 2024
dernière modification le 26 janvier 2024

par Marie-Laure Drillet, Mathieu Drillet, Patrick Raffinat

Mathieu Drillet (professeur de collège et coordinateur du Labo Maths de La Châtre dans l’Indre) et Marie-Laure Drillet (professeure de lycée et coordonnatrice lycée du Labo Maths) répondent à une interview de MathémaTICE réalisée par Patrick Raffinat. Les réponses de Marie-Laure seront en italique, pour les distinguer de celles de Mathieu, même si la plupart sont des réponses partagées.

https://mathsalors.jimdofree.com/labo-maths/

J’ai découvert l’existence du labomaths de La Châtre en préparant l’interview de Sébastien Reb (voir lien), responsable du labomaths de Toucy dans l’Yonne. Je suppose que vous échangez aussi avec beaucoup d’autres labomaths : qu’est-ce que ça vous apporte ?

En effet, Sébastien m’a appelé lors du lancement du Labo Maths de Toucy. Il souhaitait échanger sur les façons de faire, les financements, demander des conseils. Il a contribué à monter un Labo Maths qui semble très efficace autour de la « mathémagie », de formations et de la revue « Médiane ».

Dans l’académie d’Orléans-tours, les Labo Maths fonctionnent en réseau. Nous échangeons autour de nos pratiques et des formations proposées et essayons de faire venir des intervenants en commun pour mutualiser les déplacements lorsque cela est possible. Par exemple en 2020, avec le Labo Maths d’Issoudun, nous avons invité Mickaël Launay dans nos deux villes pour des rencontres avec nos élèves et une conférence « grand public ».

Les Labo Maths d’un même département organisent une journée inter-Labo par an. Les échanges et discussions avec les collègues coordonnatrices et coordonnateurs d’autres Labo Maths sont riches en idées.

L’article de Mathieu dans « Médiane », la revue du labomaths de Toucy, a doublement attiré mon attention : labomaths collège-lycée … et La Châtre à 15 km d’où habitaient mes grands-parents ! Cela se traduit-il par des échanges pédagogiques particuliers entre collégiens et lycéens ? Cette double appartenance collège-lycée a-t-elle de l’influence sur le choix des intervenants que vous sélectionnez ?

Le Labo Maths de La Châtre a cette particularité d’être une structure sur deux établissements distincts. C’était le seul de l’académie d’Orléans-Tours. Nous avons toujours eu la volonté de travailler ensemble entre collègues de collège, lycée général et lycée professionnel.

Les formations étant communes, nous échangeons plus régulièrement entre collègues. Elles se déroulent soit au collège, soit au lycée donc les collégiens ont déjà croisé les professeurs de mathématiques du lycée. Ils ne sont donc pas dans l’inconnu en arrivant au lycée.

Lors de la semaine des Mathématiques, nous organisons des rencontres entre les élèves des Clubs Maths du collège et du lycée. Ce sont de beaux moments de partage entre élèves que nous, en tant que professeurs, observons de loin. Le but étant que chaque élève explique le travail entrepris depuis le début de l’année.

Nous essayons autant que possible de demander à nos intervenants de proposer des ateliers adaptés à différents niveaux (collège-lycée).

Nous avons remarqué que nos élèves (surtout les plus jeunes) apprécient davantage les ateliers que les conférences. Ils sont plus actifs et concernés. Certains intervenants préparent les ateliers tout seul et d’autres sont moins habitués ou à l’aise pour proposer une séance à de jeunes élèves. C’est pourquoi il nous arrive de préparer la séance en amont avec eux. Pour illustrer nos propos, voici deux documents que nous avons élaborés avec Mélissa Rossi et Anthony Journault pour des élèves de troisième.

atelier Mélissa Rossi
atelier Antony Journault

Dans « Médiane », Mathieu écrit : « il est toujours difficile d’attirer des intervenants lorsqu’un établissement est isolé, loin des grandes villes, sans gare ». Alors, par quel « miracle » arrivez-vous à faire venir Cédric Villani en 2023-2024 ?

L’idée de créer le Labo Maths à La Châtre est venu du constat qu’il n’y avait pas de conférence scientifique organisée dans les alentours. Nous sommes éloignés des centres universitaires et nous avions essuyé quelques refus. Le Labo Maths est une structure officielle et est maintenant un peu reconnu par les universitaires, vulgarisatrices et vulgarisateurs scientifiques.

Il est clair qu’au début, cela a été un peu compliqué de convaincre des personnes de venir. Mickaël Launay et Roger Mansuy ont accepté de venir jusqu’à La Châtre. Nous avons beaucoup communiqué sur ces événements. Par leur renommée, ils ont contribué à mettre un coup de projecteur sur le Labo Maths de La Châtre qui commence à se faire connaître dans le petit monde des Mathématiques. Roger nous a d’ailleurs avoué qu’il avait à cœur d’aider au développement de la diffusion scientifique dans les zones éloignées des centres universitaires. Beaucoup de nos intervenants connaissent quelqu’un qui est déjà venu chez nous ; ce qui aide à les convaincre. Nous attachons une grande importance à l’accueil que nous réservons à nos invités. Nos intervenantes et nos intervenants nous font le plaisir de venir jusqu’à nous. Nous essayons de créer des moments conviviaux et de partage. Cela se diffuse au sein de la communauté mathématique.

Depuis, nous avons eu de nombreuses intervenantes et intervenants de renommée et de proximité différentes. Toutes et tous ont apporté à nos élèves et à nous-même des choses différentes et très intéressantes. Cette année, outre Cédric Villani, nous avons accueilli Sylvie Benzoni (mathématicienne et directrice de l’Institut Henri Poincaré), Anthony Journault (ancien élève travaillant à l’ANSSI) et Marc Moyon (enseignant-chercheur spécialisé en histoire des Mathématiques).

Pourriez-vous également citer quelques autres intervenants s’étant déplacés à La Châtre ?

Les années précédentes nous avons reçu entre autre Mélissa Rossi (prix L’Oréal-UNESCO 2019), Alice Ernoult (professeure de mathématiques en CPGE), Marie Lhuissier (conteuse mathématicienne), Anne Boyé (présidente de Femmes&Maths), Cindy Chateignier (maîtresse de conférence en psychologue sociale, spécialisée sur les stéréotypes de genre), Jean-Christophe Deledicq (organisateur de la nuit des Maths et du Kangourou), …

année 2022-2023

Sur le site web du labomaths, il est question du « club maths » du collège, mais pas de celui du lycée [1] : qu’y fait-on, Marie-Laure ? Combien d’élèves ?

Au lycée, nous avons créé un Club Maths, en même temps que le Labo Maths. Nous voulions que les élèves aient également un lieu et un temps pour eux pour s’amuser en faisant des mathématiques différentes de ce que nous faisons en classe. Nous l’animons à deux en général, Fabien Touchard et moi même.

http://www.lyceegeorgesand36.fr/2022/06/19/le-club-maths-fait-sa-radio/

Nous changeons de thème tous les ans. Une année, ce fut la conception d’un escape game pour l’échange inter-club avec le collège et pour les portes ouvertes. Une autre année, ce fut les stratégies de jeux. Nous arrivons avec une idée et les élèves se l’approprient. Finalement, on ne fait pas toujours ce que nous avons imaginé ! Par exemple, pour les jeux, nous avions imaginé étudier plusieurs jeux. Finalement, nous avons passé l’année sur le jeu de Nim en étudiant une IA débranchée puis en créant le programme Python associé, en créant une vidéo... Cette année, mon collègue l’anime plus que moi et travaille avec les élèves sur les fractales.

Le Club se déroule durant une pause déjeuner. Avec la réforme du lycée, il y a toujours des cours durant le midi-deux ce qui complique énormément le recrutement pour un club. Tous les ans, nous avons des élèves qui sont déçus de ne pouvoir venir puisqu’ils ont cours. Ils sont donc peu nombreux (entre 5 et 10).

Et que fait-on au « club maths » du collège, Mathieu ?

Tous les ans, je prépare des pistes de recherche ou de travail et j’adapte le contenu en fonction de ce que souhaitent faire les élèves. C’est très souvent différent de ce que j’avais imaginé au début.

Par exemple, l’année dernière, avec les élèves du Club Maths nous avions créé un rallye MathsCityMap pour les portes ouvertes du collège. Cette année, les élèves ont voulu en créer un dans toute la ville. Nous espérons pouvoir l’inaugurer pour la fin de l’année en créant une petite randonnée animée par les élèves, pour des curieux.

https://mathsalors.jimdofree.com/labo-maths/club-maths/

Ils ont aussi souhaité travailler sur la magie. Nous montons des tours à base de mathématiques pour le spectacle de fin d’année du collège.

Une des missions d’un labomaths est la formation des pairs : en quoi consiste t-elle, exemples à l’appui ? J’ai aussi vu, je ne sais si cela relève du même cadre, deux formations internes dont le théorème de Sophie Germain (voir lien) : quelles sont les notions mathématiques abordées ?

Oui, la formation est un des trois axes des Labo Maths. Nous organisons des formations avec des universitaires, avec des formateurs ou des formatrices académiques et aussi des formations entre nous. Nous nous réservons aussi du temps pour des séances de Mathématiques.

Lors de l’année « Filles&Maths », nous avons étudié les parcours de plusieurs mathématiciennes, Sophie Germain en faisait partie. C’était l’occasion de re-découvrir le théorème de Sophie Germain (et les nombres premiers de Sophie Germain [2], qui peuvent être réutilisés en classe). La démonstration du théorème de Sophie Germain est d’un niveau mathématique plus élevé que ce que nous enseignons au collège et au lycée, mais le but était de faire une séance de mathématiques de niveau bac+2. Les collègues ont apprécié prendre du temps pour réfléchir à un problème et retrouver des raisonnements plus poussés que ceux que nous faisons en classe.

Ces séances de mathématiques entre nous sont importantes pour retrouver le plaisir de réfléchir. Nous n’en faisons pas assez à mon goût.

Le thème de l’année 2022-2023 a été « filles/femmes en maths », mais je ne m’attendais pas du tout à ce que la vie de Sophie Germain soit présentée à des CP/CE1 (voir lien) : mathématiquement, quel est l’intérêt ? Plus généralement, je présume que le labomaths fait régulièrement des actions auprès du Primaire ? Lesquelles ?

Lors de l’année « Filles et maths » nous avons, avec les élèves et de nombreux collègues, créé une exposition qui s’appelle « Huit femmes : Osons les Maths ! ». Les élèves et nous même avons étudié et découvert la vie de mathématiciennes et informaticiennes durant cette année à thème. Nous avons également monté une émission de webradio ayant pour thème les stéréotypes de genre en mathématiques et lors de ce travail, un micro-trottoir a été réalisé. Il s’est avéré qu’à la question : « pouvez-vous citer trois mathématiciennes ou informaticiennes ? » les lycéennes et les lycéens en étaient bien incapables. Par conséquent, pour la semaine des mathématiques, Mathieu est allé présenter quelques mathématiciennes dans les écoles primaires avec les élèves de son club en prenant appui sur l’exposition. Les collégiens et les lycéens ont peu profiter de l’exposition ensuite.

Concernant la présentation de la vie de Sophie Germain à des élèves de CP/CE1, l’idée était de les faire réagir au fait qu’une femme soit obligée de se faire passer pour un homme afin de pouvoir étudier les mathématiques. Ma présentation n’avait rien d’historique, j’ai plutôt raconté une histoire. Les débats qui ont suivi furent très intéressants et constructifs. Nous avons conclu que tout le monde peut essayer de réaliser ce qu’il désire. Chacun est capable, avec du travail, de franchir les barrières existantes. Maintenant que les élèves ont fortement réagi aux injustices qu’a subies Sophie Germain, nous pouvons espérer qu’ils réfléchiront à ne pas véhiculer de stéréotypes.

Plus généralement, nous souhaitons que le Labo Maths « rayonne » sur les établissements aux alentours. Nous proposons régulièrement des activités pour les écoles, très souvent lors de la semaine des Mathématiques. Par exemple, cette année, nous allons mélanger les élèves de Grande Section et de CP pour une séance de mathématiques co-animée avec les professeurs des écoles autour des coefficients binomiaux.

En consultant la chaîne YouTube de l’association « Les Maths en Scène » pour finaliser l’interview de sa présidente Houria Lafrance, j’ai découvert avec surprise une vidéo de 30 minutes sur « filles/femmes en maths à La Châtre » : à quel titre y figurez-vous ? En la regardant, j’ai appris plein de choses intéressantes et, encore une fois, une information qui m’a surpris : pourquoi avoir étendu votre dispositif à d’autres matières que les maths ? Exemples ?

https://www.youtube.com/watch?v=nyvUsvJqhDI

L’association « Les Maths en Scène » est très importante dans la diffusion de la culture mathématique. J’ai eu l’occasion d’échanger avec Houria sur le thème Femmes&Maths et avec Marie-Laure nous faisons partie du groupe de travail Femmes&Maths de l’APMEP dans lequel, nous avons rencontré Nathalie Braun qui est aussi active dans l’association. Houria m’a contacté pour que je présente le travail entrepris durant cette année « Filles&Maths ».

Les stéréotypes de genre touchent toutes les matières et sont véhiculés par toutes et tous. Nous avons proposé à nos collègues des autres disciplines et le thème c’est élargi aux femmes dans les sciences puis aux femmes engagées. c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à une quarantaine (collège et lycée) à travailler sur le sujet avec nos élèves. Les collègues d’Allemand, de philosophie, d’histoire, d’arts plastiques, de musique, de français, de physique-chimie, de SVT, de NSI, … se sont impliqués dans ce projet qui grossissait au fur et à mesure des réunions.

De manière générale, nous proposons nos formations aussi à d’autres matières. Par exemple, nous avons fait des formations communes avec des enseignantes et enseignants de physique-chimie, technologie, SVT, NSI et même Histoire-Géographie.

Le 3 février 2023, « les filles de 3ème et de 2nde ont participé à la « Journée Filles, Mathématiques, Informatique : une équation lumineuse » ». Concrètement, qu’ont-elles fait et appris pendant cette journée à Bourges ? Plus généralement, avez-vous noté à l’issue de l’année « filles/femmes en maths » une plus grande « affirmation de soi » des collégiennes et lycéennes que les autres années ?

Cette journée à Bourges a clôturé notre année « Filles et maths », qui a duré presque deux ans. Nous étions accueillis par l’INSA de Bourges. Les élèves de 3e et de 2nde ont assisté à une conférence de Mercedes Haiech, maîtresse de conférence à Limoges. Ensuite, des étudiantes de l’INSA leur ont fait visiter le campus. L’après-midi, les élèves en petits groupes ont rencontré des femmes travaillant dans différentes voies scientifiques sous la forme d’un speed-meeting. La journée s’est terminée par une pièce de théâtre sur les stéréotypes de genre en maths avec un échange.

Le changement d’attitude des filles face à leur avenir fut impressionnant. Elles ont découvert qu’il était possible de suivre des études scientifiques en étant une fille, que l’on pouvait avoir des postes à grandes responsabilités en étant une femme, une mère de famille. Elles se sont montrées plus ambitieuses. Je me rappelle d’une jeune fille qui me disait sur le trajet pour Bourges souhaiter devenir coiffeuse, au retour elle souhaitait être ingénieure !

Cette journée et toutes les actions menées durant l’année à thème ont eu pour effet que cette année nous avons autant de garçons que de filles en spécialité maths en première et en maths expertes en terminale, ce qui était loin d’être le cas depuis la réforme du lycée ! Cette action n’a concerné que les filles de troisième et de seconde, mais durant l’année « Filles&Maths » tous les élèves de La Châtre de la toute petite section à la Terminale ont pu bénéficier d’une action.

Lorsque je l’ai contacté, Mathieu m’a répondu : « ça fait du bien à La Châtre via cette interview de mettre en valeur que la culture scientifique peut aussi se développer dans des zones rurales ». Quelle aide apporte La Châtre (collectivités, associations …) au labomaths ? Et en retour, qu’avez-vous apporté de marquant à la population locale au niveau culture scientifique ? Y a t-il des personnes qui vous ont dit, après une conférence, avoir une vision plus positive des maths ?

Un ou des représentants de la ville de La Châtre sont toujours présents lors des conférences. Plusieurs associations de la ville nous ont soutenues financièrement à un moment. Nous les avons sollicitées pour payer des frais de déplacements ou le buffet qui est offert à l’issue de la conférence. Des personnes qui ne seraient jamais venues à une conférence de mathématiques sont venues en tant que représentantes de la ville, d’une association... et elles reviennent ! Cette fois-ci avec plaisir et envie. Plusieurs personnes nous ont dit « ne pas aimer les mathématiques » en arrivant et en sortant « qu’est-ce que c’était bien ! Si j’avais su qu’un jour j’aurais aimé suivre une conférence de maths ! » Lorsque l’on entend cela, nous avons réussi notre mission !

Nous souhaitions aussi intégrer le Labo Maths localement au sein de cette ville que nous apprécions. Je crois que c’est chose faite, puisque nous avons nos habitués. Le Labo Maths aide aussi à faire parler de la ville de La Châtre à travers les amateurs de mathématiques partout en France.

Je vous remercie pour cette interview accordée à MathémaTICE. Si vous souhaitez aborder d’autres points, je vous laisse la parole…

Nous craignons pour l’année à venir à propos de la pérennité des Labo Maths, suite aux annonces de notre Ministre à propos des formations. Nous échangeons beaucoup sur ce thème avec notre hiérarchie. Habituellement nous prévoyons notre année entre six mois et un an à l’avance mais pour l’année prochaine c’est compliqué de se projeter.

Autre sujet que nous souhaitions évoquer, c’est l’APMEP (Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public). C’est formidable association, nous permet de rencontrer des personnes remarquables, d’assister à des conférences et ateliers de qualité. En tant qu’amateur de mathématiques c’est très enrichissant et en tant que coordonnateur de Labo Maths, cela permet aussi de nouer des contacts pour des futures interventions.