Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Découverte de l’informatique sans utiliser d’ordinateur
Une expérience dans deux classes de sixième
Article mis en ligne le 17 avril 2017
dernière modification le 11 août 2018

par Maryline Althuser

L’auteure :

  • Maryline Althuser est professeur de Mathématiques à la cité scolaire Jean Prévost de Villard de Lans ( 38).

Cet article peut être librement diffusé à l’identique dans la limite d’une utilisation non commerciale suivant la licence CC-by-nc-nd

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L’activité « Télé-vision » que j’ai menée avec les élèves s’intègre dans la découverte de l’informatique par les élèves de Collège et a remporté le 1er prix du trophée Shannon 100.

Le trophée Shannon a été mis en place par l’institut Henri Poincaré et l’association Pasc@line à l’occasion du centenaire de la naissance de Claude Shannon.

Claude Shannon est considéré comme l’un des pères de la théorie de l’information. Il a étudié le traitement de l’information, sa numérisation et sa transmission sur les réseaux.

Les candidats à ce trophée devaient concrétiser avec des élèves la thématique de la théorie de l’information, c’est à dire de proposer une réflexion autour des notions d’algorithmique, d’encodage d’informations, de traitement de l’information, de qualité d’information ou bien d’échange de données. La remise des prix a eu lieu le 19 décembre 2016 au musée des Arts et Métiers à Paris, en présence de Cédric Villani.

Le travail qui a été mené ici concerne deux classes de 6ème du collège Jean Prévost de Villard-de-Lans (38), où je suis professeure de Mathématiques. Il s’agit de leur faire découvrir l’informatique sans utiliser d’ordinateur : l’informatique débranchée.

Cette activité permet, par la manipulation d’objets, de comprendre les concepts de codage binaire de l’information et ainsi de développer une connaissance concrète d’une notion abstraite. Avant l’activité, peu d’élèves connaissent le fonctionnement d’un ordinateur et cette activité permet d’introduire le codage binaire de l’information d’une manière détournée.

Les objectifs visés sont les suivants :

  • Travailler sur les notions de codage de l’information
  • Exploiter les bases de la numération
  • Faire émerger la nécessité d’une convention de codage
  • Découvrir les notions de code compresseur
  • Découvrir les notions de code correcteur

Le mode opératoire pour la mise en place de l’activité est important. En effet, on laisse les élèves se débrouiller en groupe et on ne les juge pas : la méthodologie « essai-erreur » est importante pour la construction des concepts en mathématiques et en informatique.

On les guide par notre questionnement pour que le groupe se mette d’accord. Le groupe doit être capable de fournir une explication commune, ce qui permet une mise à plat des incompréhensions et un travail commun sur le langage.

La vidéo qui suit montre la réalisation de ce travail en classe : https://youtu.be/gr0xSq_KytU

On la retrouve dans le détail de la deuxième séance [1].

1ère séance : transmission d’image avec des jetons bicolores

Dans cette activité, les élèves doivent se transmettre des images simples constituées de 25 pixels noirs ou blancs, comme celle-ci par exemple :

L’objectif est de transmettre cette image à son voisin en lui faisant passer les informations par des jetons de 2 couleurs. Nous choisissons sciemment de ne pas utiliser des jetons noirs et blancs, mais en couleur pour que les élèves se posent la question de la correspondance entre les couleurs du jeton et le noir et blanc de l’image.

L’un des élèves est l’émetteur, l’autre le récepteur. Les images à transmettre sont fournies par le professeur.

Les élèves doivent se mettre d’accord par binôme sur un code de transmission de l’information, puis ils se transmettent les jetons, un seul à la fois, sans parler et sans voir la grille de son voisin.

Une fois la transmission terminée (lorsque l’émetteur cesse d’envoyer des jetons), on vérifie qu’elle s’est faite correctement, sinon on essaye de déterminer les erreurs commises.

Lorsque les élèves ont changé de rôles et transmis plusieurs images, on change les groupes.

À la fin de l’heure, un bilan est fait afin de comparer les différentes conventions de codage choisies. On peut enfin interroger les élèves sur le nombre de jetons utilisés et tenter de diminuer cette quantité si cela semble possible.

Cette phase de bilan est importante, c’est à ce moment-là que les élèves vont confronter les différents codages. On demandera les codages proposés par chaque groupe en partant du plus simpliste au plus élaboré et en demandant à chaque fois le nombre de jetons nécessaires pour transmettre l’image et le sens de lecture de l’image.

Les codages proposés par les élèves tournent autour de 2 paramètres :

  • la couleur du jeton ( Vert ou Orange ) par rapport au Noir et Blanc de l’image. Ils n’ont que deux choix possibles. On leur posera alors la question suivante : « La couleur choisie sur le jeton pour faire passer du noir ( ou du blanc) a-t-elle une importance ? ». Ils constatent que choisir une option ou l’autre n’a pas d’importance pour le nombre de jetons transmis.
  • Le sens de lecture : certains groupes proposent une lecture de droite à gauche, d’autres le contraire, d’autres de haut en bas ou le contraire et certains proposent même une lecture en spirale. Les élèves de 6ème ne sont pas encore aussi normés que les adultes et s’autorisent plus de possibilités que le sens de lecture usuel. On peut alors les questionner de cette manière : « Y a-t-il des codages « meilleurs » que d’autres ? Et sur quels critères : rapidité, robustesse, facilité d’usage… ? »

On pourra ensuite proposer plusieurs questionnements :

  • Y a-t-il des images plus faciles que d’autres à transmettre (que du noir/blanc, beaucoup de noir…) ?
  • Pour des images particulières, peut-on réfléchir à des codages mieux adaptés ? On invitera les élèves à avoir une réflexion sur les images symétriques ou sur des images comportant des lignes ou des colonnes identiques.
  • Pour un algorithme donné, peut-on trouver des images impossibles, ou particulièrement pénibles à transmettre ?

À la fin de la 1ère séance, on fait le lien entre l’activité et la notion de codage binaire de l’information. Le professeur fait comprendre aux élèves que le travail qui a été effectué est en fait celui qui est fait par l’ordinateur : on doit transmettre une image (par mail par exemple ) à son camarade : l’ordinateur utilisé transmet cette image à un autre ordinateur uniquement en utilisant une information binaire ( 0 ou 1 : absence ou présence d’électricité ). Le fait de se mettre d’accord sur un codage commun est indispensable pour la bonne lecture de l’image. Les élèves comprennent que le codage 0 1 n’est qu’arbitraire et qu’on aurait pu en choisir un autre.

Les élèves ont compris que l’on peut représenter une information complexe (image) avec des objets très simples (suite de jetons bicolores). C’est la base du codage binaire de l’information, qui permet de stocker, transmettre et manipuler toutes sortes de représentations numériques dans une mémoire informatique. Ils ont aussi retravaillé la notion de symétrie pour essayer d’améliorer leur code.

Cette séance dure 1 h et se fait en classe entière.

2ème séance : compression de code

2ème séance transmission d’image avec des dés à 6 faces : compression de code

Le principe de l’activité est le même, mais on change d’objets : les élèves utilisent maintenant des dés à 6 faces. Les élèves vont maintenant aussi créer eux-mêmes les images à transmettre. Le déroulé de la séance est le même, mais on questionne les élèves :

Parviendrez-vous à utiliser le moins de dés possibles ?

Pendant la séance, on passe dans les groupes pour aider les élèves dans leurs recherches. On peut les questionner sur les points suivants :

  • Quel code avez-vous choisi ?
  • Combien de dés avez-vous utilisé ?
  • Est-ce que ce nombre sera le même si on change d’image ?
  • Est-ce que ce code fonctionne pour n’importe quelle image ?

À la fin de l’heure le bilan montre une grande diversité dans les codes choisis.

Le code choisi ci-dessus est :

1 NOIR

1 BLANC

Voici d’autres codes proposés par les élèves :

Une autre proposition faite par les élèves est celle d’utiliser les coordonnées : les élèves choisissent de coder uniquement les pixels noirs, par exemple, et le 1er dé donne le numéro de la ligne du 1er pixel, le 2ème dé donne le numéro de la colonne du 1er pixel etc...

La vidéo qui suit montre la réalisation de ce travail en classe : https://youtu.be/gr0xSq_KytU

La vidéo de la mise en activité des élèves rend bien compte de la diversité des codes trouvés par les élèves, ainsi que des apports de cette activité pour les élèves.

À la fin de l’activité, le bilan commun à toute la classe fait état des différents codes choisis et une réflexion est menée sur ces différents codes :

  • Quels sont les avantages de ces codes ?
  • Y a-t-il des images plus faciles que d’autres à transmettre ?
  • Pour des images particulières, peut-on réfléchir à des codages mieux adaptés ?
  • Pour un algorithme donné, peut-on trouver des images impossibles, ou particulièrement pénibles à transmettre ?

On peut travailler avec les élèves sur le nombre minimum de dés qu’il faut pour transmettre n’importe quelle image.

À la fin de cette 2ème séance, on fait le lien entre l’activité et la notion de code compresseur. La comparaison des codes proposés lors de la transmission avec des jetons avec ceux proposés lors de la transmission avec des dés permet aux élèves de constater que les dés ouvrent beaucoup plus de variantes de codage. Les élèves comprennent qu’une même information peut être codée de beaucoup de façons distinctes. Aucune n’est intrinsèquement meilleure, le plus important étant de se mettre d’accord sur une convention commune, sans quoi aucune transmission n’est possible. Les élèves sont contents d’avoir élaboré leur propre code et de l’avoir confronté à leur groupe. Ils ont essayé d’améliorer leur stratégie.

Le professeur fait ensuite l’analogie entre cette activité et les codes permettant la compression de données. On constate ici que le fait d’utiliser des dés permet la transmission d’un nombre moins important d’objets : en effet, on a trouvé plusieurs codes qui ont transmis le même message sans perdre d’information, mais avec un nombre plus limité d’objets. L’échange actuel de données numériques étant très important, il est nécessaire de pouvoir trouver des méthodes qui permettent de compresser les données transmises : c’est ce travail que les élèves ont effectué.

Cette séance dure 1 h et se fait en classe entière.

3ème séance : correction d’erreur

Pour cette dernière séance, on revient à l’utilisation des jetons bicolores et on constitue maintenant des trinômes d’élèves, dont les rôles sont les suivants :

émetteur / récepteur / transmetteur

Le rôle du transmetteur est explicité : Le transmetteur passe les jetons de l’émetteur au récepteur et peut modifier la couleur d’un jeton afin de brouiller le message. Il peut faire cette modification une seule fois par image !

Le déroulé de la séance est le même, mais on questionne les élèves : Quitte à modifier le codage, est-il possible de détecter et/ou de corriger l’erreur introduite par le transmetteur ?

On peut guider les élèves par un questionnement à chaque groupe :

  • Comment détecter une erreur ?
  • Quelle information faudrait-il avoir ?

Ils peuvent proposer de compter, par exemple, le nombre de cases noires, au total ou par ligne et colonne. On leur demandera alors comment ils comptent transmettre ce nombre à leur partenaire.

Le bilan à la fin de l’activité permet de montrer les différentes idées et de proposer aux élèves un exemple simple pour les images : le bit de parité de chaque ligne et de chaque colonne, qui permet de corriger un pixel erroné à coup sûr.

Vous pouvez trouver plus d’informations sur la méthode du bit de parité en consultant, par exemple, l’activité « TOUR DE CARTES » sur le site du groupe Informatique-sans-Ordinateur de l’IREM de Clermont-Ferrand

À la fin de la 3ème séance, on fait le lien entre l’activité et la notion de code correcteur. Les élèves comprennent qu’on peut corriger certaines erreurs en rajoutant des informations. Ils ont essayé de le faire de manière judicieuse.

Le professeur explique que la transmission actuelle de données utilise constamment des codes correcteurs, comme celui des « bits de parité ». En effet, la transmission de données se fait avec beaucoup d’erreurs, dues entre autres à un support défaillant, ou à une perturbation électromagnétique...Il est donc nécessaire de pouvoir les corriger automatiquement lors de la transmission de données.

Les élèves se sont réellement investis sur chacune des séances. Les élèves qui peuvent parfois être inattentifs en classe ou qui ne sont pas toujours motivés par la matière sont rentrés dans l’activité et ont interagis avec leurs camarades. Aucun élève n’est resté inactif. Le fait de manipuler les rend acteurs de leur apprentissage. L’entrée d’une activité par le jeu permet de mieux prendre en compte la diversité des élèves.

Les élèves ont été très enthousiastes quand je leur ai appris que nous étions sélectionnés pour recevoir un prix au Trophée Shannon et très fiers quand ils ont su que nous avions remporté le 1er prix. Je leur ai rapporté une dédicace de Cédric Villani et cela a été l’occasion d’une discussion en classe sur les Mathématiques actuelles et la recherche en Mathématiques. Les élèves reparlent souvent de cette activité, qui les a marqué. Ils se sont sentis fiers d’avoir gagné un prix national, du fait que j’aille à Paris pour le recevoir. Cela les a motivé pour le reste des apprentissages en Mathématiques.

L’informatique débranchée

À travers les trois étapes de cette activité, les élèves ont acquis des connaissances concernant le codage binaire de l’information, les codes compresseurs et les codes correcteurs. Ne pas utiliser l’ordinateur permet une compréhension accrue de la science informatique : Déconstruire l’informatique pour mieux la comprendre.

Le travail en groupe est aussi une notion fondamentale de cette activité : les élèves se sont mis d’accord sur une convention de codage, ils ont travaillé sur un vocabulaire commun et ont échangé entre eux sur ce code.

De plus cette activité est ludique, les élèves ont l’impression de jouer, de ne pas faire des maths.

Depuis 4 ans, je fais partie du groupe algorithmique de l’IREM de Grenoble. Ce groupe est constitué d’enseignants-chercheurs en informatique de l’Université Grenoble-Alpes ( notamment Anne Rasse, Jean-Marc Vincent et Benjamin Wack ), de professeurs de Mathématiques ( collège et lycée) et de Professeurs des Écoles. Le but de ce groupe de travail est de construire des activités pédagogiques testées en classe à destination des professeurs de Mathématiques.

L’apport réciproque des scientifiques et des enseignants est très enrichissant pour construire des scénarios pédagogiques qui ont l’assurance d’être à la fois solides scientifiquement et pédagogiquement. L’activité Télé-vision est une des activités mise en place par ce groupe de travail. Un résumé de ce travail et de toutes les activités produites par ce groupe est disponible sur le site de l’IREM de Grenoble

Le groupe algorithmique de l’IREM de Grenoble est aussi créateur de plusieurs formations depuis de nombreuses années. Cette année, nous avons mis en place :

  • Une formation à destination d’un groupe de formateurs en algorithmique et programmation. Ces formateurs ont ensuite dispensé cette formation à tous les professeurs de Mathématiques et de Technologie de l’académie lors de 2 journées l’année dernière et de 2 journées cette année.
  • sous le couvert de la Maison pour la Science ( qui dépend de fondation « la main à la pâte ») et inscrites au Plan Académique de Formation : nous proposons une formation pour les professeurs qui le désirent pendant 1 ou 2 journées dans toute l’académie sur le thème de l’informatique débranchée. La découverte de plusieurs activités d’informatique débranchée est proposée lors de ces journées.
    Le principe global de l’informatique débranchée est de créer des activités sur la base de manipulation des ficelles, des jetons, des plaques de bois...afin que les élèves découvrent un des concepts de l’informatique. Les activités se font pour la plupart en groupe, à partir de règles du jeu simples, pour stimuler la coopération et la communication. Les activités doivent être suffisamment guidées ( soit par le questionnement du professeur, soit par le questionnement de l’activité ) pour que l’élève intègre par lui-même le concept. On peut faire une analogie avec la situation de recherche en mathématique ( résolution de problèmes complexes), ainsi qu’avec la démarche scientifique présente dans toutes les disciplines scientifiques.

Les principaux buts de la mise en œuvre de ces activités sont d’une part de donner l’envie d’approfondir ses connaissances en poursuivant par exemple des études en informatique et, d’autre part, de donner à pratiquer en quoi consiste le travail scientifique.

En conclusion, j’ai trouvé ce travail très riche de par l’interaction que l’on propose aux élèves entre eux et avec nous. Notre posture d’enseignant change : on les accompagne autour d’un questionnement qui leur permet de s’approprier un nouveau concept. Ils apprennent en comprenant et en manipulant.