par Bernard Chrestien, Jean-Philippe Vanroyen
Introduction
Qu’elle soit professionnelle ou personnelle, l’utilisation des nouvelles technologies informatiques devient indispensable. Notre enseignement ne peut y échapper : l’ordinateur ou la calculatrice doivent faire partie intégrante de nos pratiques pédagogiques. D’ailleurs l’arrivée de nouveaux logiciels gratuits (voire libres) est propice à modifier nos pratiques.
Il y a plusieurs façons d’utiliser les outils TICE en classe : en salle informatique avec un élève par poste, en classe entière à l’aide du vidéoprojecteur ou encore à la maison dans le cadre d’exercices ou de DM, pour ne citer que les plus courantes. En particulier, un logiciel de géométrie dynamique et un tableur peuvent s’inscrire naturellement dans le cadre de devoirs à la maison puisqu’ils permettent de conjecturer (ou tout simplement d’illustrer remarquablement) certains résultats, résultats que l’élève démontre ensuite dans son devoir.
Mais quel que soit le type d’activité TICE considérée, cette activité gagne à être insérée dans une progression choisie par l’enseignant, progression pédagogique en premier lieu, mais également technique dans la mesure où il y a plusieurs niveaux de maîtrise pour chaque outil. Nous pensons que si ces activités sont bien choisies, l’utilisation en TP ou ponctuellement en classe, peut être profitable tant en gain de temps que pour la compréhension des notions abordées. C’est dans cette mesure que l’on peut vraiment parler d’intégration des TICE dans notre enseignement. Evidemment c’est facile à dire... Concrètement, comment mettre en œuvre une telle intégration ?
Une idée consisterait, pour faire émerger cette intégration, à essayer d’élaborer un scénario pédagogique s’étalant sur plusieurs semaines et mettant en œuvre les deux grands types d’outils, dans différents types d’activité.
Dans cet article, nous allons exposer un exemple de tel scénario. Ce scénario comporte 2 DM, 3 TP et de la vidéo-projection. Nous avons choisi les suites en terminale S. Ce scénario fut présenté lors d’ateliers à l’occasion des journées inter-académiques de Lille de décembre 2007.
Un premier TP
Avant d’enter dans le vif du sujet, rappelons les grandes lignes du programme de terminale S concernant les suites :
– les limites de suites : on montrera sur des exemples que l’étude sur calculatrice ou au tableur d’une suite permet de conjecturer des limites qui devront ensuite être justifiées.
– le raisonnement par récurrence : on s’appuiera sur un traitement tant numérique (avec outils de calcul : calculatrice ou ordinateur) que graphique ou algébrique.
– les suites adjacentes : cette notion sera introduite en liaison avec le calcul intégral : encadrement d’aires.
– le théorème de convergence des suites croissantes majorées : l’équivalence avec le théorème des suites adjacentes pourra faire l’objet d’un problème.
Pour commencer, le sujet 1 de la banque d’exercices 2006 est donné. C’est donc le premier TP de l’année traité par les élèves.
C’est probablement le sujet le plus connu et le plus discuté de la banque. La partie TICE est rapide et facile (dans l’ensemble, les élèves n’ont pas éprouvé trop de difficultés pour le calcul des termes) mais la partie mathématique est plus longue. C’est l’occasion de rappeler aux élèves quelques grands principes du tableur, de redéfinir le mot conjecture, de tester sa conjecture avec le tableur (souvent on note une absence du retour vers l’outil afin de vérifier la formule démontrée ou conjecturée), et d’amener le raisonnement par récurrence. La question 2b est donc traitée avec le professeur.
Notons que même si la particularité du nuage (forme parabolique) a bien été notée par la plupart des élèves, aucun n’a pensé à utiliser la factorisation a(x-x1)(x-x2).
Pour les utilisateurs d’Excel, il y a la possibilité d’afficher la courbe de tendance ainsi que son équation. Ces courbes de tendance sont normalement connues des élèves car elles sont souvent utilisées en SVT et en physique.
L’utilisation de la courbe de tendance pour cette activité n’est sans doute pas pertinent dans cette activité puisque le problème qui consiste à déterminer l’équation est un problème que les élèves doivent traiter.
Du point de vue des compétences Tice mise en oeuvre, il s’agit de savoir définir, puis de recopier une formule. Il faut ensuite construire un graphe d’un type donné à partir d’une plage de cellules.
Outre le fait que cette activité permet une introduction au raisonnement par récurrence, elle a également le mérite de fixer un cadre dans lequel on distingue les trois phases : construction, conjecture, démonstration.
Dans le cours, les élèves traitent l’exercice suivant :
Remarquons que le tableur n’est pas un outil pertinent pour ce genre d’exercice (très rapidement les entiers sont trop grands). Puisque les 7 ou 8 premières valeurs de la suite suffisent, une calculatrice convient parfaitement. C’est donc l’occasion de rappeler l’utilisation de la table de la calculatrice, et bien entendu de travailler la démonstration par récurrence.
Encore un TP
Dans le scénario original, nous proposions un DM comportant une partie TICE. Mais il est apparu que cette partie n’était pas simple et que le TP1 précédent ne préparait pas suffisamment les élèves au DM, dans lequel apparaît la somme des cubes des entiers. C’est pourquoi nous proposons d’intercaler le TP2 (éventuellement d’évaluation) suivant, utile à la résolution du DM.
Il s’agit du sujet 44 de la banque 2006.
Par rapport au TP précédent, la construction du tableau est plus délicate. Par exemple pour calculer 1, 1+2, 1+2+3, etc, on, peut décider d’utiliser la fonction somme. Ce qui nécessite alors la formule : SOMME($B$1:B2) que l’on recopie vers la bas dans la colonne B, ce qui n’est pas évident si les notions de références absolues et relatives ne sont pas maîtrisées.
Un premier DM comportant un peu de TICE
Le DM est alors donné. Il s’agit d’étudier deux suites adjacentes définies à l’aide des aires des rectangles encadrant l’aire sous la courbe de la fonction cube.
Il nous semble important de montrer l’animation GeoGebra avant que les élèves ne s’attaquent à ce devoir. Si c’est possible, on peut également mettre l’animation suivante en ligne, ce qui permet aux élèves de vérifier quelques résultats du DM. Cette animation très spectaculaire intéresse toujours vivement les élèves.
<geogebra|doc=1196>
Voici l’énoncé du DM
Par rapport au TP1 d’introduction, du point de vue des TICE, ce DM demande une maîtrise plus poussée du tableur (références relatives et absolues, fonctions…), ce qui pose pas mal de problèmes à de nombreux élèves. De plus il faut voir que la somme des cubes est égale à la somme des carrés des nombres triangulaires, ce qui est loin d’être évident pour les élèves. C’est pourquoi le TP2 nous semble finalement nécessaire. L’animation GeoGebra permet également une première prise en main du logiciel. Il est à noter que la partie TICE est très minoritaire.
La correction se fait à l’aide du videoprojecteur. Ce sera l’occasion de faire le point sur les connaissances utilisées pour le tableur, mais aussi de construire la figure avec GeoGebra (on pourra profiter de ce moment pour présenter les grandes fonctionnalités du logiciel).
L’animation GeoGebra est spectaculaire et intéresse vivement les élèves.
A cette occasion, une fiche résumant les commandes du tableur et de GeoGebra est donnée aux élèves.
Dans le cours, les définitions des suites croissantes, décroissantes, majorées et minorées sont données. Les résultats sur les limites de suites définies à l’aide d’une formule explicite (Un=f(n)) sont traités. Le théorème des gendarmes est également traité.
Il s’agit donc maintenant d’aborder les théorèmes de convergence (suites monotones majorées ou minorées, suites adjacentes). Avant de traiter ces points très importants du programme en cours, les élèves traitent le TP suivant :
TP de synthèse
La partie la plus délicate fut la première question, c’est pourquoi nous proposons de faire traiter cette question en exercice à la maison.
Ce TP réclame à la fois le tableur et Geogebra. Il introduit le théorème des suites monotones convergentes et la notion de suites adjacentes. Ce TP fournira les exemples pour le cours.
Ce TP n’est pas simple, mais le DM et les TP précédents, ainsi que la correction à l’aide de GeoGebra auront fortement contribué à une bonne compréhension des techniques nécessaires à mettre en œuvre dans ce TP. Il nous semble que pour pouvoir proposer un tel TP, un travail en amont est indispensable. Mais quand ce travail est fait, alors la partie TICE pose peu de problèmes et ce sont les démonstrations qui ont posé des problèmes de compréhension. La synthèse dans le cours des notions abordées n’a pas présenté de difficultés sur les exemples car ce sont ceux du TP.
Un second TM
Ces diverses illustrations de l’utilisation des TICE peuvent être prolongées en un DM faisant découvrir la notion de primitives de certaines fonctions de références, en particulier d’une fonction affine et de la fonction inverse.
La figure suivante (que l’on demande de construire) permet de mettre en évidence la fonction donnant l’aire sous la courbe représentative d’une fonction affine et permet de faire remarquer que la dérivée de cette fonction n’est autre que la fonction affine initiale.
D’où une conjecture simple qui s’impose.
<geogebra|doc=1212>
Par la suite, on fait démontrer ce résultat pour la fonction inverse. Ainsi on montre l’existence de la fonction logarithme népérien vérifiant la propriété ln(ab)=ln(a)+ln(b).
Les élèves pourront envoyer leur fichier GeoGebra par mail.
Ce DM est une proposition pour clore ce scénario mais il n’a pas été testé.
En guise de conclusion
L’avantage d’une scénarisation est double.
En premier lieu, la mémorisation des techniques utilisées est meilleure que dans le cas d’activités isolées et décontextualisées. En second lieu, une scénarisation favorise une intégration (donc harmonieuse...) des « activités TICE » dans les séquences d’enseignement. Or, souvent, quand il y a une telle intégration, on constate qu’il n’y a pas de perte de temps, puisque le temps « perdu » devant la machine permet une illustration, une approche, un éclairage différents de certains concepts vus parallèlement dans le cadre traditionnel du cours. La compréhension s’en trouve souvent améliorée, facilitée. Dans ces conditions, il nous semble difficile de parler de « temps perdu ».
Nous ne pouvions pas achever ce scénario sans faire un bilan : les élèves ont-ils retenu les techniques, assimilé quelques grands principes ? La réponse est oui. Nous avons proposé aux élèves ayant suivi ce scénario, une épreuve similaire à celle qui entrera peut-être en vigueur l’année prochaine. Les résultats sont concluants, puisque l’on note un début de maîtrise satisfaisante des outils TICE pour la plupart des élèves, bien que la partie démonstration reste toujours difficile pour les élèves faibles. Malgré l’appréhension d’une épreuve TICE sur un sujet inconnu, les élèves ont montré un certain intérêt et une motivation pour la passer. Ce fut en effet pour eux l’occasion de faire le point sur leurs compétences dans la maîtrise de quelques techniques (un majorité de tableur pour ce scénario). Mais cela leur a également permis de découvrir de « nouvelles compétences » les amenant vers les notions souvent mal comprises du programme de TS et vers la résolution de problèmes. Il reste que assurer trois TP en l’espace de quelques semaines nécessite une volonté et un investissement évident de la part du professeur. Pour de nombreux élèves, les bases nécessaires à une entrée rapide dans le vif du sujet ne sont pas là. S’ajoutent donc aux difficultés inhérentes à ces TP, de très nombreuses difficultés techniques, qu’il est très difficile de combler en quelques semaines, à moins de prendre le temps de le faire, mais c’est du alors du temps pris sur d’autres choses également importantes. C’est pourquoi il très important qu’un travail en amont soit effectué. Les « compétences TICE » doivent être développées assez tôt dans l’enseignement des mathématiques, dès le collège, afin qu’en terminale le professeur n’ait pas l’impression qu’en plus de son programme, il lui est nécessaire d’initier les élèves aux logiciels. Du point de vue de la maîtrise des outils, la future épreuve doit être perçue comme un aboutissement d’un travail et d’un apprentissage s’étalant sur tout le second cycle.