Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Recension du livre « Le lycée en régime numérique »
Usages et compositions des acteurs. Auteur(s) : COTTIER Philippe, BURBAN François (dir.)

Le lycée en régime numérique - Usages et compositions des acteurs
Auteur(s) : COTTIER Philippe, BURBAN François (dir.)

Editeur(s) : Éditions Octarès
coll. Formation, 234 pages, 25€
ISBN : 978-2-36630-057-4
Année d’édition : 2016 (paru en octobre 2016)

Article mis en ligne le 10 février 2017
dernière modification le 25 février 2017

par Benjamin Clerc

Près de 50 ans après la première expérimentation d’introduction de l’outil informatique en milieu scolaire (1970-1980 : l’expérience des 58 lycées) [1], le ministère de l’Éducation Nationale poursuit sa politique d’impulsion par le haut de l’utilisation des outils numériques. Dans cet ouvrage collectif, des chercheurs en sciences de l’éducation s’intéressent plus largement aux acteurs de la sphère lycéenne et leurs relations avec le numérique.

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La préface de Georges-Louis Baron, l’un des auteurs de DIX ANS D’INFORMATIQUE DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 1970-1980 précise au sujet de cet ouvrage :
"Il vient à point nommé, comme un jalon important dans la série de recherches s’intéressant à l’analyse de ce qu’il advient des technologies de l’information et de la communication au niveau du lycée.
Il a pour intérêt d’analyser de manière cohérente la situation au début de la décennie 2010, en mettant en perspective ce qui relève des différents instruments et types d’acteurs et des structures d’autorité organisant l’action de ces derniers. [...] On y trouve des informations nouvelles, bien établies, qui permettent de penser les changements en cours et les contradictions à l’œuvre dans des systèmes d’activité bien régulés mais tolérant l’informel. Ces informations serviront aussi assurément de référence pour les recherches à venir."
Georges-Louis Baron replace les constatations recensées dans ce livre dans l’historique des quarante-cinq dernières années de politiques éducatives autour du numérique, années pendant lesquelles les politiques numériques se sont succédées, sans que le système éducatif suive au plus près le rythme imposé. Dans ce contexte, le couple innovation/recherche constitue un cadre privilégié de la réflexion et de l’évolution professionnelle, un cadre dans lequel s’inscrit pleinement cet ouvrage.

L’introduction de l’ouvrage, « Saisir le fait numérique au lycée », est l’œuvre de ses deux coordonnateurs : Philippe Cottier et François Burban.
En ce début de XXIe siècle, le lycée n’échappe pas à un mouvement généralisé de propagation massive et accélérée de technologies numériques. Ordinateurs, tableaux interactifs, tablettes tactiles, environnements numériques de travail, manuels scolaires numériques se sont installés dans le quotidien des enseignants et des élèves, mais aussi des administratifs.
Comment ces technologies sont-elles utilisées ? Ont-elles une utilité pour l’enseignement et les apprentissages ? Que produisent-elles ? Au-delà des pré-supposées vertus du numérique pour les apprentissages et leurs opposées critiques dénonçant leur inefficacité, que sait-on vraiment de ce que font les protagonistes de l’enseignement et les élèves de ces technologies et des commentaires qui les accompagnent ?
Au travers de références théoriques diverses, par des approches quantitatives et qualitatives, cet ouvrage s’intéresse d’abord aux acteurs de la sphère lycéenne. Il donne une large part à la parole des lycéens, enseignants, conseillers principaux d’éducation et chefs d’établissements qui ont été rencontrés et observés dans leurs activités quotidiennes par des chercheurs en sciences de l’éducation.
Cet ouvrage collectif dessine une représentation d’ensemble de ce qui se joue au lycée en régime numérique. Il est découpé en quatre parties, s’intéressant successivement au regard sur les pratiques lycéennes, aux identités et pratiques enseignantes, au point de vue des personnels d’éducation et de direction face aux environnements numériques de travail (ENT), et enfin aux relations entre usages et prescriptions au sein des établissements.

Première partie : Pratiques lycéennes
Chapitre 1 : Philippe Cottier, Christophe Michaut et Sandrine Lebreton, « Usages numériques et figures des lycéens au travail. »

Ce chapitre examine les usages numériques des lycéens lors de leur travail personnel, il étudie les liens entre ces pratiques, leur situation personnelle et leur scolarité.
La recherche dont il est question ici s’appuie sur 1618 questionnaires et 19 entretiens réalisés auprès de lycéens issus de 71 lycées d’une même académie.
Les auteurs proposent alors de ranger les lycéens, en fonction de leur moyenne au DNB et du temps de travail personnel qu’ils consacrent en moyenne hors la classe, en quatre catégories : Oisifs, Laborieux, Dilettantes et Productifs.
En conclusion les auteurs notent que « On est loin par conséquent de l’image d’une jeunesse aux pratiques numériques marquées par des usages propres à une génération. » ou encore « Un accompagnement, une formation des élèves et en amont des professeurs serait sans doute un préalable nécessaire si l’on veut réduire une fracture numérique qui ne relève aujourd’hui quasiment plus des équipements. »

Chapitre 2 : Christine Vidal-Gomez, Philippe Cottier et Claire Dagorn, « Les travaux personnels encadrés, candidats à l’étude des usages numériques des lycéens. »

Dans un contexte où les adolescents sont de grands consommateurs de ressources numériques, les TPE ont paru constituer aux yeux des auteurs un « candidat idéal » à l’étude des usages numériques scolaires. Ils nécessitent en effet coordination, communication synchrone et asynchrone, recherche documentaire, mise en commun et élaboration de contenus multisupports, etc. Ils ont fait l’hypothèse que la réalisation du TPE leur permettrait d’observer des usages de ressources numériques.
Ils ont pu constater que « l’usage du numérique pour réaliser un travail scolaire ne va pas de soi pour les lycéens. », « L’analyse des ressources utilisées pour réaliser le TPE met en évidence la fragilité des systèmes d’instruments constitués par les lycéennes observées : ils sont peu fiables et peu robustes pour faire face aux aléas. », « Les enseignants ne sont pas ou peu formés à la gestion de projets et aux usages numériques en situation de collaboration. »

Chapitre 3 : Élisabeth Schneider, « Écritures lycéennes et numériques – Quelles formes de spatialisation ? »

L’auteure montre que les pratiques d’écriture des adolescents sont souvent invisibles aux enseignants, elles s’inscrivent, du point de vue de l’adolescent, dans une continuité entre supports papiers et numériques, en classe et hors de la classe (dans les transports en commun, au domicile, ...). Il y a avantage à ne pas considérer ces pratiques d’écriture selon une rupture que le discours sur la révolution numérique a contribué à construire. « Les écrits scolaires et non scolaires, en ligne/hors ligne s’organisent dans un continuum de pratiques d’écriture qui montre que la vie adolescente est tramée d’écrits. »

Deuxième partie : Identités et pratiques enseignantes au révélateur du numérique
Chapitre 4 : Isabelle Harlé et Xavière Lanéelle, « Disciplines et numérique, des influences réciproques. »

Partant du constat qu’il y a des explications multiples à la diversité des usages :

  • Le manque ou l’inadéquation des formations
  • Des équipements insuffisants, des locaux inadaptés
  • Des réticences face à la technique

Les auteurs questionnent :

  • La discipline agit‐elle sur les usages ? Et comment ?
  • Quel impact a le numérique sur les disciplines ?
    L’analyse s’appuie sur :
  • La sociologie des curricula ;
  • La sociologie des usages scolaires du numérique
  • L’analyse de contenu de 49 entretiens semi‐directifs menés par les auteurs auprès d’enseignants de divers établissements.
    Les auteurs en viennent alors à classer les enseignants en quatre catégories :
  • Les papurophiles : Ils aiment le contact avec le livre et sont de faible utilisateurs du numérique.
  • Les incrémenteurs : Ils ont des pratiques numériques par obligation ou par commodité, mais le format page et la pédagogie verticale, la transmission magistrale restent dominantes.
  • Les explorateurs : Ce sont des convertis, ils cherchent à individualiser les tâches par la technique, à favoriser les interactions entre élèves dans et hors l’école
  • Les architectes bâtisseurs : Ils construisent des scenarii pédagogiques procéduraux, des ontologies fondées sur les traces informatiques.

Les auteurs ont pu constater qu’il y avait bien un « effet discipline » mais la discipline scolaire ne saurait être une catégorie d’analyse totalement pertinente. En effet, les frontières sont brouillées. Diverses configurations se retrouvent dans une même discipline, les enseignants ne sont pas mono‐appartenant, d’autres facteurs jouent un rôle aussi important. Les TIC auraient‐elles bouleversé les identités disciplinaires ?

Chapitre 5  : Renaud Hétier et Philippe Cottier, « L’innovation pédagogique en contexte numérique ».

La place de l’innovation apparaît comme une question essentielle, avec la volonté de transférer dans le contexte scolaire les usages de technologies socialement bien diffusées. L’innovation est souvent le fruit d’une démarche personnelle, voire militante, mais qui, ne concernant pas que les technophiles, peut conduire à renouveler directement la pratique de la classe, à la recherche de « la facilitation et la densification de la communication ». L’innovation trouve son terreau dans l’enrichissement des contenus, l’individualisation et le développement d’échanges dégagés des contraintes spatio-temporelles. Pour autant, conduire des activités innovantes demande un surcroît de travail et ne constitue pas une solution miracle pour réduire les inégalités. Si les équipements personnels ont largement progressé, de fortes disparités apparaissent maintenant à propos des débits, et surtout des usages sociaux du numérique, largement différents d’une famille à l’autre, d’un milieu à l’autre.
Progressivement, les tableaux interactifs, les réseaux, les espaces numériques de travail, etc., façonnent un espace professionnel différent à l’école, pour certains par simple genèse instrumentale et pour d’autres dans un processus plus complexe d’innovation, pouvant impliquer une véritable mutation pédagogique.

Troisième partie : Les conseillers principaux d’éducation et les chefs d’établissement face aux environnements numériques de travail
Chapitre 6 : Thérèse Perez-Roux, « Les CPE à l’heure des ENT : quels remaniements identitaires ? »

Pour les équipes de direction et d’éducation (notamment les CPE), le numérique intervient notamment comme une palette d’outils au service de la scolarité de l’élève et de l’établissement. L’ENT, puisque c’est le plus souvent de lui qu’il s’agit, « propose des services censés faciliter le travail du CPE ». S’il est considéré par certains comme un moyen de gagner du temps sur la gestion traditionnelle de la vie scolaire pour se consacrer davantage à la mission d’éducation, l’usage en tant qu’outil de communication est plus controversé, considéré à la fois comme un moyen de développer les échanges, mais aussi de les appauvrir.

Chapitre 7  : François Burban, « Les chefs d’établissement : réception et mise en œuvre des politiques publiques en faveur du numérique scolaire« Pour les personnels de direction, le numérique est également perçu comme un outil professionnel dédié à la gestion, à la communication et au pilotage, quelquefois vu comme une réponse à la surcharge de travail, mais il est aussi source de projets dans lequel l’équipe de direction peut jouer tout son rôle managérial, au service du changement. Pour le chef d’établissement comme pour le CPE, le numérique conduit à renouveler le contexte professionnel, avec de nouvelles divisions du travail. L’ENT est évidemment une des préoccupations majeures en termes de conduite du changement, entre nouveaux moyens et préservation de continuités professionnelles. Si le volet dédié aux services de gestion et de vie scolaire intéresse directement les personnels de direction et d’éducation dans leurs pratiques quotidiennes, c’est à l’équipe de direction que revient la responsabilité d’impulser le développement de nouvelles pratiques enseignantes, y compris sur les aspects directement pédagogiques : »diriger, persuader, enrôler, déléguer". L’ENT est appréhendé comme un levier puissant pour donner une dynamique à l’établissement.

Quatrième partie : Usages, prescriptions numériques et dynamiques professionnelles
Chapitre 8 : Thérèse Perez-Roux, « Numérique, dynamique d’établissement et dynamiques identitaires d’acteurs au lycée Le Corbusier »

Les dynamiques sont l’objet de ce chapitre qui s’attache à décrire les aspects identitaires sous-jacents pour chacun des acteurs et leur contribution au fonctionnement global, « entre management, culture d’établissement et questions de formation ». Concertation inter-catégorielle, réflexion collective, ou encore participation sont mobilisées, bien davantage que la conduite du changement qui sous-tend les orientations politiques nationales. L’ENT, objet de ces échanges, en devient aussi un vecteur, scellant ainsi une forme de première appropriation. Si la formation est citée, ses formes traditionnelles laissent de nombreux acteurs sur leur faim. L’autoformation, et sans doute plus encore la participation aux controverses professionnelles liées au numérique et aux processus d’innovation, constituent de puissants facteurs d’évolution de l’identité professionnelle.
L’arrivée de l’ENT vient bousculer, ou au moins interroger, les outils, dispositifs et autres plateformes déjà utilisés, certains laissant « naturellement » la place à l’ENT, alors que d’autres s’installent plutôt dans des formes de collaboration et de complémentarité, quelquefois de concurrence.

Chapitre 9  : Xavière Lanéelle, « Tensions entre innovations et prescriptions numériques au lycée Archimède »

Ce chapitre s’intéresse à la réception de l’ENT par les différents acteurs d’un même lycée. Comment cet ENT, produit d’une logique politique nationale et académique, se trouve-t-il confronté aux dispositifs locaux installés au préalable ? Comment l’ENT est-il perçu ? Entre-t-il en tension avec les logiques des personnes et comment ?
L’auteur met ici en évidence que les enseignants estiment que l’ENT contredit les principes républicains de liberté et de démocratie, sans que cela augmente l’efficacité pédagogique et didactique. L’introduction de l’ENT est vécue comme une épreuve, un révélateur de désaccords et de tensions.

Postface, Éric Bruillard.
Alors que Georges-Louis Baron installait, dans sa préface, le propos dans la perspective historique de quarante-cinq années de politiques publiques en matière de numérique scolaire, Éric Bruillard situe sa postface dans le cadre de la politique de refondation de l’École, initiée en 2013.
Au-delà de l’École, la révolution numérique touche largement les jeunes dans leur vie personnelle, modifiant radicalement le contexte de développement des usages. Et Éric Bruillard souligne une des qualités majeures de cet ouvrage, qui offre une image des acteurs, jeunes et adultes, bien éloignée des clichés. Les usages pauvres ou déviants comme les mésusages, souvent mis en avant jusqu’à occulter tout le reste, ne sont pas absents, mais ils sont ici resitués à leur juste place, aux côtés d’usages construits et responsables.

Avec « Le Lycée en régime numérique », Philippe Cottier et François Burban proposent plusieurs approches de la réalité numérique au lycée, loin des raccourcis simplistes qui sont le plus souvent utilisés. La politique top-down du ministère de l’Éducation Nationale, particulièrement dans le domaine du numérique, complexifie les rapports avec les personnels en charge de leur mise en œuvre. Éric Bruillard propose d’interroger les évolutions en cours sous l’angle de la « translittératie », comme un moyen de mieux comprendre la complexité que l’ouvrage met en évidence, afin d’être capable de mieux tirer parti des « nouveaux modes de pensée soutenus par une instrumentation renouvelée et plus puissante ».
Les résistances traditionnellement mises en avant (techniques, pédagogiques, sociales, professionnelles, etc.) sont bien décrites par les différents auteurs ou interlocuteurs, mais la place qu’elles prennent n’occultent pas les dynamiques plus positives.

Bibliographie