Fernand Alfred MALONGA MOUNGABIO
fernand.malonga@umng.cg
ENS, Université Marien Ngouabi
Espoir MEMOUGAM
espoirzezong@gmail.com
Lycée de la Révolution
NDLR : pour faciliter la navigation dans l’article, les blocs sont repliables et le sommaire en haut d’article permet d’accéder à chacune des parties.
Nous rapportons ici quelques éléments d’une expérimentation réalisée au Congo-Brazzaville avec des élèves de première scientifique, série C [1]. La notion de fonction numérique a été retenue en raison de son importance dans les programmes de mathématiques au lycée au Congo. Dans ces programmes, nous constatons que l’approche préconisée pour l’étude des fonctions laisse peu de place au développement des compétences graphiques ou visuelles des élèves. Cette étude permet de montrer l’importance d’un environnement informatique comme WIMS pour l’étude de la dérivée graphique
L’étude des fonctions commence dès la fin du collège [2] en classe de troisième. Les fonctions linéaires sont introduites en lien avec les situations de proportionnalités. Ce travail se poursuit au lycée d’abord en classe de seconde où le principal objectif est de caractériser et de représenter graphiquement une fonction (Programme de 2nd C 2002).
En classe de Première C, il est attendu que l’élève soit capable d’identifier et de mettre en œuvre les éléments d’étude d’une fonction afin de la représenter graphiquement. Ce travail sur les fonctions conduit l’élève à respecter les étapes suivantes : précision de l’ensemble de définition de la fonction, détermination du sens de variation et des extremums, représentation de la courbe.
Cependant, cet enseignement peut être enrichi par d’autres approches qui ne sont pas envisagées par les programmes. Les connaissances acquises par les élèves à ce niveau d’étude peuvent servir d’explorer différents schémas de la figure 1 ci-dessous.
À partir de la figure 1 ci-dessus, nous pouvons souligner des schémas possibles pour une étude des fonctions :
Le tableau de variation sert de registre intermédiaire pour passer du registre algébrique (expression algébrique de la fonction) au registre graphique (courbe).
Le schéma 1 est celui qui est souvent mis en avant dans les classes de première C. L’étude d’une fonction se termine par sa représentation graphique. La courbe étant obtenue, il est rare que les enseignants interrogent leurs élèves sur d’autres schémas, par exemple, sur la relation entre la courbe d’une fonction dérivable sur un intervalle et la courbe de sa fonction dérivée (schéma 4).
Le type de travail suscité par le schéma 4 nous intéresse ; il relève d’une étude qualitative des fonctions et est favorable au développement des compétences de visualisation et à la pratique de l’argumentation.
L’utilisation d’un environnement informatique pour la gestion des graphiques nous semble nécessaire. D’où notre recours à la plate-forme WIMS (Web Interactive Multipurpose Server) et au boîtier Gigabyte Brix GB-BXBT-28071. Nous apportons quelques précisions sur ces deux outils technologiques.
Notre but ici n’est pas de présenter l’environnement de WIMS ; d’ailleurs nous prenons pour notre compte diverses réflexions déjà menées sur l’utilisation de WIMS dans les classes par A. Gnansounou (2018), L. Nono Tchatouo & Y. Tchaptchie Kouakep (2016), R. Mangeard (2008), F. Vandebrouck & C. Cazes (2005), M-J. Ramage & B. Perrin-Riou (2004), F. Guerimand (2003).
WIMS est un outil d’apprentissage en ligne qui, en utilisant un navigateur Internet, permet d’accéder à une base d’exercices interactifs et de créer des classes virtuelles. Il offre plusieurs fonctionnalités à l’enseignant pour la gestion de sa classe.
L’utilisation de WIMS nécessite l’accès à Internet qui n’est pas garanti dans la plupart des établissements en République du Congo. Ceci justifie notre recours aux boîtiers Gigabyte Brix GB-BXBT-2807, chacun jouant le rôle de micro-serveur, dans lequel on y a installé WIMS et un dispositif de connexion à distance (wifi).
Les micro-serveurs Gigabyte permettent d’accéder, hors connexion internet, par réseau wifi ou câblé à :
Les lycées que nous avons choisis pour faire passer notre expérimentation sont tous dotés de salles informatiques.
Le micro-serveur Gigabyte est choisi pour pallier au problème de connexion Internet. Une fois alimenté par le courant électrique, il suffit de le lancer à l’aide du bouton d’alimentation, au bout de moins d’une minute, le SSID (nom du réseau) apparaît parmi les réseaux wifi disponibles. Ensuite, lancer un navigateur sur l’URL, on saisit l’adresse http://10.42.0.1 et on arrive à la page d’accueil.
Pour lancer WIMS, on utilise le second lien du menu de droite et on arrive à la page suivante.
Notre problématique consiste à examiner les modalités d’intégration d’une étude qualitative des fonctions numériques en première C.
Pour cette étude, notre attention s’est portée particulièrement sur des situations conduisant à la mobilisation des compétences de visualisation et à la pratique de l’argumentation. Plus précisément, nous nous intéressons au travail soumis à des élèves des classes de première C consistant à déterminer la dérivée graphique d’une fonction [3], c’est-à-dire, à partir des informations issues du graphe d’une fonction dérivable, trouver le graphe de la fonction dérivée. Ce type d’activité, de nature graphique, impose aux élèves de lycée un changement de point de vue sur le lien entre une fonction et sa dérivée.
Ainsi nous nous posons quelques questions :
En nous appuyant sur les différents schémas décrits plus haut (voir figure 1), nous avons mis en place une expérimentation consistant à soumettre à quelques élèves de première C des situations correspondantes aux différents schémas [4]de la figure 1.
Établissement |
Effectif |
Lycée de la Révolution | 50 |
Lycée SDB/A | 50 |
Lycée Massengo | 50 |
EMPGL | 30 |
Total | 180 |
L’expérimentation comporte deux étapes.
Le but de cette étape est d’évaluer les capacités des élèves à mobiliser leurs connaissances pour interpréter les éléments de la courbe d’une fonction ou de la fonction dérivée.
On propose aux élèves des quatre lycées des situations relevant des Schémas 2 et 3. Une série de 3 situations est constituée pour chacun des deux schémas.
Situation 1 Justification : |
![]() |
Pour cette situation, il est attendu que l’élève applique la réciproque d’un résultat de cours :
« Soit $f$ une fonction dérivable sur un intervalle $I$. Si $f$ est croissante sur $I$, alors pour tout $x\in I$ on a $f’(x)\geqslant 0$ »
Il suffit de constater que la courbe de la fonction dérivée est négative (car elle se situe en dessous de l’axe des abscisses) sur l’intervalle $] -4 ; 3]$ pour déduire la décroissance de $f$.
Nous présentons dans le tableau 2 ci-dessous, les résultats des élèves relatifs à la situation 1 du schéma 2.
Établissement |
Réponse correcte |
Réponse incorrecte |
Total |
Lycée de la Révolution | |||
Lycée SDB/A | |||
Lycée Massengo | |||
EMPGL | |||
Total |
Le tableau 2 montre un taux de réussite très faible des élèves pour cette situation 1 : on compte 134 mauvaises réponses contre 46 bonnes réponses. La plupart des réponses erronées relèvent d’une confusion entre le sens de variations de la fonction dérivée $f’$ avec le sens de variations de la fonction primitive. Sur les 134 élèves ayant fourni une mauvaise réponse, 110 élèves (soit 80%) considèrent que la fonction $f$ est décroissante sur l’intervalle $[0 ; 2]$. C’est le cas de l’élève dont la production est donnée ci-dessous.
Pour cet élève, « une fonction varie dans le même sens que sa fonction dérivée », ce qui est totalement faux. L’élève considère le fait que la fonction dérivée $f’$ soit décroissante sur l’intervalle $[0 ; 2]$ implique la décroissance de la fonction $f $sur le même intervalle. Le mode de justification de l’élève est graphique et ne répond à aucun théorème vu en cours.
D’une manière générale, les élèves éprouvent des difficultés à exploiter les différents graphiques pour réaliser l’ensemble des trois situations qui leur sont soumises.
Le tableau 3 ci-dessous représente les résultats des élèves sur les trois situations proposées pour le schéma 2.
Réponses correctes |
Réponses incorrectes |
% de réponses incorrectes | |
Situation 1 | |||
Situation 2 | |||
Situation 3 |
Situation 1 Justification : |
![]() |
« Soit $f$ une fonction dérivable sur un intervalle $I$. Si $f$ est décroissante sur $I$, alors pour tout $x\in I$ on a $f’(x)\leqslant 0$ »
D’après le graphique, la fonction $f$ est décroissante sur l’intervalle $I = ]-3 ; -2]\bigcup [0 ; 2]$. On peut donc déduire le signe de $f’$ sur cet intervalle.
Nous représentons dans le tableau 4 ci-dessous, les résultats des élèves relatifs à la situation 1 du schéma 3.
Établissement |
Réponses correctes |
Réponses incorrectes |
Total |
Lycée de la Révolution | |||
Lycée SDB/A | |||
Lycée Massengo | |||
EMPGL | |||
Total |
Cet élève choisit la réunion d’intervalle où la fonction $f$ est négative et considère que la fonction dérivée est aussi négative sur le même intervalle.
On peut aussi noter un raisonnement proche de celui-ci, tenu par 25 élèves qui considèrent que le bon intervalle où la dérivée est négative est la réunion d’intervalle $[-3 ; -2] \bigcup [1 ; 2]$. On remarque que dans cette réunion d’intervalle la fonction est décroissante et négative.
Finalement, pour le pourcentage de réussite de l’ensemble des trois situations pour ce schéma 3 est faible. Le tableau 5 ci-dessous représente les résultats des élèves sur les trois situations proposées.
Réponses correctes |
Réponses incorrectes |
% réponses incorrectes | |
Situation 1 | |||
Situation 2 | |||
Situation 3 |
Nous constatons que le taux de mauvaises réponses est au-delà de 50% pour chacune des trois situations : le nombre de mauvaises réponses est toujours supérieur à celui des bonnes réponses.
Cette deuxième étape commence par une phase d’appropriation des fonctionnalités de la plate-forme WIMS. Cette phase se fait sans difficultés dans les quatre établissements. Les élèves sont conduits à se connecter au micro-serveur pour explorer la plate-forme WIMS, notamment l’inscription dans une classe virtuelle et l’exploration des feuilles d’exercices.
Une classe virtuelle est un espace privé sur le serveur WIMS, protégé par des mots de passe. L’enseignant, « auteur » et responsable de la classe, y propose du travail à ses élèves, essentiellement des exercices avec variables aléatoires et corrections automatiques. Les élèves d’un établissement s’inscrivent et travaillent dans la même classe virtuelle créée pour la circonstance.
À partir de cette classe virtuelle, l’enseignant peut également dialoguer avec les élèves (message du jour, forum, cahier de texte, questionnaires...) et suivre leur travail (notes, statistiques d’activités).
Dans une classe virtuelle, l’enseignant crée des feuilles pour y mettre des exercices et des documents qui sont soit importés dans une classe virtuelle à partir des ressources disponibles dans la base WIMS, soit créés par l’enseignant directement dans sa classe virtuelle.
Les élèves travaillent sur une feuille d’exercices qui contient une série de dix exercices noté chacun sur 10 et qui portent sur la reconnaissance graphique de la dérivée d’une fonction d’une variable réelle.
Au préalable, l’enseignant procède à quelques réglages de paramètres.
La structure de WIMS permet d’analyser individuellement le comportement des élèves, et de proposer des activités adaptées à chacun d’eux selon le niveau de difficultés. En effet, WIMS permet de gérer les traces laissées par les travaux des élèves, notamment la durée passée au traitement de la situation et le nombre d’essais réalisés.
Les élèves sont invités à interagir avec l’interface de WIMS en traitant des situations contenues dans des feuilles d’exercices.
Nous présentons dans l’encadré 6 ci-dessous. Un exemple de situation qui consiste à déterminer, à partir de la courbe d’une fonction $f$, la courbe sa fonction dérivée.
On peut remarquer que la fonction $f$ atteint un maximum local en $x_0 \in [-0,5 ; 0]$ et un minimum local en $x_1 \in [0,5 ; 1]$.
Deux propriétés peuvent être utilisées ici pour trouver la courbe de la fonction dérivée :
À la fin d’une activité réalisée sur WIMS, on peut accéder aux détails des résultats obtenus par un élèves. On peut aussi accéder aux données brutes.
Nous présentons dans l’encadré 7 ci-dessous un extrait des résultats bruts d’un élève. La réussite de l’exercice donne un score égal à 10 et l’échec correspond à un score égal à 0.
Les deux premiers essais ne sont pas réussis par cet élève ; le score indiqué est égal à 0. Cependant, le serveur indique 10 pour les 3 scores suivants.
L’amélioration des résultats de l’élève peut se justifier par le recours à la fonction aide proposée par le serveur WIMS. En effet, le bouton « Aide » situé en bas et à droite de chaque exercice renvoie à un rappel de cours.
Nous représentons ci-dessous, les détails du travail de l’élève après dix essais.
L’élève obtient une note de 7,75 sur 10. Cette note s’obtient automatiquement grâce aux dispositifs de calcul intégrés dans WIMS ; elle dépend du nombre d’exercices traités.
De plus, l’élève obtient une note de qualité qui est de 4,27 sur 10. Cette note de qualité est influencée par le dernier résultat obtenu et dépend aussi du nombre d’exercices traités.
Nous avons accédé aux détails des travaux chaque élève. Dans le tableau 6 ci-dessous, nous représentons le nombre de mauvaises réponses par exercice et par établissement.
Ex1 |
Ex2 |
Ex3 |
Ex4 |
Ex5 |
Ex6 |
Ex7 |
Ex8 |
Ex9 |
Ex10 | |
Lycée de la Révolution |
||||||||||
LSD/A |
||||||||||
Lycée Massengo |
||||||||||
EMPGL |
Nous remarquons que les premiers essais n’ont pas été réussis par la plupart des élèves. Cependant, on note une amélioration progressive des résultats. Par exemple sur les 50 élèves du lycée de la Révolution, 40 n’ont pas réussi les trois premiers exercices contre 5 seulement pour le dernier exercice.
Selon le graphique 1, l’exercice 1 est le moins réussi des dix. Les scores s’améliorent considérablement à partir de l’exercice 8. On remarque que tous les élèves de l’EMPGL ont réussi l’exercice 10.
Deux facteurs importants concourent à l’amélioration des résultats.
Cette étude a permis de mettre en évidence les difficultés des élèves sur le traitement graphique de la fonction dérivée. Les élèves ont la connaissance des propriétés concernant la relation entre le signe de la fonction dérivée $f’$ et la monotonie de la fonction $f$ ; cette connaissance n’est pas disponible pour traiter la situation de reconnaissance de la dérivée graphique. L’usage d’un outil technologique, ici WIMS intégré dans un boîtier Gigabyte, a permis de faire évoluer les conceptions des élèves sur l’approche qualitative des fonctions. La variabilité des exercices et la qualité des interactions entre l’élève et l’environnement WIMS a contribué au développement des compétences de visualisation et à la pratique de l’argumentation.
Ainsi, la nécessité de l’intégration des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement devrait être une question non négligeable pour garantir la multiplicité d’approches, favorable à l’optimisation des apprentissages.
RÉFÉRENCES
BARON Georges-Louis, BRUILLARD Eric, 2001, « Une didactique de l’informatique », Revue française de pédagogie, 135, p. 163-172.
GUERIMAND Fabrice, 2003, WIMS. Guide de l’utilisateur, Argenteuil, Les éditions ARCHIMEDE.
GNANSOUNOU André, 2018, « Exemples de ressources pour le travail d’élèves en seconde. Une classe virtuelle à l’IREM de Paris. In Actes du colloque Espace Mathématique Francophone, Gennevilliers.
MALONGA MOUNGABIO Fernand, 2018, « Développement des usages du numérique éducatif dans le contexte de l’enseignement des mathématiques au Congo – Brazzaville ». In Colloque Espace Mathématique Francophone, Gennevilliers.
MANGEARD Régine, 2008, « Exemple d’utilisation intégrée de Wims au lycée », Mathematice, 10, http://revue.sesamath.net/spip.php?auteur96
NONO TCHATOUO Louis, TCHAPTCHIE KOUAKEP, Yannick, 2016, « Utilisation de l’environnement WIMS dans l’enseignement des mathématiques au secondaire », Adjectif, http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article412
RAMAGE Marie-Joëlle, PERRIN-RIOU Bernadette, 2004, « La technologie au service de pratiques d’apprentissage différenciées : la plate-forme WIMS, utilisation en premier cycle universitaire » Technologie de l’Information et de la Communication dans l’Enseignement Supérieur et de l’Industrie, Compiègne, France, p. 121–126.
[1] Classe de première C : élèves de 15-16 ans
[2] Fin de collège : élèves de 14-15 ans
[3] Il s’agit de proposer aux élèves des situations relevant du schéma 4 : courbe de la fonction - courbe de la fonction dérivée (voir figure 1).
[4] Les élèves ont l’habitude de travailler suivant le schéma 1
[5] Lycée Savorgnan de Brazza / A
[6] École Militaire Préparatoire Général Leclerc