par Sébastien Hache
Voici un ouvrage de référence qui ne se démodera pas rapidement ! Il devrait figurer dans tous les CDI de Collège ou de Lycée, dans les bibliothèques universitaires et...sur vos propres étagères ! Il devrait surtout être consulté très largement.
Il est en vente (en ligne) aux Presses Universitaires de Rennes ou à l’INRP qui en sont les co-éditeurs.
Sous la direction de Ghislaine Gueudet et Luc Trouche, « Ressources vives » est un recueil de textes portant sur « le travail documentaire des professeurs en Mathématiques ». Bien plus que simplement juxtaposés, les textes se répondent les uns les autres, souvent de façon explicite mais aussi par l’écho des problématiques : il s’agit d’un vaste sujet, mobilisant différents cadres théoriques (principalement en didactique des Mathématiques mais pas uniquement) et diverses expériences internationales. Les auteurs ont beaucoup échangé entre eux pour construire cet ensemble, comme il est indiqué dans la conclusion de l’ouvrage. L’impression d’ensemble renvoie à quelque chose comme l’équilibre gracieux d’un mobile de Calder (qui illustre la couverture) ou encore, par certains aspects, à une œuvre plus impressionniste. Il ne fait aucun doute que le recueil en lui-même constitue une ressource dont la vivacité est manifeste et à laquelle on aime venir et revenir puiser.
Voici la page de présentation du livre (la préface de Michèle Artigue, l’introduction et la conclusion sont téléchargeables) ainsi que sa fiche Publimath, où chacun des 18 chapitres est résumé.
Qu’est-ce qu’une ressource pour un enseignant de Mathématiques ? Comme il est précisé dès les premiers chapitres, c’est d’abord quelque chose qui le re-source, autrement dit un élément permettant de le faire évoluer dans son métier d’enseignant. Et il existe différents types de ressources, des plus basiques (l’enseignant étant la ressource essentielle), les ressources pour et par l’enseignement, et puis des ressources plus insaisissables comme le temps par exemple, qui manque cruellement à un nombre croissant de professeurs. Et parmi toutes ces ressources, les ressources numériques et celles qui sont conçues ou discutées grâce à Internet, amenant de nouvelles pratiques et de nouveaux usages. Il y a de nombreux chapitres très éclairants sur ces sujets.
Deux chapitres, écrits par les responsables de l’ouvrage, proposent des points de vue articulés sur le travail documentaire individuel et collectif des professeurs. Ces deux chapitres présentent « l’approche documentaire du didactique ». Cette approche théorique nouvelle a pour particularité de se centrer sur les enseignants eux-mêmes et la façon dont ils mènent leur travail documentaire. Evidemment, ce travail documentaire a de fortes répercussions sur les cours et donc, in fine, sur les élèves. Il est donc bien au cœur de la question didactique et renvoie directement à ce qu’est le métier d’enseignant, question vive par excellence.
La problématique de l’approche documentaire est évidemment complexe. Le tour de force de ce recueil est de ne pas éluder cette complexité et d’essayer de nous donner des outils pour la comprendre, tout en reconnaissant les limites actuelles des recherches. Les différents cadres évoqués sont présentés de manière simple et synthétique, ce qui rend l’ouvrage très accessible, même pour les enseignants peu coutumiers de la didactique. Il y a dans ce regard distancié sur le métier de professeur de Mathématique beaucoup à apprendre pour les praticiens que nous sommes et c’est une des raisons pour lesquelles je recommande fortement cette lecture.
Personnellement, cet ouvrage m’a doublement intéressé.
En tant que professeur de Mathématiques, je suis heureux de constater que la didactique des Mathématiques élargit son champ d’investigation et s’ouvre plus nettement à d’autres sciences : certes il est important d’étudier les situations d’enseignement concrètes dans les classes et d’en mesurer finement les implications, mais il est bon aussi de s’intéresser à la façon dont un enseignant est ou devient un enseignant. Personnellement, et pour avoir pas mal lu d’ouvrages de didactique de Mathématiques, j’ai parfois eu l’impression d’être exclu de l’équation en tant que professeur de Mathématiques, alors même que je pensais être justement une variable essentielle. J’ai l’impression que cette nouvelle approche considère l’enseignant comme un acteur central et pas simplement comme l’exécutant de situations, si bien pensées soient elles.
En tant qu’un des initiateurs de l’aventure Sésamath, cet ouvrage m’apprend et m’apporte beaucoup. En particulier, il donne des outils théoriques pour prendre un peu de recul et essayer de penser ce qui se passe dans une association comme Sésamath. C’est très précieux.
Il faut aussi savoir entendre les mises en garde, comme par exemple celle qui est faite par Yves Chevallard et Gisèle Cirade dans le chapitre 3 :
« Tel est aussi l’enjeu : arrimer le travail des collectifs de professeurs au développement de leur profession, sans lequel ce travail ne saurait, croyons-nous, avoir de vraie fécondité. »
Plus généralement, la recherche dans ce domaine et Sésamath partagent une préoccupation commune, d’ailleurs de plus en plus présente.
Du côté de la recherche, cela s’énonce comme ceci, en conclusion du recueil :
« Comment dépasser le suivi ponctuel de quelques professeurs ? Comment accéder aux différents lieux, à la durée, afin de saisir réellement des évolutions, sans perdre la richesse des détails ? Comment développer des études portant sur des échantillons larges ? »
Pour Sésamath, cela pourrait s’énoncer ainsi : « Comment développer plus fortement le travail collaboratif et faire émerger de plus vastes communautés de pratique ? »
Autrement dit, dans les deux cas, il y a une vraie problématique de changement d’échelle.
Puisse cette proximité favoriser encore les liens entre Sésamath et le monde de la recherche !