Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Manuels numériques associés au Cartable de l’Isère (ENT iTop)
bilan de la 1ère année d’expérimentation
Article mis en ligne le 28 août 2010
dernière modification le 9 novembre 2010

par Bruno LEBRAT

 D’une fin d’année à l’autre…

En cette période de préparation de la rentrée de septembre 2010, les établissements impliqués dans l’expérimentation sont agités par des questionnements d’un genre encore nouveau :

  • quelles disciplines vont utiliser un manuel numérique au niveau 5ème ?
  • quel éditeur choisir, en fonction des qualités pédagogiques du manuel papier proposé mais aussi selon les caractéristiques techniques de la version numérique ?
  • quels équipements complémentaires demander pour en faciliter les usages, devant les élèves et par les élèves ?

Il est vrai que ces discussions avaient déjà eu lieu, à la même époque, il y a un an. Mais l’évolution de la réflexion et de l’implication des équipes durant cette période est remarquable. Elle peut être considérée comme un indicateur significatif des progrès réalisés, au moment des bilans :

  • alors que les enseignants s’étaient souvent engagés avec doutes et réticences, l’enthousiasme est beaucoup plus au rendez-vous actuellement, la majorité exprimant positivement son souhait de poursuivre le travail commencé ou de s’intégrer au mouvement. Toutes les disciplines veulent participer !
  • les choix de manuels avaient été faits par défaut et principalement à partir de l’examen des spécimens papier, les versions numériques n’étant pour la plupart à l’époque pas consultables ou de piètre qualité. Aujourd’hui, les possibilités de choix se sont étoffées et les critères techniques, spécifiques aux versions numériques, prennent de plus en plus d’importance dans les arbitrages. L’offre s’est enrichie et le regard des enseignants s’est aiguisé.
  • les propositions d’équipement adressées aux établissements par le Conseil Général et la Mission TICE laissaient les équipes perplexes : plusieurs vidéo projecteurs ou un TBI ? des installations mobiles pour couvrir plus de salles ou fixes pour favoriser des usages réguliers ? des tableaux blancs ou des écrans déroulants ? comment agencer les salles ? et pour le travail individuel des élèves : combien de postes par classe mobile, de quelle taille, avec quels périphériques ?

La mise en place effective des équipements a été beaucoup plus longue que prévue : lacunes de câblage (électrique, réseau, vidéo), actifs de réseau sous-dimensionnés, absence de mâts de fixation ou de boitiers splitter… Avoir obtenu les crédits nécessaires laissait penser que l’essentiel du chemin avait été accompli, mais les étapes suivantes se sont souvent avérées fastidieuses.

Maintenant, les établissements ont plus de recul et sont en mesure de formuler des demandes de compléments d’équipement plus étayées, adaptées aux besoins réels de chaque équipe. À l’usage, les classes mobiles composées de 15 postes 12’’ ont fait la preuve de leur efficacité ; des procédures d’installation et de maintenance ont pu être établies ; les atouts complémentaires apportés par l’installation du logiciel de contrôle à distance Net Support School ont également pu être montrés. Des demandes de tablettes graphiques, associées à un logiciel de type TBI, commencent à émerger.

Le niveau d’équipement des collèges concernés a augmenté, de toute évidence, mais en plus l’usage combiné de ces équipements est désormais conçu avec une plus grande maturité.

Les évolutions au cours de cette première année semblent donc positives. Mais ce tableau est plus large que le seul sujet des manuels numériques. Qu’en est-il précisément de ce point de vue ?

 Des pratiques réduites et classiques…

Pour tenter d’apporter des éléments de réponse, nous nous appuierons sur les témoignages des 46 enseignants participant à l’expérimentation, dans les collèges de Salaise-sur-Sanne, de Saint-Quentin-Fallavier (Les Allinges) et de Tullins (Condorcet).

Ces témoignages ont été recueillis de plusieurs façons : expression individuelle, par mails ou à l’occasion de rencontres dans les établissements ; échanges collectifs lors des stages de formation continue organisés pour chacune de ces équipes ; réponses écrites, individuelles ou par équipes disciplinaires, à deux enquêtes diffusées en décembre 2009 et mai 2010.

Sur le plan quantitatif, il apparaît que la proportion d’enseignants ayant quelque peu changé leurs habitudes de travail pour y intégrer le manuel numérique est relativement faible : 8 sur 17 à Salaise-sur-Sanne, 5 sur 15 à Saint-Quentin-Fallavier et entre 6 et 8 sur 14 à Tullins.

Ceci est confirmé par les données statistiques obtenues grâce aux marqueurs Xiti mis en place sur les ENT à la demande de la Caisse des Dépôts : sur l’ensemble de l’année (entre le 1er septembre 2009 et le 10 juin 2010), les manuels numériques du collège de Salaise-sur-Sanne n’ont reçu que 326 visites (sur 16 570 visites au total sur cet ENT), ceux du collège de Saint-Quentin-Fallavier 1738 [1] (sur 52 000) et ceux du collège de Tullins 364 (sur 51 316). Rapporté à une population d’utilisateurs potentiels de 150 à 220 personnes selon les établissements (élèves + enseignants de 6e), cela constitue une fréquentation vraiment très réduite (entre 1.5 et 6.5 visites par jour en moyenne).

Les considérations qui ont amené beaucoup à ne pas ou ne plus utiliser le manuel numérique sont variées : pour certains les qualités des manuels numériques sont très insuffisantes, d’autres trouvent trop complexe de le manipuler ou de gérer l’environnement technique qu’il implique, quelques uns avouent avoir eu peur des failles que cela pouvait créer dans leurs rapports avec les élèves ( nombreuses excuses invérifiable servies par les élèves pour ne pas rendre les devoirs ) ou ne pas avoir eu la motivation ou le temps nécessaires pour changer d’habitude. Mais il serait inexact d’assimiler tous les réfractaires au manuel numérique à des réfractaires aux TICE ou au changement : plusieurs (au moins 7) expliquent le délaisser parce que depuis déjà plusieurs années ils utilisent non pas un manuel mais des supports de cours qu’ils réalisent eux-mêmes et qu’ils estiment plus adaptés, plus interactifs et plus pédagogiques que le manuel numérique (par exemple : Depuis des années, je « rends vidéo projetables » les manuels que j’utilise et j’ai donc pris des habitudes. Je n’ai donc pas l’utilité du manuel numérique proprement dit en classe. J’ai tout sur mon ordinateur personnel : ppt sonorisés, animations, enrichissements personnels. Je n’ai donc pas la nécessité de me connecter à l’internet pour le manuel ).

Dans tous les cas, au delà de cette diversité, on doit simplement constater que pour eux les apports du manuel numérique ne sont pas suffisants pour compenser les contraintes qu’il représente. Les freins invoqués par les non-utilisateurs étant identiques à ceux signalés par les utilisateurs, ils seront développés plus bas, dans la partie portant sur leurs « impressions ».

Concernant les pratiques des enseignants utilisateurs, une très large majorité se réfère à la situation dans laquelle l’enseignant vidéo projette le manuel numérique devant ses élèves, en salle de cours. Ceci est révélateur la prédominance des pratiques pédagogiques magistrales et transmissives, que l’utilisation d’un vidéo projecteur a d’ailleurs tendance à renforcer. Dans ce cadre, l’utilisation du Manuel numérique ne semble rien apporter de spécifique par rapports aux pratiques habituellement observées avec un vidéo projecteur : les enseignants montrent les pages du manuel à leurs classes, utilisent parfois les outils à disposition pour l’annoter, le crayonner, font (rarement) intervenir un élève pour qu’il participe à l’avancée du cours, et, de façon exceptionnelle, diffusent le résultat produit par l’intermédiaire de l’ENT pour le mettre à la disposition des élèves.

Les usages des manuels numériques par les élèves en dehors de la classe (à leur domicile, au CDI…) ne sont abordés que de façon très ponctuelle et marginale : seuls trois enseignants en font état, en Lettres et en Anglais. Et là encore les activités décrites sont tout à fait traditionnelles : les élèves sont amenés à faire les exercices proposés par le manuel, réécouter les enregistrements audio à la maison, découvrir les scripts des leçons, préparer les questions (étude d’un texte) ou les exercices, relire, effectuer des travaux de repérage lexicaux, faire quelques exercices, relire le texte d’appui. Si ce type de situation est très peu évoqué, c’est sans doute parce que très souvent le travail à la maison se fait au moyen du manuel papier.

Quant aux manipulations des manuels numériques en classe par les élèves, elles n’apparaissent quasiment pas. Il est vrai que cela nécessite un équipement dont peu d’établissements sont dotés (classes mobiles, salles pupitres) et implique de profonds changements d’habitudes. Qu’il me soit malgré tout permis de mentionner l’expérience de cours « zéro papier » menée en Histoire-Géographie au collège Les Allinges de Saint-Quentin-Fallavier pour la 4ème année consécutive et dans laquelle le manuel numérique a tout naturellement trouvé sa place. Dans ce contexte, le manuel numérique peut être comparé au maillon d’une chaine dont tous les autres maillons sont également numériques, au lieu de faire figure d’intrus dans un milieu analogique dans lequel il peine à s’intégrer.

 Des impressions mitigées…

Qu’ils soient positifs ou négatifs, les commentaires des enseignants portent sur trois thèmes principaux : l’accès au manuel numérique, son affichage et son contenu.

  • les conditions d’accès au manuel numérique :
    • quelques témoignages pointent des avantages par rapport au manuel papier : cela permet d’ éviter les problèmes d’oubli de matériel par les élèves , de continuer d’y avoir accès même après la restitution des livres en fin d’année , de gagner du temps en classe par la projection des exercices au tableau .
    • mais les critiques sur ce point sont majoritaires, en particulier à propos de la lenteur d’accès : beaucoup soulignent le temps excessif pour démarrer l’application ; on perd du temps à « se mettre en route » , ce qui oblige à prendre la précaution de lancer le manuel numérique en avance : il est inenvisageable de le faire au dernier moment (temps de chargement trop long) . Ce frein se fait encore plus fortement sentir dans le cadre d’accès simultanés de tous les élèves d’une classe, d’autant qu’il semble ne pas se limiter au seul moment de l’ouverture du manuel : la vitesse d’affichage du manuel numérique est très variable, imprévisible, en fonction de la bande passante disponible. Cela génère un sentiment d’insécurité permanent : on ne sait jamais si la page voulue va s’afficher, rapidement ou pas. De façon générale, cette vitesse d’affichage est de toute façon beaucoup trop lente . C’est sans doute un élément qui a lui aussi contribué à ce que les enseignants privilégient les manuels installés localement par rapport aux versions en ligne.
    • outre sa lenteur, plusieurs enseignants reprochent au manuel numérique la complexification qu’il entraîne : actuellement, le manuel numérique n’est pas d’une utilisation pratique et complique les choses en classe . Cela crée une impression de « surcharge », de bidouillage : subitement le cours « se complique ». Au jonglage habituel « K7-livre-TD-autre source » s’ajoutent l’appel et le Cahier de textes en ligne, le manuel sur l’ENT, le son sur une autre source (avec un autre ordi, et d’autres enceintes !), l’éventuelle clé USB pour pallier un manque du bouquin ou varier les activités !...
      _Cette inquiétude est renforcée par les difficultés des élèves (l e manuel numérique constitue une interface supplémentaire à gérer, pour l’enseignant comme pour l’élève, alors que l’idéal serait au contraire d’intégrer toutes les ressources dans une interface unique ) ou par leur regard, vécu comme une pression ( en cas de fausse manipulation du professeur, les élèves s’agitent vite. Il faut bien maîtriser l’outil informatique et le déroulement de sa séance ).
      À cela s’ajoute enfin la confusion créée dans les esprits par la coexistence de versions en ligne et de versions locales : seule la version à installer en local propose quelques enrichissements. Cela multiplie les interfaces et brouille le message . Sans oublier les difficultés techniques engendrées par ces versions locales : nous utilisons la version enrichie qui a été téléchargée sur nos ordinateurs portables personnels, car la version ENT n’est pas enrichie . Mais nous avons des problèmes pour connecter nos portables perso au réseau . Ceci pose effectivement des problèmes de sécurité mais aussi des désagréments plus triviaux : les fils de l’ordinateur de la classe sont souvent débranchés, il faut le temps de tout rebrancher à chaque fois. Ce n’est pas possible .
  • les modalités d’affichage du manuel numérique :
    • les avantages apportés par l’affichage du manuel numérique devant à classe, à l’aide d’un vidéo projecteur, sont très fréquemment soulignés :
      • une meilleure concentration des élèves :
        • possibilité de travail collectif, de capter facilement l’attention des élèves
        • focalisation rapide de l’attention de tous sur un document précis et l’interactivité sur le tableau (entourer, souligner, flécher...)
        • c’est bien d’avoir l’attention de tous les élèves sur le bon document, grâce à la possibilité de zoomer ou de cacher certaines parties de la page.
      • une meilleure animation du cours.
        • par exemple en mathématiques : des cours plus animés par les différentes animations et fonctions que propose le manuel, suivies en même temps par toute la classe et une correction plus facile pour certains exercices (tableau, calcul à trou, logiciel de calcul mental, tests de connaissances…).
        • mais aussi en Histoire Géographie : l’étude des documents iconographiques est plus performante : c’est plus facile pour montrer un élément et l’image est plus grande.
        • ou en Anglais : le manuel numérique permet une maîtrise immédiate du matériel audio et vidéo, pas de temps mort, on a tout sous la main en un clic de souris. On peut facilement varier les activités, les adapter rapidement au rythme de la classe.
      • et enfin, cité ponctuellement, un réel plus pour les élèves malvoyants, malentendants.
    • mais là encore les critiques sont nombreuses :
      • elles portent tout d’abord sur l’affichage d’une page ou d’un document  : l’interface du Manuel numérique n’est pas pratique. Son utilisation est laborieuse. Par exemple, l’outil « zoom » n’est pas dissocié de l’outil « Main » qui permet de se déplacer, si bien que très souvent on change de facteur de grossissement alors qu’on voulait simplement recadrer l’affichage.
        Ce défaut est encore plus gênant dans le cas de documents de grande taille.
        • par exemple pour les textes longs, en Lettres : cela suppose que tous les élèves lisent au même rythme quand il faut faire défiler le texte zoomé ou changer de page…ce qui n’est évidemment pas le cas dans nos classes très hétérogènes  ;
        • cela reste tout de même très compliqué lorsque j’étudie un conte de trois pages ;
        • lorsque nous corrigeons ces questions en classe, ils n’ont pas le texte sous les yeux (puisque je ne peux le projeter dans son intégralité), ce qui est TRES gênant .
        • mais également en Histoire Géographie, pour l’étude des cartes, des planisphères : nécessité à la fois d’avoir une vue d’ensemble et de pouvoir lire les noms écrits en petit… sans oublier la légende : zoomer puis se déplacer dans le document n’est vraiment pas pratique et perd les élèves .
      • elles portent ensuite sur la navigation entre plusieurs pages du livre :
        • impossible de montrer en même temps des infos différentes à différents groupes d’élèves
        • comment faire pour proposer un travail autonome aux élèves : aller trouver une définition dans le glossaire, trouver un document illustrant le phénomène étudié… ?
        • le travail en compréhension de l’écrit est également difficile car ils ont besoin de revenir sur d’autres infos et le rythme est individuel
        • le retour en arrière sur une notion oubliée, un mot de vocabulaire ne peut être effectué individuellement
      • apparaissent enfin des problèmes liés à la distance à laquelle se trouve le support de travail, dont l’incidence sur le mode de fonctionnement mental des élèves est loin d’être négligeable :
        • certains ont du mal à identifier le document agrandi sur la page du livre, ils n’ont pas de vision globale / locale
        • certains préfèrent avoir le document directement sous les yeux plutôt que de le visualiser au tableau, ce qui les oblige a un changement de focalisation. Par exemple pour transposer une carte, recopier un exercice… On est loin de l’habituelle disposition livre / cahier, bien alignés pour passer facilement de l’un à l’autre, d’un même regard…

À cela s’ajoute la gêne occasionnée par les reflets de la lampe du vidéo projecteur sur le tableau blanc, qui éblouissent les élèves plusieurs fois signalés par les enseignants non équipés d’écrans de projection déroulants.

  • le contenu du manuel numérique :

C’est peut-être sur ce point que les remises en cause sont les plus fortes. Les avis positifs sont rares et limités : deux enseignants se réjouissent de cette banque de données, qui nous évite de « re-scanner » les docs dont nous avons besoin et de ne plus être obligée – comme je le faisais avant – de scanner la moindre image du manuel afin d’en « bidouiller » personnellement un document pour en faire quelque chose d’évolutif. Une autre complète en estimant que de cette façon son cours est plus animé, plus vivant, plus illustré.

Sinon, les manuels proposés cette année sont unanimement jugés décevants, de par leur pauvreté et leur caractère fermé et figé : la nuance entre manuel numérisé et manuel numérique a très vite été perçue par les enseignants ! Voici quelques exemples de commentaires sur ce thème :

    • on nous a demandé de choisir un manuel numérique alors que les éditeurs n’étaient pas encore au point. Actuellement je trouve qu’ils sont encore à la traîne et que certains éditeurs ne font pas l’effort de fournir réellement des manuels numériques enrichis J’attends une version enrichie avec les docs audio et vidéo incorporés
    • nous attendons non seulement un véritable manuel numérique (donc pas seulement numérisé) mais surtout une bibliothèque d’activités, exercices interactifs (de découverte, d’analyse, d’application, d’entrainement…) Il est dommage de la part d’éditeurs de lancer des produits qui ne sont pas finis ou fonctionnels et qui en plus coûtent cher !
    • on aimerait avoir le cahier d’activités intégré dans le manuel numérique, qu’il propose des activités pédagogiques de différents niveaux, permettant aux élèves de découvrir un phénomène, de le reconnaître, de s’entrainer etc.
    • un manuel enrichi encouragerait les élèves à le parcourir à la maison ; la simple version numérisée ne les encourage pas, consulter leur livre est plus simple et plus rapide. Des liens vers des sites ( ex : BBC ou anglais facile…) seraient un plus pour compléter les leçons
    • tel quel, le manuel est figé. Chaque ressource devrait pouvoir être utilisée de façon indépendante (ce qui simplifierait par exemple les problèmes d’affichage), ainsi qu’extraite pour être intégrée à un autre support (powerpoint, paperboard de TBI, espace de travail de l’ENT, cahier d’élève…), éventuellement complété par des ressources d’autres origines.
    • dans l’état actuel, le dispositif fige les pratiques, emprisonne l’enseignant en le contraignant soit à utiliser exclusivement le manuel numérique soit à multiplier les interfaces

 Conclusion

On ne peut que se réjouir de ce que quasiment plus aucun manuel papier ne transite dans les cartables des élèves, entre le collège et le domicile familial : l’objectif initial de réduction du poids semble donc en grande partie atteint.

Mais il est tout de même paradoxal de constater que le plus souvent l’adoption du manuel numérique n’a vraiment pas été un vecteur d’innovation pédagogique et que son utilisation réelle est restée très réduite :

    • une partie des adeptes du cours principalement magistral ou dialogué n’ont rien changé à leurs pratiques, estimant que le manuel numérique ne leur apportait rien de mieux. Ceux qui ont malgré tout fait l’effort de l’intégrer à leurs pratiques ont le plus souvent projeté devant leurs élèves un manuel installé en local (sur clé USB, sur CD Rom, sur disque dur…), parce que plus enrichi. Dans ce type de cas, le manuel accessible en ligne à travers l’ENT (objet de l’expérimentation…) n’a donc que très peu été utilisé. Le manuel papier est généralement resté au domicile des élèves, où le manuel numérique n’a pas été utilisé non plus, et les démarches transmissives ont plus été confortées qu’atténuées.
    • les plus attachés aux pédagogies « actives » ou « constructivistes » ont parfois été contraints à un retour vers des cours plus uniformes et descendants, leur salle de cours n’étant équipée que d’un vidéo projecteur ou d’un TBI. Mais la plupart ont très vite inversé le dispositif en conservant les manuels papiers en classe pour pouvoir s’adapter aux différences de rythmes de leurs élèves et leur permettre des phases de travail autonome. Dans ces conditions, le manuel numérique a donc également été très peu utilisé. Il l’a en revanche été davantage par les élèves à leur domicile, pour les travaux à la maison.
    • quant à ceux qui sont disposés à produire leurs propres supports de cours, ils n’ont souvent pas trouvé leur compte dans le manuel numérique du fait de son manque d’enrichissements multimédia, d’interactivité, de souplesse et d’ouverture. Ils ont poursuivi leur démarche créative et innovante, indépendamment du manuel numérique, sans vraiment l’utiliser car cela aurait constitué une régression pour eux.

D’un certain point de vue, les résultats de l’expérimentation « Manuels numériques » risquent d’être considérés comme décevants. N’oublions pas que ce n’était qu’une première, durant laquelle la qualité des manuels numériques a progressé, de même que l’équipement des établissements et les représentations des enseignants, dans un domaine où les maturations sont forcément lentes.

Bruno LEBRAT

Enseignant d’Histoire-Géographie, utilisateur d’un manuel numérique et formateur académique.