Nous avons abordé à plusieurs reprises, sous forme de brève, la question des MOOC (cours en ligne ouvert et massif) dans le cadre de MathémaTICE [1]. Ils sortent aujourd’hui de la confidentialité, par les annonces chiffrées du ministre de la Recherche et des Universités.
Trois articles en résument la philosophie et précisent le projet :
- France université numérique : Geneviève Fioraso dévoile son plan
- L’université française passe de l’amphi aux cours en ligne
- Numérique à l’université : la réponse est-elle FUN ?
La plate-forme annoncée, FUN, s’ajoutera à celles qui existent déjà :
Coursera : ouverte en avril 2012, 379 cours, venant de 81 établissements, 3,76 millions d’élèves.
EdX : ouverte en avril 2012, à but non lucratif, 50 cours, venant de 27 universités, plus de 900.000 élèves.
Khan Academy : depuis 2006, à but non lucratif, cours tous niveaux (avec cours d’algèbre et de mathématiques en français).
Udacity : depuis janvier 2012, cours d’informatique, maths, entrepreneuriat, 753.000 élèves
Plusieurs universités américaines proposent également des MOOCs sur leur propre site.
Plusieurs questions essentielles se posent [2] :
– Quel modèle économique ? Qui finance la gratuité ?
Le principe général des Mooc reposant sur un accès gratuit aux cours, les revenus, partagés, sont issus de prestations de services complémentaires, comme le tutorat et les certificats . Mais c’est sur la marchandisation des données recueillies lors des inscriptions que se portent davantage les interrogations. « Bientôt 1 milliard d’apprenants ! », vantait edX, la plate-forme créée par l’université d’Harvard et le MIT. « Et que font-ils avec les données ? », commence-t-on à s’interroger. Une question qui prend du relief lorsque l’on apprend que des données biométriques peuvent être demandées aux étudiants dans le cadre des passages de certificats, pour s’assurer qu’il n’y a pas tricherie sur l’identité.
– Les MOOC remettent-ils en cause la pédagogie traditionnelle ?
Le Mooc, c’est un marketing de l’offre pédagogique et le niveau de qualité d’une vidéo est essentiel. Henri Isaac, professeur associé à Dauphine, tire une sonnette d’alarme : « On peut considérer que l’immense majorité de nos collègues ne sont pas formés pour travailler devant une caméra. » Surtout, « les MOOC questionnent sur les compétences nécessaires des professeurs pour délivrer des enseignements modulaires alors qu’en France, contrairement aux Etats-Unis, les parcours sont pensés dans leur ensemble », pointe-t-il.
« Les Mooc nous entraînent dans une réflexion plus large, analyse Anne Zuccarelli, directrice Carrières & Entreprises à l’EDHEC. Que sera la pédagogie dans cinq ans ? » Autre problème : le temps des enseignants. « Mettre en ligne une heure de cours représente plus de dix heures de travail », indique Rémi Bachelet. Aux côtés des xMOOC concentrés sur la transmission de savoir, les cMOOC connectivistes sont chronophages.
Tirant un bilan de ses initiatives, l’université d’Edimburg a relevé que le volume de travail des professeurs était passé du simple au double. Quant à l’interaction « professeur-étudiants », le ressenti des élèves est bien faible, « quelle que soit l’ardeur avec laquelle le professeur a inter-agi sur les forums ». Il est vrai que le ratio est d’ un enseignant pour 8.000 étudiants ...
– Quelle efficacité dans l’apprentissage ?
Les pourcentages de ceux qui suivent les cours en ligne de bout en bout ne vont pas convaincre les sceptiques : entre 2% et 8% des inscrits aux Etats-Unis, 12% en moyenne pour les inscrits aux Mooc de l’université d’Edimbourg. « Nombreux sont les participants qui ne sont qu’auditeurs libres », souligne sur son blog Matthieu Cisel. « La proportion de participants qui commencent les devoirs et qui finissent par abandonner au bout d’une semaine ou deux est en réalité assez faible, moins de 20% pour le Mooc Gestion de Projet », complète-t-il.
– Les incidences sur la formation continue
Ce qui est certain, c’est que « la formation continue va devoir revoir ses modèles », a défendu Arnaud Gien-Pawlicki, DRH de l’Apec, lors de la conférence CCM Benchmark, à l’université de Paris-Dauphine. Un Mooc peut dès à présent entrer dans le cadre d’un plan de formation ou d’un DIF (Droit Individuel à la Formation). Certains en imaginent déjà dans des domaines en panne de talents. Signe des temps, les LinkedI ners - y compris français - mentionnent leurs certificats Mooc sur leur profil.
Voici le témoignage et le retour d’expérience d’un « diplômé » de la plate-forme Coursera.
Il pointe plusieurs éléments dans le déroulement de la formation :
- Il s’agit d’un dispositif dynamique, varié et motivant
- On a bien plus qu’une simple vidéo d’un cours
- Il explique les dispositifs d’évaluation des connaissances acquises
Parmi eux, l’évaluation par les pairs (l’auteur parle, lapsus délicieux et récurrent, de paires) est à ses yeux une démarche discutable et hasardeuse (il la classe dans la catégorie j’aime pas . Elle est pourtant généralement présentée comme un atout décisif des MOOC :
« De plus, la nécessité d’évaluer 5 autres rédactions m’a permis de comparer les pistes d’analyse que j’avais choisies avec celles d’autres personnes, ce qui offre l’opportunité de confronter indirectement des points de vue et des compréhensions du cours. Il en résulte cependant un (potentiel) point faible : malgré les guides qui nous sont donnés pour corriger et évaluer les travaux, nous sommes nous-mêmes des novices dans le domaine étudié. La correction par les paires n’est pas à l’abri d’évaluation faussées par des participants ayant mal compris certains aspects du cours. Elle reste cependant un moyen pertinent d’évaluer un travail d’analyse lors d’une formation à distance et ses bénéfices compensent à mon avis largement ses faiblesses. A noter également que tous les cours de la plate-forme n’utilisent pas cette forme d’évaluation.
- La force du dispositif repose sur le presque live :
« Le professeur Werbach enregistrait ses vidéos au fil de l’avancement du cours, ce qui lui permettait de commenter dans un chapitre les retours faits sur le forum à propos du précédent. Encore une fois, cela permet de percevoir le fait que, malgré l’outil informatique, une « salle de classe » est en train de travailler ensemble. Coursera parvient ainsi à faire ressentir la motivation et l’envie d’avancer que l’on retrouve dans une formation présentielle. »
- Son avis en résumé, ses j’aime, j’aime pas sont complétés par trois liens utiles
Dans un article très stimulant, Quelles modalités d’évaluation pour les MOOCs ?, Christine Vaufrey, s’interroge sur les techniques qui contribuent à éviter les dérives (trop prévisibles...) de l’évaluation en ligne. Mais elle propose surtout de nouveaux modes de certification et la définition de nouvelles preuves d’excellence :
Peut-être faudrait-il alors songer à de nouveaux modes de certification, en prenant une voie radicalement différente. C’est ce que propose Stephen Downes, l’un des pères du MOOC connectiviste, en parfaite cohérence avec les principes qui font la valeur de ce dispositif particulier non de distribution de connaissances, mais de leur création par les apprenants eux-mêmes.
Dans un article publié à la fin août sur son blog Half an Hour , Downes propose d’évaluer les étudiants non sur ce qu’ils ont récolté, mais sur ce qu’ils ont créé. Ceci, dans trois domaines : l’aide aux autres, la coopération et la contribution au bien commun. Il propose même qu’aucun diplôme universitaire, et surtout pas les plus hauts d’entre eux, ne puisse être délivré sans une contribution importante au bien commun, notamment par le biais de la création d’un cours en ligne ouvert, bien plus productif pour les sociétés que la contribution à un champ de recherche hyper-spécialisé. Downes suggère également que chaque étudiant apprenne à contribuer à des entreprises du genre de Wikipédia, ou à créer des ressources libres dans différents domaines, et soit récompensé pour cela. Il regrette surtout que les systèmes éducatifs n’accordent aucune valeur au fait d’aider les autres et propose que tout examen dispose au moins en partie d’une évaluation du niveau d’aide apporté par l’étudiant.
Cette voie est terriblement stimulante. Elle ouvre d’énormes perspectives aux défenseurs des MOOCs connectivistes qui pourraient alors certifier leurs cours sur des bases radicalement différentes de celles sur lesquelles se fonde la validation universitaire. Ces MOOCs n’auraient pas besoin d’être hébergés par des institutions universitaires pour que leur valeur soit reconnue, et les deux types de MOOCs (académiques et connectivistes, pour ne pas dire communautaires) pourraient coexister sans problème. Le chapitre suivant de l’épopée des MOOCs reste à écrire, mais nous connaissons déjà une partie de l’histoire.
Trois autres articles de Christine Vaufrey éclairent le paysage et aident à comprendre les continuités et les ruptures, les promesses et les illusions de la formation via Internet :
- MOOCs : du passé faisons table rase… ou pas
- Le MOOC, ou le retour du prof
- MOOCs : moins de communication et plus de pédagogie, SVP
J’y ajoute celui d’Alain Derycke Pour une analyse critique des MOOC à la lumière de la nouvelle économie, qui mérite la plus grande attention.
Il me reste à signaler l’incroyable travail de collecte d’informations de Michel Briand, Autour des MOOC . J’y ai puisé abondamment. Voyez le sommaire : tout y est, en particulier et à titre d’exemple, l’annonce de plusieurs MOOCs mathématiques en français (avec l’entrée en lice de Polytechnique) :
– MOOC COURLIS (COURs en LIgne de Statistiques appliquées) - Université de Lorraine. Démarrage : 9 septembre 2013 - 4 mois
– Aléatoire : une Introduction aux Probabilités, cours sur Coursera proposé par l’École Polytechnique, par Sylvie Méléard et Jean-René Chazottes. Ce cours introduit le concept de Probabilité, dont la puissance permet de modéliser d’innombrables situations où le hasard intervient. Il est basé sur le livre de Sylvie Méléard « Aléatoire : introduction à la théorie et au calcul des probabilités » qui résulte lui-même du cours de tronc commun de première année de l’École polytechnique, 4 à 6 h de travail par semaines, démarrage le 21 octobre. .
– Initiation à la théorie des distributions, cours sur Coursera proposé par l’École Polytechnique, par François Golse et Yvan Martel. Une fonction discontinue peut-elle être solution d’une équation différentielle ? Comment définir rigoureusement la masse de Dirac (une « fonction » d’intégrale un, nulle partout sauf en un point) et ses dérivées ? Peut-on définir une notion de « dérivée d’ordre fractionnaire » ? Cette initiation aux distributions répond à ces questions - et à bien d’autres. 21 Octobre 2013, 9 semaines (3 à 5h par semaine).
– Arithmétique : en route pour la cryptographie cours proposé par Arnaud Bodin et François Recher de l’Université de Lille 1, ouverture le 7 octobre.
La somme d’articles proposés, les nombreux blogs recensés et mille autres informations font d’Autour des MOOC une référence de tout premier plan.
Signalons enfin trois documents :
- L’excellent dossier de France Culture, MOOC : les profs face aux nouveaux cours en ligne
- Une cartographie des MOOCs français due à Rémi Bachelet, Maître de Conférences à l’École Centrale Lille
- Les cours en ligne de Stanislas Dehaene [3]