par Christophe Soubeyran, Yves Martin
Le document d’accompagnement des programmes « Vers les mathématiques – quel travail en maternelle ? » aborde, entre autres, le temps et l’espace et d’une manière générale invite les enseignants à :
• offrir aux élèves un environnement riche
• proposer des problèmes pour développer l’activité opératoire
• inciter les élèves à échanger et collaborer
Nous allons aborder dans cet article des activités qui permettent de développer les notions d’espace et de temps dans le cadre d’une organisation pédagogique utilisant les TICE, avec des problématiques construites autour de l’image.
Réalisation d’un film animation
Plus que des problèmes au sens classique du terme (exercices), nous développons en maternelle des projets dans lesquels les élèves sont amenés à trouver des solutions à une situation problématique. Le projet de film d’animation mené dans une classe de moyenne section de l’école maternelle de la Roue à Fontenay-aux-Roses a permis de travailler sur le langage, l’expression, la narration, la créativité en arts visuels (réalisation des personnages, des décors) ainsi que, pour ce qui nous occupe ici, les notions de temps et d’espace.
Traditionnellement la prise de conscience de la flèche du temps se fait en se référant aux évènements qui rythment le déroulement de la journée (déroulement global et parfois lié à une activité). À une échelle plus grande, dans une perspective de perception globale du temps qui passe sans référence explicite à une chronologie datée, elle se travaille aussi avec des images séquentielles.
Dans un film d’animation, nous remplaçons la manipulation d’images séquentielles par leur construction, dans des activités opératoires. Les compétences travaillées sont alors plus dans le « juste avant, juste après ». Ces manipulations ont lieu dans un micro espace, construit et maîtrisé par les enfants - leur représentation de la forêt et de la place du château – mais aussi contrôlé par eux : à chaque prise de vue les enfants peuvent visualiser les mouvement sur l’écran de l’ordinateur.
La structure du conte et de sa trame narrative inscrivent le travail sur l’espace et sa représentation plane (sur l’écran de contrôle de l’ordinateur) dans une activité opératoire parfois complexe mais acquise car largement répétée et instantanément validée sur l’ordinateur : on travaille aussi bien le temps (avant, après, juste avant, juste après) que l’espace. Ainsi les notions élémentaires - devant / derrière – sont abordées sans difficultés à travers leurs transferts de point de vue – la position de l’enfant dans la forêt par rapport au loup, du chien par rapport au loup – pour les besoins du projet (connaissance opératoire). Le vocabulaire gauche / droite, est abordé, essentiellement dans son rapport simple à la scène et sa représentation à l’écran : les personnages principaux traversent la forêt de gauche à droite dans la scène comme à l’écran. On notera le rapport fort à la séquentialité temporelle de la flèche du temps (sens de l’écriture) qui se traduit aussi dans la lecture de la frise numérique, par exemple lors de regroupements collectifs.
Les notions temporelles et le vocabulaire qui s’y rapporte ont été abordés dès le début de l’année scolaire par le biais de lecture d’albums, d’écoute de contes classiques lus à haute voix par le maître. Des albums multimédia sont également disponibles sur un ordinateur en accès libre placé dans le coin bibliothèque . Des activités d’images séquentielles tirées de ces lectures ont permis aux élèves d’appréhender la structure d’un récit avant de se lancer dans la création du scénario vers la fin du deuxième trimestre. Celui-ci, dicté à l’adulte et illustré par des dessins à la manière d’un storyboard, servira de référence pendant toute la phase de réalisation.
http://revue.sesamath.net/sites/revue.sesamath.net/IMG/swf_MO_toboggan.swf
On voit dans le film précédent le travail de réalisation des élèves encadré dans les phases complexes par un adulte – le professeur d’arts plastiques associé au projet qui propose les contrôles à l’écran s’ils sont oubliés - mais aussi la capacité des élèves à s’approprier rapidement le matériel et les procédures pour une utilisation autonome.
On notera que l’élève chargé de la prise de vue sur l’ordinateur dans la première partie de cette séquence est beaucoup moins passif qu’il n’y paraît : il a tout de suite remarqué sur l’écran quel personnage n’avait pas bougé. Le logiciel utilisé pour la réalisation du film (iStopMotion) permet de visualiser en arrière-plan la dernière image enregistrée : « l’avant » et « l’après » sont ainsi confondus sur un même plan pour permettre de contrôler le mouvement avant chaque prise de vue. En cas d’erreur, les images peuvent être effacées.
Chaque séance de tournage permet de produire 20 à 30 secondes de film sur une durée d’environ une heure. Les groupes d’élèves se succèdent, chacun ayant une responsabilité précise : animer un personnage ou enregistrer les images. La bande sonore a été enregistrée par la suite pour que sa durée soit adaptée à celle du film.
Il est important de noter que toutes les séquences n’ont pas été réalisées dans l’ordre : ainsi la première scène du film (les fleurs et les papillons) a été tournée en dernier pour y placer le titre. C’est lors du montage final, réalisé en grand groupe à l’aide d’un tableau numérique interactif, que les clips seront assemblés dans l’ordre prescrit par le scénario pour constituer un récit linéaire. On réinvestit alors le vocabulaire temporel précédemment acquis : tel clip doit être placé avant ou après tel autre.
Renverser le temps… et la marche
Dans un premier temps, sous forme ludique, il s’agit de réaliser un petit film dans lequel les élèves remontent un toboggan.
Mais si on y regarde de plus près, on voit bien qu’inverser le temps, dans un environnement spatial complexe, c’est aussi inverser le comportement de ce qui se meut dans cet environnement, et donc pour les enfants, la façon de marcher pour arriver au toboggan en bas mais aussi pour en sortir en haut.
Ce projet a priori sur le temps inclut donc un travail sur l’espace et le mouvement dans l’espace d’une façon originale mais certainement significative.
Une première série de clips inversés réalisée plus tôt dans l’année avait permis de montrer qu’on pouvait facilement donner un aspect « magique » en inversant simplement une séquence où un élève souffle sur les lettres de son prénom.
Ce trucage est très simple à réaliser, et au bout de quelques essais, les enfants s’étaient habitués à sourire avant de souffler pour donner l’illusion au spectateur qu’il sourit après.
La réalisation du « toboggan magique » a été beaucoup plus complexe, elle mettait en jeu plusieurs acteurs et des mouvements différents (la marche, l’ascension de l’échelle, la glissade).
Les enfants se sont d’abord filmés en train de jouer sur le toboggan comme il le font habituellement puis le clip a été inversé. Dès la première projection, la classe a constaté que si la glissade inversée sur le toboggan produisait bien l’effet comique escompté, le mouvement des enfants qui marchent est également inversé, révélant ainsi le trucage au spectateur. Il fallait donc vaincre une difficulté majeure : donner l’illusion que les enfants remontaient le toboggan dans un « environnement normal ». Un élève à trouvé la solution en repassant le film à l’endroit : « Il faut tout faire à l’envers ». Nous avons donc procédé à un essai, concluant comme le montre le film ci-dessous
La difficulté ici est non seulement dans le rapport à l’espace, mais aussi de type motionnelle (relative au mouvement) : se déplacer à l’envers tout en donnant l’impression d’aller vers l’avant.
On peut mesurer la difficulté à la réalisation finale : si les élèves s’en sortent bien pour « la sortie du toboggan » peu d’enfants ont utilisé l’arrivée standard à droite et on préféré l’échelle de gauche.
Un élève a également suggéré d’utiliser les tricycles, mais nous avons renoncé après quelques essais infructueux : pédaler à l’envers était trop difficile !
Conclusion
On voit dans ces extraits qu’un travail sur l’espace et le temps peut être entrepris avec des outils contemporains dès la maternelle, sur des projets originaux, riches d’enseignement, avec des activités dans lesquelles les savoirs ou les savoir-faire se construisent par validation collective, sur des compétences en accord à la fois avec les orientations des programmes, les compétences du B2i, et le socle commun (attitude d’investigation dans un domaine scientifique).
D’autres productions de la même école (et du même auteur) ont été proposées dans le numéro 68 du Moniteur92 de mars 2008 :
Ainsi dans la fiche pratique du film sur l’amaryllis, il précise :
« L’apport des TICE dans le domaine scientifique est ici évident : l’automatisation permet des prises de vues, même en l’absence des élèves, et une observation a posteriori. L’effet d’accélération rend visible un phénomène trop lent pour être perceptible en temps réel. La bibliothèque d’images obtenue constitue une mémoire qui peut être exploitée par la suite. L’aspect esthétique du film a également permis de sensibiliser les élèves au respect de la nature. »
Les films eux-mêmes sont disponibles ici.