Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Ce que nous enseignent les paraboles de l’athlétisme
La démarche d’investigation comme trajectoire en classe de troisième
Article mis en ligne le 16 juin 2014
dernière modification le 29 août 2014

par Angelo Laplace

Mettre la démarche d’investigation au service de l’enseignement des mathématiques, c’est ainsi que je pourrais définir mon projet.

Dans cet article, les fichiers GeoGebra proposés aux élèves en guise d’appui ou d’aide à la conjecture sont l’œuvre d’Hédi Abderrahim [1], webmaster du site GeoGebra à Gabès, qui à titre amical, a bien voulu me consacrer une partie non négligeable de son temps pour œuvrer à la consolidation de cette approche. Je le remercie chaleureusement pour son enthousiasme et son perfectionnisme.

Cet article peut être librement diffusé et son contenu réutilisé pour une utilisation non commerciale (contacter l’auteur pour une utilisation commerciale) suivant la licence CC-by-nc-sa.

Autre article de l’auteur.

Auteur : Angelo Laplace, Enseignant de mathématiques en collège dans les Alpes-Maritimes (06).

angelo.laplace@agora06.fr


A la lecture de l’introduction commune aux matières scientifiques dans les programmes du collège [2], on peut constater que les professeurs de mathématiques doivent privilégier une démarche d’investigation. Le décret relatif au socle commun du 11 juillet 2006 [3] affirme également que « la maîtrise des principaux éléments de mathématiques s’exerce essentiellement par la résolution de problèmes, notamment à partir de situations proches de la réalité ». Cette démarche doit amener à la formulation d’hypothèses et de conjectures mais aussi à l’expérimentation et à la validation de celles-ci par la démonstration et le recours aux outils informatiques. En outre, les situations-problèmes permettent de réinvestir les notions mathématiques déjà étudiées, mais aussi de développer des compétences de logique, de travail en équipe, d’argumentation et de rédaction. De plus, les sujets de DNB actuels avec des tâches non guidées sont là aussi pour nous rappeler que nous devons préparer nos élèves à ce type d’exercices.

Pourtant la démarche d’investigation semble appliquée de façon assez sporadique dans l’enseignement des mathématiques. Pourquoi ? Plusieurs freins à sa pratique régulière en classe sont invoqués par les professeurs : les activités proposées par ce type de démarche sont par définition chronophages (puisqu’il s’agit de laisser du temps aux élèves pour formuler et tester leurs hypothèses) et les problèmes laissant la part belle à l’autonomie des élèves semblent pour certains réservés aux meilleurs éléments.

Or, je voudrais montrer qu’à l’inverse, la démarche d’investigation est accessible à tous les élèves. Pour peu qu’on lui accorde la place qu’elle mérite et qu’on l’utilise avec des outils pertinents, elle est au contraire le lieu d’une pédagogie différenciée. D’abord, parce qu’elle ouvre les yeux des élèves sur les mathématiques de « notre monde environnant » et les rend plus accessibles et plus humaines. Ensuite, parce qu’elle stimule les élèves en leur apprenant à se faire confiance plutôt qu’à faire « comme le maître », ce qui ne peut constituer un objectif propre à maintenir une motivation sans cesse renouvelée chez bien des élèves d’aujourd’hui.

Dans cet article, je souhaite donc présenter une façon d’enseigner les mathématiques qui place la démarche d’investigation et la prise d’initiatives au cœur du travail de l’année sans négliger la poursuite des objectifs du programme, ni du socle commun (bien au contraire). Le travail présenté a été proposé à des élèves de troisième mais il peut aussi être mis à profit en classe de seconde dans le cadre des multiples travaux sur les fonctions. Le programme de seconde en laisse d’ailleurs également l’occasion puisqu’il insiste sur la nécessité :

  • de chercher, expérimenter – en particulier à l’aide d’outils logiciels ;
  • d’appliquer des techniques et mettre en œuvre des algorithmes.

En seconde, les tableaux de signes et de variations peuvent d’ailleurs permettre d’envisager les énoncés sous un autre angle parfaitement complémentaire.

Dans cette approche par recherche de validation d’hypothèses, les TICE se positionnent comme un outil particulièrement pertinent pour soutenir la démarche expérimentale. Lorsque les élèves découvrent que les procédures employées sont répétitives, ils apprécient qu’un outil leur vienne en aide pour minimiser leur temps de recherche. Le tableur, la calculatrice ou le logiciel de géométrie dynamique sont des alliés qui doivent compléter les stratégies papier-crayon des élèves et les assister dans leurs recherches.
D’autre part, dans mon collège, j’ai pris l’habitude de travailler depuis plusieurs années avec des groupes d’élèves homogènes quant à leurs « compétences » (élèves à forte initiative / bonne manipulation des règles mathématiques / usage des TICE / capacités d’abstraction / bonne utilisation des grandeurs sont autant de profils que je sais délimiter, ce qui me permet de différencier facilement certaines approches). Aussi, je présenterai au fil du texte certains « coups de pouce » à l’adresse des élèves ayant des difficultés conceptuelles ou rédactionnelles mais qui s’engagent sans peine dans l’usage des TICE. L’informatique permet alors au professeur d’adapter la difficulté du travail au niveau mathématique des élèves.

Tous les problèmes que j’envisage ici sont liés aux trajectoires paraboliques d’un objet en vol soumis uniquement à l’effet de son poids (utilisation des fonctions, notion hors-socle d’où l’importance de différencier les travaux dans la classe). Il ne s’agit ni d’une progression ni d’un fil rouge sur le thème des paraboles mais d’une proposition de « trajectoire » annuelle dont l’impulsion serait donnée par le professeur en fonction du point d’impact que chaque élève peut atteindre. Nous y retrouvons évidemment le canevas d’une séquence d’investigation :

a) Choix d’une situation - problème ;

b) Appropriation du problème par les élèves ;

c) Formulation de conjectures ou de protocoles ;

d) Investigation ;

e) Echange argumenté ;

f) Acquisition et structuration des connaissances ;

g) Mobilisation des connaissances.


I TRAJECTOIRES PARABOLIQUES [4]


Caractéristiques du lancer

En athlétisme, les différents lancers (poids, javelot, marteau ou disque) ont tous les mêmes caractéristiques : après une procédure d’élan appropriée, l’engin est envoyé dans l’air à une certaine hauteur $ h$ , avec une certaine vitesse d’éjection $ v$ et une certaine orientation par rapport au sol $ \alpha $ . Depuis les travaux de Galilée, nous savons que la trajectoire du centre de gravité de cet engin (uniquement soumis à la force de pesanteur si on néglige la résistance de l’air, l’influence du vent) suit une trajectoire parabolique.

C’est donc sur ce modèle simple mais habituellement mis en application au lycée que j’ai décidé de travailler avec les élèves de troisième. Je n’aborde pas avec eux les techniques qui permettent d’écrire les équations du mouvement (elles aussi réservées aux lycéens). Tout le travail est donc basé sur les équations (admises) suivantes, qui donnent les coordonnées de l’engin à l’instant t :

$ x(t) = v t \cos \alpha $ et $ y(t) = -{1 \over 2} g t^2 + v t \sin \alpha + h $ .


En éliminant le temps dans ces deux équations, on obtient l’équation de la trajectoire du mouvement sous la forme :

y = $ - {g x^2 \over 2 v^2 (\cos \alpha)^2 } + x \tan \alpha + h $ .


On peut également déterminer la portée, c’est-à-dire la longueur du jet :

portée = $ {v^2 \over g} \cos \alpha (\sin \alpha + \sqrt {(\sin \alpha)^2 + {2 g h \over v^2}}) $ .


La trajectoire dépend donc de trois paramètres $v, h$ et $ \alpha$ qui dépendent de la taille, de la puissance et de la technique des lanceurs. Lorsque $ \alpha $ = 45°, cela a pour effet de simplifier l’équation de la trajectoire car $ \tan 45° $ = 1 et $ {(\cos 45°)}^2$ = 0,5. Au collège, j’utilise g = 9,8 m/s² (au lieu de 9,81) pour simplifier les calculs. Pour le lancer du javelot, l’importance de la portance de l’air est négligée.

La trajectoire d’un projectile lancé au moyen d’une catapulte obéit aux mêmes lois physiques.

II LES PROBLEMES D’INVESTIGATION


Les problèmes que je vais présenter peuvent sembler difficiles voire inaccessibles aux élèves de troisième. Beaucoup de professeurs pourraient ne pas croire à leur bien-fondé. Pourtant pour les avoir expérimentés en classe ou lors de devoirs à la maison, je pense que ces énoncés sont à la fois très formateurs au niveau de la démarche d’investigation mais aussi des attitudes à développer dans le cadre du socle commun. Il faut par contre, pour en révéler l’efficacité, premièrement leur accorder le temps nécessaire afin que les élèves puissent chercher, éventuellement en groupe, et deuxièmement savoir proposer des coups de pouce ciblés aux élèves de certains profils. Bien sûr, accorder du temps pour ce type de travaux mène indéniablement à l’interrogation « vais-je finir le programme à ce rythme ? » C’est la raison pour laquelle les activités proposées sont volontairement transversales et variées. Elles permettent ainsi de manipuler de nombreuses notions :

  • concept de fonction ;
  • calcul d’image ;
  • recherche d’antécédent ;
  • tracé de représentation graphique ;
  • résolution d’équations ;
  • calcul numérique et fractionnaire ;
  • valeurs remarquables des lignes trigonométriques ;
  • Système d’équations ;
  • Equation du type x² = a ;
  • Ecriture de formules dans un tableur.

Cela allège donc d’autant le travail pour le reste de l’année. Je pense que le temps que j’y consacre n’est pas gâché bien au contraire, surtout si l’on considère tous les bénéfices acquis sur la prise d’autonomie et d’initiative.

Les différents problèmes sont présentés ci-dessous dans des blocs dépliables individuels.

A) Le choix d’une stratégie d’entraînement pour une athlète

Dans cette activité, je présente une heptathlète qui doit s’entraîner au lancer du poids (une des 7 disciplines de l’heptathlon.) Bien évidemment, une heptathlète n’est pas une véritable spécialiste de cette discipline. J’imagine que son record personnel est 14,79 m et que son objectif est d’améliorer celui-ci.

a) Découverte de la situation, appropriation par les élèves

La première phase du travail est très importante car j’ai choisi de faire découvrir la notion de fonction aux élèves grâce à elle. Le lancer du poids est une activité que beaucoup d’élèves ont déjà pratiqué, cela va aider à s’approprier une notion mathématique délicate.

Enoncé :

Pour améliorer ses techniques d’entraînement, une athlète a fait appel à des scientifiques spécialistes de l’étude des gestes sportifs. Lors du lancer, l’athlète communique une vitesse initiale $v$ (en m/s) au poids au moyen d’un mouvement d’élan approprié, ceci selon un angle $\alpha$ avec l’horizontale et à une hauteur $h$ par rapport au sol. Les spécialistes savent que la trajectoire du poids est constituée des points de coordonnées $(x ; y)$ tels que :

$ y = - {9,8x^2 \over 2v^2 (\cos \alpha)^2} + x \tan \alpha + h$

où $x$ représente la distance horizontale parcourue par le poids et $y$ représente la hauteur du poids.

Lors du lancer d’essai : $v$ = 11,2 m/s ; $\alpha$ = 45° et $h$ = 1,8 m.

Montrer que l’équation de la trajectoire devient : $ y = - {{9,8x^2} \over 125,44} + x + 1,8$. Tracer la représentation graphique de la trajectoire du poids de manière aussi précise que possible. Quelle semble être la longueur du lancer ? Vérifier par le calcul.

Analyse de la situation :

La formulation du protocole de construction de la courbe qui s’en suit découle d’un échange argumenté entre pairs.

La première étape amène donc, pour une valeur de $x$ donnée (la distance horizontale), à calculer la valeur de $y$ correspondante (la hauteur du poids). Le professeur jouera son rôle de structuration des connaissances en présentant un nouveau concept de correspondance entre un nombre de départ (le « futur » antécédent, matérialisé graphiquement par l’abscisse du point à placer) et un nombre d’arrivée (la « future » image, matérialisée par l’ordonnée de ce point). Le formalisme de la fonction peut être introduit. Le professeur peut également répartir le travail dans la classe pour les différents calculs de hauteur du poids, par exemple, tous les 50 cm de l’axe des abscisses (et détecter facilement les erreurs éventuelles). C’est la phase de remplissage d’un premier « tableau de valeurs ». La représentation graphique associée, construite point par point, montre exactement la trajectoire du poids en l’air et sa construction rassure l’élève qui voit apparaître la réalité du lancer du poids à partir d’un concept très abstrait (la fonction). L’avantage de cette situation de découverte est qu’elle permet en environ une heure d’avoir abordé la fonction selon les différents registres (algébrique, numérique, graphique) :

  • fonction définie par une expression littérale donnée explicitement ;
  • fonction définie par l’intermédiaire d’un tableau de valeurs (couples antécédents-images) ;
  • fonction représentée graphiquement.

La mise en place du vocabulaire et du formalisme associé est aussi aisée. Le concept essentiel de fonction modélise donc la trajectoire du poids mais il est d’ores et déjà possible d’en montrer les limites. Lorsque la hauteur calculée devient négative, nous sortons du domaine de validité de la fonction qui modélise : le poids a déjà été intercepté par le sol, c’est important pour la suite des activités.

La seconde étape est de faire comprendre l’intérêt de ce nouveau formalisme. Définir une fonction, c’est faciliter les calculs d’images car on peut programmer et confier les tâches calculatoires pénibles à une machine (par exemple, en troisième, nous utiliserons le tableur, pour calculer un grand nombre d’images d’un seul coup de poignée de recopie.)

Jusqu’à maintenant, l’enseignant a dû beaucoup intervenir pour placer le vocabulaire, expliquer le concept, montrer son intérêt. Dans les phases calculatoires et de tracés des courbes, il s’est volontairement mis en retrait et un travail par groupes permet à chacun de s’approprier un concept délicat et d’en voir tout de suite le bénéfice lorsque la trajectoire parabolique commence à apparaître sur la feuille. Intuitivement, le fait qu’un poids qui monte ne peut que redescendre ensuite permet aux élèves de faire un auto-contrôle de leurs calculs de hauteur et nous sommes déjà dans une démarche d’investigation active.

b) L’activité d’investigation

L’objectif de cette activité est de guider une heptathlète dans ses choix d’entraînement : doit-elle privilégier le travail de la technique de lancer (et rechercher l’angle optimal $\alpha$) ou bien améliorer sa puissance en augmentant sa musculation (afin d’augmenter la vitesse initiale $v$) ?

Enoncé : [5]

1) On considère que l’angle $ \alpha$ vaut 45°. La trajectoire est modélisée par la fonction : $f(x) = - {9,8x^2 \over v^2} + x + 1,8$.

Une vitesse initiale lors du jet de 11,2 m/s permet-elle à l’heptathlète d’améliorer son record personnel ? En cas de réponse négative, à partir de quelle vitesse initiale, l’athlète réussira-t-elle cet exploit ? A votre avis, est-ce réaliste et compatible avec un entraînement d’heptathlète ?

2) On considère que la vitesse initiale du lancer est égale à 11,2 m/s. Quelle est la mesure optimale de l’angle de lancer ? Est-ce une bonne idée de chercher à améliorer la technique de lancer pour cette athlète ?

Analyse de la situation :

Pour obtenir des réponses à la question 1), il faut calculer les images de 14,8 par la fonction f pour les vitesses successives $v$ = 11,2 ; $v$ = 11,3 ; $v$ = 11,4 etc. Lorsque l’image de 14,8 est négative, le poids est déjà tombé au sol (intercepté par la droite d’équation $y$ = 0) avant d’atteindre la distance horizontale 14,80 m et donc le record personnel n’est pas battu. A l’inverse lorsque l’image de 14,8 est positive, le poids est encore en l’air à ce niveau et donc le record personnel de l’athlète est amélioré. Le fichier GeoGebra, dont voici une copie d’écran, est montré aux élèves pour qu’ils puissent passer outre les difficultés de l’abstraction sans trop de peine. On y visualise l’effet des différentes vitesses initiales de 10 m/s (P0) à 13,2 m/s (P8).


Copie d’écran

L’influence de la vitesse initiale sur la longueur du jet