Mettre la démarche d’investigation au service de l’enseignement des mathématiques, c’est ainsi que je pourrais définir mon projet.
Dans cet article, les fichiers GeoGebra proposés aux élèves en guise d’appui ou d’aide à la conjecture sont l’œuvre d’Hédi Abderrahim [1], qui à titre amical, a bien voulu me consacrer une partie non négligeable de son temps pour œuvrer à la consolidation de cette approche. Je le remercie chaleureusement pour son enthousiasme et son perfectionnisme.
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Auteur : Angelo Laplace, Enseignant de mathématiques en collège dans les Alpes-Maritimes (06).
A la lecture de l’introduction commune aux matières scientifiques dans les programmes du collège [2], on peut constater que les professeurs de mathématiques doivent privilégier une démarche d’investigation. Le décret relatif au socle commun du 11 juillet 2006 [3] affirme également que « la maîtrise des principaux éléments de mathématiques s’exerce essentiellement par la résolution de problèmes, notamment à partir de situations proches de la réalité ». Cette démarche doit amener à la formulation d’hypothèses et de conjectures mais aussi à l’expérimentation et à la validation de celles-ci par la démonstration et le recours aux outils informatiques. En outre, les situations-problèmes permettent de réinvestir les notions mathématiques déjà étudiées, mais aussi de développer des compétences de logique, de travail en équipe, d’argumentation et de rédaction. De plus, les sujets de DNB actuels avec des tâches non guidées sont là aussi pour nous rappeler que nous devons préparer nos élèves à ce type d’exercices.
Pourtant la démarche d’investigation semble appliquée de façon assez sporadique dans l’enseignement des mathématiques. Pourquoi ? Plusieurs freins à sa pratique régulière en classe sont invoqués par les professeurs : les activités proposées par ce type de démarche sont par définition chronophages (puisqu’il s’agit de laisser du temps aux élèves pour formuler et tester leurs hypothèses) et les problèmes laissant la part belle à l’autonomie des élèves semblent pour certains réservés aux meilleurs éléments.
Or, je voudrais montrer qu’à l’inverse, la démarche d’investigation est accessible à tous les élèves. Pour peu qu’on lui accorde la place qu’elle mérite et qu’on l’utilise avec des outils pertinents, elle est au contraire le lieu d’une pédagogie différenciée. D’abord, parce qu’elle ouvre les yeux des élèves sur les mathématiques de « notre monde environnant » et les rend plus accessibles et plus humaines. Ensuite, parce qu’elle stimule les élèves en leur apprenant à se faire confiance plutôt qu’à faire « comme le maître », ce qui ne peut constituer un objectif propre à maintenir une motivation sans cesse renouvelée chez bien des élèves d’aujourd’hui.
Dans cet article, je souhaite donc présenter une façon d’enseigner les mathématiques qui place la démarche d’investigation et la prise d’initiatives au cœur du travail de l’année sans négliger la poursuite des objectifs du programme, ni du socle commun (bien au contraire). Le travail présenté a été proposé à des élèves de troisième mais il peut aussi être mis à profit en classe de seconde dans le cadre des multiples travaux sur les fonctions. Le programme de seconde en laisse d’ailleurs également l’occasion puisqu’il insiste sur la nécessité :
- de chercher, expérimenter – en particulier à l’aide d’outils logiciels ;
- d’appliquer des techniques et mettre en œuvre des algorithmes.
En seconde, les tableaux de signes et de variations peuvent d’ailleurs permettre d’envisager les énoncés sous un autre angle parfaitement complémentaire.
Dans cette approche par recherche de validation d’hypothèses, les TICE se positionnent comme un outil particulièrement pertinent pour soutenir la démarche expérimentale. Lorsque les élèves découvrent que les procédures employées sont répétitives, ils apprécient qu’un outil leur vienne en aide pour minimiser leur temps de recherche. Le tableur, la calculatrice ou le logiciel de géométrie dynamique sont des alliés qui doivent compléter les stratégies papier-crayon des élèves et les assister dans leurs recherches.
D’autre part, dans mon collège, j’ai pris l’habitude de travailler depuis plusieurs années avec des groupes d’élèves homogènes quant à leurs « compétences » (élèves à forte initiative / bonne manipulation des règles mathématiques / usage des TICE / capacités d’abstraction / bonne utilisation des grandeurs sont autant de profils que je sais délimiter, ce qui me permet de différencier facilement certaines approches). Aussi, je présenterai au fil du texte certains « coups de pouce » à l’adresse des élèves ayant des difficultés conceptuelles ou rédactionnelles mais qui s’engagent sans peine dans l’usage des TICE. L’informatique permet alors au professeur d’adapter la difficulté du travail au niveau mathématique des élèves.
Tous les problèmes que j’envisage ici sont liés aux trajectoires paraboliques d’un objet en vol soumis uniquement à l’effet de son poids (utilisation des fonctions, notion hors-socle d’où l’importance de différencier les travaux dans la classe). Il ne s’agit ni d’une progression ni d’un fil rouge sur le thème des paraboles mais d’une proposition de « trajectoire » annuelle dont l’impulsion serait donnée par le professeur en fonction du point d’impact que chaque élève peut atteindre. Nous y retrouvons évidemment le canevas d’une séquence d’investigation :
a) Choix d’une situation - problème ;
b) Appropriation du problème par les élèves ;
c) Formulation de conjectures ou de protocoles ;
d) Investigation ;
e) Echange argumenté ;
f) Acquisition et structuration des connaissances ;
g) Mobilisation des connaissances.
I TRAJECTOIRES PARABOLIQUES [4]
- Caractéristiques du lancer
En athlétisme, les différents lancers (poids, javelot, marteau ou disque) ont tous les mêmes caractéristiques : après une procédure d’élan appropriée, l’engin est envoyé dans l’air à une certaine hauteur $ h$ , avec une certaine vitesse d’éjection $ v$ et une certaine orientation par rapport au sol $ \alpha $ . Depuis les travaux de Galilée, nous savons que la trajectoire du centre de gravité de cet engin (uniquement soumis à la force de pesanteur si on néglige la résistance de l’air, l’influence du vent) suit une trajectoire parabolique.
C’est donc sur ce modèle simple mais habituellement mis en application au lycée que j’ai décidé de travailler avec les élèves de troisième. Je n’aborde pas avec eux les techniques qui permettent d’écrire les équations du mouvement (elles aussi réservées aux lycéens). Tout le travail est donc basé sur les équations (admises) suivantes, qui donnent les coordonnées de l’engin à l’instant t :
En éliminant le temps dans ces deux équations, on obtient l’équation de la trajectoire du mouvement sous la forme :
On peut également déterminer la portée, c’est-à-dire la longueur du jet :
La trajectoire dépend donc de trois paramètres $v, h$ et $ \alpha$ qui dépendent de la taille, de la puissance et de la technique des lanceurs. Lorsque $ \alpha $ = 45°, cela a pour effet de simplifier l’équation de la trajectoire car $ \tan 45° $ = 1 et $ {(\cos 45°)}^2$ = 0,5. Au collège, j’utilise g = 9,8 m/s² (au lieu de 9,81) pour simplifier les calculs. Pour le lancer du javelot, l’importance de la portance de l’air est négligée.
La trajectoire d’un projectile lancé au moyen d’une catapulte obéit aux mêmes lois physiques.
II LES PROBLEMES D’INVESTIGATION
Les problèmes que je vais présenter peuvent sembler difficiles voire inaccessibles aux élèves de troisième. Beaucoup de professeurs pourraient ne pas croire à leur bien-fondé. Pourtant pour les avoir expérimentés en classe ou lors de devoirs à la maison, je pense que ces énoncés sont à la fois très formateurs au niveau de la démarche d’investigation mais aussi des attitudes à développer dans le cadre du socle commun. Il faut par contre, pour en révéler l’efficacité, premièrement leur accorder le temps nécessaire afin que les élèves puissent chercher, éventuellement en groupe, et deuxièmement savoir proposer des coups de pouce ciblés aux élèves de certains profils. Bien sûr, accorder du temps pour ce type de travaux mène indéniablement à l’interrogation « vais-je finir le programme à ce rythme ? » C’est la raison pour laquelle les activités proposées sont volontairement transversales et variées. Elles permettent ainsi de manipuler de nombreuses notions :
- concept de fonction ;
- calcul d’image ;
- recherche d’antécédent ;
- tracé de représentation graphique ;
- résolution d’équations ;
- calcul numérique et fractionnaire ;
- valeurs remarquables des lignes trigonométriques ;
- Système d’équations ;
- Equation du type x² = a ;
- Ecriture de formules dans un tableur.
Cela allège donc d’autant le travail pour le reste de l’année. Je pense que le temps que j’y consacre n’est pas gâché bien au contraire, surtout si l’on considère tous les bénéfices acquis sur la prise d’autonomie et d’initiative.
Les différents problèmes sont présentés ci-dessous dans des blocs dépliables individuels.
Le concept de fonction ayant été travaillé sous cet angle, plusieurs semaines plus tard, il faudra songer à les réinvestir dans un autre cadre.
Pour achever notre trajectoire, je propose de montrer comment on peut introduire les systèmes d’équations à l’aide d’une trajectoire parabolique.
Conclusion
Mes élèves ont pu se frotter cette année à ces différents travaux : je ne les ai pas trouvés particulièrement en difficulté au moment d’évaluer leurs capacités vis-à-vis des fonctions. Aussi, au moment d’en dresser le bilan, je ne regrette pas d’avoir fait le pari de travailler sur les trajectoires paraboliques en troisième, sujet complexe, mais éminemment riche en investigations.
Les exercices proposés dans cet article ne sont pas une simple juxtaposition d’activités propices à la démarche d’investigation. Ils font partie intégrante d’une pédagogie que j’ai voulue résolument tournée vers « des situations proches de la réalité ». Les fonctions y apparaissent en lien avec la réalité des trajectoires d’engins, à la fois comme outils de modélisation mais aussi comme objets d’étude à part entière. Les contextes étudiés sont évidemment plus riches que ceux qui amènent à la comparaison de tarifs afin d’étudier la rentabilité de l’abonnement à un service. Par l’universalité des lancers en athlétisme ou des trajectoires des projectiles, il est facile d’expérimenter et de raisonner tout en mettant en perspective le vocabulaire des fonctions et de leurs représentations graphiques. Les incessants allers-retours entre les différents registres (numérique, algébrique, graphique…) [8] forment les élèves beaucoup plus vite à la manipulation des fonctions. Les fichiers de mon collègue Hédi Abderrahim aident de plus les élèves qui manquent de lucidité face au réel à se forger des convictions ou à tester des hypothèses. A ce titre, différents pôles de travail peuvent être organisés dans la classe :
- un pôle d’élèves avec un fort niveau d’abstraction peut travailler sur papier ;
- un pôle d’élèves à l’aise avec les outils numériques peut s’orienter vers des recherches à l’aide du tableur ;
- un pôle d’élèves peut se constituer autour des fichiers GeoGebra, se contentant d’établir des réponses par lecture afin d’acquérir l’indispensable compréhension des situations envisagées.
La pédagogie prend alors tout son sens lorsque la démarche d’investigation vient s’allier à la différenciation pour que tout le monde puisse avancer à son rythme vers « une vérité » que les mathématiques approchent. Je pense donc qu’en la matière, il ne faut rien s’interdire : pratiquer la démarche scientifique, c’est ouvrir des portes, utiliser des outils numériques, élaborer des pistes, refermer des options, utiliser et comprendre des modèles. Dans nos classes de troisième, développer ces différents problèmes, c’est à mon sens stimuler la recherche, susciter l’intérêt, poursuivre les objectifs du socle commun et mieux appréhender notre monde.
Bibliographie :
- Maths et sport, Le sport en équations, HS n°19, bibliothèque tangente, POLE
- Les maths et toi, techniques de lancer, Transmath (programme 2008), Nathan, page 219.
- Un site bien documenté sur l’étude de l’influence des différents facteurs sur la longueur du jet au poids
- Le saut record de Beamon : une analyse mécanique, A. Junqua, Revue EPS n°223, mai-juin 1990.
- DÉMARCHE D’INVESTIGATION EN MATHÉMATIQUES AU COLLÈGE et socle commun de connaissances et de compétences, brochure de l’inspection académique régionale de l’académie de Créteil http://eduscol.education.fr/maths/a....
- Vil coyote rattrapera-t-il Bip-Bip ?, Claire CAZES et Fabrice VANDEBROUCK, Repères-IREM N°95, avril 2014 http://www.univ-irem.fr/spip.php?ar....
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