Je suis enseignante de mathématiques dans un collège mi-rural mi-urbain à Liffré près de Rennes. Je propose à mes élèves des activités très diverses pour les convaincre que les mathématiques sont un outil pour comprendre le monde et non une matière aride, à subir au collège. Par conséquent, j’essaye de relier les nouvelles notions à des situations de la vie courante. Voici deux exemples présentés en 6e : la notion d’angle, puis celle de cercle.
Une image mentale de l’angle : l’écartement
En CM2, les élèves ont déjà abordé la notion d’angle au moyen de gabarits. Ils connaissent en général les angles droits, aigus et obtus, ils ont parfois manipulé un rapporteur. Pour beaucoup d’entre eux, la notion d’angle est confuse. Lorsqu’on leur demande de montrer un angle sur une figure, ils hésitent : certains montrent la marque de l’angle, d’autres ses côtés ou encore trois points mais il ne leur vient jamais à l’esprit l’idée du secteur angulaire comme un faisceau lumineux qui part à l’infini. Grâce aux activités interactives que je leur ai préparées, j’espère leur donner dès le départ l’écartement comme image mentale d’un angle. En effet, ils vont devoir utiliser des outils virtuels (genou, goniomètre ou fausse équerre) pour ouvrir ou fermer un angle ; leur gabarit ne sera plus statique mais dynamique. Par la suite, l’idée de mesurer un angle pour le comparer à un autre viendra plus aisément.
La première séance se déroule entièrement en salle réseau sur mon site Le Matou matheux. Chaque élève (un ou deux par ordinateur- 20 ordinateurs pour une classe de 25 à 28 élèves) réalise les exercices regroupés à la page intitulée Comparer des angles. Le chemin d’accès à cette page est écrit au tableau.
– La première activité consiste à chercher tous les angles droits parmi neuf angles dessinés. Elle est en général bien réussie et les élèves prennent alors confiance en eux et poursuivent avec plaisir. Je prends le temps d’observer les différents procédés qu’ils mettent en œuvre pour répondre : le coup d’œil rapide, l’inclinaison de la tête pour mieux juger de la perpendicularité, l’utilisation d’une équerre sur l’écran....
– Dans les trois activités suivantes, l’élève doit régler un genou articulé pour que celui-ci ait le même écartement que le modèle. Bien entendu la difficulté est croissante :
- Le genou (1) : l’erreur maximale autorisée est de 10°,
- Le genou (2) : l’erreur maximale autorisée est de 5°,
- Le genou (3) : l’élève doit utiliser cette fois-ci un goniomètre articulé de kinésithérapeute pour bien positionner la jambe.
Pourquoi un genou ? Tout simplement parce que le mot angle vient du latin angulus qui lui-même viendrait du grec gonos signifiant genou. J’explique à mes élèves cette étymologie avant de leur faire deviner celle du mot goniomètre, puis ensemble on imagine comment le kinésithérapeute peut s’en servir : comparer les inclinaisons maximales et minimales des deux poignets ou des deux genoux.
– Ensuite, dans le même ordre d’idées, les élèves découvrent deux autres activités sur la fausse équerre, outil utilisé par les menuisiers entre autres. Il s’agit de repérer tous les angles qui ont la même mesure que le modèle à l’aide de cet instrument articulé.
- La fausse équerre (1) : les angles sont positionnés comme le modèle,
- La fausse équerre (2) : les angles sont représentés de manière très différente les uns des autres.
Et c’est alors que les difficultés apparaissent de manière plus frappante : plusieurs élèves sont persuadés que pour comparer des angles il suffit de comparer les longueurs de leurs côtés. Je demande à tous de faire une pause, même aux élèves les plus avancés : à l’aide d’une fausse équerre que j’ai apportée, j’explique et je montre que ce qui importe pour le menuisier ou le bricoleur, c’est bien l’écartement de l’angle et non la longueur d’un de ses côtés.
– Presque tous les élèves ont le temps de réinvestir cette idée de comparaison d’écartements dans l’activité intitulée Ordre croissant mais plusieurs ne la finiront pas car la satanée sonnerie retentira avant. Il s’agit de superposer six angles de mesures voisines avec des côtés de longueurs différentes pour les comparer.
Les séances suivantes se déroulent dans une salle de classe, plus classique, équipée tout de même d’un vidéoprojecteur couplée à un ordinateur. Chaque fois que cela me semble nécessaire je rappelle, voire je projette, une des activités qu’ils ont étudiées lors de la première séance face à l’ordinateur pour qu’ils n’oublient pas l’image mentale de l’écartement.
– Le vocabulaire vu en CM2 est tout d’abord réécrit sur le cahier de cours, puis plus tard, après l’introduction des degrés, réinvesti dans une courte séance de géométrie mentale projetée au tableau et titrée Angles.
– Ensuite, je leur apprends à nommer un angle et j’utilise des exercices du livre, mais aussi des exercices interactifs que je projette au tableau. Ceci permet d’utiliser deux présentations différentes d’une figure géométrique : l’une horizontale et l’autre verticale.
– Puis nous abordons la notion de mesure d’angle à l’aide du rapporteur. Tout d’abord, je demande aux élèves ce que peuvent signifier les nombres écrits sur leur rapporteur. Ensuite, je les amène à repérer le centre du rapporteur et le trait de la graduation 0°. Quand j’estime que chaque élève est prêt, je projette au tableau l’animation de MathenPoche que j’ai insérée dans mon site et qui montre étape par étape la bonne position du rapporteur.
– Au cours d’une autre séance, je vérifie en projetant les activités ci-dessous que cette bonne position a été bien comprise.
Une image mentale du cercle : être à la même distance
Très tôt, un jeune enfant sait différencier un rond d’un carré, mais il s’agit toujours d’images fixes. Associer le cercle à un ensemble de points tous situés à la même distance d’un autre n’est pas une notion acquise par nos élèves de 6e. A la rentrée scolaire, rares sont les élèves qui utilisent un compas pour tracer deux segments de même longueur. Ils connaissent en général les mots centre, rayon et diamètre, même si la plupart confondent ces deux derniers. Parfois, certains d’entre eux ont entendu parler du nombre $\pi$. Pendant une semaine en fin de cours, sans avoir parlé au préalable de cercle, je propose donc plusieurs activités sur fiches papier intitulées Les aventures de Bébert, téléchargeables ici. Certains élèves, pris par l’envie de trouver et pressés d’obtenir la fiche suivante, les poursuivent d’eux-mêmes à la maison.
– Les élèves se confrontent à la notion de cercle (et forcément à celle du disque) puisqu’ils doivent hachurer pour chaque exemple la partie que le mouton Bébert peut brouter en étant attaché successivement à un piquet, au pied d’un mur, à l’angle d’une maison etc. L’idée de prendre le compas pour pouvoir répondre est loin d’être immédiate pour beaucoup d’élèves.
– Je les aide dans leur recherche en apportant une corde et en demandant à un élève de bien vouloir jouer le mouton. Le déclic a lieu assez rapidement et chacun repart très enthousiaste vers sa fiche.
– Quelques jours plus tard, lorsque le vocabulaire de base (rayon, centre, diamètre) a été révisé, une correction générale des fiches est abordée en classe à l’aide de petites animations que j’ai réalisées sous Flash. Pour certaines d’entre elles, on prend le temps de préciser oralement le programme de construction.
Bébert attaché à un piquet planté au centre d’un pré carré
Bébert attaché à un anneau fixé au milieu d’un mur
Bébert attaché à un anneau fixé au coin d’une maison carrée
Je suis de plus en plus persuadée que l’utilisation d’outils très divers ne peut qu’être bénéfique dans l’apprentissage des notions de géométrie enseignées au collège. Ainsi la notion d’angle est vue à l’aide :
– d’outils virtuels généralement appréciés par les élèves, mais qui demandent une réelle abstraction, pas forcément à la portée de tous,
– d’une fausse équerre, bien « réelle » et plus parlante pour les élèves qui ont besoin du toucher pour s’approprier une notion,
– de multiples tracés géométriques avec ou sans rapporteur pour tous ceux qui adorent créer des figures géométriques.
C’est ainsi que dans des classes très hétérogènes, ce n’est pas toujours le même type d’élève qui est à l’aise devant l’activité proposée. Il est toujours intéressant de pouvoir donner l’occasion à un élève reconnu plutôt « manuel » de donner un coup de pouce à un élève reconnu plutôt « intellectuel ».
De plus, chaque outil qu’il soit classique ou très moderne aborde un aspect différent de la notion étudiée mais c’est l’utilisation en parallèle de plusieurs d’entre eux qui seule, permet à l’élève de maîtriser cette notion.
Je me demande de plus en plus souvent pourquoi n’a-t-on jamais mis en place des séances de travaux pratiques en mathématiques comme en SVT ou Sciences Physiques ? Comment faire comprendre la notion de volume sans donner la possibilité aux élèves de remplir eux-mêmes des récipients ? Finie alors l’égalité tant appréciée par les élèves : 1 L = 1 m3 ! De même, je suis sûre que la notion d’échelle serait beaucoup mieux comprise si chaque élève ouvrait un plan de son collège et vérifiait sur place les mesures réelles et les mesures reportées sur le plan. Qui a décrété que les mathématiques devaient être enseignées hors de toute « expérimentation », à l’école primaire comme au collège ?
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