par Brigitte Grugeon-Allys, Christian Vincent, Dominique Prévit, Elisabeth Delozanne, Françoise Chenevotot, Julia Pilet, Naïma El Kechai
Article écrit par :
Brigitte Grugeon-Allys, Julia Pilet, Elisabeth Delozanne, Françoise Chenevotot, Christian Vincent, Dominique Prévit, Naïma El Kechai [1]
Sommaire |
Introduction
Des membres de l’association Sésamath [2] et des chercheurs de deux équipes en didactique des mathématiques et en informatique travaillent ensemble dans le cadre du projet PépiMep , projet soutenu par la région Ile de France. L’enjeu du projet est d’accompagner les évolutions du métier d’enseignant par la mise à disposition d’outils informatiques performants qui aident les enseignants dans les nouvelles tâches qui leur sont confiées (enseignement sur mesure, gestion de la différenciation de l’enseignement, aide individualisée aux élèves, accompagnement scolaire). Le domaine d’enseignement concerne l’algèbre élémentaire en fin de scolarité obligatoire lors de la transition troisième / seconde.
Ce projet fait suite à un projet antérieur, initié par la région Ile de France en 2003-2004, en partenariat avec les trois académies de la région parisienne, qui avait pour but, en particulier, d’étudier les usages effectifs des ressources numériques sélectionnées par les enseignants et les élèves pour soutenir l’accompagnement scolaire des élèves issus de milieux défavorisés. Ce projet a, d’une part, identifié trois grands types d’usage des ressources par les enseignants : usages de « confort », de « remédiation » et de « consolidation » et, d’autre part, montré que « malgré les possibilités offertes, la différenciation entre élèves ou groupes d’élèves reste limitée (...), la seule différenciation étant le plus souvent celle qui s’effectue de fait, chacun n’avançant qu’à son rythme ». Ce projet a aussi montré que « c’est au niveau des analyses des réponses et des aides, que les évolutions sont les plus faibles » (Artigue et Gueudet 2008). D’autres recherches (Vandebrouck 2008) confortent ces résultats.
Dans ce contexte, le premier objectif du projet est d’implémenter sur la plateforme LaboMep un outil de diagnostic (test et analyse automatique) adapté du projet pluridisciplinaire Lingot (Delozanne et al. 2010). Le deuxième objectif est de concevoir et de développer sur la plateforme LaboMep des outils de différenciation de l’enseignement via des parcours d’exercices adaptés aux besoins des élèves repérés par le diagnostic. La sélection des parcours est fondée sur un modèle de la compétence algébrique (Grugeon 1997). Le troisième objectif est d’étudier les usages de ces outils dans des conditions réelles d’enseignement, à partir des données recueillies à grande échelle. Il s’agit ainsi d’évaluer les modélisations didactiques et informatiques mises en œuvre et de les faire évoluer dans le cadre d’une stratégie de conception collaborative et itérative.
Le développement des outils sur LaboMep est en cours et nous indiquons les premières réalisations. Dans une première section, nous présentons succinctement les éléments théoriques sur lesquels s’appuie la conception des outils de diagnostic et de régulation de l’enseignement. Dans une deuxième section, nous illustrons le test à partir des différents types d’exercices diagnostiques le constituant et indiquons les choix réalisés pour présenter des caractéristiques des bilans cognitifs, c’est-à-dire des bilans de connaissances et compétences des élèves en algèbre élémentaire lors de la transition troisième-seconde. Dans une troisième section, nous donnons quelques éléments concernant l’exploitation du diagnostic.
Quelques points de repère théoriques
La régulation de l’enseignement prend souvent appui sur des catégories d’élèves, « les bons », « les moyens rapides », « les moyens faibles », « les faibles ». Ces groupes sont faciles à réaliser à partir de notes obtenues à des tests ou contrôles, mais ils donnent peu de pistes pour organiser la régulation des apprentissages des élèves. Pour permettre aux enseignants d’organiser un diagnostic utile pour repérer les besoins d’apprentissage des élèves, nous avons défini a priori un modèle multidimensionnel de la compétence algébrique attendue en fin de scolarité obligatoire (Grugeon 1997). Notre travail se fonde sur une approche épistémologique et cognitive à partir d’une synthèse des travaux de didactique de l’algèbre (Kieran 2007) qui a éclairé une étude approfondie d’une cohorte d’élèves sur plusieurs années et des centaines de productions. Dans la transition 3e/2nde, en perspective des capacités attendues par les programmes, nous évaluons les capacités des élèves :
– à produire des expressions, des formules, à traduire algébriquement des relations mathématiques à partir de la représentation donnée (graphique, géométrique, langue naturelle) et vice versa ;
– à transformer des expressions algébriques en fonction des buts visés (développer, factoriser), à résoudre des équations ou inéquations dans des tâches variées ;
– à mobiliser l’outil algébrique pour résoudre des problèmes de généralisation ou de preuve, des problèmes de modélisation ou problèmes de mise en équation. A ce niveau scolaire, nous mettons en perspective les démarches de résolution arithmétique et algébrique.
Les travaux de didactique de l’algèbre pointent des ruptures potentielles en début d’apprentissage du calcul algébrique, tant du point de vue de la construction du raisonnement mathématique (mobilisation des lettres pour modéliser des relations, passage de preuve pragmatique à preuve mathématique) que du point de vue du développement de l’habileté à faire du calcul algébrique et à s’adapter dans l’interprétation des expressions en fonction du but visé. Ces ruptures potentielles nous semblent peu prises en compte dans l’enseignement, voire ignorées de l’institution. Dans ce projet, nous cherchons à évaluer les difficultés des élèves liées à une négociation difficile de ces ruptures à partir d’un test diagnostique.
Le test diagnostique
Dix exercices diagnostiques constituent le test. Certains exercices sont des QCM, d’autres analysent des réponses produites par des élèves. Ils recouvrent différents types de problèmes du domaine algébrique. Ils visent ainsi à identifier les capacités des élèves présentées plus haut.
Ces exercices comportent :
– Des exercices de calcul algébrique : développer ou factoriser des expressions algébriques, résoudre des équations du premier degré ou se ramenant au premier degré
L’exercice présenté par la figure 1 permet de repérer si un élève reconnaît la structure d’une expression et utilise les identités mises en jeu en fonction du but visé. Dans le cas négatif, l’analyse didactique caractérise les règles erronées utilisées.
– Des exercices de production d’expression, de formule ou de mise en équation pour traduire des relations entre variables selon les conditions de l’énoncé.
L’exercice présenté par la figure 2 permet d’étudier si un élève sait exprimer l’aire d’un domaine plan par une expression algébrique. L’analyse des réponses correctes ou erronées donne accès aux règles de traduction et de transformation utilisées par les élèves pour passer d’une représentation géométrique à une expression algébrique.
L’exercice présenté par la figure 3 permet d’étudier si un élève sait traduire algébriquement un énoncé donné en langage naturel. L’analyse des réponses correctes ou erronées permet d’identifier le mode de traduction utilisée (reformulation ou non, schématisation) pour passer d’une relation mathématique exprimée en français vers une relation algébrique.
– Des exercices de reconnaissance de la structure d’une expression
La réponse à un item de l’exercice présenté par la figure 4.1 permet de repérer si un élève reconnaît la structure des expressions et les règles de formation des écritures algébriques qu’il a mobilisées. Le choix d’une justification (cf. figure 4.2 ou 4.3) donne accès au niveau de rationalité mis en jeu par les élèves : preuve pragmatique par l’exemple numérique, preuve algébrique ou preuve par injonction (il faut que...).
– Des exercices pour résoudre des problèmes dans différents cadres (numérique, algébrique, géométrique, fonctionnel) en mobilisant l’outil algébrique pour prouver des propriétés, pour mettre en équation.
L’exercice présenté à la figure 5 permet de tester la capacité des élèves à mobiliser l’outil algébrique pour produire une expression algébrique, résultat d’un algorithme de calcul, puis prouver que l’expression obtenue est toujours égale à 7. La génération de l’expression donne accès au niveau de preuve mis en jeu (exemple numérique ou preuve algébrique), aux règles de traduction utilisées et aux règles de transformation utilisées pour développer et réduire l’expression.
L’exercice composé de 3 questions présenté à la figure 6 permet d’étudier les capacités des élèves à produire des expressions littérales en lien avec le cadre géométrique, à mettre en équation un problème pour rechercher les conditions d’égalité d’aires de deux figures puis à résoudre une équation du premier degré à une inconnue à coefficients numériques. L’analyse des réponses des élèves donne accès aux règles de production d’une expression algébrique, d’une égalité entre deux aires puis aux règles de résolution d’une équation du premier degré à une inconnue à coefficients numériques.
L’évaluation formative des réponses
L’analyse des réponses des élèves au test renvoie un bilan cognitif de connaissances et de compétences relatif au calcul algébrique et pas seulement une note. En effet, dans notre approche de l’évaluation, les réponses des élèves révèlent certaines cohérences de leur activité algébrique et elles ne sont pas seulement analysées en termes d’erreurs mais également en termes de cohérences. Une grille d’analyse permet de coder les réponses des élèves aux questions du test en fonction des capacités présentées plus haut. Une analyse transversale du codage obtenu pour chaque exercice permet de construire un bilan de connaissances et de compétences de l’élève en algèbre. Ce bilan cognitif est la description des principales caractéristiques de l’activité algébrique des élèves et comprend, d’une part, les taux de réussite selon les types d’exercices diagnostiques, d’autre part, une description de l’activité algébrique organisée sur trois composantes :
– l’habileté et l’adaptabilité à faire du calcul algébrique dans des tâches variées,
– la capacité à traduire algébriquement des relations mathématiques exprimées par un graphique, une phrase, un dessin géométrique et réciproquement,
– l’usage de l’outil algébrique pour résoudre des problèmes.
Pour chacune de ces trois composantes, différents niveaux de compétence ont été identifiés :
– quatre niveaux relatifs à l’usage de l’algèbre : maîtrisé, adapté dans certains types de problèmes, non motivé et non compris, faible car limité à des démarches arithmétiques ;
– trois niveaux relatifs à la traduction : traduction majoritairement correcte, traduction parfois incorrecte liée à un manque de reformulation des relations mathématiques, traduction souvent incorrecte perçue comme une écriture schématique ;
– trois niveaux relatifs à l’habileté en calcul algébrique : calcul intelligent et contrôlé, calcul technique basé sur des règles syntaxiques souvent en aveugle, calcul avec peu de signification et peu d’usage des priorités opératoires.
D’autres informations sont prises en compte : les fragilités provoquées par des erreurs récurrentes mais aussi les leviers. Par exemple, pour certains élèves le professeur peut s’appuyer sur le calcul réfléchi, sur certaines représentations graphiques, pour favoriser une évolution de leur bilan cognitif en algèbre élémentaire. La figure 7 présente un exemple de bilan, celui de Jules, élève de 3e :
Usage de l’algèbre Niveau 3 | Non motivé et non compris | Exercices de mathématisationTaux de réussite : 18% Fragilités Utilisation de démarches arithmétiques non pertinentes |
Traduction Niveau 2 | Assez souvent incorrecte liée à un manque de reformulation | Exercices de reconnaissance et de traduction Taux de réussite : 50% Leviers Beaucoup de traduction algébrique correcte pour modéliser |
Calcul algébrique Niveau 3 | Peu de sens donné au calcul algébrique | Exercices techniques Taux de réussite : 14% Fragilités Rôle des opérateurs non maîtrisé4 a 3+ 3a 2 = 7 a 5 (F)Utilisation de règles de transformation fausses( a+b) 2 = a 2 + b 2 (F) a m a n = a mn (F) ax=b alors x = -b/a |
L’affichage du bilan des élèves intégrera progressivement ces informations sur le site LaboMep .
Les outils de différenciation proposés
Plusieurs outils sont proposés pour organiser des séances adaptées aux besoins des élèves d’une classe.
Répartition des élèves :
Les élèves sont regroupés en trois groupes selon leur niveau en calcul algébrique puis leur capacité à utiliser l’outil algébrique pour résoudre des problèmes. Ce bilan de la classe rend compte de la répartition des élèves en fonction de leur apprentissage en algèbre élémentaire au moment du test.
Ce regroupement présenté à la figure 8, en limitant le nombre de groupes, facilite l’organisation de la différenciation de l’enseignement et la proposition de parcours d’apprentissage adaptés aux besoins des élèves, tout en se rapprochant des pratiques habituelles des enseignants.
Les objectifs d’apprentissage à travailler en fonction des groupes
L’appartenance d’élèves à un groupe permet de faire des hypothèses sur les objectifs à travailler en priorité pour déstabiliser des conceptions erronées ou inadaptées d’élèves en algèbre et faire évoluer leur activité algébrique.
Par exemple, pour des élèves qui donnent peu de sens au calcul algébrique et utilisent des règles de transformation du type a2 2a ou 3a2 + 2a 5a3 (groupe C), les objectifs d’apprentissage privilégiés à travailler à partir d’exercices bien choisis sont les suivants :
– Renforcer les priorités opératoires à partir de calcul réfléchi, si le calcul numérique est fragile.
– Faire comprendre les limites des démarches numériques dans la résolution de problèmes (généralisation, preuve) et motiver l’usage des lettres pour traduire des relations.
– Déstabiliser les règles fausses à partir de contre-exemples dans différentes représentations.
– Travailler la technique (développer, factoriser) en contrôlant les calculs (propriétés utilisées pour conserver des expressions équivalentes, contre-exemple numérique ou graphique pour invalider des transformations erronées).
– Associer les expressions algébriques à d’autres représentations.
Des exercices à travailler en fonction des groupes
La stratégie de différenciation dépend des objectifs d’enseignement et des scénarios prévus par les enseignants pour les chapitres relatifs au calcul algébrique. Les professeurs peuvent sélectionner des exercices adaptés aux besoins de leur classe en croisant des objectifs d’enseignement visés et les besoins des élèves. En attendant leur intégration sur LaboMep et la possibilité de les sélectionner directement sur Labomep , les exercices des parcours sont disponibles dans l’environnement papier/crayon via des fichiers textes pdf ou sur MathEnPoche .
Voici un exemple de parcours d’apprentissage qui s’adresse à des élèves de début de classe de seconde et ayant un bilan proche de celui de Jules (groupe C). Il vise à :
– Développer la reconnaissance d’expressions équivalentes (exercices 1 et 2),
– Développer la reconnaissance de la structure des expressions (exercice 3) en lien avec la représentation en arbre (exercice 1),
– Déstabiliser les règles fausses à partir de contre-exemples numériques (exercice 2)
– Développer le choix de l’écriture d’une expression la plus adaptée en fonction du but visé : calculer et transformer des expressions, résoudre une équation (exercices 3, 4 et 5),
– Faire comprendre les limites des démarches numériques dans la résolution de problèmes (généralisation, preuve) et motiver l’utilisation des lettres (exercice 5).
Conclusion
Ce projet s’est enrichi de l’expérience et du travail d’équipes et d’individus chercheurs, développeurs informatiques ou enseignants de mathématiques, en particulier de l’association Sésamath . C’est cette étroite et fructueuse collaboration qui a permis, en complémentarité de l’étude didactique, la conception et le développement des logiciels de diagnostic automatique et des parcours différenciés d’apprentissage. Les tests diagnostiques sont implémentés et l’analyse des solutions des élèves propose une répartition des élèves de la classe et un bilan de compétences et connaissances des élèves. Actuellement, l’équipe travaille sur trois axes. Les parcours sont en phase de tests auprès d’enseignants de mathématiques utilisateurs des ressources de Sésamath . Une interface est en cours de développement pour rendre le diagnostic et les parcours accessibles aux enseignants. Enfin, de nouveaux exercices en ligne sont développés pour automatiser la différenciation des aides et rétroactions en fonction du bilan des élèves.
Nous remercions Aso Darwesh qui vient de soutenir sa thèse au LIP6 et Josselin Allys, stagiaire de l’ENSIIE, pour leur participation au projet.
Références bibliographiques
Artigue M., Gueudet G. (2008), Ressources en ligne et enseignement des mathématiques, Université d’été de mathématiques, Saint-Flour. http://www3.ac-clermont.fr/pedago/maths/pages/UE2008/prog_UE_2008.htm
Delozanne E., Previt D., Grugeon-Allys B., Chenevotot-Quentin F.(2010), Vers un modèle de diagnostic de compétences , Revue Technique et Sciences Informatiques , Vol 29/8-9 - 2010 - pp. 899-938, Editions Lavoisier Hermès Sciences.
Grugeon B. (1997), Conception et exploitation d’une structure d’analyse multidimensionnelle en algèbre élémentaire, Recherches en didactique des mathématiques, Vol 17 n°2, pp. 167-210, Editions la Pensée Sauvage.
Kieran C. (2007), Learning and teaching algebra at the middle school through college levels. In Frank K. Lester (Eds.) Second Handbook of Research on Mathematics Teaching and Learning , Chapter 16, pp.707-762.
Vandebrouck, F. (2008). La classe de mathématiques : activité des élèves et pratiques des enseignants . Toulouse : Ed Octarès.