Le constat est unanime : oui, le calcul mental est fondamental dans l’enseignement des mathématiques et pour le futur citoyen. Quelles sont les raisons qui expliquent cette belle unanimité et quel état des lieux pour le calcul mental à l’école ?
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Les nombres et les opérations sont aux mathématiques ce que l’alphabet et la syntaxe sont à une langue, un lien intime qui nous relie au monde qui nous entoure. C’est la compréhension de nombreux phénomènes qui est en jeu : en physique, en SVT, en histoire, en géographie… et la liste n’est pas exhaustive.
Au tout début, la construction du sens du nombre commence avec nos cinq sens et la manipulation pour progressivement se mentaliser puis s’abstraire. La relation est d’abord mentale, sans formalisme. La poursuivre et l’intensifier installe une aisance avec les nombres et les opérations. Cette agilité mentale se traduit par une vivacité d’esprit qui diffuse bien au-delà des nombres et des mathématiques et se prolonge par de la confiance en soi, cette confiance indispensable pour avoir envie de prolonger la découverte de l’univers des mathématiques.
Où en sont les pratiques mentales dans l’enseignement du calcul ?
Calculatrices, ordinateurs, smartphones et tablettes, c’est une véritable succession de mini-révolutions technologiques en 40 ans.
Ces nouvelles technologies, peuplées d’écrans, modifient notre perception du monde et donc des mathématiques et nous posent des questions légitimes sur l’enseignement des nombres et du calcul. Que faut-il enseigner et comment faut-il enseigner le calcul ? L’écran est une interface nouvelle entre nos perceptions et notre cerveau. Il facilite la mentalisation de notre relation aux nombres et aux opérations par l’accélération de la liaison et en court-circuitant l’écrit.
La part grandissante, depuis 20 ans, de la place du calcul mental dans les programmes est donc en phase avec cette évolution technologique. L’analyse est très différente concernant les techniques opératoires associées à l’écrit. Bien sûr, il y a une dimension mentale dans la pratique de ces techniques opératoires mais elle s’efface derrière le caractère algorithmique des opérations posées. C’est un véritable paradoxe, alors que l’écrit est supposé stabiliser le sens, concernant le calcul, il semble nous éloigner de cette quête du sens !
Voilà le genre d’opération qu’un élève de cycle 3 devrait réaliser mentalement par complément en ajoutant 30 puis 5 à 967 à la façon du boulier ou en ajoutant 40 puis en retirant 5. Poser ce type d’opération éloigne du sens : dès le travail sur les unités $5+7=12$, le simple fait d’écrire le 2 puis de poser la retenue 1, nous éloigne des nombres initiaux 967 et 35. Et ça continue avec le calcul des dizaines avec de nouveau une retenue.
Pour comprendre la place importante de ces techniques opératoires dans l’enseignement du calcul, il faut se souvenir qu’il y a 50 ans et plus, l’élève ne disposait d’aucun secours technologique pour réaliser une des quatre opérations. La maîtrise de ces techniques était vitale. Ce caractère fondamental a sacralisé la place des techniques opératoires dans l’enseignement. Comme la technique a évolué tellement vite ces 50 dernières années, nos habitudes éducatives se sont trouvées en décalage avec notre environnement. Les techniques opératoires ont toujours leur place mais certainement de façon allégée et surtout placées entre les pratiques mentales et les machines. Il faut généraliser une forme de bon sens dans l’enseignement du calcul : le mental pour les opérations simples comme dans la vie courante, l’opération posée à l’écrit si le mental ne suffit pas et la machine quand cela devient technique et difficile. Dans ce cadre, l’enseignement du calcul mental devient alors le fil conducteur des apprentissages calculatoires avec un travail permanent sur le sens et des pratiques diversifiées alternant réfléchi, automatisé et jeu.
Les arguments ne manquent pas pour conforter cette place de plus en plus importante du calcul mental dans les programmes scolaires. Le mouvement s’est enclenché avec les programmes de 2002 qui distinguaient clairement le calcul mental automatisé et le calcul réfléchi. Pour plus de détails, vous pouvez lire un billet sur ces deux types de calcul mental sur le blog Mathador.
Le citoyen peut se passer d’une maitrise fine des techniques opératoires, son téléphone portable pourra le secourir mais un défaut d’aisance en calcul mental, concernant les ordres de grandeur ou des techniques calculatoires, peut devenir dans la vie courante [1] un véritable handicap. De plus, les nombreuses études nationales ou internationales sur la maîtrise de nos élèves en calcul convergent malheureusement toutes vers le même résultat et nous placent régulièrement dans les élèves en difficultés de la classe internationale. Cette tendance ne cesse de s’amplifier depuis les premières études PISA en 2000. Il n’est plus possible de se réfugier derrière les critiques de modalité d’une de ces études.
Le cadre est posé, rentrons un peu plus dans l’univers du calcul mental…
On peut établir un parallèle avec le travail de Rémi Brissiaud pour la maternelle. Brissiaud insiste très justement sur la mise en place du comptage-dénombrement [2] à la différence du comptage-numérotage. Ce dernier renvoie à l’enfant « automath » qui connaît la comptine numérique sur le bout des doigts mais qui ne sait pas combien d’objets il faut rajouter à une collection de 6 objets pour en avoir 9 ! Le comptage-dénombrement rapproche le comptage du monde du calcul par le fait que tout nombre énoncé est un ajout d’une unité au précédent. L’enfant récite alors 6 et un qui donne 7 puis 7 et un qui donne 8 puis 8 et un qui donne 9. Il peut alors visualiser que pour aller de 6 à 9, il manque 3 (un et un et un). Avec cette démarche, la comptine n’est pas qu’une récitation rituelle. Cette distinction est fondamentale et définit les fondements du sens du nombre. Il faut lier la numération au calcul dès le début des apprentissages et le prolonger ensuite par des travaux de décompositions et de jeux de nombre-cible.
Evidemment, il n’y a pas de recette magique pour rendre acteur, mais plutôt une addition de paramètres qui peuvent y contribuer. Concernant le calcul mental, la régularité, la répétition et la verbalisation sont trois piliers essentiels. La régularité est un des postulats de tout enseignement. Le diaporama de calcul mental fait partie de ces nouveaux outils apportés par les évolutions technologiques. C’est un excellent moyen pour établir une régularité de la pratique du calcul mental dans le cadre d’une progression annuelle.
Même si les effectifs de classe sont souvent un frein, notre enseignement des mathématiques a encore une marge de progression pour intégrer plus fortement la manipulation et la verbalisation.
Et la répétition ? Un joueur d’échecs répète les ouvertures jusqu’à les automatiser. La théorie du « chunking » montre qu’un grand maître aux échecs automatise un très grand nombre de dispositions particulières des pièces sur l’échiquier. Intuitivement, il s’en sert ensuite pour construire sa réflexion et ses choix de déplacement. Ces « chunks » sont l’équivalent des automatismes en calcul mental, outils de base pour le calcul mental réfléchi. Le travail de répétition ne pose aucun problème dès lors qu’on parle de musique ou de sport. Curieusement, la question fait encore débat en mathématiques, de moins en moins heureusement. Et pourtant, on le sait tous, l’automatisation de faits numériques repose en partie sur un travail répétitif. Il y a fort à parier que l’image d’Epinal, poussiéreuse, type 3ème République, de l’apprentissage par cœur des tables de multiplication est encore présente dans l’inconscient collectif. Cette image du passé est certainement un frein à l’installation de nouvelles pratiques mentales mais n’est en aucun un modèle à reproduire. En effet, sous cet angle, répétitif rime avec rébarbatif. Il est urgent de faire rimer répétitif avec attractif !
Pour développer ce caractère attractif, le jeu et le numérique, avec des outils bien choisis, sont deux approches pédagogiques qui doivent permettre de travailler la dimension répétition avec diversité et plaisir.
Les avantages du numérique sont multiples : cela permet la différenciation et l’individualisation. C’est aussi une façon de combiner les différents types de calcul mental réfléchi, en insistant sur la pratique du calcul à l’envers, une clé dans la construction du sens des nombres et des opérations.
Un autre frein au travail de répétition réside dans l’idée qu’il serait plus important d’aller le plus loin possible dans les apprentissages et le plus vite possible. La France est un des rares pays à travailler les nombres jusqu’à 1000 dès le début du primaire. C’est au détriment d’un travail de consolidation et de répétition axé sur la décomposition des premiers nombres. Cette course à la précocité est l’exemple même de la fausse bonne idée pour faire progresser un enfant. Comme le dit très bien Brissiaud : « à la fin de la maternelle, il est plus important de bien connaître les 10 premiers nombres et leurs multiples décompositions que les 30 ou 100 premiers numéros ».
Enfin, il est important de signaler qu’un travail régulier en calcul mental est en phase avec les paramètres soulignés comme essentiels par les sciences cognitives : l’attention, l’engagement actif, un retour rapide d’information et la consolidation. C’est certainement une des explications au plaisir souvent évoqué par les élèves dans la pratique du calcul mental : cet exercice intellectuel semble en phase avec le fonctionnement du cerveau.
Le récent rapport Villani-Torossian [6] place le calcul et le calcul mental au cœur de l’enseignement des mathématiques. Ce rapport fait suite aux évolutions des programmes de ces 20 dernières années. Cette tendance est confirmée par le récent BO spécial du 26/04/2018 sur l’enseignement du calcul. En voici la conclusion :
La place du calcul dans l’enseignement des mathématiques est aujourd’hui reconnue unanimement et la nécessité d’acquérir des automatismes ne fait plus débat. Si la résolution de problèmes est bien au centre de l’activité mathématique, la familiarité avec les nombres et leurs propriétés, ainsi qu’une maîtrise minimale du calcul sont indispensables aux élèves pour qu’ils puissent appréhender le problème et appliquer leur intelligence à la recherche et à la poursuite des voies de résolution qui s’offrent à eux. Par ailleurs, la majorité des élèves aiment manipuler les nombres, calculer, c’est pour eux une forme de jeu. Enseigner explicitement et intensivement le calcul aux élèves revient en fait à leur offrir à la fois des outils pour la résolution de problèmes et la suite de leurs études et le plaisir de jouer avec les nombres.
Il faut créer une nouvelle culture de l’enseignement du calcul sur les bases d’un calcul mental réfléchi régulier en lien avec le sens des nombres et des opérations où l’élève cherche, raisonne, calcule et verbalise. Les résultats de Denis Butlen [7] l’indiquent, l’aisance en calcul mental améliore de façon significative les résultats en résolution de problème. C’est un peu comme si la maîtrise en calcul mental diffusait du sens. C’est la caisse à outils avec laquelle nous résolvons les problèmes. Il faut donc la remplir d’outils de tailles, de formes diverses et variées, bref, la plus complète possible ! Et pour développer cette aisance, une place à part pour le jeu, formidable porte d’entrée dans l’univers des nombres. Le plaisir de jongler avec les nombres ou les lettres est partagé par le plus grand nombre, petits et grands. Cette forme de jubilation mentale doit être développée le plus tôt possible puis cultivée à l’école et au collège. Plaisir de calculer, progrès en résolution de problèmes, limitation de l’effet anxiogène de l’enseignement des mathématiques, et si c’était la bonne direction pour remonter dans les classements internationaux ?