Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Une constellation de Sesamaths francophones
Article mis en ligne le 14 novembre 2013
dernière modification le 16 novembre 2013

par Sébastien Hache

Les ressources pédagogiques mises à disposition par Sésamath France étant sous licence libre, la question de leur adaptation dans d’autres pays francophones (d’autres pays, d’autres cultures) s’est assez vite posée. Plus généralement, ce sont aussi les modèles d’organisation pour la création de ces ressources qui sont questionnés pour être reproduits, modifiés ou adaptés. Va-t-on vers une création francophone de ressources pédagogiques intégrant une dimension inter-culturelle ?

1) Un historique déjà conséquent sur les partenariats francophones

L’une des principales motivations pour la création de l’association Sésamath en France en 2001 a été la possibilité de donner accès à des ressources pédagogiques en mathématiques pour le plus grand nombre : « les mathématiques pour tous ». Cela inclut évidemment une pensée particulière pour les pays en voie de développement : l’enjeu éducatif y est parfois occulté par d’autres urgences, il n’en est pas moins vital pour autant.

On retrouve cet aspect dans la profession de foi de l’association : « Ces ressources libres peuvent être traduites et adaptées à d’autres pays. Sésamath a la volonté de favoriser ce mouvement en nouant des partenariats internationaux. »

Très vite, Sésamath France a souhaité envoyer des manuels français pour les donner à des écoles en Afrique, répondant ainsi à des demandes directes, mais avec tous les écueils liés à cette pratique : ces manuels n’étaient ni adaptés, ni localisés et ne permettaient pas non plus l’émergence d’une édition locale.

Or, la particularité même de ces ouvrages (les sources téléchargeables et facilement modifiables) incitait plutôt à aller vers une démarche d’adaptation. C’est en particulier ce type de potentialité qui a permis à Sésamath d’obtenir un prix à l’UNESCO en 2007 pour « la qualité de ses supports pédagogiques et pour sa capacité démontrée à toucher un large public d’apprenants et d’enseignants. »

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C’est dans cet esprit que Sésamath a participé en 2009 à un colloque sur les REL (Ressources Educatives Libres) à Dakar sous l’égide de l’UNESCO.

La question des REL commençait alors juste à pointer son nez dans les questions de développement, de façon encore trop timide pour donner lieu à des projets concrets.

C’est également en 2009 que la première association Sésamath fut créée hors de France, plus exactement à Genève.

http://www.sesamath.ch/

Le recul de 4 années sur cette association a permis de montrer que l’adaptation de ressources existantes pouvait être un bon préalable à la création de ressources nouvelles, potentiellement utilisables dans d’autres pays francophones (dont la France).

2) Un contexte international de plus en plus favorable aux Ressources Educatives Libres

Du 20 au 22 Juin 2012, s’est tenue le congrès mondial des REL à l’UNESCO à Paris. Ce congrès a donné lieu à la déclaration de Paris sur les REL.

« L’UNESCO estime que l’accès universel à une éducation de qualité est essentiel à la construction de la paix, au développement social et économique, et au dialogue interculturel. Les ressources éducatives libres (REL) offrent une opportunité stratégique pour améliorer la qualité de l’éducation, faciliter le dialogue politique et partager les connaissances et le renforcement des capacités. »

Cette initiative de l’UNESCO a entraîné de multiples actions internationales dans le domaine.

En particulier, l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) a organisé une réunion d’experts sur les REL en Février 2013 à Moncton (Canada) à laquelle Sésamath-France était convié.

« Dans le cadre de  l’Éducation pour tous, deuxième des Objectifs du Millénaire pour le Développement, la Francophonie déploie des efforts considérables afin d’accroître l’efficacité des systèmes éducatifs. En plus de miser sur l’amélioration des compétences professionnelles des enseignants et des autres acteurs de l’éducation, l’OIF cherche aussi à moderniser les outils pédagogiques. Les ressources éducatives libres (REL) s’inscrivent dans cette perspective d’offre de matériel éducatif pour améliorer l’accès universel aux savoirs. En organisant cet atelier d’experts, l’OIF s’engage notamment à jouer un rôle de facilitateur et à encourager des initiatives liées aux REL. »

Cet atelier de Moncton a permis la mise en place d’un certain nombre d’actions (dont la réalisation prochaine d’un MOOC francophone sur les REL). Deux d’entre elles concernent plus particulièrement Sésamath : la rencontre d’Agadir et la réalisation d’un livre libre sur l’expérience de Sésamath.

3) La rencontre à Agadir des associations Sésamath

En plus de la Suisse, des partenariats se sont noués dans plusieurs autres pays francophones.

Ainsi dès 2007, des collaborations ont eu lieu avec l’équipe CASMI du Nouveau Brunswick (Canada).

(Depuis, le site a pris le nom de CAMI)

De la même façon, les liens sont anciens avec Haïti.

Concernant l’Afrique, des contacts importants ont eu lieu avec le RESAFAD (Sénégal) et l’association ALIS au Maroc, ces deux structures étant intéressées par des volets Sésamath dans leur activité.

Un problème récurrent de ces partenariats réside dans la difficulté à se rencontrer : la distance, le temps, le coût... C’est pourquoi la proposition de l’OIF de prendre en charge un atelier de travail commun a-t-elle immédiatement reçu un accueil très favorable dans les 6 pays concernés (malheureusement l’association Sésamath Belgique n’a pas pu y participer car elle a été créée après son déroulement).

Voici une courte vidéo qui présente les 3 jours d’atelier qui se sont tenus à Agadir au Maroc au mois de Septembre 2013.

Quels étaient les objectifs de cette réunion ?

 Partager et mutualiser l’expérience collaborative de Sésamath France pour l’étendre à d’autres pays francophones : le principe est de mettre en évidence les outils et les procédures utilisées par Sésamath France ;

 Former concrètement des formateurs dans chaque pays à l’utilisation des outils et des procédures. Ils pourront à leur tour former des contributeurs dans leur pays. Deux pistes ont été en particulier privilégiées par l’ensemble des pays représentés : la création de manuels scolaires libres et la création d’exercices interactifs ;

 Créer les conditions d’une mutualisation des ressources à l’échelle francophone : il s’agit de créer une communauté suffisamment large de développeurs et de rédacteurs pour atteindre un effet de masse. En effet, la majeure partie des éléments développés dans un pays peuvent être adaptés dans un autre pays, à faible coût : il peut donc être intéressant de se répartir initialement le travail à l’échelle francophone plutôt que de travailler pays par pays.

En particulier, plus d’une journée et demi a été consacrée à la formation au développement de ressources interactives dans le cadre du projet J3P. Cette formation a été prolongée par de nombreux compléments à distance et plusieurs ressources J3P sont actuellement développées en dehors de la France dans ce cadre.

La question du développement croisé de ressources a été abordée, avec la difficulté liée aux différents programmes nationaux et aux différentes cultures. Mais ces difficultés peuvent aussi donner lieu à des échanges féconds directement entre les enseignants concernés, riches sur le plan mathématique mais aussi sur le plan humain.

4) « Sésamath mode d’emploi »

L’OIF a également rendu possible la réalisation (en cinq jours) d’un livre sur Sésamath : Sésamath Mode d’emploi.

L’introduction de l’ouvrage signale en particulier :

« Depuis sa création, l’association Sésamath France évolue grâce à la créativité, à la motivation, à la collaboration et aux projets proposés par des enseignants en exercice.

De nouvelles associations Sésamath ont vu le jour dans d’autres pays francophones (comme Sésamath Suisse Romande en 2009 ou Sésamath Belgique en 2013) ou sont en cours de création. L’association ALIS au Maroc héberge également un projet Sésamath. Une certaine expérience de l’adaptation des ressources à d’autres contextes nationaux est donc déjà disponible et devrait s’enrichir progressivement. Aujourd’hui apparaissent à l’échelle francophone des productions croisées. »

« En outre, ce livre constitue une aide appréciable pour les enseignants motivés qui aimeraient devenir un jour membres fondateurs d’une association similaire. En effet, l’expérience des pionniers y est détaillée. »

Tout un chapitre du manuel est consacré à l’adaptation des ressources suivant 3 axes :
 Les programmes
 Les méthodes d’enseignement, les notations, la langue
 La culture

Il est à noter que la rédaction de ce livre s’inscrit dans une politique générale de l’OIF : mettre à disposition de tous de la documentation sur des outils et des expériences libres afin de favoriser un écosystème de ressources pédagogiques libres francophones.

5) Vers des manuels Sésamath africains

Sésamath-France a été contacté en 2011 par Scolibris, une association loi 1901, pour adapter les manuels Sésamath au contexte africain. Il s’agissait de proposer une collection complète, libre, à un prix inférieur à celui des marchés et adaptée aux programmes et à la société de plusieurs pays africains.

Des représentants de Sésamath-France sont alors entrés en relation avec une éditrice ivoirienne indépendante, responsable des éditions Eburnie. Entre temps, Scolibris a quitté le projet et Aprelia (Association pour la promotion des ressources éducatives libres africaines ) en est devenu parti prenante.

Sésamath-France a été consulté pour apporter son expérience dans la conduite d’un tel projet et pour proposer éventuellement un soutien logistique : liste de diffusion, aide à la mise en page sous OpenOffice, connaissance des ressources, etc.

Dans un premier temps, une équipe de professeurs ivoiriens a travaillé à une première version des manuels en cours d’adaptation.

Puis un colloque a été organisé fin octobre 2013 à Abidjan. Il regroupait des représentants de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Mali, de la Guinée, du Niger, du Togo et de Sésamath France.

Les participants du colloque d’Abidjan

Il était présidé par Soma Traoré, directeur adjoint de l’Irma (Institut de recherche en mathématiques en Afrique), l’équivalent d’un IREM africain. Cet enseignant chercheur en Côte d’Ivoire avait présidé des projets analogues, dont CIAM , qui consistait, il y a 20 ans déjà, à écrire une collection de manuels pour un certain nombre de pays africains.

L’objectif de ce colloque était d’étudier les curricula des 6 pays pour aboutir à une collection adaptée aux différents pays représentés. Ensuite viendra le temps de la mise en page et de la relecture.

Le langage des mathématiques est universel ...Le contexte beaucoup moins.

Tous les exercices des manuels Sesamath sont empreints de culture et d’environnement français, obstacles à une exportation réussie : les prénoms, le nom des aliments, des arbres, les situations contextualisées, les notions de géographie, d’histoire, d’économie … Les manuels seront relus dans cette perspective et contextualisés dans chaque pays pour qu’elles prennent sens auprès des élèves.

L’enseignement des mathématiques suit une certaine logique liée aux pré-requis nécessaires à l’étude de nouvelles notions … différents suivant les pays. Grâce à l’adaptation en cours, en fin de Troisième, l’ensemble des élèves des 7 pays auront reçu globalement le même enseignement, mais dans un ordre et une logique différents impliquant des activités, des exercices et des problèmes variés suivant les moments de l’étude.

Pour autant, les problématiques liées à l’enseignement sont identiques et ce sont 15 personnes de profils et de nationalités différents qui ont travaillé ensemble à la constitution d’une collection. De ce travail collaboratif nourri par les expériences de chacun naîtront des manuels singuliers.

Présenté tout d’abord comme expert, Sésamath-France est redevenu un simple membre de ce projet, offrant ses ressources à la nécessaire adaptation et diffusant sa philosophie : des ressources libres et accessibles, créées collaborativement grâce à la volonté de l’ensemble des participants.

Conclusion

On le voit, la constellation des Sésamaths Francophones se développe et produit des résultats surprenants, très au-delà de ce qu’on attendrait de groupes peu nombreux et structurés a minima. Cela les rend mobiles, réactifs, la communication à distance ajoute à la créativité de chaque groupe national la dimension collaborative à l’échelle de la francophonie. Mais cette constellation est éminemment fragile. Elle repose sur le militantisme sans faille (très chronophage) de petites minorités enthousiastes et déterminées. Sauront-elles tenir la distance et résister à l’usure du temps, renouveler leur vision dans un domaine où tout va très vite, trop vite ? L’avenir le dira.