I Genèse de l’expérimentation
Un accident de la vie m’a éloigné de mes élèves pendant 6 semaines. Incapable de leur faire cours en présentiel, j’étais tout à fait en capacité de leur faire cours « à distance ».
Le récit qui suit relate une expérience qui n’a pas été préméditée, qui n’est pas le fruit d’une réflexion a priori, elle s’est construite au jour le jour, faisant écho aux retours de mes élèves et à ma perception de sa réalisation.
- Concept d’enseignement à distance et d’éducation
L’accident qui m’a éloigné du lycée s’est produit dans la soirée du 10 octobre 2017, n’ayant pas appréhendé sa gravité, je me suis rendu en cours le lendemain, j’avais deux heures de cours de 9h à 11h en Terminale S, suivies d’une heure d’Accompagnement Personnalisé avec cette même TS. Je me suis très vite rendu compte que quelque chose n’allait pas, j’avais notamment des difficultés de diction, j’ai réussi tant bien que mal à faire cours en essayant de cacher cet handicap, mais les élèves ont commencé à se rendre compte qu’il y avait quelque chose qui clochait chez moi, je n’étais pas comme d’habitude ... A la fin de l’heure, c’est la récréation et un changement de salle (mon établissement scolaire est en re-structuration ce qui génère quelques incongruités au niveau des emplois du temps ...). Je me rends alors en salle des professeurs et le premier collègue avec qui je discute me dit que je suis peut-être en train de faire un AVC, en tout cas, que j’en avais les symptômes, je me rends alors à l’infirmerie et l’infirmière me fait évacuer par les pompiers. Pris en charge très rapidement au service des urgences de Guy De Chauliac (un CHRU de Montpellier), je suis admis comme étant victime d’un AVC mais très vite une interne pose le diagnostic d’une hémiplégie a frigore. Je me retrouve ainsi dehors au bout d’une heure avec la perspective d’une amélioration plus ou moins lente de mon état, entre 6 semaines et 6 mois pour une guérison sans séquelle...
Je me rends au lycée le lendemain pour y déposer mon arrêt de travail et je rencontre mon chef d’établissement. Je ne sais pas ce qui me passe par la tète mais je lui demande si je peux mettre en place un enseignement à distance, officiellement, avec obligation de participation des élèves, jusqu’aux vacances de Toussaint [1]. Celui-ci m’y encourage en me disant qu’il appuierait ma démarche auprès des parents d’élèves.
II Choix du support
Sitôt rentré chez moi, je me lance donc dans l’aventure avec la mise en oeuvre d’un cours Moodle, ce LMS est disponible dans l’ENT de mon académie, pour faire travailler mes élèves et je lance le travail avec un premier message à destination des élèves et de leurs parents. Ce message est envoyé via l’outil Communication → Information & sondages → Diffusion de Pronote qui permet rapidement d’adresser un message aux élèves de la classe et/ou à leurs parents
dans ma classe de Terminale S Obligatoire :
Bonjour,
Un souci de santé va me tenir éloigné du Lycée Feuillade jusqu'aux vacances de Toussaint.
Je vais utiliser l'ENT --> Ressources --> Mes cours --> Terminale S pour vous donner du travail pendant les 10 jours qui restent.
Allez-y, vous avez deux travaux à réaliser pour lundi.
Bien cordialement,
B.Clerc
Le 10 octobre, j’avais une heure de cours dans laquelle nous avions débuté le chapitre sur les probabilités conditionnelles avec une activité de découverte, ponctuée par le début du cours.
Cahier de textes des 10 et 11 octobre
Le 10 octobre
– Définition d’une probabilité conditionnelle et formule.
– Quelques remarques
– Une conséquence :
$$P(A \cap B) = P(A)\times P_A(B)$$
.Devoirs pour le 11 octobre : Exercices n°30 et 31 page 352 + cours page 330
Le 11 octobre :
Correction des exercices 30 et 31 page 352.
Utilisation de la formule
$$P_A(B)=\frac{P(A \cap B)}{P(A)}$$
.Rappel de la formule vue en 3ème :
$$P(A \cup B) = P(A)+P(B)-P(A \cap B)$$
.Exercices 32-33-34-35 page 352
On a vu que
$$P(A \cap B)+P(A \cap \overline{B})=P(A)$$
nous allons généraliser cette formule.Voir la suite dans le cours Terminale S de M.Clerc auquel vous avez accès depuis l’ENT.
Il m’a fallu faire très tôt le choix des moyens de communication avec mes élèves et je disposais de plusieurs possibilités :
– Pronote : Il s’agit du logiciel de vie scolaire utilisé par mon établissement dans lequel les élèves ont l’habitude de consulter le cahier de textes que je remplis quotidiennement. J’avais déjà utilisé l’outil Communication →Informations & Sondages → Diffusion pour alerter les élèves et leurs parents au sujet d’un DS.
– Messagerie traditionnelle : Les élèves m’avaient déjà envoyé, pour certains, un fichier demandé lors d’un devoir maison, je disposais donc d’un certain nombre d’adresses mails, mais pas de toutes.
– L’ENT académique : Bien que peu utilisé dans l’établissement, l’accès à Pronote se fait obligatoirement par l’ENT donc les élèves savent s’y connecter. De plus, pour répondre au DM précédemment cité, ils avaient la possibilité de déposer leur fichier dans mon casier sur l’ENT plutôt que de l’envoyer via leur messagerie (7 élèves avaient utilisé ce média).
– Utiliser autre chose : Ce ne sont pas les solutions qui manquent ! Facebook, Mahara, un site internet dédié maintenu par moi-même (Je suis webmestre depuis 20 ans ...)
Mon choix est fait ! Je vais principalement utiliser l’ENT, et plus particulièrement un cours Moodle de l’ENT qui va me servir de support de cours et d’outil d’évaluation. Ce choix a été orienté par mon expérience :
– J’ai écarté Pronote car ce n’est pas moi qui suis maître de l’application mais mon administration. Je dis cela en parlant de mon cahier de textes, l’outil qui me semblait central dans l’objectif d’enseigner à distance à la classe, en effet celui-ci est lié à mon emploi du temps, lequel mentionne que je suis absent et cela pose problème (je ne rentrerai pas dans les détails ici ...).
– Je garde en réserve la messagerie traditionnelle, elle pourra me servir mais ne peut constituer le cœur de mon dispositif.
– Je ne m’aventure pas à utiliser Facebook ou Mahara que je ne maîtrise pas suffisamment pour atteindre mon but.
J’ai une bonne connaissance du fonctionnement basique d’un cours Moodle [2] et une bonne idée de ce que je vais y mettre et comment [3].
III Mise en œuvre de l’expérimentation
Je commence le cours avec le chapitre introduit le matin même : Probabilités conditionnelles. Je propose aux élèves une page pré-requis avec l’Outil page dans laquelle je liste plusieurs liens vers deux sites [4].
Je rédige la suite de manière à faire apparaître clairement le travail à faire « en situation de travail en classe » (les élèves peuvent aller au CDI pendant les heures correspondant aux heures de cours de maths) et le travail à faire « à la maison » pour la séance suivante.
Ainsi le premier travail demandé est la lecture du cours sur la définition d’une partition et la formule des probabilités totales.
Lecture suivie d’un test vérifiant les connaissances des élèves sur cette partie du cours. Un outil Test dans Moodle permet de proposer des questionnaires qui sont évalués par le logiciel. J’ai limité le temps à 15 minutes pour 4 questions de cours (exemple de question posée).
Pour le travail suivant, je leur demande de rédiger 3 exercices du livre soit sous forme numérique(un fichier pré-rempli leur était proposé au téléchargement), soit en prenant une photo de leur travail, travail déposé dans le cours grâce à l’outil Devoir ou envoyé par mail.
Le Travail N°3 est un travail en autonomie, pas de rendu attendu : Traiter les exercices 39-40-41-42 page 353.
La correction détaillée de ces exercices est alors mise en ligne un peu plus tard. (Accompagnée de fichiers Python et Algobox pour l’exercice 42 qui contient de l’algorithmique).
Et ainsi de suite, avec les mêmes outils pendant 6 semaines.
Comme les élèves me posaient parfois des questions par messagerie, j’ai trouvé opportun d’ouvrir un forum pour chaque chapitre, profitant de leurs questions pour alimenter le forum, dont certains se sont rapidement emparés.
IV Analyse et évaluation du travail des élèves
Chaque Test permet d’obtenir une note pour chaque élève et le résultat global de la classe :
Les fichiers qui ont été déposés ou qui m’ont été envoyés ont également été évalués. Mon indisponibilité s’est prolongée 4 semaines après les vacances de Toussaint, le travail à distance des élèves aussi, et, avec le concours de la Vie Scolaire, deux devoirs sur table ont pu être proposés.
V Retour sur l’expérimentation au travers d’un questionnaire
A la fin de l’expérimentation, un questionnaire a été posé aux élèves afin d’évaluer en partie cet enseignement à distance, voici les résultats avec leurs commentaires :
Q1 : Combien de temps vous a-t-il fallu pour vous mettre à participer à ce travail à distance ? (une seule réponse possible) :
Le jour même de l’annonce : 21 % - Le lendemain de l’annonce : 35 %
Deux jours après l’annonce : 21 % - Trois jours après l’annonce : 18 %
Trois semaines après l’annonce : 3 % - Deux mois après l’annonce : 3 %
Il y avait un test lors du démarrage du cours, aussi les élèves s’y sont mis rapidement voyant que les autres obtenaient leur note au fur et à mesure de leur engagement. Je mettais à jour les notes deux fois par jour en espérant ainsi accroître leur réactivité, cela a bien fonctionné. Les deux élèves qui ont eu du retard à l’allumage étaient a priori difficiles à atteindre quoi qu’il en soit, ils n’ont fait le travail en ligne qu’après mon retour en classe ...
Je précise que 3 semaines après l’annonce correspond au retour de vacances et 2 mois après l’annonce à mon retour en classe.
Q2 : Combien de temps avez-vous consacré à ce travail à distance ? (une seule réponse possible) :
Plus de 6h par semaine : 43% - Entre 4h et 6h par semaine : 31%
Entre 2h et 4h par semaine : 11% - Entre 1h et 2h par semaine : 9%
Moins d'une heure par semaine : 6%
Le contenu de ce qui était proposé en ligne nécessitait plus de 6h de travail par semaine, j’ai essayé de faire en sorte que cela corresponde au temps habituel consacré aux mathématiques par un élève de Terminale S. Entre 4h et 6h peut être un temps acceptable pour un élève efficace, en-dessous c’est insuffisant et les notions abordées ne le sont que partiellement.
Q3 : Quels outils de communication avez-vous utilisé pour réaliser ce travail à distance ? (plusieurs réponses possibles) :
Forum du cours Moodle : 26% - Messagerie personnelle : 80%
Messagerie Pronote ou de l'ENT : 23% - Groupe Facebook de la classe : 83%
La communication élève -> enseignant s’est faite à travers les forums et les messageries. La communication élève -> élève s’est faite à travers les réseaux sociaux.
Q4 : Comment qualifieriez-vous cette période de travail à distance ? (plusieurs réponses possibles) :
Intéressante : 37% - Ennuyante : 11%
Dérangeante : 34% - Attrayante : 14%
Épuisante : 14% - Innovante : 31%
Sans surprise, cet épisode a été vécu différemment selon les élèves, on peut peut-être retenir qu’un tiers des élèves ont été « dérangés » par un tel dispositif. Le nombre important d’évaluations, une douzaine au total, y est surement pour quelque chose.
VI Conclusion
Cette expérience d’enseignement à distance a été positive :
– Les élèves qui ont joué le jeu (74% de la classe) n’ont pas perdu de temps à cause de mon absence ;
– J’ai poursuivi ma progression au même rythme que je l’aurais fait en enseignement présentiel.
Il est à noter que j’ai fait la même chose avec ma classe de Spécialité Maths en TS, avec la même satisfaction, par contre j’ai essayé de faire pareil en seconde, en TSTMG et en BTS CG 2ème année, sans succès car l’adhésion des élèves a été bien moindre, du coup mon engagement n’a pas été suffisant pour réussir ... et cela a été bénéfique aux TS, il m’aurait été impossible de mener un enseignement à distance de ce niveau dans 5 classes en même temps !!!