Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Apprendre des notions mathématiques, géographiques et algorithmiques à l’aide d’un environnement de navigation 3D au-dessus de la Grèce
Article mis en ligne le 29 janvier 2010
dernière modification le 24 juin 2016

par Bernard Le Feuvre, Jean-baptiste Lagrange, Xavier Meyrier

Cet article a été repris dans Repères-Irem n° 81

Le projet européen Remath

Le travail que nous présentons est issu du projet européen ReMath (IST4-26751) sur l’usage des technologies dans l’enseignement des Mathématiques qui a associé six laboratoires en Italie, Grande-Bretagne, Grèce et France. Le nom complet « représenter des Mathématiques avec l’ordinateur » prend en compte la nécessité de manipuler des représentations dans l’activité et l’apprentissage des Mathématiques et les possibilités nouvelles qu’offrent les technologies digitales pour cela. Dans ce cadre général, le projet ReMath s’est donné comme but de mettre en cohérence les approches des laboratoires participants, en travaillant sur un cycle complet de développement, incluant la conception de logiciels pour l’enseignement, l’élaboration d’activités pédagogiques en classe, et la recherche sur les apprentissages mathématiques réalisés par les élèves grâce à ces activités. Conçu à l’intention des enseignants et des chercheurs, un site Web (http://remath.cti.gr) présente les résultats du projet. Une présentation plus complète du projet peut être trouvée dans (Nguyen, Lagrange, Le Feuvre, Meyrier 2009).
Le projet a conçu, développé et expérimenté six environnements logiciels. Nous les listons ci-dessous selon une échelle qui est apparue efficace pour les caractériser au cours du projet : celle de la conformité décroissante des représentations offertes par le logiciel avec les représentations habituellement considérées dans l’enseignement.

  • Aplusix, logiciel d’aide à l’apprentissage de l’algèbre pour les élèves de collèges et de lycées, conçu et développé à l’Université Joseph Fourier de Grenoble.
  • Casyopée, environnement géométrique et algébrique dédié à l’apprentissage des fonctions conçu et réalisé en partenariat avec l’IREM de Rennes, l’INRP et le Laboratoire de Didactique André Revuz de l’Université Paris Diderot (LDAR).
  • AlNuSet, logiciel d’apprentissage de l’algèbre, des ensembles numérique et des fonctions conçu par l’Institut pour les Technologies Didactiques (ITD) du CNR de Gênes.
  • Malt, environnement programmable développé à l’Université d’Athènes permettant la manipulation dynamique des objets géométriques 3D.
  • Mopix, logiciel développé à l’Institute of Education à Londres, permettant de construire des animations et des simulations par le biais d’ « équations » (au sens de formules algébriques)
  • Cruislet, micro monde permettant le pilotage d’un avion en différents modes au sein d’un système de navigation virtuel 3D de la Grèce.

Dans cet article, nous nous intéressons au logiciel Cruislet, le dernier dans la liste. C’est donc celui qui présente les représentations les plus différentes de celles habituellement considérées dans l’enseignement. L’intérêt est que ces représentations, si elles ne sont pas habituelles dans l’enseignement, sont en revanche très présentes dans l’environnement social des élèves, par exemple par le biais d’applications en ligne telles que Google Earth. Les usages développés avec Cruislet rejoignent donc une problématique déjà soulevée dans le rapport de la Commission de réflexion sur l’enseignement des mathématiques (Kahanne 2002) : faire travailler les élèves sur les mathématiques présentes (mais le plus souvent cachées) dans les outils informatisés d’usages sociaux. Cet article est basé sur des expérimentations de Cruislet en Grèce et en France. Elles se sont situées dans le cadre d’expérimentations croisées, un dispositif important dans Remath que nous allons aussi présenter. Les expérimentations en France ont eu lieu dans les classes des deux premiers auteurs, et avec l’équipe de chercheurs du Laboratoire de Didactique André Revuz (LDAR) auquel appartient le troisième auteur et qui s’appelait Didirem à l’époque du projet. Nous présentons l’environnement, avec les hypothèses qui ont conduit à sa réalisation, puis nous présentons et analysons les expérimentations. Nous terminons par les perspectives offertes, notamment dans le contexte d’une l’évolution voulue par les nouveaux textes.

Cruislet : apprendre la navigation dans un espace géographique

Conçu et développé par une équipe grecque de l’Educational Technology Lab (ETL) de l’Université d’Athènes, Cruislet est un environnement informatique pour l’apprentissage de la navigation (au sens de déplacement contrôlé d’un mobile) dans un espace géographique en trois dimensions, à l’aide d’outils mathématiques et de programmation. Il présente deux systèmes de représentation interdépendants permettant d’opérer un déplacement dans un espace à trois dimensions : un repère géographique (cartésien) absolu et un repère polaire (sphérique) relatif. En pilotant des avatars (avions) dans cet espace, les élèves explorent des visualisations spatiales et se confrontent à des concepts géographiques et mathématiques. Ils peuvent également s’initier à la programmation en utilisant le langage de Logo pour programmer des déplacements. Nous précisons ci-dessous quelles intentions ont dirigé la conception de Cruislet, puis nous présentons l’interface.

Intentions pédagogiques dans la conception de Cruislet Concepts en jeu

Le contexte de la géographie est considéré comme un domaine d’application intéressant pour les mathématiques, les propriétés particulières de l’espace géographique et l’information géographique fournissant un contexte motivant pour utiliser les mathématiques et les rendre utiles. Les mathématiques en jeu sont liées aux déplacements en trois dimensions (repérage absolu et relatif, vecteurs…). Ces déplacements pouvant être opérés en direct par des commandes successives ou programmés à l’aide de procédures Logo, des concepts de programmation peuvent être abordés. Le caractère programmable des déplacements permet que les notions de fonction et de courbe soient également être mis en jeu dans le contexte géographique de l’espace 3D.
Activités visées
Dans les activités proposées, les élèves vont opérer ou programmer la navigation d’avatars en précisant les caractéristiques des déplacements à réaliser dans les deux modes de repérage. Le contexte géographique dans lequel s’inscrivent ces activités est primordial pour donner du sens aux concepts mathématiques. L’équipe grecque faisait l’hypothèse qu’il est possible avec cet outil de proposer aux élèves des activités compatibles avec le programme standard de mathématiques scolaires, mais qu’il est aussi possible de concevoir des activités plus exploratoires où, en programmant le voyage de leur avatar, les étudiants construisent de façon plus informelle des connaissances mathématiques.

L’interface Cruislet

L’interface de Cruislet comprend deux visionneuses de la carte géographique de la Grèce, l’une en trois dimensions et l’autre en deux dimensions, ainsi qu’une zone de commande dédiée au pilotage d’un avion et à la programmation Logo.

Figure1 : Interface de Cruislet

Figure 1. Interface de Cruislet

Les élèves peuvent explorer la carte en trois dimensions en utilisant la souris comme un outil de navigation. Quand ils déplacent la souris, un pointeur mobile apparaît, marqué par le symbole X. Ce pointeur est lié à une boîte affichant ses coordonnées géographiques (la latitude et la longitude) et son altitude. Simultanément la position correspondante est affichée sur la carte en deux dimensions

Figure 2. Endroit pointé

La zone de commande de Cruislet permet de créer un avatar (avion ou hélicoptère), de le positionner suivant les coordonnées géographiques et de le déplacer.

Figure 3. Définition des coordonnées géographiques

Le déplacement d’un avatar selon sa direction est précisé par un vecteur caractérisé par sa longueur (R) et deux angles (Thêta et Phi).

Figure 4. Angles Thêta et Phi

Intégré à l’environnement sous forme d’un onglet de la zone de commande, le module de programmation Logo permet aux élèves d’écrire des programmes ou procédures puis de les exécuter.

Scénarios

En conformité avec l’un des objectifs du projet Remath, des scénarios d’utilisation ont été développés et expérimentés par deux équipes différentes : les concepteurs de l’environnement d’une part, et notre groupe Didirem d’autre part.

Scénario « grec »

Objectifs pédagogiques
Pour la conception d’un scénario d’utilisation de Cruislet, l’équipe grecque du Educational Technology Lab avait décidé de prendre une certaine distance par rapport à la structure traditionnelle du programme de mathématiques afin d’adopter une approche de mathématisation progressive au travers de jeux et de situations problèmes pertinentes pour les élèves. L’intention était d’impliquer les élèves dans des activités leur permettant de mobiliser des concepts, de faire et vérifier des hypothèses pour résoudre un véritable problème dans un environnement d’apprentissage riche. Il s’agissait donc d’aider les élèves à donner du sens aux notions mathématiques des programmes, et aussi de faire évoluer les pratiques des enseignants vers des activités mathématiques riches. Les connaissances mathématiques pré requises sont simples et donc les activités peuvent être proposées à différents niveaux de la scolarité secondaire.
Ce scénario se décompose en trois phases :

 Première phase : « apprendre à voler »
Il s’agit d’une découverte de l’environnement Cruislet et de modes de représentation. Le but est de familiariser les élèves avec

  • Les coordonnées géographiques
  • Les coordonnées sphériques
  • Le langage de programmation Logo
  • La visionneuse de carte en 3dimensions.
    En particulier, les étudiants sont encouragés à explorer les fonctionnalités de l’environnement :
  • Exploiter les coordonnées géographiques (et / ou) les coordonnées sphériques pour naviguer librement sur la carte 3D de la Grèce
  • Exploiter les deux systèmes de référence pour le déplacement de l’avatar dans des endroits spécifiques de la carte 3D (par exemple la ville d’Athènes)
  • Utiliser des commandes Logo de base pour une navigation en utilisant les deux systèmes de référence
  • Faire décoller et atterrir l’avatar dans des endroits précis en utilisant soit l’interface graphique soit le langage de programmation Logo
  • Intégrer les systèmes de coordonnées géographiques et sphériques dans le processus de navigation et de faire des conjectures concernant la manière dont ces deux systèmes de référence sont associés.

 Deuxième phase : « poursuite d’avions » ; décoder une procédure pour trouver une fonction
Dans cette phase les élèves sont invités à faire tourner des procédures Logo qui engendrent des déplacements des deux avions et dont les paramètres déterminent la position à atteindre. Par exemple, la première procédure « begin » de la figure 5 crée deux avions et les positionne à quelques kilomètres de distance (l’avion Rouge est au Sud Ouest de l’avion Blanc, à 1000 mètres au dessus). La seconde procédure (« radar ») doit être lancée avec trois données. Ces trois données déterminent sans calcul la position de l’avion Blanc. La position de l’avion Rouge résulte d’un calcul simple, qui fait qu’il « suit » le blanc en gardant la même position relative. Une alternative (if..then...) fait disparaître l’avion Rouge et annonce que l’avion Blanc s’est échappé, si la position choisie à l’aide des paramètres est dans une zone donnée.
Les élèves utilisent la procédure « radar » en « boîte noire ». Ils l’exécutent en donnant des valeurs aux données et peuvent ainsi déterminer la fonction définissant la position relative des deux avions (décoder la règle du jeu). Ils sont invités à communiquer entre eux leurs observations sur la position du second avion, et poser des conjectures sur la relation entre les positions des deux avions.
Une fois la règle du jeu décodée les procédures Logo sont dévoilées ; les élèves sont alors invités à construire leurs propres règles du jeu en modifiant la fonction des déplacements relatifs des deux avions. Dans un premier temps, ils sont invités à noter leurs idées afin de créer les nouvelles règles du jeu. Ensuite, ils modifient le code du programme Logo selon les règles qu’ils ont décidé de créer. Ils créent ainsi de nouvelles procédures Logo qui définissent les règles du jeu qu’ils ont créées. Enfin, les étudiants échangent leurs nouvelles procédures Logo. Chaque groupe est mis au défi de décoder la procédure créée par un autre groupe.

Figure 5. Deux procédures Logo pour la seconde phase

 Troisième phase : « instruments cassés »
Les tâches demandées aux élèves dans cette phase les amènent à étudier la fonction définissant une relation entre des coordonnées géographiques. Il leur est demandé par exemple de déplacer un avion en entrant des coordonnées comme données d’une procédure Logo « boîte noire ». La procédure place l’avion à une position dont les coordonnées dépendent de façon linéaire des coordonnées entrées (comme si le système de navigation de l’avion répondait de façon biaisée aux commandes).
Les élèves sont invités à explorer la relation entre la position correspondant aux coordonnées entrées et la position réellement prise par l’avion après l’exécution de la procédure et à reconnaître l’existence de la fonction linéaire qui définit la relation, et à conjecturer une expression. L’accent est mis sur les échanges entre élèves relativement à leurs observations. Ils sont invités à rédiger leurs observations et à les exprimer en langage naturel et à l’aide du symbolisme et de graphes. Enfin, les élèves doivent vérifier leur conjecture en positionnant l’avion à un endroit donné de la carte de la Grèce, par exemple la ville de Rhodes.

Scénario « français »

Il s’adresse à des élèves des classes de la Troisième à la Première (15 à 17 ans) et nécessite comme pré requis les notions de longitude et latitude en géographie, de coordonnées cartésiennes, les vecteurs, les angles et la trigonométrie de fin de collège.
Il a été mis en œuvre en Première S (première expérimentation) et avec des élèves de 3ème (seconde expérimentation).
Ses objectifs sont :

  • Repérer des sites importants de la Grèce ainsi que de grandes caractéristiques géographiques du pays
  • Réinvestir les connaissances sur le repérage en géographie, aborder le système de coordonnées sphériques
  • Réinvestir les connaissances mathématiques sur les vecteurs, les angles, la trigonométrie de base dans un contexte hors mathématique
  • S’initier à la programmation.

Le scénario comporte trois phases, correspondant à trois séances de une à deux heures, avec deux variantes pour la troisième phase.

 Première phase : présentation en classe entière.
Le professeur utilise le vidéo projecteur pour illustrer les fonctionnalités importantes du logiciel : déplacement sur la carte en trois dimensions, recherche de la longitude, latitude et altitude de lieux. Les élèves découvrent ensuite la création et le pilotage d’un avatar.

 Deuxième phase : l’élaboration d’un voyage.
Les élèves travaillent en groupe. Ils disposent de la carte papier de la Grèce ainsi que l’environnement Cruislet. Ils doivent organiser à partir de l’altitude 400m au dessus d’Athènes un voyage jusqu’à Sparte avec la contrainte qu’ils suivent d’aussi près que possible le relief. Ils ont donc à identifier les deux montagnes sur le trajet Athènes-Sparte, leur position par rapport aux villes Athènes et Sparte et leur altitude, puis à définir une stratégie de survol des deux montagnes.
Pour le survol des deux montagnes ils doivent donner grâce à la carte de Grèce la direction thêta dans laquelle diriger l’avion pour joindre Athènes à Sparte, puis définir des portions du trajet permettant le survol et calculer les angles Phi et les rayons R sur ces différentes portions. _ Cette deuxième phase fait l’objet d’une discussion collective sur les stratégies utilisées qui sont visualisées et testées. La discussion permet d’introduire la programmation en Logo par l’écriture d’une procédure regroupant les différentes portions du trajet.

Figure 6. Le trajet Athènes Sparte

 Troisième phase : programmation de vols.
Il s’agit de réaliser des vols selon des figures géométriques.
Dans la première variante, expérimentée en classe de Première, les élèves commencent par faire fonctionner un programme Logo correspondant au vol d’un avion en forme de triangle équilatéral à altitude constante de 5000 mètres. Ils doivent alors interpréter les commandes, puis en groupes, adapter le programme pour réaliser d’autres figures, un triangle équilatéral vertical au dessus d’Athènes et un hexagone régulier à altitude constante. Les élèves peuvent alors programmer des vols acrobatiques, tels un vol en spirale horizontale, un vol circulaire, ou encore un vol hélicoïdal.
Dans la seconde variante, expérimentée avec des élèves de Troisième, le choix a été fait de montrer aux élèves « la puissance de l’informatique » en choisissant un programme en Logo surprenant en ce sens qu’il s’agit d’un programme court, mais dont le vol résultant est une double spirale (« vol acrobatique »figure 8). Ce programme avait été proposé par l’équipe grecque. Il comporte une itération sur les trois coordonnées sphériques définissant le déplacement : Thêta, Phi et R. On demande aux élèves de comprendre le programme, puis de le modifier afin de produire un vol horizontal en spirale, puis un vol circulaire.


SETPOS(37.9737 23.7278 5000)

make "a 0

repeat 3 [wait(80) make "a :a+120 SETDIR(:a 0 10000)]

Figure 7. Programmation d’un triangle équilatéral

Figure 8. Programmation d’un « vol acrobatique »

Analyse des mises en œuvre

Ces deux expérimentations sont assez différentes. Dans la suite, nous mettons d’abord l’accent sur les différences, avant de voir comment on peut en tirer parti de leur complémentarité.

L’expérimentation grecque

Comme cela a été dit plus haut, l’équipe de chercheurs grecque privilégiait l’activité des élèves dans le domaine du déplacement d’avions au-dessus de la Grèce et l’approche progressive des concepts mathématiques sous-jacents. Nous résumons ci-dessous le bilan que cette équipe tire de la façon dont les élèves ont approché les concepts de fonctions, de coordonnées et de vecteur.

 Les fonctions
Les élèves étaient confrontés à la notion de fonction au cours de la phase « poursuite d’avions ». La poursuite était le résultat d’une procédure Logo « boîte noire », et les élèves avaient à retrouver la fonction cachée dans cette procédure, en repérant la façon dont l’avion « poursuivant » adaptait ses paramètres de vol à ceux de l’avion « poursuivi ».
L’observation montre comment les élèves ont considéré la relation entre les deux avions. Tout d’abord, ils l’ont exprimée de façon verbale avec le vocabulaire des positions relatives (derrière, devant, à gauche…). Puis ils l’ont quantifiée en donnant des valeurs choisies aux coordonnées géographiques, et en formant des conjectures sur la corrélation entre les positions des avions. Ils ont finalement réalisé que chaque coordonnée de l’avion poursuivant dépend de la même coordonnée de l’avion poursuivi et trouvé les trois fonctions.

 Les coordonnées
Les élèves ne se sont pas limités à un seul des deux systèmes de référence (cartésien absolu ou sphérique relatif) et ils ont développé des liens de compréhension entre ces systèmes. Par exemple, la plupart des élèves ont utilisé au début les coordonnées absolues pour placer un avion à une altitude donnée. Mais par la suite, certains ont utilisé exclusivement les coordonnées relatives sphériques. Ils ont été ainsi confrontés à l’utilisation de ces coordonnées pour placer un avion à une altitude donnée. Ils ont ainsi fait la relation entre l’angle Phi et un changement d’altitude.
Ils ont même dû mettre en évidence les relations entre l’angle Thêta et les coordonnées latitude et longitude, en particulier en prenant en compte le fait qu’un changement sur l’angle agit sur les deux coordonnées.
Les vecteurs
L’équipe grecque était intéressée par les significations que les élèves pouvaient développer en lien avec les différents aspects de la notion de vecteur. Un vecteur apparaît ici comme une flèche (segment orienté) gardant la trace d’un déplacement et caractérisé par sa norme (R) et deux angles.
En expérimentant, les élèves prennent conscience de R comme la distance entre deux villes entre lesquelles ils souhaitent déplacer l’avatar.

S1 : Cela doit être leur distance. (Montre le vecteur généré par le déplacement de l’avion de Arta à Amfissa)
S2 : Oui, mais comment pouvons-nous le trouver ?
S1 : Le R (Il montre le champ R dans les coordonnées sphériques).
S2 : Oui, tu as raison. (Déplace l’avion de Amfissa à Arta et regarde la valeur de R).
S1 : Tu vois ? C’est la même.

Ce qui a intéressé l’équipe grecque, c’est que, après avoir déplacé l’avion dans un sens, les élèves ont voulu vérifier que la distance demeure la même pour le déplacement inverse. C’est ce que le premier élève a utilisé pour prouver à l’autre que R représente bien la distance entre les deux villes. Pour l’équipe grecque, implicitement les élèves ont mobilisé des connaissances sur la norme d’un vecteur dans cette situation.
Un épisode que l’équipe grecque a trouvé intéressant est quand une équipe a identifié le déplacement résultant de plusieurs déplacements, alors qu’ils tentaient de construire les règles d’un jeu pour un autre groupe. Plus précisément, les élèves s’intéressaient au déplacement relatif de deux avions (bleu et blanc) à partir de leurs coordonnées. Ils avaient fixé ce déplacement relatif en utilisant l’angle horizontal Thêta, de la façon suivante ThetaBleu = ThetaBlanc +180. Une des conditions était aussi que l’avion blanc devait aller à une ville donnée, (par exemple Thessalonique) à la fin de la première phase de jeu.
Pour commencer, les élèves ont précisé leur idée afin de l’expliquer à l’enseignant.

S2 : Quand on va monter, l’autre, l’espion va descendre en direction opposée vers la Crête. […] Disons que si nous allons dix pas vers le haut, il va aller 10 pas en arrière.
S1 : Le bleu fait pareil à l’envers. C’est-à-dire que si nous avançons de dix mètres, il descend de 10 mètres. Quand nous serons à Thessalonique, il sera à Rethymno.

L’équipe grecque fait l’hypothèse que ces élèves pensaient à combiner des déplacements successifs en se référent à la longueur de chaque déplacement (10 mètres). En effet, S1 considère le résultant de tels déplacements quand il parle de la destination finale de chaque avion. Il déclare que le premier avion sera au dessus d’une ville donnée et l’autre aussi indépendamment du nombre de déplacements.
Pour en avoir confirmation, un observateur a demandé à S1 de représenter les positions des avions pour des déplacements qui ne seraient pas sur la même ligne et de préciser si le second avion arriverait au dessus de la même ville que dans le cas précédent. L’élève a répondu : « si nous allons à Thessalonique, il va aller en Crête » et il a fait un dessin montrant que seuls les points de départ et d’arrivée comptent.
Ainsi, indépendamment de la direction des vecteurs, le second avion arrive au dessus d’une même ville, compte tenu de la relation de dépendance entre les deux avions. L’intérêt que l’équipe grecque a trouvé à cette situation est que les étudiants ont utilisé leur intuition pour exprimer des idées mathématiques sans utiliser le langage et le formalisme des vecteurs.

Les expérimentations DIDIREM

Nous avons présenté ci-dessus un scénario en trois phases, avec deux variantes pour la troisième phase. Ces deux variantes ont donné lieu à deux expérimentations distinctes. Le scénario avec la première variante a été expérimenté en classe de Première S, dans les enseignements préparatoires aux « Travaux Personnels Encadrés » (TPE). L’idée était que les activités du scénario pouvaient être poursuivies par certains élèves dans les TPE proprement dit, particulièrement avec le choix du thème « modélisation ». Le scénario avec la seconde variante a été expérimenté avec des élèves de Troisième dans un cadre extra-scolaire.
Nos préoccupations portaient sur la façon dont des activités avec Cruislet peuvent exister dans l’enseignement des Mathématiques en France. D’une part, nous voulions voir comment des contenus mathématiques existants tels que la trigonométrie et le repérage pouvaient être travaillés avec des élèves dans un contexte d’utilisation de Cruislet. Cela rejoint notre problématique de l’approche instrumentale des outils informatiques, où l’appropriation par les élèves d’un « artefact numérique » impliquant des notions mathématiques suppose la construction conjointe de connaissances sur ces notions et sur l’artefact et son fonctionnement dans un processus que nous appelons genèse instrumentale (Guin, Trouche 2002). Compte tenu de la brièveté du scénario, nous étions néanmoins conscients de ce que cette genèse ne pouvait être qu’amorcée dans les activités proposées. Un autre versant de nos préoccupations était présent dans la troisième phase : comment initier un enseignement de l’algorithmique ? A l’époque où nous avons expérimenté, cet enseignement n’existait pas dans les programmes, mais il est apparu depuis (à la rentrée 2009) dans les programmes de Seconde et doit s’étendre à toutes les classes du Lycée. La question posée était donc de savoir quelles activités avec Cruislet peuvent contribuer à une initiation à des structures algorithmiques. Comme on l’a vu dans le scénario, la structure de répétition a été privilégiée. Notons que cette structure inclut deux données : le nombre de répétitions à effectuer et le « corps de boucle », constitué d’actions soit sur l’avatar, soit sur une ou plusieurs variables qui deviennent alors des variables d’itération (figures 7 et 8).

 Un début de genèse instrumentale par les élèves dans les deux premières phases
Dans la première expérimentation, nous avons constaté un grand intérêt manifesté par les élèves pour travailler avec le logiciel. La genèse instrumentale des différentes représentations et la coordination entre elles requises pour le pilotage des avions a cependant été plus lente que prévu. En dépit d’une présentation collective assez complète, les réalisations personnelles ou en groupe ont mis en œuvre seulement les possibilités les plus accessibles de Cruislet (pilotage en mode cartésien). Il a fallu que le professeur et l’observateur interviennent pour ré expliquer l’utilisation du déplacement en repérage sphérique et la mémorisation des déplacements dans une procédure Logo. La tâche de programmation d’un déplacement d’Athènes à Sparte « au plus près du relief » a demandé une analyse mathématique. Cette analyse, préparée par une exploration de la carte et une synthèse collective, conduit à considérer le déplacement à partir d’une une coupe en plan vertical du relief et des calculs trigonométriques dans ce plan. Là aussi, l’aide du professeur et de l’observateur a été nécessaire pour la majorité des groupes. Les élèves ont néanmoins eu la satisfaction de voir s’exécuter le vol qu’ils avaient préparé.
Certes la charge cognitive impliquée par cette tâche était trop importante après une initiation trop rapide. Mais il était clairement impossible de faire autrement, dans le contexte d’une classe de Première S, à une époque où les programmes ne donnaient pas de place au contexte interdisciplinaire et à l’algorithmique.
Dans la deuxième expérimentation, les tâches du scénario ont été aménagées et le travail a été mené avec une interaction étroite entre le travail de groupe sur ordinateur et le travail collectif pour que les caractéristiques de Cruislet soient plus rapidement accessibles aux élèves. Néanmoins, les mêmes difficultés ont été observées qu’en Première avec la conception d’un vol sous contraintes nécessitant l’utilisation de certaines fonctions trigonométriques et du théorème de Pythagore. Ici aussi le temps limité qui pouvait être imparti à ces activités « hors classe » a pesé dans le sens d’une initiative limitée laissée aux élèves. La conclusion des deux expérimentations est donc qu’une genèse est possible, et susceptible d’enrichir les connaissances des élèves sur les angles et le repérage, mais qu’elle ne peut se faire que dans la durée.

 L’initiation à l’algorithmique par la programmation en Logo dans la troisième phase
Les deux expérimentations sont basées sur deux modes d’exploitation différents des vols géométriques pour une initiation à la programmation Logo. Nous précisons les choix sous-jacents à ces deux modes, puis l’analyse que nous en faisons a posteriori dans chacune des expérimentations.

Expérimentation n° 1 : une approche progressive de l’itération
Choix sous-jacents
Le scénario demandait aux élèves en première tâche de programmer des vols impliquant la répétition de la même action. Un triangle équilatéral a été choisi comme étant une figure simple pour mettre en œuvre la répétition. Il est important de signaler que les élèves ne connaissaient pas la structure du langage Logo pour effectuer une action répétitive. Il était donc prévu qu’ils auraient simplement à écrire trois lignes avec la même action (tâche 1). Parce que nous pensions que les élèves ne pourraient pas imaginer par eux-mêmes la nécessité d’une structure répétitive dans la limite de l’expérimentation (moins d’une heure a été consacrée à une initiation au langage Logo), nous avons choisi de montrer ensuite aux élèves un programme en Logo utilisant une structure répétitive pour réaliser un nouveau triangle équilatéral. Afin que les élèves aient à analyser le programme et à comprendre la structure, nous n’avons pas choisi le même triangle : nous avons choisi un triangle dans le plan vertical et nous avons demandé aux élèves d’adapter le programme (seconde tâche) pour un vol dans le plan horizontal similaire à celui de la première tâche (figure 7). Notre hypothèse était que les élèves comprendraient alors la structure comme un moyen intéressant pour programmer de façon efficace des figures répétitives.
Afin d’évaluer cette compréhension, nous leur avons demandé de programmer un vol régulier hexagonal (tâche 3). Ensuite, nous avons pensé que les élèves seraient capables de comprendre un cercle comme un polygone régulier avec « beaucoup » de côtés. Ainsi, la dernière question (tâche 4) était la programmation d’un vol circulaire. Notons que dans la tâche 2, il était demandé une modification du « corps de boucle » (substitution de Phi à Thêta comme variable itérative) tandis que dans les tâches 3 et 4, l’élève avait à modifier le nombre de répétitions.

Analyse a posteriori
En raison des difficultés que les élèves ont rencontré dans l’utilisation de résultats trigonométriques, seuls quelques élèves ont pu effectivement aller plus loin que la tâche 1 (triangle équilatéral sans répétition) et personne n’a pu atteindre la tâche 4 (le cercle). Les élèves qui ont abordé la tâche 2 ont correctement modifié le programme Logo. Pour réaliser l’hexagone (tâche 3) certains ont réutilisé la structure répétitive, tandis que d’autres ont écrit six lignes identiques. L’expérimentation a clairement été trop courte pour établir une conclusion. Nous pouvons seulement penser que le scénario permet une approche possible de la « structure répétitive » dans un cours sur l’algorithmique, cours qui est devenue une partie du programme de mathématiques du lycée en France. Notons que ce scénario est cohérent avec une organisation pédagogique où les élèves travaillent seuls ou par paire sur un ordinateur. Dans cette organisation, l’enseignant ne peut pas « expliquer » à toute la classe la structure répétitive. Les étudiants doivent, par eux-mêmes, donner un sens à cette structure.

Expérimentation n° 2 : des figures acrobatiques aux vols géométriques
Choix sous-jacents
Dans cette deuxième expérimentation, les vols géométriques sont utilisés pour initier les élèves à la programmation en Logo et pour enrichir leur vision des courbes avec une perspective locale et différentielle due à Papert (1980) qui, à travers le langage Logo, voulait donner une vision nouvelle des objets géométriques. Contrairement à l’expérimentation n°1, ce travail a été fait collectivement avec un petit groupe d’élèves sous la direction d’un enseignant. De plus, elle s’est déroulée hors des cours habituels. En raison de contraintes de temps réservé à cette expérimentation et de l’absence de connaissances des élèves sur la programmation, le choix a été fait de proposer un premier programme de Logo aux élèves, de leur demander de l’expliquer en l’exécutant et en suivant la trajectoire de l’avion écrit avec un programme en Logo. Comme cela a été précisé dans le scénario, le programme en Logo fait exécuter une figure complexe à l’aide d’une itération sur les trois paramètres définissant le déplacement : Thêta, Phi et R.
Une fois que les élèves ont compris le programme, il leur est demandé de le modifier afin de produire un vol horizontal en spirale, puis un vol circulaire.

Analyse a posteriori
Après avoir exécuté plusieurs fois le programme, les élèves l’ont décodé par eux-mêmes et l’ont modifié pour obtenir une spirale.
Pour programmer un cercle, il y avait une difficulté due à l’initialisation, difficulté que les élèves n’avaient pas prise en compte. En effet, le pas de déplacement r, initialisé à zéro, restait nul ensuite et donc l’avion ne bougeait pas. Les élèves ont été surpris et tenté de comprendre pourquoi. Cela a été l’objet d’une discussion intéressante.

Comparaison

Nous nous intéressons à la façon dont les deux équipes (Didirem en France et ETL en Grèce) analysent le potentiel d’apprentissage que Cruislet apporte, la façon dont les objets mathématiques ont été choisis et sur quelles représentations les équipes ont porté leur attention.

Pour les chercheurs de l’équipe Didirem les vecteurs et les angles sont les principaux objets mathématiques repérables dans Cruislet. La façon dont les angles sont utilisés dans Cruislet peut enrichir cette notion chez les élèves. Les angles sont étudiés dans un environnement en trois dimensions en lien avec les coordonnées sphériques. En contrepartie, cette utilisation ajoute de la complexité pour les élèves français habitués à ne les manipuler qu’en géométrie plane. Par exemple, l’utilisation de la trigonométrie dans la préparation de vols sous contraintes nécessite de définir les angles dans des plans adéquats, une difficulté pour la plupart des élèves. Concernant les vecteurs, la première analyse faite par les chercheurs de l’équipe Didirem a montré que leur mise en œuvre dans Cruislet comportait des limites. Dans Cruislet les vecteurs pouvaient être additionnés, mais ne pouvaient être multipliés que par des entiers et la structure vectorielle disponible était très limitée. Ceci a rendu impossible de proposer aux élèves certaines tâches très réalistes, qui avaient été a priori envisagées, par exemple, celles où les effets du vent affectaient la trajectoire d’un avion.

Des échanges avec l’équipe grecque ETL ont permis de nouvelles perspectives d’utilisation de Cruislet. L’équipe ETL a proposé un programme pour un vol acrobatique et a ouvert de nouvelles perspectives aux chercheurs Didirem : la programmation en Logo pouvait permettre d’enrichir la vision des courbes chez les élèves à partir des propriétés de leur courbure. Cela dépassait les programmes scolaires mais semblait facilement accessible. En raison de l’absence de connaissance des élèves français sur les notions de programmation, il a été décidé de proposer tout d’abord un programme qu’ils auraient à exécuter et à interpréter, puis de leur demander de le modifier afin de générer différentes courbes. Dans l’expérimentation n°1 l’activité initiale avait été modifiée par les enseignants en l’écriture d’un programme correspondant à une trajectoire triangulaire dans un plan horizontal, que les élèves devaient adapter pour réaliser une trajectoire triangulaire dans un plan vertical, l’accent ayant été mis sur la compréhension du processus itératif. Pour l’expérimentation n°2 un programme plus complexe, mais aussi plus spectaculaire a été introduit et les résultats obtenus ont montré que sa structure peut être accessible à de jeunes élèves.

Les choix effectués par l’équipe ETL sont très différents, ils mettent l’accent sur les relations fonctionnelles entre les déplacements relatifs des deux avions. Les chercheurs d’ETL considèrent que les activités ainsi proposées aux élèves mettent en jeu la pensée fonctionnelle. Une fonction est considérée comme une dépendance entre des avatars, pouvant d’exprimer à l’aide de relations entre leurs déplacements (R, Phi, Thêta) ou leurs positions (x, y, z). En approfondissant cette dépendance, les élèves constatent qu’elle s’exprime comme un triplet de fonctions où les coordonnées géographiques de position du premier avion constituent des variables indépendantes que les élèves peuvent piloter, tandis que celles du deuxième avion constituent des variables dépendantes. Le choix était fait de considérer seulement des fonctions affines, pour que l’interprétation reste accessible aux élèves. L’équipe ETL considère ainsi que l’expression de conditions gouvernant les déplacements de deux avatars dans deux systèmes de représentation (coordonnées sphériques et géographiques) et dans un macro-espace réaliste (la Grèce) fournit un contexte valide pour permettre aux élèves d’étudier et de donner du sens mathématique à la notion de fonction.

Conclusions et perspectives

Notre équipe a été conduite à travailler avec Cruislet dans le cadre du projet ReMath. Ce cadre imposait des expérimentations et analyses croisées de logiciels développés par les différentes équipes. Comme on peut le voir dans la liste présentée en introduction, Casyopée, l’environnement que notre équipe développe depuis une dizaine d’année est très éloigné de Cruislet sur l’échelle de la conformité des représentations offertes par le logiciel avec les représentations habituellement considérées dans l’enseignement. Pour nous, expérimenter Cruislet a donc d’abord été un défi. Quelles utilisations significatives de cet environnement pouvions-nous faire dans l’enseignement français ? Comment cette expérimentation pouvait-elle nous permettre de mieux comprendre les buts d’une équipe travaillant dans un contexte et avec une culture différents ?

Comme nous l’avons dit plus haut, notre expérimentation s’est située à une époque (2007) où les programmes ne donnaient pas leur place au contexte interdisciplinaire et à l’algorithmique. Depuis la rentrée 2009, l’algorithmique est apparue dans les programmes de Seconde et doit s’étendre à toutes les classes du Lycée. Les instructions, notamment du socle commun, mettent l’accent sur des activités mathématiques qui prennent du sens dans des domaines d’application :

« Dans chacun des domaines que sont le calcul, la géométrie et la gestion des données, les mathématiques fournissent des outils pour agir, choisir et décider dans la vie quotidienne…La maîtrise des principaux éléments de mathématiques s’acquiert et s’exerce essentiellement par la résolution de problèmes, notamment à partir de situations proches de la réalité »(socle commun).

Les nouveaux programmes de Seconde situent la « culture mathématique » dans « la vie en société et la compréhension du monde ». Ils précisent que les problèmes posés aux élèves s’inspirent « de la vie courante ou d’autres disciplines » et encouragent la résolution dans le cadre d’utilisation de logiciels.
Remarquons que cette évolution fait suite à des réflexions initiées notamment par la Commission de réflexion sur l’enseignement des mathématiques soulignant à quel point les mathématiques ont changé en cinquante ans pour n’être plus aujourd’hui l’affaire des seuls mathématiciens, mais d’une variété d’acteurs et d’utilisateurs et, plus généralement sont présentes dans les activités sociales quotidiennes.

« Les mathématiques s’enrichissent de problèmes, de méthodes et de concepts venant des autres sciences et pratiques, créent de nouveaux concepts et de nouvelles théories, et fournissent matière à des applications parfois imprévues. Les modèles mathématiques, permettant les simulations, sont partout, et les mathématiques se développent par leurs interactions avec les autres disciplines en même temps que par les interactions en leur sein. » (Kahanne 2002).

Les environnements de navigation géographique comme Google Earth nous paraissent emblématiques de cette évolution, et en même temps des difficultés qu’elle induit pour l’enseignement des mathématiques. Des modèles et notions mathématiques sophistiqués sont mis en œuvre pour la conception de ces environnements, mais ils sont « transparents », c’est-à-dire inaccessibles aux utilisateurs ordinaires. Cruislet nous a paru un environnement intéressant parce qu’il donne à l’utilisateur des moyens d’action supérieurs par rapport aux environnements normaux, et que pour accéder à ces moyens, il est nécessaire de manipuler plus explicitement les notions mathématiques sous-jacentes et donc d’apprendre sur ces notions.

Dans Casyopée (Lagrange 2008) nous avons aussi pris le parti de faire travailler une notion (les fonctions) comme modélisation de phénomènes de dépendance. Mais cette modélisation est en quelque sorte « interne » aux mathématiques, puisque les fonctions sont des modèles de dépendances entre grandeurs géométriques en dimension 2. Les problèmes posés avec Casyopée pour motiver cette modélisation sont soit des problèmes d’égalité de grandeurs, soit des problèmes d’optimisation. Ces classes de problème existent certes en dehors des mathématiques dans l’activité d’ingénieurs, mais il n’est guère possible d’aborder de façon réaliste le contexte et les outils de cette activité avec les élèves. Si des « habillages » sont possibles (par exemple considérer une surface dont on doit maximiser l’aire comme un espace publicitaire) et peuvent donner du sens à la modélisation, leur caractère artificiel ne fait pas illusion : ils ne donnent pas concrètement de moyens d’action pour agir, choisir et décider dans la vie quotidienne.

L’accent mis par l’équipe grecque sur les fonctions nous a aussi donné une ouverture supplémentaire sur les apprentissages de cette notion. Avec Casyopée, nous nous limitons aux fonctions d’une variable et nous passons assez vite à des formes algébriques « avancées » (au minimum du second degré") qui justifient l’étude formelle de propriétés. Le champ des dépendances modélisées est relativement circonscrit. Les activités proposées par ETL ne concernent certes pas l’étude formelle des propriétés des fonctions, mais elles abordent la modélisation dans un cadre clairement extra mathématique et par des triplets de fonctions que l’on peut voir comme des fonctions de l’espace vers l’espace.
Ces fonctions « boîte noire » existent grâce à la possibilité de programmer en Logo les déplacements dans Cruislet. Cette possibilité ouvre aussi sur des activités intéressantes d’initiation à l’algorithmique qui paraissent cohérentes avec ce qui est souhaité dans les nouveaux programmes. Ceci conduit à penser qu’un environnement pour l’apprentissage des mathématiques devrait nécessairement être programmable, pas seulement par le biais de macros comme les logiciels de géométrie dynamique, mais en offrant des structures algorithmiques telles que des variables et des itérations. Ce n’est pas encore le cas de Casyopée, mais nous y réfléchissons.

Notre expérimentation nous apparaît ainsi avoir préparé l’évolution voulue par les nouveaux textes et nous a donné une ouverture supplémentaire sur la notion de fonction que nous considérons comme centrale en développant Casyopée. Les classes où nous avons expérimenté Cruislet sont aussi celles où l’utilisation de Casyopée est poursuivie de façon régulière. Le temps nous a manqué pour travailler avec les élèves sur la complémentarité des deux approches, tout comme il nous a manqué pour que les activités avec Cruislet prennent toute leur efficacité en termes d’apprentissages des élèves. Comme avec tous les environnements informatiques, cette efficacité ne peut être atteinte qu’au cours d’une genèse souvent longue qui doit être très soigneusement pensée par le professeur. Même le premier niveau de genèse, celui qui consiste à utiliser Cruislet comme un navigateur géographique « standard » ne peut être considéré comme pré acquis. Ensuite les couches « mathématiques » et « programmation » rajoutées dans Cruislet demandent, comme nous l’avons vu, une approche progressive qui suppose une organisation des activités dans la durée. Nul doute que la durée supérieure que nous aurions pu consacrer grâce aux nouvelles orientations du programme et l’expérience acquise nous permettraient aujourd’hui une meilleure efficacité.

Nous espérons que cet article donnera au lecteur le désir d’expérimenter Casyopée autant que Cruislet et, pourquoi pas, de s’informer sur les quatre autres logiciels développés dans ReMath. C’est possible grâce à la plate-forme http://remath.cti.gr qui propose des scénarios pour ces différents logiciels. Les logiciels sont aussi téléchargeables à partir de cette plate-forme. On prendra garde que les versions les plus récentes sont à télécharger plutôt sur des sites dédiés. C’est le cas de Casyopée (http://casyopee.eu). On trouvera aussi sur la plate forme ReMath les principaux textes élaborés au cours du projet, en particulier le « deliverable 18, Integrated Theoretical Framework » qui tire parti plus largement des six expérimentations croisées.

Le lecteur a pu constater que cet article résulte d’un travail collectif impliquant aussi Michèle Artigue, Claire Cazes et Fabrice Vandebrouck dans l’équipe française et les membres de l’équipe
grecque dirigée par Chronis Kynigos. Qu’ils soient remerciés, ainsi que les élèves qui ont participé aux expérimentations et la communauté européenne qui a financé ReMath.

Références
Guin D., Trouche L. (eds), 2002 : Intégrer les calculatrices symboliques : un problème didactique. La Pensée Sauvage (Grenoble)
Kahane, J., 2002 : L’enseignement des sciences mathématiques. Centre National de Documentation Pédagogique, Odile Jacob, Paris.
Lagrange, J.B., 2008 : Le calcul algébrique au premier trimestre de Première S. Utilisation d’un outil géométrique et symbolique. http://revue.sesamath.net/spip.php?...
Nguyen, C.T., Lagrange, J.B., Le Feuvre, B., Meyrier, X., 2009 : Le projet européen Remath : quatre logiciels pour l’apprentissage des mathématiques, et des scénarios pour l’enseignant. Actes des rencontres des Irems du Grand Ouest, IREM de Rennes.
Papert, S., 1980 : Mindstorms, Children, Computers, and Powerful Ideas. Basic Books, New York.
Traduction française : Jaillissement de l’esprit, Flammarion.