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Un enseignement scientifique co-disciplinaire pour traiter la question de la modélisation du cycle du carbone au lycée
Article mis en ligne le 29 janvier 2010
dernière modification le 30 août 2022

par Gilles Aldon, Michèle Prieur

Les auteurs :
Michèle Prieur, Programme Apprentissages, Curriculums, Didactiques. INRP
Michele.prieur@inrp.fr
Gilles Aldon, EducTice. INRP
Gilles.aldon@inrp.fr
expriment leurs remerciements à Catherine Vautier et Frédérique Wursmer, lycée du Val de Saône, Trévoux (01)

Sommaire

Cet article présente une expérience menée dans un enseignement scientifique en classe de seconde sur la modélisation numérique du cycle du carbone. Il s’attache à mettre en relief la nécessaire co-disciplinarité et la place de la modélisation dans le cadre d’un travail d’investigation scientifique pour étudier le problème du rôle des émissions anthropiques dans le réchauffement climatique de la planète.

1. Le contexte d’étude

Le contexte de recherche

Le travail présenté dans cet article est conduit par l’équipe EducTice dans le cadre du projet de recherche P2S-CORISE1 (COnception de Ressources pour l’Investigation Scientifique dans l’Enseignement). Ce projet vise à identifier les situations à mettre en place dans ou hors la classe et à produire des ressources pour l’enseignement afin que des élèves puissent s’engager dans un travail d’investigation scientifique de manière autonome. Cette étude prolonge des travaux antérieurs réalisés au sein des équipes EducTice et ACCES en mathématiques sur la recherche de problèmes (Aldon, 2009) et en sciences de la vie et de la Terre sur la conduite d’investigation (Sanchez, Prieur 2006), sur les liens existant entre investigation scientifique et modélisation (Sanchez 2008) et sur la modélisation numérique du cycle du carbone en classe de seconde (Barrère, Prieur et al. 2007). Cette étude a été conduite en collaboration avec des professeurs de mathématiques et de sciences expérimentales associés à l’INRP.

Le contexte d’enseignement

Dans le cadre des expérimentations de l’article 34 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école (BO, 2005), l’académie de Lyon propose un enseignement expérimental de Pratiques Scientifiques en classe de Seconde (P2S). Il s’agit d’un enseignement pluridisciplinaire qui vise à redynamiser l’enseignement des sciences au lycée en engageant les élèves dans « une démarche de projet, basée sur une pédagogie de résolution de problèmes scientifiques”2. Au lycée du Val de Saône de Trévoux (01), cet enseignement P2S prend la place d’un enseignement de détermination à raison de 3 heures hebdomadaires . Un effectif de 18 élèves a été privilégié pour favoriser les activités expérimentales et l’utilisation des TIC. Ce contexte d’enseignement est favorable à la conduite de résolution de problème scientifique attribuant aux élèves une part d’autonomie et d’initiative.

2. Un travail d’investigation co-disciplinaire s’appuyant sur la modélisation

Une investigation fondée sur la modélisation

La problématique étudiée par les élèves est celle du réchauffement climatique et de la responsabilité de l’homme dans le réchauffement observé au niveau de la planète. La compréhension des démarches et des arguments scientifiques qui fondent les prévisions climatiques nécessite la conduite d’un travail d’investigation fondé sur la modélisation du cycle du carbone et la simulation de différents scénarios socio-économiques caractérisés par leurs émissions anthropiques de CO2. Ce thème d’étude permet de mettre la modélisation et l’utilisation des modèles au cœur de l’activité d’investigation des élèves. Cet enseignement est conduit avec l’objectif que les modèles deviennent des outils scientifiques pour penser, expliquer, prévoir et non des boîtes noires dont le fonctionnement reste inaccessible. Les séances de classe décrites dans la 3ème partie s’attachent à montrer des conditions et des modalités de cet enseignement.

Le sujet d’étude choisi est un sujet de société qui mobilise la communauté scientifique et qui est très largement relayé par les médias. Il permet d’utiliser des outils issus de la recherche (banque de données, logiciel de modélisation). En s’appuyant sur les travaux de François Lombard (2009) nous faisons l’hypothèse que l’authenticité du problème scientifique et de ses méthodes d’étude sont source de motivation pour les élèves.

Une problématique nécessitant un travail co-disciplinaire

Le cycle du carbone mis en jeu dans la problématique du réchauffement climatique est un cycle du carbone court impliquant des transferts de carbone entre les compartiments atmosphère, biosphère et hydrosphère. Les flux entre ces compartiments mettent en jeu des processus physiques, chimiques et biologiques. Le paramétrage d’un modèle numérique permettant d’évaluer la quantité de carbone dans les différents compartiments en fonction du temps nécessite un travail mathématique. Les tâches à réaliser par les élèves mobilisent donc des concepts et des méthodes des sciences physiques et chimiques (SPC), des sciences de la vie et de la Terre (SVT) et des mathématiques pour comprendre les phénomènes en jeu, construire des modèles et effectuer des simulation sur ordinateur.

Les mathématiques, au même titre que les autres disciplines sont sollicitées à plusieurs reprises pour résoudre le problème général. Cette complémentarité entre les mathématiques et les autres disciplines peut-être illustré par l’exemple suivant. L’étude de la température terrestre et des émissions de CO2 liées aux activités humaines au cours du temps, montre une relation entre ces deux facteurs. Un travail mathématique permet d’affirmer qu’il s’agit d’une corrélation et permet de la quantifier, mais en aucun cas les mathématiques ne peuvent apporter des hypothèses permettant de transformer cette corrélation en causalité. Les SVT et SPC pourront questionner le problème de la causalité du rôle des émissions de CO2 sur le réchauffement climatique depuis la révolution industrielle Les mathématiques ne constituent pas un simple outil permettant de fournir des données aux autres disciplines mais plus profondément, un outil pour aider à la compréhension.

Cet enseignement à plusieurs disciplines est conçu comme un enseignement co-disciplinaire (Blanchard-Laville 2000). Un tel enseignement vise à favoriser les complémentarités de chaque discipline en portant des regards croisés sur les objets étudiés et les méthodologies mises en œuvre sans chercher à gommer leurs spécificités. Il nécessite un travail collaboratif des enseignants pour organiser le travail des élèves tant sur un plan pédagogique que scientifique. Le diagramme de la figure 1 montre la progression annuelle élaborée par les enseignants pour articuler les objets scientifiques à étudier par les différentes disciplines. Certains sont indispensables pour permettre une résolution de la problématique générale, d’autres sont plus accessoires. L’étude de ces derniers est guidé par les choix des élèves et les contraintes de gestion du temps.

Figure 1 : Diagramme « Cycle du carbone et réchauffement climatique »
(Un clic sur la figure permet d’accéder à une meilleure définition)

3. Une séquence co-disciplinaire en mathématiques et sciences de la vie et de la Terre

La construction d’un modèle numérique du cycle du carbone par les élèves est motivée par l’intérêt de pouvoir calculer la teneur de l’atmosphère en CO2 pour des périodes futures et ainsi pouvoir effectuer des prévisions sur le réchauffement climatique. L’analyse d’une étape de la construction de ce modèle permet d’exemplifier et de montrer plus finement la complémentarité qui se joue dans ce travail co-disciplinaire d’investigation scientifique.

Un appui sur les conceptions des élèves

Un travail préalable sur les conceptions des élèves permet d’identifier leurs représentations sur le cycle du carbone. Une mise en commun des réponses à la question « D’où vient et où va le CO2 produits par les activités humaines ? » permet de dégager un modèle du cycle du carbone qui fait consensus au sein de la classe. Les élèves sont tous en accord sur le fait que le CO2 vient de la combustion du bois et des hydrocarbures et qu’il va dans l’atmosphère. Très peu d’élèves évoquent ou acceptent l’idée que le CO2 puisse passer dans d’autres compartiments comme la biosphère ou l’océan. Ce premier modèle simplifié du cycle du carbone est source de questionnement pour la classe (figure 2).

Figure 2 : conceptions (noir) et questionnement (rouge) des élèves de la classe relatifs au cycle du carbone

Les élèves s’engagent alors dans des investigations afin d’apporter des éléments de réponses aux questions soulevées. Le problème de l’évaluation de la teneur de l’atmosphère en CO2 au cours du temps nécessite la construction d’un modèle numérique du cycle du carbone. Ce modèle permettra par la suite d’interroger pour des périodes passées et futures la corrélation entre les émissions de CO2, l’enrichissement de l’atmosphère en CO2 et les variations de la température.

Un détour par une analogie en mathématiques

La construction d’un modèle numérique du cycle du carbone met en jeu une modélisation des systèmes à compartiments (figure 3), l’atmosphère étant considérée comme un compartiment dans lequel « entre » ou « sort » un flux de CO2. Une recherche antérieure conduite au sein des équipes EducTice et ACCES (Barrère, Prieur et al. 2007) a montré qu’une telle modélisation pose différentes difficultés aux élèves. Elle nécessite en effet de maîtriser les concepts qui y sont attachés : compartiment, flux, système ouvert ou fermé ; de connaître leur représentation symbolique ; de comprendre les calculs nécessaires au paramétrage du modèle ; de se familiariser avec les fonctionnalités et l’ergonomie du logiciel de modélisation.

Afin d’aider les élèves à mieux appréhender la complexité de la modélisation des systèmes à compartiments, il leur est proposé de faire une analogie entre l’apport de CO2 anthropique dans l’atmosphère et le système physique de remplissage en eau d’une baignoire. Cet exemple concret, facilement accessible à des élèves, permet de découvrir, d’expliciter et de manipuler les modèles de systèmes à compartiments.

Principe de la modélisation des systèmes à compartiments

Figure 3 : principe de la modélisation des systèmes à compartiments (extrait du cours de Ecole Polytechnique de Louvain, département d’ingénierie mathématique http://www.inma.ucl.ac.be/INMA2370/cours/chap4.pdf)

Un premier travail conduit avec les élèves a donc consisté à construire un tel modèle permettant de comprendre le fonctionnement de sa programmation en partant d’un exemple issu de la vie quotidienne, le remplissage d’une baignoire (figure 4). L’objectif était d’une part de montrer les hypothèses nécessaires pour la mise en œuvre du modèle et d’autre part de permettre aux élèves de comprendre à partir d’un travail sur un tableur le fonctionnement du logiciel Vensim ple ®, qu’ils auraient à utiliser par la suite.

Figure 4 : représentation du modèle de remplissage de la baignoire avec et sans évacuation

Les modèles ont été construits sur des modèles discrets pour plusieurs raisons, la plus importante étant qu’un modèle continu débouche sur l’écriture puis la résolution d’une équation différentielle qui ne pouvait, bien sûr, pas être abordées en classe de seconde.

Dans un premier temps, et pour fixer le vocabulaire utilisé, on suppose qu’il n’y a pas d’évacuation ; Q représentant la quantité d’eau dans la baignoire est une fonction du temps, croissante et dépend du débit : Q(t+1)=Q(t)+ A, où A représente l’apport d’eau pour une unité de temps. Le tableur permet alors de déterminer, en fonction de la valeur de A et de la capacité de la baignoire, à quel moment cette dernière déborde.

La formule suivante, lorsque la bonde est ouverte, est facilement écrite par les élèves :

Q(t+1)= Q(t)+A-E où E représente la quantité d’eau évacuée par unité de temps. Voici alors un extrait de la fiche élève :

Le problème a d’abord été traité avec un tableur, puis avec le logiciel Vensim ple ®-. Les résultats de la simulation obtenue avec le logiciel ont été comparés aux valeurs calculées par le tableur de façon à dégager les spécificités de chacun des logiciels (figure 5).
Ainsi, un modèle à un compartiment a pu être entièrement construit par les élèves et les boîtes noires proposées par Vensim ont été un peu ouvertes pour permettre une utilisation plus sereine de ce logiciel difficile d’accès et aborder par la suite des modèles à plusieurs compartiments.



Figure 5 : Modèle de la baignoire construit avec le logiciel Vensim ple ® et résultats de la simulation

La construction d’un modèle numérique simplifié du cycle du carbone en SVT

Le travail ainsi effectué en mathématique est réinvesti en SVT pour construire avec le même logiciel un premier modèle simplifié du cycle du carbone pour la période 1991-2000. Ce modèle qui s’appuie sur les conceptions initiales des élèves possède un compartiment, l’atmosphère et un flux entrant, les émissions de CO2 liées aux activités humaines.

Un travail préalable a conduit les élèves à caractériser le compartiment atmosphère et le flux des émissions anthropiques. Un travail de mathématiques et de SVT a permis d’interroger des banques de données afin de connaître les apports de CO2 liés aux activités humaines (University of North Dakota) ainsi que la teneur de l’atmosphère en CO2 pour différentes périodes (World data centre for grennhouse gases). Un travail de mathématiques et de SPC a permis la construction d’un convertisseur ppm – gigatonnes de carbone (Gt de C) afin de pouvoir mettre en cohérence les teneurs de l’atmosphère en CO2 exprimées en ppm et les quantités de carbone rejetées par les activités humaines exprimées en Gt de C.

Les élèves peuvent alors s’appuyer sur ces travaux préalables et sur les connaissances et les savoir faire développés en mathématiques sur la modélisation des systèmes à compartiments à partir de l’exemple de la baignoire pour s’engager en toute autonomie dans la construction d’un modèle numérique du cycle du carbone. L’identification des valeurs nécessaires au paramétrage (teneur initiale de l’atmosphère en CO2, quantité de carbone émise par les activités humaines pour la période étudiée), la construction et le paramétrage du modèle avec le logiciel Vensim ple® sont sous la responsabilité des élèves (figure 6).

Figure 6 : construction et paramétrage d’un modèle simplifié du cycle du carbone avec le logiciel Vensim ple®

La simulation avec le modèle construit donne par la suite la possibilité de le faire fonctionner et d’éprouver sa validité en confrontant les valeurs calculées par le modèle aux valeurs mesurées sur le terrain (valeurs issues des banques de données). Cette confrontation montre un écart qui permet d’identifier la nécessité de modifier le modèle en ajoutant un flux de CO2 sortant. (figure 7)


Fig 7a. comparaison entre l’évolution de la teneur en CO2 de l’atmosphère calculée par le modèle (en bleu) et celle mesurée sur le terrain (en rouge).

Fig 7b : le modèle simplifié est modifié, la simulation permet d’évaluer le flux sortant à plus de la moitié du flux entrant.

Un travail de simulation avec des modèles possédant d’autres compartiments (biosphère, litière, océan) permet de comprendre les rôles de stockage de carbone joué par ces compartiments. In fine, les élèves utilisent un modèle numérique issu de la recherche (figure 8) pour effectuer des simulations et discuter les différents scénarios du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

Figure 8 : modèle numérique du cycle du carbone issu de la recherche

Conclusion

Les situations d’enseignement mises en place sur la modélisation numérique du cycle du carbone montrent la possibilité d’engager des élèves dans un travail d’investigation mobilisant modélisation, simulation et leur attribuant une part d’autonomie et d’initiative. L’explicitation du modèle en jeu (modélisation de systèmes à compartiments), la modélisation sur des exemples concrets et simplifiés (modèle de la baignoire, modèle simplifié du cycle du carbone), permet aux élèves par la suite de manipuler des modèles complexes issus de la recherche pour mener une investigation scientifique. Ces situations montrent par ailleurs l’importance de la complémentarité des disciplines tant sur le plan des concepts que des démarches et des outils. La mise en œuvre d’un travail co-disciplinaire ne peut être envisagée sans une intense collaboration des enseignants fortement dépendante du contexte et des ressources qui sont à leur disposition pour assurer une continuité et une cohérence dans la conduite de leur enseignement.

Bibliographie

Aldon, G. (2009). A resource to spread maths research problems in the classroom CERMES 6 Lyon.

Barrère, J., M. Prieur, et al. (2007). Démarches et outils pour traiter une question d’actualité scientifique au lycée : le réchauffement climatique. XXVIIIème JIES, Chamonix.

Blanchard-Laville, C (2000) De la co-disciplinarité en sciences de l’éducation, Revue française de pédagogie, n°132 , pages 55-66

Lombard, F. MC. Blatter (2009). Adapting teacher training to new evolution research approaches. BioED 09 CONFERENCE 12-15 Feb 2009 Christchurch, New Zealand

http://tecfa.unige.ch/perso/lombardf/publications/bioEd09-NZ-II09/lombard-blatter-bioEd09Christchurch-final.pdf

Sanchez, E. (2008). « Quelles relations entre modélisation et investigation scientifique dans l’enseignement des sciences de la Terre. » Education & Didactique 2(2) : 97-122.

Sanchez, E. and M. Prieur (2006). Démarche d’investigation dans l’enseignement des sciences de la Terre : activités-élèves et scénarios. Scénariser l’enseignement et l’apprentissage : une nouvelle compétence pour le praticien ?, Lyon, INRP.