Cathy Burck, auteure de cet article, est animatrice du groupe Mathouvert de l’IREM de Strasbourg. Elle présente le site et l’activité qui en découle.
Cathy Burck, auteure de cet article, est animatrice du groupe Mathouvert de l’IREM de Strasbourg
Mathouvert est le site du groupe « Enseigner les mathématiques à travers les problèmes » de l’IREM de Strasbourg. L’objectif est de mettre à disposition des enseignants un scénario pour chaque problème d’introduction d’une notion nouvelle. Ces problèmes ont été testés par les membres du groupe. Un avantage de les proposer sur un site plutôt qu’en version papier est que les fiches écrites par les membres du groupe sont facilement complétées ou modifiées au fil des expérimentations.
Notre première problématique était de rendre tous nos élèves davantage actifs pendant le cours de mathématiques. Souvent lors des moments d’échanges collectifs, seuls quelques élèves participent réellement et s’impliquent. Les élèves « fâchés » avec les mathématiques depuis quelques années ou ceux plus réservés n’osent pas intervenir. D’autres élèves parviennent plus difficilement à rester concentrés suffisamment longtemps pour ne pas perdre le fil du raisonnement collectif. Aussi, l’illusion est donnée à l’enseignant que les élèves construisent leur savoir alors que cela ne concerne que quelques élèves et que pour les autres, ces temps sont finalement des temps d’enseignement transmissif.
De plus, de nombreux élèves restent attentistes lorsque nous leur demandons de se pencher sur des exercices et ne prennent pas l’habitude de chercher. Ils ne parviennent pas à surmonter la difficulté de ne pas comprendre ce qui leur est demandé et se contentent d’attendre. Comme l’enseignant est préoccupé par le programme qu’il lui faut terminer, il ne prend pas suffisamment le temps de leur expliquer comment « chercher » ou ne se rend pas compte que c’est une réelle difficulté pour certains élèves, même dans des exercices d’application directe.
D’autre part, les applications de connaissances proposées en mathématiques sont souvent très guidées. Avec ce genre de travail, prépare-t-on les élèves à être des citoyens à même de réfléchir, de critiquer, d’organiser leur pensée ? Les élèves parviennent-ils à prendre suffisamment de recul ?
Un autre point qui au fil des années s’accentue, et en cette rentrée 2020 davantage encore que les précédentes, est l’hétérogénéité parfois abyssale rencontrée dans nos classes. Nous réfléchissons donc aux manières de gérer au mieux cette hétérogénéité, non pour qu’ils atteignent tous le même objectif, il serait utopique de l’espérer, mais pour que tous progressent et que leurs connaissances tendent vers un objectif commun.
Toutes nos questions et difficultés ont trouvé des éléments de réponses à travers la mise en place de séances de résolution de problèmes de recherche. Parmi tous les types de problèmes de recherche, nous nous sommes concentrés sur des problèmes nous permettant d’introduire des notions mathématiques : le problème est choisi de telle sorte qu’il amène la nécessité de changer de procédures ou qu’il permette une réorganisation des connaissances antérieures. Nous n’avons pas la prétention de proposer des situations problèmes pour toutes les notions, ni d’être les concepteurs de tous ces problèmes. Notre réflexion a consisté en l’élaboration d’un scénario pour mener au mieux ces problèmes avec les élèves. En effet, il ne suffit pas de disposer de l’énoncé d’un problème pour atteindre les objectifs visés, il faut également avoir réfléchi à la façon de l’aborder avec les élèves afin qu’il constitue un véritable problème de recherche pour tous. Il apparaît que proposer aux élèves un problème, aussi pertinent soit-il, ne suffit pas à permettre à la grande majorité des élèves de modifier leurs conceptions initiales. Tout se joue sur l’accompagnement proposé par l’enseignant qui n’est pas un simple animateur. Bien au contraire, sa responsabilité est centrale, il amène ses élèves vers la connaissance visée, mais pas au sens d’un enseignement transmissif ou béhavioriste. Sa place au sein de la classe est certes plus difficile et déstabilisatrice que lors d’un enseignement plus classique et demande une remise en cause de sa posture d’enseignant. Le scénario général est décrit plus précisément dans la rubrique un scénario possible du site.
Pour faciliter la mise en place de ces problèmes en classe, nous nous sommes intéressés aux activités des élèves et de l’enseignant lors des deux phases, la dévolution et la régulation, présentes dans notre scénario. Ainsi nous avons élaboré des fiches à destination des enseignants. Celles-ci signalent les différents écueils rencontrés par les élèves et donnent des pistes pour les débloquer tout en exerçant une réticence didactique [1]. Nous proposons également pour chaque problème des exemples d’expérimentation et des façons de réguler la séance afin d’aboutir à l’exposition de connaissances. La rubrique « les problèmes de recherche » du site propose les énoncés des problèmes de recherche testés (en bleu), ainsi que le document enseignant (en orange) pour accompagner leur déroulement en classe.
Dans le scénario proposé, une place importante est accordée à l’écrit dans le processus de résolution.
Pour davantage d’explications, une rubrique du site détaille notre point de vue.
Bien évidemment les élèves ne sont pas toujours habitués à écrire leurs réflexions ou leurs démarches et lors des premiers problèmes, une des activités de l’enseignant est de les inciter à oser écrire.
Voici des exemples d’écrits obtenus lors de la phase de dévolution. Ils traduisent les divers intérêts pour ces écrits :
- Les écrits montrent les incompréhensions et les débuts de recherche pendant la phase individuelle (temps entre 5 et 10 minutes en fonction des problèmes et de la classe). Ci-dessous des extraits d’écrits du début de séance lors du problème « famille de points » dont voici l’énoncé :
Un jeu des 4 familles (désigné par « famille de points » sur le site) : on considère le repère orthonormé ci-contre (non donné dans cet article). Une famille est un ensemble de points situés dans le carré ci-contre. L’objectif est de placer des points appartenant à chaque famille. Graphiquement, chaque famille sera codée par une couleur. Les familles sont décrites ci-dessous.
Famille 1 (en noir) : en multipliant notre abscisse par 2 et en ajoutant 3 à ce produit, on trouve notre ordonnée.
Famille 2 (en bleu) : notre ordonnée est égale à la somme du carré de notre abscisse et de 1.
Famille 3 (en rouge) : la somme du carré de notre abscisse et du carré de notre ordonnée est égale à 25.
Famille 4 (en vert) : le produit de notre abscisse par notre ordonnée est égal à 1.
Cet élève reformule simplement la question posée mais ne parvient pas encore à déterminer les éléments qui seront essentiels à la résolution du problème dans l’énoncé.
Il en est de même pour celui-ci mais dans cet écrit l’élève pointe que c’est « l’énigme » qui lui permettra de déterminer les coordonnées des points.
Cet élève avait formulé la tâche demandée puis est arrêté dans sa recherche et exprime à l’écrit ce qui l’empêche de poursuivre à savoir choisir au hasard une abscisse pour calculer l’ordonnée associée.
Ainsi ce premier temps de dévolution oblige les élèves d’une part à reformuler l’énoncé et ainsi à commencer à se l’approprier et d’autre part à récupérer les différentes informations de l’énoncé pour les organiser. Il permet alors à l’enseignant de repérer les élèves qui ne parviennent pas à lier les hypothèses à la question posée, les difficultés liées à une incompréhension de l’énoncé, les blocages associés à la méthode choisie par l’élève ou encore de repérer les élèves qui ont déjà bien débuté la recherche.
- Les écrits permettent aussi de prendre conscience de leur démarche et de comprendre leurs erreurs : par exemple dans le problème du jeu des cartons, la démarche (d’un groupe) décrite ci-dessous montre, entre autres, que la distinction entre expérimentation et théorie n’est pas installée (le jeu consiste à tirer successivement et sans remise, deux cartons parmi 10 cartons sur lesquels sont écrits 10 nombres différents dont 6 négatifs et 4 positifs, d’effectuer le produit des nombres apparaissant sur les cartons et de déterminer la probabilité d’obtenir un produit négatif) :
- Les écrits permettent d’avoir accès aux représentations des élèves : par exemple l’écrit suivant (obtenu dans le problème de la boite de plus grand volume fabriquée à partir d’une feuille A4) permet de comprendre la conception de l’élève sur la variation de ce volume, réflexion qui serait certainement passée inaperçue lors d’un débat collectif ou si l’élève n’avait pas été obligé de poser sur papier sa pensée.
Retour sur le scénario
Après une période de réflexion individuelle pendant laquelle l’enseignant veille à une recherche personnelle, repère les difficultés, mais sans intervenir, le travail se poursuit en groupe. C’est lors de cette phase que l’enseignant aide les différents groupes tout en exerçant une réticence didactique (voir la note 1 en bas de la rubrique Pourquoi et comment faire écrire les élèves). Puis, une fois la recherche des élèves finalisée, mais non forcément aboutie, les écrits sont ramassés par l’enseignant. Les groupes (qui sont en général d’un niveau homogène) ont produit des raisonnements différents, tous n’ont pas mené la recherche jusqu’au bout, mais ils ont réfléchi à partir de leurs connaissances et ont tous avancé dans la recherche.
L’enseignant sélectionne alors certains écrits ou extraits, les hiérarchise, puis les propose aux élèves. L’objectif de cette lecture d’écrits d’élèves est d’amener la notion à introduire en leur soumettant un questionnement progressif. Ce questionnement est lié aux productions des élèves. La sélection des écrits permet de mettre en avant tout type de procédure, de pointer et traiter les erreurs apparues lors de la phase de recherche et de souligner les éléments importants pour la compréhension de la notion en jeu. A partir de la tâche donnée dans le problème, apparaissent des sous-tâches mises en évidence par les activités des élèves. Nous hiérarchisons les écrits en nous fondant sur les diverses tâches progressives introduites par les élèves et les activités des élèves nécessaires pour les réaliser. C’est ce que nous proposons dans la partie expérimentation des documents enseignants (en orange).
Voici des exemples d’extraits d’écrits d’élèves hiérarchisées pour la phase de régulation après le travail en groupe. L’étude de ces écrits amène la propriété permettant de calculer la distance entre deux points en 2nde.
Énoncé du problème de recherche :
La tâche mathématique pour la première question de ce problème est de déterminer la longueur PB. Pour réaliser cette tâche, les élèves peuvent appliquer le théorème de Pythagore (il y a d’autres activités qui apparaitront ultérieurement, comme mesurer par exemple, mais c’est celle qui est espérée par l’enseignant et qui sera mise en avant lors des études des écrits d’élèves). Ainsi la hiérarchisation des écrits se fonde sur les activités des élèves et les sous-tâches qui en découlent et qui apparaissent progressivement lors de leur recherche. Dans l’expérimentation voici les activités élèves qui sont apparues :
- Penser à utiliser le théorème de Pythagore pour calculer une longueur
- Introduire un intermédiaire qui est le point de même abscisse que P et de même ordonnée que B pour obtenir un triangle rectangle
- Comprendre que les longueurs des côtés de l’angle droit se calculent ici en effectuant une différence de deux abscisses et une différence de deux ordonnées.
La hiérarchisation des écrits se fait en nous fondant sur ces activités d’élèves.
Voici les extraits sélectionnés lors de cette expérimentation et les questions posées aux élèves lors de la phase de régulation de la deuxième séance :
Extrait écrit 1
Question posée aux élèves : Pourrait-on définir le point A avec des coordonnées ? lesquelles ?
Extrait écrit 2
Questions posées aux élèves : Que trouvez-vous positif dans cet écrit ?
Que modifierez-vous ?
Pouvez-vous donner les valeurs exactes des longueurs AB et AP ?
Lors de cette expérimentation, par la lecture de ces deux extraits et les questions posées, l’enseignant souhaite pointer que A a la même ordonnée que B et la même abscisse que P et que pour calculer la longueur AP, il suffit de calculer la différence entre les ordonnées de P et B. Les élèves peuvent encore compter les carreaux pour la longueur AB, mais pour la longueur AP, les nombres choisis obligent les élèves à effectuer une différence pour calculer la valeur exacte de la longueur.
Extrait écrit 3
Extrait écrit 4
Questions posées aux élèves : Quel est l’intérêt du schéma de la figure ci-contre ? Est-ce toujours impossible comme le pensait le groupe 3 ?
Le groupe de l’écrit 3 n’est pas parvenu à imaginer le schéma de la situation de la question 2. L’écrit 4 et la discussion précédente permettent de comprendre le calcul des longueurs KB et KT avec respectivement la différence des abscisses et des ordonnées des points T et B.
Extrait écrit 5
Questions posées aux élèves : Que trouvez-vous positif dans cet écrit ?
Que modifieriez-vous ?
Lors des différentes expérimentations de ce problème, des confusions apparaissent sur les objets mathématiques en jeu et notamment une confusion entre la distance et les coordonnées. Cet écrit est l’occasion de pointer ces distinctions.
Les questions qui entourent ces écrits permettent à chaque élève de s’interroger sur l’avancée du raisonnement, elles tiennent compte de leurs conceptions initiales et de l’hétérogénéité de celles-ci.
La phase de mise en commun ne propose donc pas une correction immédiate du problème mais une avancée progressive de la réflexion menée par les élèves. Sa particularité est qu’elle se fonde sur les écrits des élèves pour faire bouger les différentes réflexions d’élèves. L’objectif principal étant que tous les élèves progressent.
Le scénario proposé se décline bien évidemment de multiples manières, il est laissé à la liberté de chaque enseignant.