Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Avant-propos de Michela Maschietto
Article mis en ligne le 13 août 2016
dernière modification le 1er décembre 2021

par Michela Maschietto

Michela Maschietto, PhD

 Università degli Studi di Modena e Reggio Emilia
http://personale.unimore.it/Rubrica/dettaglio/mmaschietto

 Laboratorio delle Macchine Matematiche
http://www.mmlab.unimore.it/

N.D.L.R : "Nouveauté 2021
« Mallette boulier chinois pour la classe » - version 2, 2021
Les ressources de la « mallette boulier chinois » sont maintenant accessibles avec les liens suivants :

Les contributions de ce numéro spécial offrent de nombreuses suggestions didactiques et pistes d’approfondissement sur l’introduction d’artéfacts à l’école, en particulier à l’école élémentaire, en rapport avec un contenu d’enseignement et d’apprentissage fondamental à ce niveau : le nombre entier. La pertinence du thème abordé fait écho à l’étude ICMI N.23 « Primary Mathematics Study on Whole Numbers », qui a réuni des chercheurs de plusieurs pays autour d’un sujet crucial pour toute éducation mathématique, permettant par là des comparaisons et des échanges sur les approches didactiques, moyens, méthodologies et résultats propres à chaque système scolaire.

L’histoire de l’école et de l’éducation, ainsi que la didactique des mathématiques, témoignent de l’utilisation de différents types d’artéfacts, avec, surtout à une certaine époque, une espèce de distinction entre artéfacts physiques à l’école primaire et nouvelles technologies dans l’enseignement secondaire. Ces artéfacts, notamment les physiques, peuvent être classifiés selon leur nature et leurs caractéristiques. Par exemple, on distingue :

  • des artéfacts construits avec des buts pédagogiques et didactiques précis ;
  • des artéfacts issus de l’histoire des mathématiques et reconstruits/adaptés pour l’école ;
  • des artéfacts issus d’autres cultures, utilisés dans des pays différents de ceux dans lesquels nous vivons/enseignons.

Ce numéro de MathémaTICE représente un bon exemple d’utilisation en classe des bouliers chinois et japonais, qui appartiennent aux deuxième et troisième catégories ci-dessus. Pour la composante historique, la contribution de Dominique Tournès montre bien l’évolution de l’abaque et du boulier comme objets physiques au cours des siècles, ainsi que celle des procédures de calcul associées. Par ailleurs, nous savons que les bouliers sont encore aujourd’hui objets de pratique quotidienne dans certains pays (même si l’usage du boulier en Chine a régressé à partir des années 1980 quand on a introduit le calcul écrit, puis les calculatrices, à l’école). Pour les auteurs de ce numéro spécial, proposer ces types d’artéfacts ne signifie pas les utiliser pour reproduire un usage courant dans un pays qui n’est pas celui d’origine, mais les amener dans les classes pour la façon dont ils y « parlent » du nombre et pour aborder des questions didactiques relatives à ce contenu mathématique.

Un tel point de vue est partagé par d’autres recherches en didactique des mathématiques, où les artéfacts sont sollicités par l’enseignant comme instruments de médiation sémiotique de significations mathématiques [1]. Prenons, par exemple, le cas du compas [2]. Les élèves peuvent bien savoir comment utiliser le compas (même si cela n’est pas simple pour la plupart d’entre eux) pour dessiner un triangle équilatéral et expliciter la procédure suivie, mais ne pas être capables de justifier géométriquement leur construction : ils utilisent alors le compas comme instrument technique pour produire des formes circulaires, voire des très petits arcs de cercle. Cependant, un questionnement sur l’artéfact « compas » et sur la construction réalisée peut faire émerger les caractéristiques du cercle (c’est-à-dire la longueur constante du rayon et le concept de lieu géométrique) en tant qu’objet géométrique (le compas comme instrument psychologique, suivant la définition de Vygotski) et renforcer le lien entre le compas, la courbe qu’il trace et la définition du cercle donnée dans les Éléments d’Euclide.

Mais il y a quelque chose en plus dans le cas des bouliers. Comme cela est souligné dans l’introduction du Thème 1 de l’étude l’ICMI N.23, l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques prennent leurs racines dans l’histoire, le langage et la culture. Les langues, ayant des grammaires diverses, font porter l’attention sur des aspects différents du nombre qui étayent, ou non, la conceptualisation de la dizaine, de la notation positionnelle et des opérations. Recourir aux objets d’autres cultures peut permettre aux chercheurs, enseignants et élèves de prendre conscience des diverses facettes du savoir en jeu.

La classification proposée ci-dessus sur la nature des artéfacts a déjà anticipé une autre distinction les concernant. Dans la littérature on trouve la dichotomie entre artéfacts physiques, nommés « physical manipulatives » (abrégé PM), et artéfacts issus des nouvelles technologies, nommés « virtual manipulatives » (abrégé VM). Parmi les questions de recherche relatives aux « manipulatives », il y a celles qui s’attachent au design des VM, celles qui portent sur l’intérêt didactique d’un artéfact particulier et celles qui explorent les relations entre PM et VM, sur lesquelles les chercheurs en éducation d’autres domaines, notamment en didactique des sciences, ont des positions diverses et parfois opposées. Au fil des articles de ce numéro spécial, on lit l’émergence de ces questions dans le développement du boulier virtuel pour le niveau Grande Section en l’absence de boulier physique, mais aussi la problématique de l’évolution des conceptualisations des élèves dans le choix des rétroactions et des paramètres du logiciel en fonction du choix des variables didactiques. Les articles du numéro contribuent ainsi à l’introduction des technologies à l’école élémentaire.

Le recours aux « manipulatives » pour le nombre, VM et/ou PM, est aussi questionné dans le Thème 3 de l’étude ICMI N.23, où les responsables soulignent cependant la présence de contributions provenant surtout de la culture occidentale, avec des artéfacts comme la ligne des nombres, les blocs multi-bases, des mini-jeux multiplicatifs insérés dans des jeux informatiques, un duo d’artéfacts constitué d’une machine arithmétique et de sa version numérique, une App pour tablette sur la notation positionnelle. Dans ce panorama, les contributions sur le boulier apportent un autre point de vue.

Les activités avec les artéfacts ont leur écologie propre dans la méthodologie de la démarche d’investigation. De mon point de vue, les articles de ce numéro montrent les diverses facettes de la méthodologie que j’appelle « laboratoire de mathématiques » [3], où les sessions sont structurées pour faire travailler les élèves en petits groupes avec un artéfact, individuellement et collectivement avec l’enseignant. Dans les expérimentations avec les bouliers, l’investigation porte sur les artéfacts eux-mêmes : on demande d’en décrire la structure, puis de faire des hypothèses sur leur fonctionnement et leurs usages possibles. Dans tout cela, et les articles le mettent bien en évidence, le langage et la communication (entre pairs et avec l’enseignant) jouent un rôle fondamental. La composante sémiotique s’installe ainsi de manière importante dans les processus et productions des élèves et des enseignants.

Avant de terminer, je voudrais encore souligner trois aspects que je retiens comme pertinents :

  • Le premier est le regard de la recherche en didactique des mathématiques. On lit bien que derrière les expérimentations il y a aussi la problématique de la recherche, mais la contribution spécifique de Gueudet et Bueno-Ravel permet de dégager les questions et les approches qui sont propres à la didactique des mathématiques, ainsi que leur croisement avec les pratiques et les points de vue des professeurs.
  • Le deuxième aspect est l’attention portée aux enseignants, en tant que porteurs d’innovation en didactique et dans l’usage des technologies, et au travail collaboratif entre eux et avec les chercheurs.
  • Le troisième aspect est la sensibilité au temps nécessaire aux élèves pour s’approprier les artéfacts proposés et pour réfléchir sur leur utilisation. Il s’agit d’un processus à long terme qui, dépassant la frontière d’un niveau scolaire, sollicite la continuité d’une classe à la suivante.

Enfin, je souhaite à toutes et à tous une bonne lecture et une bonne découverte.