Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Quelques expériences d’usage d’une IA en classe
L’enseignement des mathématiques à l’heure de l’accès grand public à des agents conversationnels s’appuyant sur de vastes modèles d’intelligence artificielle
Article mis en ligne le 15 avril 2025

par Julien Durand

 Introduction

Septembre 2024. À la suite d’une activité flash, nous procédons à la correction d’un exercice de géométrie sur le théorème de Pythagore. Un élève en difficulté me montre son travail. À première vue, sa production semble étonnamment réussie, avec une quantité d’écrits inhabituelle venant de cet élève. Il s’en suit cet échange :

  • « Tu as eu un coup de main ? »
  • « … » (silence)
  • « Tu as un grand frère, une grande sœur ? »
  • « Non, je n’en ai pas. »
  • « Ta maman ? Ton papa ? »
  • « Non, ma maman travaille tard et je n’ai pas de papa à la maison. »

C’est alors que je comprends qu’il s’agit de ChatGPT, ce que l’élève finit par me confirmer.

C’est ainsi qu’est née cette envie de se saisir de cette problématique, par choix, mais surtout par nécessité : comment continuer à apprendre/travailler à l’heure de l’IA ? Question vaste à laquelle je n’ai pas la prétention d’apporter une réponse définitive, mais peut-être quelques pistes issues des séances de classe vécues avec mes élèves. Des pistes qui, je le sais déjà, soulèveront à leur tour de nouvelles interrogations. Je n’aborderai pas la RGPD qui pourtant est plus qu’importante et qu’en tant que Professeur Principal, j’ai traité en séance de Vie de Classe.

 Mon plan de bataille :

  - Les faire douter de l’IA :

Octobre 2024  : Je leur transmets un corrigé sur Thalès fait par ChatGPT, je ne m’en cache pas, je prétexte que je suis très en retard.

Voici les deux exercices (tirés de BORDAS 3e) que j’avais donné à faire à la maison.
(Cas classique de Thalès emboité)


Passée la surprise, mes élèves ont commencé à remarquer des incohérences et se sont interrogés sur la fiabilité de la correction. Cela a été la première prise de conscience que ChatGPT a des limites. Cela m’a donné l’occasion d’exposer les principes de fonctionnement des IA : L’IA ne pense pas, ne réfléchit pas et ne comprend pas.

Source : https://medium.com/@hari4om/word-embedding-d816f643140

Elle ne fonctionne pas avec des mots, mais avec des tokens, c’est son « unité de langage » qui peut être un mot, une syllabe ou même une lettre. Chaque token est transformé en un vecteur mathématique (composé de 120 à 140 variables selon les modèles, avec des valeurs comprises entre -1 et 1), ce qui permet à la machine de représenter statistiquement des relations entre les mots. L’IA ne raisonne pas : elle prévoit, en fonction du contexte, quel est le prochain token le plus probable. C’est un fonctionnement comparable au T9 des anciens téléphones, qui proposait automatiquement le mot suivant.

De la même manière, lorsqu’on saisit un prompt (la demande de l’utilisateur), l’IA ne cherche pas à comprendre, MAIS à compléter simplement ce prompt, en poursuivant une suite logique. Par exemple, si le prompt est une question, cela appellera naturellement une réponse.
Cela donne l’illusion d’échanger, mais elle complète simplement nos propos…

Bien évidemment, il ne faut pas se contenter d’une seule fois, les élèves ont besoin d’être confrontés à ce type d’expérience et d’explications. Il faut transformer l’essai.

Novembre 2024 :
J’ai proposé une activité à faire à la maison :
Saisir un prompt dans ChatGPT, en mode non connecté (sans compte utilisateur) afin de respecter le RGPD et d’éviter tout problème lié à la confidentialité et de capturer la réponse.

Pour simplifier la démarche et éviter toute erreur de saisie, le prompt leur était fourni tel quel :

« Fais l’exercice suivant :
Exercice n°7 : Un fournisseur d’accès Internet (FAI), SOCTCH, réalise une enquête de satisfaction auprès de ses clients. Il leur demande de lui attribuer une note sur 20. Le tableau suivant donne les réponses de 5 000 clients :
Notes : 6, 8, 10, 12, 14, 15, 17
Effectifs : 120, 476, 728, 815, 1 185, 960, 716
Questions :
a) Calcule la note moyenne obtenue par le FAI.
b) Détermine une note médiane ; interprète-la.
c) Calcule l’étendue des notes ; interprète-la. »

Chaque élève a ensuite capturé la réponse générée par ChatGPT et me l’a transmise. En voici quelques extraits :

Cette expérience intervenait après avoir étudié en classe la notion de fonction.

En classe, j’ai pu leur montrer les différentes réponses fournies par ChatGPT et remarquer qu’elles variaient malgré un prompt strictement identique.

Cela a ouvert une nouvelle fois des discussions intéressantes sur la fiabilité des réponses produites par une IA.

Certains élèves ont spontanément fait le rapprochement avec la notion mathématique de fonction :

« C’est pas comme une fonction ! On a bien un même début, mais pas forcément la même réponse-image ? »

Nous avons ainsi dépassé le cadre strict des disciplines pour aborder un aspect essentiel : ChatGPT peut fournir une réponse correcte à un instant précis, puis en proposer une autre, différente, quelques instants ou quelques jours plus tard. Cela nous a amenés à convenir collectivement de la nécessité permanente de vérifier et de critiquer les résultats donnés par une IA.
L’IA n’est pas déterministe sur les calculs (depuis janvier 2025, elle l’est devenue en passant par une programmation du calcul en python, idée ingénieuse des developpeurs).

Ce fut également l’occasion de faire l’exercice et de le corriger collectivement.

Une réflexion particulièrement pertinente d’un élève a marqué cette séance :
« En fait, il faut être capable de réfléchir à la réponse qu’il donne. On ne peut pas lui demander quelque chose qu’on ne connaît pas du tout, sinon on ne saura jamais si c’est vrai ou faux. »
Je me suis permis de reformuler ainsi : « Il faut être un minimum expert. »

  Les faire réfléchir sur l’impact dans les apprentissages.

Janvier 2025 : Ne souhaitant pas diaboliser l’IA, j’ai souhaité aborder le fait que l’IA est un outil qu’il peut être pertinent d’utiliser, j’ai donc créé un jeu triche or not triche (basé sur une activité du IAN Lettres de Strasbourg ) disponible ici : Jeu : Triche or Not Triche – Blog enseignant des maths. Les élèves sont répartis en groupes de 3 ou 4 et reçoivent un jeu de cartes présentant différentes situations où un élève utilise l’IA pour réaliser un travail. Chaque groupe doit discuter et déterminer si l’utilisation de l’IA dans chaque situation est acceptable ou non, en argumentant leur point de vue. Ce jeu vise à amener les utilisateurs à réfléchir à l’éthique de l’utilisation de l’IA et à encourager des discussions sur les limites et les responsabilités liées à ces outils numériques. On peut alors définir ce qui acceptable ou non, et par la suite fixer le contrat qui lie l’enseignant aux élèves.

  Les faire réfléchir à l’impact écologique.

Février 2025 : En heure de vie de classe, j’ai proposé aux élèves d’utiliser le site compar.IA, qui permet d’échanger avec différents modèles d’intelligence artificielle puis d’en visualiser l’impact écologique. C’est un outil issu du gouvernement.
À partir d’un exemple concret, demander à l’IA DeepSeek un simple calcul comme « 2 + 2 » consomme environ 4 Wh.

Ce chiffre étant abstrait pour les élèves, ce fut une excellente occasion d’aborder avec eux la notion d’unités-produit et de rapprocher cela d’un repère plus parlant.

L’objectif principal était d’amener les élèves à adopter une démarche réflexive avant chaque utilisation d’un outil IA, en les incitant à se poser systématiquement la question : « En ai-je vraiment besoin ? ». On a échangé sur les coûts d’une création d’images.

 Conclusion

J’ai poursuivi avec d’autres séances sur l’intelligence artificielle, et il m’apparaît désormais essentiel de m’emparer sérieusement de cette question en classe.

Sans vouloir enfoncer des portes ouvertes, je pense qu’il est nécessaire d’aborder ce sujet avec nos élèves, mais en choisissant le bon moment. La fin du cycle 4 me semble adaptée, car c’est généralement à ce moment-là qu’ils commencent leurs premières transgressions numériques. Il s’agit de les amener à douter de l’IA, à s’interroger sur celle-ci et à comprendre que déléguer à l’IA des tâches, c’est s’empêcher de développer des compétences.

En tant que professeur de mathématiques, j’ai pu établir naturellement des liens évidents avec ma discipline. Cependant, je suis convaincu que cette réflexion doit être menée collectivement, en interdisciplinarité, afin de définir des usages pertinents et de construire une culture commune autour de l’IA. On vit une (r)évolution, à nous d’outiller nos élèves et de les préparer intelligemment au monde demain.

Et pour finir, face à l’éternel « les maths, ça ne sert à rien » lancé par certains élèves, nous avons enfin une réponse évidente : l’IA n’est précisément que cela, des mathématiques appliquées à très grande échelle.