par Jean-baptiste Lagrange
Jean-baptiste Lagrange, Groupe ReMath 1
IUFM de Reims et Equipe de Didactique des Mathématiques, Université Paris 7.
Jean-baptiste.Lagrange@univ-reims.fr
http://jb.lagrange.free.fr/site
L’algèbre au lycée
Les programmes du lycée précisent que le calcul numérique et le calcul algébrique se retrouvent au travers des différents chapitres et qu’ils doivent être traités en relation étroite avec l’étude des fonctions. Le programme précise aussi que, comme la géométrie, les activités de calcul doivent être l’occasion de développer le raisonnement et l’activité de démonstration.
Les situations que les instructions officielles privilégient au lycée sont celles qui font intervenir un lien entre deux grandeurs et posent une question relative à ce lien : « Ainsi, on peut trouver de nombreux exemples de situations géométriques, faisant intervenir comme variable une longueur et comme deuxième grandeur une longueur ou une aire ; la question à traiter est alors souvent un problème de maximum, de minimum ou même de recherche d’une valeur particulière »
Une situation de ce type a été présentée par Michele Artigue pour appuyer son propos concernant l’ « intelligence du calcul » à l’Ecole d’été de 2005 (Artigue 2005). Elle montre comment, dans ce type de problème, il est possible et intéressant de faire progresser les calculs en motivant cette progression par des démarches de recherche de preuve.
Dans un registre plus polémique, COMIN (2005) reproche aux instructions officielles de ne pas faire suffisamment tôt dans la scolarité le choix épistémologique d’appuyer l’algèbre sur les grandeurs et sur leurs relations fonctionnelles. Nous rejoignons COMIN sur l’idée que la notion de fonction ne peut prendre sens que sur l’étude des relations fonctionnelles entre grandeurs. Néanmoins, il s’agit pour les élèves d’exprimer et d’étudier ces relations algébriquement, donc dans un domaine où les actions prennent la forme de « calculs » c’est à dire de manipulations qui n’ont pas directement de contrepartie dans le domaine des grandeurs. Les élèves doivent donc développer des compréhensions et certaines habiletés spécifiquement algébriques. Là encore les instructions officielles sont précieuses lorsqu’elles demandent de ne pas privilégier la virtuosité, mais plutôt la compréhension des différentes formes prises par les expressions et de leur utilité pour la preuve de propriétés. La multiplicité des représentations des fonctions (formes algébriques, représentations graphiques, tables de valeurs) est une aide pour ces objectifs.
Les logiciels
Concernant l’utilisation de logiciels pour l’algèbre, nous pensons qu’un outil de calcul formel peut être mis en œuvre de façon cohérente avec une approche de l’algèbre basée sur la compréhension des formes des expressions et la multiplicité des représentations (Guin et Trouche, 2002) mais les limitations des logiciels existants notamment en ce qui concerne la représentation des fonctions et l’aide à la preuve nous ont conduit au développement d’un outil spécifique : Casyopée.
Les logiciels de géométrie dynamique peuvent quant à eux aider à la compréhension des relations fonctionnelles entre grandeurs. Ils permettent généralement d’afficher en temps réel les valeurs approchées de longueurs et d’aires et d’observer des co-évolutions de ces grandeurs. Ils sont généralement proposés pour une approche numérique de relations fonctionnelles préalable à leur étude algébrique.
Nous avons expérimenté cette approche en utilisant Géoplan pour permettre aux élèves de s’approprier le problème, d’identifier les grandeurs et d’étudier la situation de dépendance entre ces grandeurs avant de « basculer » dans l’environnement symbolique Casyopée. La situation ainsi créée ne nous a pas satisfait. En effet, l’activité de modélisation suppose des « allers-retours » entre le champ d’expérience (ici les grandeurs en géométrie dynamique) et l’environnement symbolique où les calculs sont possibles. Utiliser deux logiciels ne communiquant pas entre eux ne permettait absolument pas cette activité.
Nous avons fait alors l’hypothèse qu’un module de géométrie dynamique ajouté à l’environnement Casyopée permettrait plus facilement ces allers et retours et aussi d’apporter des aides à la modélisation algébrique. Des objets géométriques ayant d’emblée des propriétés algébriques « en interne », une aide pourrait être apportée à des moments clés de la modélisation : choix de la variable, calcul du domaine de variation et détermination d’une expression algébrique d’une relation de dépendance, dans l’esprit de l’aide à la démonstration déjà implémentée dans l’environnement symbolique.
Le projet Européen ReMath2 a été l’occasion de concrétiser cette hypothèse en développant un module de géométrie dynamique. Dans son état actuel, ce module a encore des fonctionnalités limitées, mais il est lié de façon très profonde au module symbolique existant qui étant lui même « orienté fonction », se trouve « accueillir » sans difficultés les nouvelles fonctions issues de dépendances entre grandeurs. Ceci ouvre de larges possibilités, qui n’existent pas dans des environnements comme TI-Nspire où le module de géométrie dynamique et le module algébrique ne partagent pas leurs objets.
Nous savons aussi qu’un logiciel, aussi bien conçu soit-il, ne contribue aux apprentissages que dans la mesure où les élèves construisent une compréhension des actions et résultats dans le logiciel cohérente avec les connaissances mathématiques visées. C’est un processus long et complexe que nous appelons « genèse instrumentale » (voir Guin, Trouche ibid). Il s’agit par exemple de mettre en relation des observations graphiques et des propriétés des expressions (par exemple l’intersection de la courbe avec l’axe des x et la forme factorisée) et finalement de voir l’équivalence comme une synthèse d’observations graphiques (coɯncidence de courbes) et algébriques (différentes expressions données par le logiciel ou calculées par l’élève).
Une progression pour le premier trimestre de Première S
Comme le dit le document d’accompagnement du programme de Première S, un objectif pour le premier trimestre est de montrer comment on peut définir de nouvelles fonctions à partir de celles déjà étudiées en classe de seconde ; « dans certains cas, on peut conclure rapidement sur leurs variations, dans d’autres non ; ainsi, la recherche de nouveaux outils (en particulier la dérivée) trouvera naturellement sa place ».
L’équipe Didirem expérimente actuellement de façon approfondie une progression pour le premier trimestre de la classe de Première S. Un problème d’optimisation est proposé seulement à la fin de la progression après une préparation des élèves concernant à la fois l’algèbre et Casyopée conforme à notre objectif d’inscrire la progression dans une genèse instrumentale. La progression s’organise en 3 périodes :
- L’étude des fonctions associées a f(x+k) + b (trois séances de 1h ou 2h)
C’est l’occasion de consolider les bases d’algèbre et de découvrir la définition des objets dans l’environnement Casyopée ainsi que leur manipulation. On compare d’abord les courbes de fonctions associées à la courbe de la fonction f (la fonction sinus, puis la fonction carré ) . Une activité « fonction cible » est d’abord présentée de façon visuelle (trouver une fonction associée dont le graphe est donné) en utilisant la fonctionnalité de définition et de pilotage de paramètres dans Casyopée. Une activité « devine ma fonction » permet à chaque élève de proposer un défi à un autre élève. Des contraintes algébriques sont ensuite introduites, ce qui permet de mettre l’accent sur les différentes formes (factorisée, développée, canonique…) d’une fonction du second degré.
- Le partage de triangles et de parallélogrammes (deux séances de 1h ou 2h)
Dans cette partie, les élèves apprennent à modéliser les dépendances entre mesures et à utiliser cette modélisation pour interpréter des problèmes d’égalité d’aires en termes d’équation. Ils prennent conscience des contraintes du choix de la variable et de l’aide que Casyopée peut apporter.
- Un problème d’optimisation (une séance de 2h).
Le problème choisi ici reste dans le cadre du second degré, puisqu’il s’agit d’inscrire un rectangle d’aire maximale dans un triangle quelconque. Les techniques algébriques développées dans la première partie et la modélisation apprise dans la seconde sont réinvesties pour construire une preuve. Toutes les fonctionnalités de Casyopée sont utilisées y compris le module d’aide à la démonstration.
Les tâches dans la progression sont prévues pour l’utilisation de Casyopée. Le logiciel est utilisé en classe entière avec video-projection, un élève « sherpa » étant aux commandes dans la première séance des périodes 1 et 2. Il s’agit à la fois d’introduire le sujet étudié et les fonctionnalités de Casyopée. Les autres séances sont en salle informatique. Au début de la période 1, Casyopée est utilisé simplement comme grapheur, puis les paramètres et leur pilotage sont introduits. Les possibilités de calcul symbolique sont exploitées à la fin de la période. D’autres logiciels symboliques pourraient évidemment être utilisés pour cette période, alors que les suivantes font appel à des fonctionnalités spécifiques à Casyopée telles que l’aide à la modélisation et à la preuve.
Deux exemples de séance
A titre de premier exemple, considérons la dernière séance de la période 1 (séance 3) que nous venons d’expérimenter au moment où cet article est écrit. Elle porte sur l’obtention de formes canoniques, développées et factorisées pour des fonctions du second degré. La fiche élève est jointe. Nous joignons aussi à cet article des fichiers vidéo qui reprennent les actions possibles conduisant à une résolution avec Casyopée :
Les techniques utilisées dans ces vidéos sont les plus expertes. L’observation montre beaucoup plus d’hésitations de la part des élèves. Dans la première activité, les élèves obtiennent très vite les deux formes canoniques pour la fonction cible par pilotage des paramètres. En revanche le développement des expressions quand il est effectué à la main est laborieux et les résultats obtenus ne sont pas toujours exacts. Les élèves ne semblent pas étonnés d’obtenir à la main des résultats développés différents à partir des deux formes canoniques de la même expression. Cependant, ils sont rassurés quand un contrôle avec le logiciel leur renvoie la même expression développée. On voit des élèves faire le rapport entre « même courbe » et « même développement ».
Pour la forme factorisée a(x-u)(x-v) , le pilotage est difficile car les élèves ne font pas le rapport entre les abscisses des points d’intersection et les paramètres u et v . Seule la médiation du professeur rappelant la condition d’annulation d’un produit conduit les élèves au résultats. Peu d’élèves pensent à contrôler en utilisant la fonctionnalité de factorisation de Casyopée, par méconnaissance du vocabulaire.
La seconde tâche se révèle aussi difficile. Les élèves font tracer la parabole dont l’expression est donnée mais les stratégies utilisées dans le cas précédent ne marchent plus car les valeurs des paramètres à trouver ne sont pas entières. Il faut donc au moins changer le pas de variation des paramètres pour pouvoir les réinvestir. Ce n’est pas ce que vont faire spontanément tous les élèves observés. On voit également que la valeur de a ne s’impose pas à eux à la suite de l’activité 1 comme on aurait pu le penser. Néanmoins certains groupes arrivent au bout de l’activité en 25mn. Tous semblent sur la voie d’une coordination entre paramètres intervenant dans les différentes formes algébriques et observables graphiques (extrema dans le cas des formes canoniques, zéros dans le cas de la factorisation…) La bonne instrumentation de Casyopée, construite au cours de séances précédentes y contribue.
Pour compléter cet article et montrer les possibilités ouvertes par le module de géométrie dynamique, nous joignons à cet article un fichier vidéo (ci-dessous) donnant une résolution possible, à l’aide de Casyopée, du problème posé dans la séance de la période 3 qui clôturera l’expérimentation en décembre prochain : inscrire un rectangle d’aire maximale dans un triangle quelconque.
Perspectives
Dans la version actuellement expérimentée, Casyopée utilise un noyau formel non librement diffusable. Nous travaillons à une version entièrement libre qui permettra de partager avec les professeurs intéressés les résultats de l’expérimentation menée cette année.
Bibliographie
Artigue M., 2005. L’intelligence du calcul, Actes de l’Université d’été de Saint-Flour, Le calcul sous toutes ses formes.
Comin, E., 2005. Variables et fonctions, du collège au lycée : Méprise didactique ou quiproquo inter institutionnel ? Petit x n° 67, p. 33-61.
Guin D., Trouche L., (eds) 2002 Intégrer les calculatrices symboliques : un problème didactique . La Pensée Sauvage (Grenoble)
1 Outre l’auteur, le groupe comprend Michèle Artigue, Fabrice Vandebrouck, Bernard Le Feuvre, Tran Kiem Minh, Xavier Meyrier, Claire Cazes, Jean-Michel Gélis, Cyrille Le Franc.
2 STREP, 6th framework program “Representing Mathematics with Digital Media” http://remath.cti.gr