théorie arithmétique de l’effeuillage des amoureux pâquerettes
Pour essayer de deviner les sentiments de l’être cher, la méthode classique consiste à compter modulo 5, les pétales d’une marguerite (ou d’une pâquerette). On va voir que cette méthode est peu risquée...
Note : Le présent article porte uniquement sur la répartition statistique du nombre de pétales, et pas sur leur forme ; par coïncidence, ce dernier sujet est traité dans cet autre article du même numéro.
Gédéon voudrait faire un bébé câlin à Marguerite ; mais il a peur qu’elle lui dise non... Ne connaissant aucune méthode scientifique pour sonder l’esprit de Marguerite, il va alors arracher méthodiquement les vêtements de Marguerite les « pétales » d’une marguerite, qui, quant à elle, ne lui avait pourtant rien fait...
Au moment où il arrache le premier pétale, il prononce la phrase « elle m’aime » ; ensuite, il répète le cycle « un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout » de période 5. Ainsi, le résultat final dépend du nombre total de pétales modulo 5, selon la correspondance suivante :
N modulo 5 | verdict |
0 | à la folie |
1 | pas du tout |
2 | un peu |
3 | beaucoup |
4 | passionnément |
On risque donc a priori la grosse veste déception du « pas du tout » avec une probabilité de 0,2. Mais pas a posteriori, parce que le nombre de pétales d’une marguerite est en général un nombre de Fibonacci. Dans cet article, on va donc étudier la répartition modulo 5 de la suite de Fibonacci.
Fibonacci modulo 5
Suite de Fibonacci
En CoffeeScript, l'affectation simultanée permet de calculer aisément la suite de Fibonacci :
Modulo 5
Comme a+b a le même reste modulo 5, que (a modulo 5)+(b modulo 5), on peut faire tous les calculs directement modulo 5; on définit ainsi la suite de Fibonacci dans Z/5Z :
D'éventuelles (ir)régularités apparaîtront mieux si on affiche la liste des termes modulo 5 :
C'est magique ! Compte-tenu du fait qu'il n'y a que 5 élements dans Z/5Z, il est surprenant que la période de la suite de Fibonacci modulo 5 soit aussi grande que 20:
1,1,2,3,0,3,3,1,4,0,4,4,3,2,0,2,2,4,1,0
Les nombres de Fibonacci sont donc bien équirépartis modulo 5. Cependant, comme une marguerite à 21 pétales est écartée à vue, on doit aller jusqu'à 4181 pétales pour avoir à nouveau un nombre congru à 1 modulo 5, et des marguerites à 4181 pétales sont assez rares ...
Une question intéressante est celle de la période de la suite de Fibonacci modulo d'autres nombres premiers que 5...
Voici un algorithme permettant de calculer la période :
Il donne les résultats suivants, à comparer avec le nombre de vecteurs non nuls en dimension 2 sur Z/pZ, qui est p2-1:
modulos | 2 | 3 | 5 | 7 | 11 | 13 | 17 | 19 | 23 | 29 | 31 | 37 | 39 | 127 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
périodes | 3 | 8 | 20 | 16 | 10 | 28 | 36 | 18 | 48 | 14 | 30 | 76 | 56 | 256 |
Un nombre figurant en bas de ce tableau s’appelle une période de Pisano. La découverte de ces périodes est attribuée à Joseph Louis Lagrange.
Ainsi, il s’est avéré finalement que la marguerite cueillie par Gédéon comportait au total 55 pétales ce qui a laissé à Gédéon l’impression que Marguerite l’aime « à la folie » ; tout émoustilléu, Gédéon rejoint alors Marguerite dans le champ de marguerites ; il est temps de jeter du riz un voile pudique sur nos deux amoureux. Disons simplement que le comportement de Gédéon rappelle un peu celui d’un lapin qui venait à passer dans ce champ de marguerites.... Or justement, lorsque Fibonacci a inventé sa suite, c’était pour modéliser la démographie des lapins. Mais bizarrement, il ne considérait pas que les lapins se reproduisent à une vitesse effrénée. Au contraire, il faisait les deux hypothèses un peu étranges que voici :
- De chaque portée, il ne reste qu’une seule lapine qui survivra assez longtemps pour enfanter à son tour ;
- par contre, une fois nées, les lapines sont immortelles...
Pour faire des hypothèses plus raisonnables, on va donc considérer un quadruplement des lapines à chaque génération et une limite de leur durée de vie de 4 ans (soit 8 fois le temps d’enfanter si elles ont une portée tous les 6 mois). Autrement dit, au lieu de $u_{n}=u_{n-1}+u_{n-2}$, on va considérer la suite $v_{n}=v_{n-1}+3 v_{n-2}-2v_{n-8}$. On peut la tester en remplaçant le CoffeeScript d’un des cadres ci-dessus par
- suite = [0, 1, 1, 4, 7, 19, 40, 97, 217]
- N = 25
- for n in [9..N]
- suite[n] = (suite[n-1]+3*suite[n-2]-2*suite[n-8])
- alert suite
On constate alors un triplement approximatif à chaque génération. Pour le vérifier, on va essayer d’approcher $v_{n}$ par une suite géométrique et chercher sa raison $r$ : Elle est nécessairement solution de $r^{n}=r^{n-1}+3r^{n-2}-2r^{n-8}$, qui, par division par $r^{n-8}$, donne $r^8=r^7+3 r^6-2$ : D’après Xcas, la plus grande raison possible est environ 2,3 et la "nouvelle suite de Fibonacci" diverge encore plus vite que l’ancienne.