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Faire réaliser un agroglyphe à des élèves de 6e : intérêts et méthodes

Françoise Evrard a fait inscrire à ses élèves de Sixième, des mathématiques assez complexes dans un champ de blé...

Article mis en ligne le 5 septembre 2019
dernière modification le 16 septembre 2021

par Françoise Evrard

Françoise Evrard est professeur de Mathématiques au Collège Lucie Berger, une composante du Gymnase Jean Sturm à Strasbourg.

Ce ne sont pas nécessairement les E.T. qui dessinent ces cercles de culture ou crop circles dans les champs, parfois un professeur de mathématiques peut ajouter cette étrange pratique à sa panoplie d’outils pédagogiques !

Pourquoi faire réaliser un agroglyphe avec des élèves de 6e ?

J’ai pour usage de faire construire « sur papier » des dessins géométriques en classe de 6e : cela permet d’apprendre à bien utiliser ses instruments de géométrie, et le résultat est un beau dessin, ce qui est encourageant. Les 6e aiment encore beaucoup dessiner et ils prennent du plaisir à faire ces constructions, même si c’est difficile au début.

Mes sources d’inspiration sont variées :

  • J’utilise beaucoup les livres de la collection « la géométrie pour le plaisir  » (édition kim-Dunkerque (une mine d’or !!)) dans lesquels figurent une série d’instructions, avec le schéma de construction, le modèle fini, et un commentaire sur les notions mathématiques abordées pour chacun des dessins.
  • Le livre « symboles bretons et celtiques  » méthode de construction (édition Coop Breizh), a lui aussi été une source de sujets pour mes élèves.
  • Internet permet de trouver des idées originales...
  • … et mes élèves ont aussi fait des dessins mystères « à l’aveugle » : : je leur donne une liste d’instructions sans leur annoncer le résultat. Ils ont ainsi pu voir apparaître le symbole de l’euro (bien plus subtil qu’on le croit), puis le symbole π

  • J’ai aussi déjà fait de la géométrie « grandeur nature » avec des craies sur du macadam, mais j’avais envie d’innover, d’aller plus loin.

Dessin à la craie dans la cour de Lucie Berger (crédit photo : Françoise Evrard)

Dessin à la craie dans la cour de Lucie Berger (crédit photo : Françoise Evrard)

Pendant l’été 2018, je suis tombée par hasard en surfant sur Internet sur un reportage à propos des crop circles (qui sont pour certains des constructions géométriques complexes). Je me suis alors dit : pourquoi ne pas en faire un avec les 6e ? Cela n’a pas l’air bien difficile ! Et c’est le commencement de cette aventure.

Dès le début septembre j’en ai parlé à mes collègues, dont les réactions ont été soit dithyrambiques, soit perplexes... (le soleil aurait-il trop chauffé ma cervelle pendant l’été ?).

Néanmoins mon chef d’établissement, M. Mielcarek, a été d’accord pour me suivre sur ce projet certes un peu fou !

Qu’est ce qu’un agroglyphe ?

Un agroglyphe est une figure géométrique faite dans un champ de céréales, en jouant sur le contraste entre les épis pliés (et non coupés) et les épis droits.

Pourquoi un champ de céréales ?

Il faut des plantes poussant de façon serrée (dense), pas trop hautes tout de même, et qui ont une tige rigide, afin que la différence entre plié et droit soit visible.

J’ai aussi cherché d’autres types de plantes (herbes folles...) mais le résultat n’aurait pas été probant.

Petite remarque : le blé est couché et non coupé (je me vois mal donnant des serpes ou des faux à des petits 6e !!). Le blé couché est alors plus difficile à récolter, certes, mais pas perdu pour autant : le blé passe éventuellement de qualité boulangère à qualité fourragère.

Comment réaliser un crop circle ?

  1° étape : organiser un concours de dessin en donnant la consigne suivante : vous réaliserez un dessin avec uniquement des cercles, de différentes tailles, vous le colorierez en n’utilisant qu’une seule couleur, les surfaces coloriées représenteront les épis de blé couchés, celles qui ne le seront pas, les épis debout. Tous les centres des cercles se situeront dans des zones coloriées. Vous marquerez les centres des cercles d’une croix rouge.

  2° étape : choisir le dessin qui répond aux critères, qui est esthétiquement beau (symétries...) et qui est faisable ! (Certains dessins étaient magnifiques, mais trop difficiles à réaliser). Mes collègues ont voté en salle des professeurs pour le plus beau dessin parmi ceux respectant tous les critères demandés.

  3° étape (en parallèle avec la 1° étape) : chercher un agriculteur qui soit d’accord pour la réalisation de ce projet dans un de ses champs. Il existe en Alsace des agriculteurs laissant des champs non récoltés pour permettre aux grands hamsters d’Alsace de se développer, alors pourquoi pas pour de petits homo-sapiens de 6e ??

Il se trouve que le propriétaire du champ de Blaesheim était aussi maire de cette commune, et gardait des parcelles pour la protection des hamsters... Comme quoi !

  4° étape : une fois le champ trouvé et le dessin choisi, aller en reconnaissance pour les métrés du terrain. Il est très important de voir la parcelle pour savoir à quel endroit sont les traces de tracteur : c’est en effet par là que l’on s’introduira dans le champ sans que cela se voie.

(Eh oui ! nous ne sommes pas largués en hélicoptère ou en soucoupe volante sur place...)

Matériel nécessaire pour les relevés : des « décamètres » de 50 m (il n’y a pas de nom pour des penta-décamètres....), boussole (pour relever les angles) (le trait jaune sur le plan joint est le nord magnétique)

  5° étape : chercher la parcelle correspondante sur Google Earth, et y reporter les relevés pris sur le terrain.

  6° étape : faire le dessin choisi en mode informatique, le mettre à l’échelle pour ensuite le placer sur le plan de la parcelle.

Ajouter toutes les cotes nécessaires à la réalisation sur le terrain : les repères d’alignement, les rayons des cercles...

  6° étape bis  :

  • Selon l’état d’avancement des connaissances (et le temps disponible !), on peut aussi faire un travail sur les angles et la boussole :
  • Découvrir ce qu’est un azimut : angle entre le nord magnétique et la direction sur le terrain (lien avec la géographie et la cartographie ; avec les sciences naturelles et la physique pour la position du nord magnétique...) (ceci peut être l’objet d’un travail interdisciplinaire très riche !)
  • Mesurer des azimuts sur le plan (avec rapporteur et/ou boussole)
  • Apprendre à utiliser la boussole sur le terrain
  • Le jour J, vérifier sur le terrain le bon alignement des repères (double sécurité : on n’a pas le droit à l’erreur : si le blé est écrasé à un endroit où il ne le devrait pas, on ne peut pas le redresser)
  • Un travail sur l’échelle est aussi intéressant : selon la taille et les proportions du champ, il faut adapter la taille du dessin afin qu’il soit harmonieusement disposé. Le champ choisi étant très allongé, nous avons opposé deux dessins symétriquement, pour le côté esthétique.
  • Le travail sur informatique (Google Earth, traçage du dessin dans un logiciel de dessin vectoriel, ajustement des repères...) peut aussi être fait en classe (à voir selon le temps disponible, les capacités des élèves...)

  7° étape : réaliser des planches d’écrasement des blés : ce sont des planches de 1m de longueur, 15 cm de large, sur lesquelles on a fixé une corde (d’un diamètre de 1 cm pour que le cordage ne coupe pas les mains des enfants). J’ai pris de la drisse marine.

On peut même en profiter pour apprendre les nœuds des marins (ici les cordes sont fixées avec un nœud de chaise, qui ne coulisse pas)

Petit détail technique : on peut prendre des planches ayant une face anti-dérapante, afin que les enfants ne glissent pas.

Les pitons fermés par lesquels la corde est fixée ne dépassent pas de l’autre côté : la planche y est évidée pour introduire le boulon.

  8° étape : selon le dessin choisi, il faut réfléchir à l’ordre dans lequel les dessins seront faits, ainsi qu’aux « trajets » pour aller d’un cercle à l’autre afin d’éviter de piétiner les zones interdites (les trajets sont ici tracés en traits continus rouges)

  9° étape :

Répartir les rôles :

  • élèves qui mesurent pour placer les repères sur les bords du champ
  • élèves qui vérifient les azimuts entre les différents points
  • élèves mis en repères sur le bord du champ (« poteaux »)
  • élèves centres des cercles (tenant un bâton pour mieux matérialiser le centre)
  • élèves qui tracent les cercles (binômes centre et cercle)
  • élèves écraseurs de blé (qui utilisent les planches)
  • équipe de prise de vue via un drone (on travaille en aveugle au niveau du sol)
  • équipe photo / reportage.
  • équipes relais pour chacun des rôles. (pour des petits bouts de chou de 6e, c’est très dur d’écraser le blé... qui leur chatouille presque les aisselles !)

Crop circle presque fini (crédit photo : Dominique Verreman)

  10° étape :

Réalisation sur place.

Pour que les drones puissent voler, il ne faut pas qu’il pleuve....

S’il a plu les jours précédents, prévoir des chaussures de rechange pour ne pas salir le bus au retour.

Si le projet est bien préparé en amont, il n’y a plus qu’à se jeter à l’eau (enfin dans le champ !).



Crop circle en cours de confection (crédit photo : Dominique Verreman)

Crop circle vu d’avion (crédit photo William Musculus)

Crop circle fini (crédit photo : Dominique Verreman)

Petits détails pratiques :

  • Chacun avait sur lui un plan avec l’ordre des réalisations, et connaissait son rôle.
  • Prévoir un mégaphone portatif, pour éviter d’être aphone à la fin de la demi-journée.
  • Prévoir aussi des packs d’eau ... si on a la chance de tomber sur une belle journée.
  • Pour le drone : prévoir des batteries de rechange et/ ou plusieurs drones. Nous avions prévu de filmer les enfants dans le pré, allongés dans les zones écrasées, en deux cercles concentriques, mais les batteries n’ont pas tenu jusqu’au bout. Voici, vue du sol, la photo que nous aurions pu avoir vue du ciel, avec les artistes « en herbe », extra, mais terrestres...

Artistes en herbe (crédit photo : Jean-Luc Evrard)

Il existe des loueurs qui mettent à disposition des drones d’excellente qualité, avec stabilisation et films haute qualité. Ne comptez pas sur le matériel des enfants, sauf si vous souhaitez avoir le mal de mer en regardant les films !!

Petite remarque : s’enquérir des autorisations de survol pour la zone prévue... (en cas de proximité d’un aéroport par exemple...) (déclaration par mail à la préfecture au plus tard 5 jours ouvrables auparavant : pref-drones@gers.gouv.fr).

Et après... :

La fête de l’établissement étant la fin de la même semaine, nous avons présenté des panneaux avec les photos, des explications ...

Les enfants ont été TRES surpris des commentaires qui ont fusé sur Internet, et de la facilité qu’ont les gens à commenter sans se renseigner (ni même lire !). Sans compter le côté ésotérique de certains internautes... Qui vivent assurément sur une autre planète ! (cqfd...)

Ce qui n’était pas prévu a été la bombe médiatique qui s’en est suivie ! Il a fallu gérer les journalistes, demander les autorisations aux parents pour la venue de France2..., rédiger des articles... (prévoyez un attaché de presse, ou faites ce genre de choses bien AVANT la fin de l’année).

Comme quoi, les mathématiques ont finalement bonne presse...

Quelques liens Internet :

Françoise Evrard

Divers articles de presse