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I2geo, une plateforme de mutualisation de géométrie dynamique
Article mis en ligne le 28 mai 2010
dernière modification le 25 mai 2010

par Paul Libbrecht

Sommaire

Introduction

La géométrie dynamique a percé comme l’une des plus importantes utilisations de l’ordinateur pour l’apprentissage mathématique. Elle propose aux utilisateurs de travailler sur un document qui présente une construction géométrique que l’on peut manipuler. Le partage de ces documents est la partie qui intéresse le projet Inter2geo au cœur duquel se trouve la plateforme i2geo.

Cette plateforme veut partager les documents de géométrie dynamique pour les rendre accessibles pas les utilisateurs de tout pays. Un scénario idéal serait celui d’un contributeur de République tchèque désirant partager une construction faite avec Cabri Géomètre à propos d’homothétie : en la déposant sur i2geo nous voudrions qu’il puisse l’étiqueter de telle manière qu’un enseignant d’Espagne ou de tout autre pays puisse la trouver, l’essayer, la télécharger, voir comment elle est utilisée, et la distribuer à ses élèves. Un aspect supplémentaire du projet Inter2geo est l’échange entre les différents logiciels de géométrie dynamique par la définition d’un format de fichier commun et son implémentation dans les logiciels courants, ces aspects sont en net progrès, mais cet article n’en parlera pas.

La volonté de mutualisation de la plateforme peut paraître fort banale mais elle contient quelques originalités majeures :

• la première est le désir de franchir les frontières au sein desquelles différentes langues, différentes cultures mathématiques, et différents curricula ont cours.

• la seconde est de se spécialiser en géométrie dynamique afin de stimuler la réutilisation.

• la dernière, et probablement la plus profonde, est de se pencher sur le partage des usages afin d’en faciliter l’adoption.

Dans cet article nous décrivons brièvement le projet Inter2geo, la plateforme i2geo.net et la façon avec laquelle elle propose actuellement une réponse à ces missions, quelques projets a priori comparables, ainsi que quelques forces et faiblesses éprouvées au cours des 18 mois d’exploitation de la plateforme.

Le projet Inter2geo

Il s’agit d’un projet subventionné en partie par la communauté européenne sous le programme eContentPlus dont l’objectif est la mise-à-disposition large et accessible de contenus digitaux.

Inter2geo regroupe de nombreux développeurs de géométrie dynamique (l’institut pédagogique de Gmünd et de Karlsruhe, l’Université Montpellier 2, la société CabriLog, l’Université de Bayreuth, l’Université du Luxembourg, la société Maths4More), des experts d’OpenMath et du web (par exemple le DFKI et l’université technique d’Eindhoven), ainsi que des rassembleurs de communauté (par exemple l’université de Cantabrie et l’université de Bohème Christian Mercat, qui a inspiré le projet, en fait une présentation dans un article Mathématice en 2007 [Mercat 2007].

Le projet a travaillé à l’élaboration d’un format de fichier commun, travail qui continue et commence à converger. Il a aussi travaillé à la mise en place de la plateforme de mutualisation répondant aux défis énoncés plus haut, et à la mise en place d’une ontologie permettant de cataloguer les ressources de géométrie dynamique par concepts dans toute l’Europe. Le projet culminera cet été avec la conférence i2geo où la diversité des ressources et des pratiques sera largement discutée. La participation y est encore possible. Une vingtaine d’articles issus de huit pays y seront présentés.

Mutualiser de la géométrie dynamique : d’autres approches

Quand on regarde aux alentours, on trouve de très nombreux endroits où de la géométrie dynamique est distribuée. Elle l’est sur des CDs et sur des livres depuis bien longtemps ; de nos jours, elle l’est majoritairement sur le web. Mais tout cela est fait de manière bien sauvage et désordonnée.

Dans quelques environnements les choses sont un peu plus organisées.

• Dans les wikis spécialisés à chaque système, on trouve de nombreuses ressources de géométrie interactive. On y classe par niveau ou par sujet. Un exemple est le wiki de GeoGebra.

• Dans des grandes collections telles que Mathe-Vital ou Matou Matheux : à la façon d’un livre les ressources y sont soigneusement classées et indexées avec bien peu de répétition. C’est également ce que fait Sketchpad Lessons Linkdont l’objectif est la vente de ressources SketchPad pour l’utilisation en classe. Pour les ressources de ces projets, l’origine même définit un label de qualité. Le plus souvent, ce genre d’initiative est fait par de petites équipes de collaborateurs très proches.

• Plusieurs plateformes de mutualisation génériques existent : au niveau national (telles que les Édubases ou EducaTube) , et au niveau international telles que Curriki, LeMill ou Merlot.

Et puis il y a le grand web, celui sur lequel on trouve absolument tout mais un peu partout : les liens y sont d’une certitude douteuse ; trouver le document source est souvent un exploit technique ; trouver une licence permettant de redistribuer à ses élèves est souvent une négociation légale en dix courriers électroniques ; il n’existe essentiellement que des méthodes textuelles de recherche.

En fait, beaucoup trop souvent, la recherche textuelle est la seule permettant de faire des recherches fines dans la plupart des services décrits plus haut. Une requête comme celle mentionnée plus haut, recherchant le théorème de Thalès, est un exemple pour lequel seul la recherche en plein texte fonctionne sur le grand web et dans les plateformes ci-haut. Rechercher Thalès par texte est grossier et imprécis, ou alors, on se met à utiliser des phrases beaucoup trop précises. En outre la recherche textuelle est attachée à une langue ce qui, pour des ressources de géométrie dynamique réduit beaucoup le champ.

L’approche i2geo pour la mutualisation

I2geo.net est une plateforme de mutualisation sur le web. Elle propose à tout un chacun de contribuer par des ressources d’apprentissages offertes par une licence ouverte de la famille Creative Commons [CC 2010], de les cataloguer par des métadonnées multilingues, et, pour certaines, de les afficher directement.

Chaque page d’i2geo.net qui affiche un état est accessible par l’URL du navigateur, un URL stable. Cela permet à i2geo d’être un bon citoyen du web dont les URLs sont prévus pour durer ainsi que le prône [Berners-Lee 1998]. En outre, il est possible de suivre les nouveautés d’i2geo par des flux RSS. Ces deux mesures permettent au grand web de pointer vers des pages d’i2geo pour que le monde en parle. Bien qu’anodine, cette caractéristique n’est pas l’apanage de toutes les plateformes.

Partager une ressource signifie souvent la rendre modifiable par d’autres, ce qui implique qu’on partage le fichier du logiciel de géométrie dynamique. À ce que l’on peut voir largement sur le web, cela semble souvent être omis : on se contente de mettre l’export web. Il est probable que c’est fait pour simplifier et surtout pour montrer la ressource en action au plus vite.

I2geo tente de ménager la chèvre et le chou en encourageant, depuis son guide « bonnes pratiques » [Mercat et al 2009], la contribution de ressources comme le simple fichier du logiciel de géométrie, la séparant des conseils de mise en route. Mais le fait de pouvoir jouer avec la ressource pour l’évaluer demeure, car un clic de plus permet aux ressources (pour les logiciels des partenaires ou des associés du projet) de s’afficher. La figure ci-dessous montre l’exemple de l’affichage d’une ressource et de ce qui s’affiche. Cela permet à l’explorateur qui découvre une ressource, d’en lire les conseils d’utilisation, mais surtout de la tester réellement pour en mesurer le potentiel.

Cette exploration fait partie d’un cycle de ressourcement : partant d’un objectif d’enseignement proche, nous voudrions que l’enseignant explorateur exprime sa requête, trouve des ressources potentiellement compatibles, se renseigne sur leur utilisation prévue et sur l’utilisation qui en a été faite, et les essaye directement. La diversité des conditions d’enseignement (le style d’élèves ou d’enseignant, le manuel utilisé, les concepts bien ou mal compris, les pratiques de découvertes...) et des conditions d’utilisation informatique (disponibilité des logiciels, accès au web, plateformes, ...) fait qu’un tel cycle est souvent répétitif. La disponibilité en un clic d’informations cruciales et de l’affichage de test peut rendre cette activité beaucoup plus efficace.

Des étiquettes multi-culturelles

Nous disions que ce cycle du ressourcement commence avec l’expression d’une requête : l’explorateur exprime une notion, une compétence, ou un niveau d’enseignement ; le moteur de recherche lui présente alors les ressources annotées exactement avec cette étiquette ou des spécialisations de celles-ci. Par exemple une requête pour la notion de fonction recherchera les ressources pour toutes sortes de fonctions, qu’elles soient affines, du second degré, ou hyperbolique... mais en mettant en premier les ressources étiquetées de la notion générique de fonction. Avec la requête d’une compétence faite d’un verbe et de quelques notions, on recherche les ressources de ce verbe et ces notions, préférant bien sûr les ressources marquées exactement de cette compétence.

Ces étiquettes vivent dans une ontologie, appelée GeoSkills, qui structure ces notions (compétences et niveaux) par des relations entre eux et par des propriétés de dénomination : chaque élément a un ou plusieurs noms dans chaque langue. Ces noms permettent d’afficher l’élément et de le formuler : la case de recherche est dotée d’une auto-complétion suggérant l’élément de l’ontologie ainsi que l’on peut le voir à la figure ici-bas et que l’on peut essayer sur en cherchant fonction.

L’ontologie GeoSkills est l’entreprise de l’équipe de classification du projet inter2geo. Elle est le résultat d’une collaboration entre des développeurs, des didacticiens, et des ontologistes et couvre, pour l’instant, le curriculum de quelques classes de 6 pays d’Europe. L’édition de cette ontologie se fait essentiellement par la mise en oeuvre d’un outil utilisant des technologies web traditionnelles mais se synchronisant avec l’ontologie CompEd. La notion de fonction linéaire est affichée par CompEd sur la figure ci-dessous et sur la page CompEd de la notion de fonction linéaire. Cela permet à un didacticien avec peu de connaissances d’ontologie de contribuer aux traductions et à la maintenance de cette ontologie.

Parce que la requête est formulée par un élément de l’ontologie, tout comme l’étiquetage au moment de la contribution, la multi-lingualité est atteinte : une requête formulée dans un langage peut rencontrer une annotation faite dans un autre. Le résultat de recherche de la figure ci-dessus le montre bien : les résultats sont en français, espagnol, allemand et anglais. On peut lire plus de choses à propos de GeoSkills sur sa page [DesLib 2010].

Montrer l’usage par des questions de qualité

Découvrir une ressource sur le web ressemble un peu au ramassage d’un objet (peut-être intéressant) sur le trottoir : on ne sait pas très bien d’où il vient, ce qu’il fait, et, ce qui est probablement plus important, quelle est sa réputation. Pour dissiper le doute, i2geo propose à tout utilisateur de décrire la qualité d’une ressource en évaluant les diverses dimensions qui contribuent à son utilisation réussie.

Une évaluation de qualité est la réponse à un ensemble flexible de questions allant des simples qualités techniques à la facilité d’implémentation dans l’enseignement. Un exemple d’évaluation est Nur ein Beispiel zur Veranschaulichung, keine Übung : on y voit des réponses détaillées pour quelques-unes des questions mais d’autres plutôt indécises : l’évaluateur a choisi d’approfondir son évaluation pour certains aspects seulement.

Les évaluations de qualité influencent le moteur de recherche : basé sur l’évaluation moyenne et le détail de chaque évaluation, une pondération influence la place d’une ressource dans la liste des résultats de la recherche. Cela permet de stimuler la visibilité des ressources considérées par d’autres de bonne qualité.

Forces et faiblesses

La plateforme i2geo.net a été lancée à l’automne 2008. Elle a connu quelques défauts de jeunesse largement corrigés par le feedback de ses utilisateurs. Depuis, de nombreux usagers ont contribué à produire près de 2500 ressources et 350 évaluations de qualité.

La fonction d’affichage des ressources en un clic, apparaît comme fort utile, même si le cycle de l’exploration demandera tôt ou tard à une ressource choisie d’être ouvert en local, dans le logiciel de géométrie dynamique.

L’usage du questionnaire de qualité est utile bien au-delà des utilisateurs directs de la ressource. En particulier il a souvent amené ceux qui évaluent une ressource à se poser des questions fréquemment oubliées à propos de la ressource.

La recherche inter-curriculaire semble plaire, même si elle est un peu lente et parfois difficilement ompréhensible. Les usagers que nous avons interrogés semblent tous être curieux de découvrir des ressources d’autres pays et d’autres cultures, ils souvent sensibles aux limites de leur propre tradition mathématique. Un des aspects frustrants de celle-ci est la grande quantité de compétences exprimables pour lesquelles aucune ressource n’est disponible.

Un des effets particulièrement importants d’une plateforme de mutualisation est la participation à une communauté. A ce titre, i2geo n’a pas réussi à être à la hauteur ; la plateforme, basée sur Curriki offre pourtant une fonction de groupe mais ceux-ci semblent bien fragiles. En outre, les flux d’informations ne sont pas assez flexibles : chaque usager voudrait pouvoir être informé par courrier ou par RSS des changements apportés à des ressources qui le concernent, lorsqu’une de ses ressources est copiée, lorsqu’une de ses ressources est évaluée ou commentée. Pour l’instant, il nous apparaît clairement que cette fonction de notification, négligée jusque là, pourrait stimuler l’usage de la plateforme comme un instrument de communication centré sur les ressources

Conclusion

Le projet Inter2geo a encore quelques mois devant lui ; les fonctions uniques que la plateforme offre semblent être encore attrayante ainsi que le montrait une récente présentation. Il aux concepteurs de cette plateforme l’améliorer, de la polir pour en faire un outil de contribution et d’exploration spontané.

Bibliographie

[Berners-Lee 1998] Tim Berners-Lee, Cool URIs don’t change, World Wide Web Consortium, 1998, lisible à http://www.w3.org/Provider/Style/URI .

[CC 2010] Creative Commons, Inc., famille de licence lisibles sur http://creativecommons.org.

[DesLib 2010] Cyrille Desmoulins & Paul Libbrecht, About GeoSkills , accessible à http://i2geo.net/xwiki/bin/view/About/GeoSkills.

[Mercat 2007] Christian Mercat, Interopérabilité des logiciels d egéométrie dynamique : le projet intergeo, Revue Mathématice , numéro 110, http://revue.sesamath.net/spip.php?article110

[Mercat et al 2009] Christian Mercat, Roman Hasek (U. South Bohemia) , Marion Leistenschneider (UM2/DFKI), Pavel Pech (U. South Bohemia), Tomás Recio (Ucan), Sophie Soury-Lavergne (INRP), and Jana Trgalova (INRP), Report on best practises for the use of DGS content  ; the Intergeo Consortium, Deliverable D6.2, Nov 2009. Accessible à partir de http://i2geo.net/xwiki/bin/view/Main/Publication#deliverables.