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Deux cahiers d’arithmétique autour de la Révolution

Deux cahiers d’arithmétique manuscrits, magnifiquement illustrés, sont présentés. L’un a été écrit en 1788 à Allauch, près de Marseille, par un élève de 13 ans : Jean-Jacques Ollive. L’autre nous vient de Brignoles, dans le Var, en 1794. Il est l’œuvre d’Élizabeth Lion, âgée de 11 ans. Le premier est illustré de scènes du quotidien très vivantes, le second d’une profusion de symboles révolutionnaires. Le contenu des deux est représentatif de l’enseignement des mathématiques dispensé pendant plusieurs siècles, et illustré à l’époque par deux manuels qui dominaient le marché de l’édition depuis Louis XIV : ceux de Barrême et de Le Gendre.

Article mis en ligne le 4 octobre 2023
dernière modification le 6 octobre 2023

par Bernard Ycart

Le « Livre de compte » de Jean-Jacques Ollive (1788) est à la cote 1 J 950 aux Archives départementales de l’Isère, où il a été photographié. Il a été trouvé grâce au répertoire de la série 1 J, avec l’aide de Clara Vinourd, que je remercie pour sa disponibilité. Le cahier d’Élizabeth Lion de 1794 est conservé au Musée de la Révolution française à Vizille (38) (inv. MRF L.2022). Véronique Despine, chargée de collections, m’a permis de le photographier et de le diffuser, et je l’en remercie chaleureusement. Les fichiers pdf proposés en documents d’accompagnement ne peuvent pas constituer une reproduction fidèle. En attendant une numérisation de niveau professionnel, ils réalisent un compromis entre lisibilité et volume de téléchargement.

Les livres d’arithmétique

C’était une astuce pédagogique courante sous l’ancien régime : le maître mobilisait les compétences enseignées en français, en dessin, en calligraphie, pour faire réaliser à l’élève un « livre » retraçant son apprentissage mathématique. Un bon nombre de ces manuscrits d’élèves nous sont parvenus. On en trouve assez régulièrement dans des ventes aux enchères. On en trouve aussi dans des fonds d’archives départementales ou communales. Certains ont été mis en ligne, comme celui de Brousseaux, en 1765 à Brive ; ou celui-ci, anonyme à Aix en 1739. La plupart reflétaient l’enseignement d’une seule année : le « Livre de compte » de Jean-Baptiste Arnaud, « sous la conduite du sieur Jacques Gautier, maître de pension au quartier des Aygalades (Marseille), a été commencé avec l’aide de Dieu le premier mars de l’année 1781 et fini par la grâce de Dieu le 31 mai 1782 ». Certains accompagnaient l’élève sur plusieurs années, comme Antoine Benoit, « escollier de monsieur Bernard à Toulon » de 1699 à 1702.

Même si les contenus de ces cahiers nous paraissent exotiques, nous en comprenons aisément l’intention pédagogique : apprendre à écrire proprement, à rédiger des solutions, à aligner des opérations claires… ; surtout, donner à l’élève l’occasion d’une réalisation dont il soit fier et qui fasse l’orgueil de sa famille ; au point de conserver le manuscrit, de le transmettre, éventuellement de le relier et même de le transformer en un véritable livre imprimé si l’occasion s’en présentait.

C’est ce qui s’est produit pour Marguerite Bramereau en 1655. Élève des Ursulines en Avignon, où son père et son grand frère étaient imprimeurs, elle s’est retrouvée à douze ans l’autrice de ce « Rudiment d’Arithmétique ». Une des très rares femmes à avoir publié un livre de mathématiques en son siècle ! Son cas n’a pas manqué d’attirer l’attention d’historiens des mathématiques, comme Martin Muffato et Catherine Goldstein. En histoire de l’éducation, le livre d’arithmétique de Clément Vasserot, de Fontgillarde en Queyras (1763), a été exploité par Anne-Marie Granet-Abisset. Mais globalement, la manne historique que constituent ces témoignages manuscrits n’a pas reçu à ce jour l’attention qu’elle mérite.

Il est facile d’en comprendre la raison : de notre point de vue, le contenu mathématique est peu original. Tout se réduit pour nous aux quatre opérations et à la règle de trois, déclinées sous de multiples formes. En somme, une très ancienne tradition perpétuée, celle des « Arithmétiques commerciales ». Depuis le Moyen-Âge, les familles de commerçants avaient pris l’habitude de faire enseigner à leurs rejetons les techniques de calcul héritées des Arabes, et transmises à l’Europe par le Liber Abaci de Fibonacci en Italie, le Liber Mahameleth en Espagne, et peut-être d’autres. Ainsi est née, à partir du XIVe siècle, une tradition d’enseignement de l’« abaque » plus souvent désignée en France par « algorisme ». Un siècle plus tard, les premiers livres de mathématiques imprimés, hors les Éléments d’Euclide, ont été des manuels d’arithmétique commerciale en langue vernaculaire. Cette tradition, fondamentale pour l’histoire des mathématiques et de l’enseignement, a été étudiée entre autres par Jens Høyrup et Maryvonne Spiesser.

Elle s’est poursuivie, et même institutionnalisée en France aux XVIIe et XVIIIe siècles. L’édition de manuels d’arithmétique pratique à l’usage des marchands est devenue une industrie florissante, comme le montre Pierre Jeannin. Cette industrie était dominée par deux best-sellers. Le plus ancien est l’« Arithmétique en sa perfection » de François Le Gendre (première édition en 1648). Le second est « L’arithmétique du sieur Barrême, ou le livre facile pour apprendre l’arithmétique de soi-même, et sans maître » (première édition en 1672). Les livres de François Barrême (1638-1703) ont été tellement répandus que son nom est resté dans le vocabulaire courant. Il faut dire que l’action de son petit-fils Nicolas a sans doute contribué à la célébrité du nom de famille. Pour la période qui nous occupe, Jeannin précise que de 1777 à 1788, il y a eu 6 rééditions de l’arithmétique de Barrême, et 4 de celle de Le Gendre, soit un tirage autorisé de 19 400 exemplaires. Quelles éditions de ces ouvrages étaient effectivement utilisées à Allauch et à Brignoles ? C’est évidemment impossible à savoir. Nous avons arbitrairement choisi comme référence deux éditions disponibles sur Gallica, 1736 pour Barrême, 1779 pour Le Gendre.

Cet article n’a d’autre ambition que de présenter deux superbes témoignages d’enfants de la fin du XVIIIe siècle. Il n’a pas la prétention d’aborder des questions connexes plus générales, qui ont déjà fait l’objet de nombreuses études. En premier lieu, l’histoire de l’enseignement de l’arithmétique : pour l’ancien régime, voyez l’article de S. Chassagne, p. 137-144 de Populations et cultures (1989) ; la période révolutionnaire en Normandie est évoquée par Yannick Marec. Au-delà des mathématiques, l’histoire des élèves est traitée par Véronique Castagnet-Lars, celle des maîtres d’école par Côme Simien. Bien qu’il soit nettement hors du sujet que nous évoquons ici, le bouillonnement d’idées autour de l’éducation lors de la Révolution, est toujours passionnant. La courte note de Guillaume est une bonne introduction. L’impressionnante bibliographie compilée par Harten, en donne la mesure. On évaluera avec intérêt la distance entre les idées de Condorcet (mort en août 1793) sur l’enseignement de l’arithmétique, et la réalité du cahier d’Élizabeth Lion, plus d’un an après. L’histoire de l’École normale de l’an III, qui a fonctionné au printemps 1795, est également passionnante. Ses leçons de mathématiques, publiées sous la direction de Jean Dhombres, permettent aussi de mesurer le fossé entre la théorie vue par les savants parisiens et la réalité du terrain.

Dans un premier temps, nous présenterons les illustrations des deux cahiers : c’est leur principale originalité par rapport à d’autres manuscrits d’arithmétique. Ensuite, nous examinerons leur contenu mathématique : complexité des mesures, puis règle de trois et ses variantes. Dans une troisième partie, nous traiterons des contextes : d’abord en cherchant ce qui, dans ces cahiers, provient des manuels de Barrême ou Le Gendre, ensuite en examinant les traces dans les cahiers, du vécu des auteurs, de leur région d’origine et des événements historiques.

Les illustrations

La plupart des cahiers d’arithmétique du même type utilisent la calligraphie, qui à l’époque était couramment enseignée à l’école. Cela donne des illustrations certes esthétiques, mais relativement impersonnelles ; à base de boucles et de volutes, ornements abstraits ou floraux, angelots et visages féminins standardisés. Rien de cela ici.

Jean-Jacques Ollive ne soigne pas particulièrement son écriture courante, qui reste pourtant lisible. Ses titres sont mieux écrits, parfois en couleurs, et la première lettre est légèrement ornée. Mais l’essentiel n’est pas là. Quelques uns de ses nombreux dessins représentent des sujets impersonnels : vases ou bouquets de fleurs, arcs et flèches. Mais la plus grande partie, la plus intéressante aussi, représente des scènes de la vie courante, extrêmement vivantes malgré la naïveté du trait. Voyez par exemple celle-ci : un aigle est en train d’emporter une poule, au grand dam de la fermière. Un chasseur arrive et tire sur l’aigle. Le tout devant une maison à deux étages que l’on trouve représentée plusieurs fois ailleurs. On imagine aisément que Jean-Jacques a effectivement vécu cette scène qui s’est déroulée devant chez lui, et dont ses parents étaient peut-être les acteurs principaux.
Voici un autre exemple : dans une cuisine, un rôti embroché tourne devant un grand feu de bois, pendant que le cuisinier, qui a déposé sa veste et son chapeau sur une chaise, s’affaire à trancher une pièce de viande sur la table.

Inutile d’en montrer plus ici : passez en revue le cahier, vous y découvrirez des chasseurs, des cavaliers, des carrosses, mais aussi un meunier qui sort de son moulin avec sa mule chargée d’un sac de farine, deux tonneliers, un laboureur, deux scieurs de long, une chaîne de galériens menés par un tambourinaïre, une procession religieuse, des scènes de cirque… et bien d’autres.

Jean-Jacques a aussi dessiné son environnement : des tours, des moulins, des châteaux, des maisons. Voyez ci-dessous deux vues de l’église Saint-Sébastien d’Allauch, avec ses tuiles vernissées : celle de Jean-Jacques il y a deux siècles et demi, et une photographie récente. Émouvant, non ?

La différence des illustrations de Jean-Jacques avec celles d’Élizabeth Lion, est résumée dans les deux bâteaux qui suivent. À gauche celui de Jean-Jacques : le trait est naïf certes, mais véridique. On sent une réelle observation dans le drapé des voiles et surtout dans l’architecture des cordages. Ce bâteau, Jean-Jacques l’a probablement vu dans le port de Marseille. À droite le bateau d’Élizabeth : le trait est beaucoup plus maîtrisé, étonnamment sûr pour une enfant de 11 ans. Mais le dessin est plus impersonnel. C’est un trois-mâts idéalisé qu’elle représente là.

Ce qui frappe chez Élizabeth, c’est la profusion des symboles révolutionnaires (cf. Serge Bianchi). Aucun ne manque à l’appel : rosaces, drapeaux, fanions, rubans tricolores… Vous voyez ci-dessous un faisceau de licteur et un niveau maçonnique coiffés d’un bonnet phrygien, un sans-culotte en pantalon rayé armé d’une pique et foulant aux pieds une couronne et un sceptre, sans oublier… une guillotine tricolore !

Tous ces symboles sont mis au service d’un sens artistique très sûr ; titres soulignés de bandeaux tricolores, frises florales, illustrations, écriture soignée, y compris des calculs arithmétiques, partout dans ce cahier transparaît l’objectif (atteint) de produire du beau.

Voyez par exemple ces tables de multiplication, sur la première page. Elles sont présentées sous forme d’un triangle formé de losanges rangés en lignes, alternativement blanches et bicolores. Chaque ligne est la table de multiplication d’un nombre entre 1 et 12, marqué à gauche de la ligne et rappelé dans chaque losange. L’effet produit est spectaculaire, mais la présentation, peu claire, ne permet pas de la lire comme un tableau à double entrée, ce qu’elle devrait être mathématiquement : comparez avec la table triangulaire provenant d’un cahier anonyme de Molines en Queyras, reproduite en p. 133 de Granet-Abisset.

Les contenus

Complexité des mesures

L’enseignement que recevaient Jean-Jacques et Élizabeth, comme tous les écoliers du XVIIIe siècle, se composait d’une succession de « règles ». Nous parlerions de recettes, méthodes, ou même algorithmes pour faire plus riche. Il nous en est resté la « règle de trois ». Les deux cahiers ne contiennent que quelques définitions formelles, peu de méthodes abstraites. Ce sont surtout des successions d’exemples résolus. Jean-Jacques rédige assez souvent des détails sur la résolution, Élizabeth presque jamais. Peut-être est-ce mieux ainsi, tout du moins selon nos critères de rigueur. Voici par exemple la « diffinition » de l’addition pour Élizabeth :

L’addition est une opération par laquelle, ayant ajouté plusieurs nombres connus dans une somme, on connaît la valeur de cette somme, qui était inconnue.

Naïveté d’une fillette de onze ans ? Que nenni ! Voici les définitions que donnent Le Gendre (à gauche) et Barrême (à droite).

Qu’une définition rigoureuse donne du sens à une notion comme nous l’entendons, ce n’était pas l’objectif de cet enseignement-là. Il s’agissait d’inculquer des méthodes pratiques. Et ce n’était pas facile ! Chez Jean-Jacques comme chez Élizabeth, environ la moitié des pages sont consacrées aux quatre opérations. Tant de temps pour apprendre à calculer ? Oui, et Le Gendre comme Barrême disent implicitement pourquoi, dans leurs définitions de l’addition : « de même espèce » chez Le Gendre, « pourvu qu’elles soient d’une même sorte » pour Barrême. Le Gendre précise même qu’il n’est pas question d’« ajouter des livres avec des écus ou des sols avec des deniers confusément ». Mais comment faire pour tenir une comptabilité quand l’unité monétaire, l’écu, vaut trois livres, que la livre vaut vingt sols, le sol douze deniers, le denier quatre pites ? Et encore, s’il n’y avait que cela ! Dans les vingt premières pages de son cahier, Élizabeth apprend à ajouter des cannes (longueurs de tissus) qui valent 8 pans de 4 quarts chacun, des charges de blé qui valent 10 panaux, chaque panal contenant 8 picotins, mais aussi des charges de vin de 4 cartins, chaque cartin contenant 12 pots et chaque pot 4 petites, sans compter les toises (de 6 pieds, subdivisés en pouces et en lignes), et les quintaux (accompagnés de livres, onces et gros). Pour Jean-Jacques les choses sont encore plus compliquées. Sa charge de blé vaut 3 émines, chaque émine 3 panaux, chaque panal 4 sivadiers. Il est tout de même obligé de préciser que la charge de Marseille contient quatre émines et non pas trois. Parce qu’en plus, même sous des noms identiques, les mesures varient d’une ville à l’autre. Sur le tableau que Charles de Villeneuve donne en 1829 des anciennes mesures des Bouches-du-Rhône dans sa « Statistique du département », p. 932 ff., on ne peut que constater que les mesures d’Allauch sont pour la plupart différentes de celles de Marseille (il y a 10 kilomètres à vol d’oiseau d’Allauch au Vieux-Port). Pour le vin, Jean-Jacques n’a pas du tout les mêmes unités qu’Élizabeth (50 km entre Allauch et Brignoles) : pour lui la millerole est divisée en 4 escandaux, l’escandal en 12 pots.

Inutile de donner plus d’exemples, la métrologie d’ancien régime est bien le casse-tête dénoncé à longueur de cahiers de doléances en 1789 (voir par exemple Yannick Marec pour la Normandie). Mais alors, pourquoi les anciennes mesures sont-elles encore enseignées à Élizabeth en 1794 ? Après tout, le nouveau système décimal, a été présenté à L’Académie le 19 janvier 1793, près de deux ans avant la rédaction du cahier d’Élizabeth. La commission des poids et mesures a aussitôt publié un manuel, fort bien fait, contenant de nombreux exemples et exercices. Il aurait dû emporter l’adhésion de tous, commerçants comme enseignants. Peine perdue : comme on le sait, le système métrique ne s’imposera définitivement qu’après 1840.

Jean Dhombres a donné une peinture très vivante des réticences, qu’il a finement analysées. La difficulté n’était pas seulement de passer d’une mesure à une autre. Elle tenait aussi au manque d’habitude des nombres décimaux. Il faut se replacer en un temps où les fractions unitaires (à numérateur 1) étaient beaucoup mieux comprises et acceptées, que les nombres à virgule. On ne voyait tout simplement pas en quoi il était plus facile de multiplier ou de diviser par 10 plutôt que par 12, même si cela nous paraît incroyable.

Élizabeth en donne un exemple particulièrement frappant. Pour une fois, la charge se subdivise en 10 panaux. Croyez-vous que l’on en profiterait pour remarquer que cela simplifie les calculs ? Pas du tout ! Comme pour les subdivisions en 8 ou en 12, on dresse une table de conversion : il est considéré comme plus simple d’ajouter la moitié, le cinquième et le dixième d’une quantité, plutôt que d’en prendre les huit dixièmes ! Encore une fois, il ne s’agit pas d’une maladresse : le manuel de Le Gendre contient tout un chapitre sur les parties aliquotes, qui explique comment remplacer des calculs qui nous paraissent simples par d’autres que nous croyons plus compliqués.

Pour aussi inextricable qu’elle soit, la complexité des mesures d’ancien régime a eu une conséquence heureuse pour cette étude. A priori, rien dans les cahiers n’indique ni le lieu ni la date de naissance de leurs auteurs. Mais les mesures dont ils parlent, pointent indubitablement vers une région assez restreinte. Il suffit de reporter les escandaux, milleroles et autres picotins dans un dictionnaire de poids et mesures comme celui de Doursther, pour constater que ces deux cahiers ne peuvent avoir été écrits qu’en Provence, et même dans la région de Marseille pour Jean-Jacques, dans le Var pour Élizabeth. Le reste est affaire d’exploration des états-civils en ligne, avec un coup de pouce de Geneanet, et un coup de main de Sarah Leleu (merci à elle). Bref, Jean-Jacques Hypolitte Ollive est né à Allauch le 22 mai 1775. Il était l’aîné d’une fratrie de sept enfants, trois filles et quatre garçons, nés entre 1775 et 1792. Dorothée Élizabeth Lion est née à Brignoles le 13 janvier 1783. Elle a eu en tout deux frères et trois sœurs, le plus âgé étant né en 1779, la plus jeune en 1796. Son professeur Jean Joseph Ambard était né à Brignoles le 25 septembre 1743, et s’y était marié le 4 octobre 1780. Sur son acte de mariage, il est déclaré cordonnier, et il épouse la fille d’un maître cordonnier. Sur son acte de décès, daté du 20 octobre 1830, il est « ancien instituteur ». Les archives municipales de Brignoles pour la période révolutionnaire (cote 1D1) le qualifient de « maître ès Arts » le 14 février 1790. Il s’était donc reconverti et avait commencé à enseigner avant la Révolution.

Règle de trois et variantes

Nous avons une certaine réticence à identifier un calcul de proportions comme une règle de trois. Nous préférons que l’élève comprenne d’abord le principe de la proportionnalité, dont on imagine qu’il le traduira ensuite en un calcul que l’on espère correct, quitte à l’appliquer plusieurs fois de suite dans le même exercice. Ce n’est pas ainsi que les choses se présentaient pour Jean-Jacques et Élizabeth. Ils avaient une règle de trois « de base », et des variantes, correspondant à des types d’exercices différents et de complexité croissante. Par exemple pour Jean-Jacques, la situation de base est la suivante :


Un certain nombre d’ouvriers ont fait dans 15 jours 130 cannes d’ouvrages. Combien feront de cannes du même ouvrage, les mêmes ouvriers dans 3 mois et 10 jours ?

Vient ensuite la règle de trois double :


Si 250 hommes en 16 jours ont fait 3450 toises de fossés, combien
de toises 330 hommes feront-ils en 39 jours ?

On passe ensuite à la « règle de trois de sept termes » (!) :


Si 39 moulins qui travaillent 20 heures par jour, ont moulu 88 charges en trois jours, combien de charges moudront 5 moulins travaillant 14 heures par jour pendant 170 jours ?

Il y a aussi des règles inverses (« rebources » chez Élizabeth). Ce sont celles où les quantités sont inversement proportionnelles :


Si 450 hommes ont des provisions pour 18 mois, combien de temps dureront les mêmes provisions pour 700 hommes ?

Et bien sûr vient ensuite une règle de trois « double inverse », avec certaines quantités proportionnelles, d’autres inversement proportionnelles :


Si 530 hommes à qui on donne 20 onces de pain par jour ont des provisions pour 50 jours, combien dureront les mêmes provisions à 800 hommes à qui on veut donner 17 onces de pain par jour ?

Et enfin la règle de trois qualifiée simplement de « composée », encore plus compliquée :


Si 25 ouvriers font chaque jour 38 aunes d’étoffe de 3 pans de largeur, combien d’aunes de 4 pans de largeur feront 36 ouvriers dans le même temps ?

Une fois assimilés tous ces exemples, l’élève est paré pour toutes les règles qui mettent en scène des proportionnalités dans des contextes commerciaux stéréotypés. Le premier d’entre eux est le calcul d’intérêts. Vient ensuite l’escompte, qui est l’intérêt à l’envers (combien gagne-t-on si on paye immédiatement plutôt qu’en différé). D’autres situations du type règle de trois sont les calculs de tare, le troc et les lettres de change. De nature un peu différente est la règle d’alliages (pour nous un calcul de barycentre). La voici chez Élizabeth.


Un boulanger a acheté 50 charges de blé à raison de 30 livres la charge, 70 charges à 26 livres, 80 charges à 24 livres et 90 charges à 20 livres. Il veut mêler le tout et demande à combien lui reviendra la charge.

Du même type sont les « règles de compagnie », où des associés doivent se partager un bénéfice en fonction de leurs apports respectifs. Élizabeth en donne 6 exemples à la suite. Vous penseriez que répartir un actif entre des créanciers à l’issue d’une banqueroute, que distribuer un magot entre des héritiers, revient au même ? Non, pas en ce temps là : il faut qu’un type d’énoncé corresponde à une règle. La règle de (simple) fausse position est aussi dans la grande famille des règles de trois. En voici la présentation par Jean-Jacques :


La règle de fausse position fait connaître un nombre inconnu, par le moyen d’un nombre que l’on prend à volonté pourvu cependant qu’il puisse contenir les conditions proposées dans la question. On résout ces règles plus facilement en algèbre, par le moyen des équations.

Remarquez la dernière phrase : la référence aux équations et à l’algèbre est très inhabituelle à ce niveau d’enseignement, même en cette fin de XVIIIe siècle. Elle n’apparaît ni chez Barrême, ni chez Le Gendre. Voici le premier exemple de Jean-Jacques :


Quatre hommes ont une somme à partager à condition que le premier en aura 1/3, le second 1/4, & le troisième 1/6, & le quatrième le restant qui est 28 livres ; on demande quelle est cette somme.

C’est à peu près là que s’arrêtent les notions enseignées à Élizabeth. Non content de traiter des exemples en général plus difficiles, Jean-Jacques (qui a deux ans de plus), aborde aussi des notions considérées comme plus avancées, comme l’extraction de racine carrée et le toisé des bois de charpente.

Nous allons maintenant examiner quels ont pu être les éléments directement tirés des manuels de Barrême et Le Gendre dans ces contenus, pour ensuite distinguer ce qui a pu dépendre de l’environnement régional et du contexte politique.

Les contextes

Influence des manuels

Nous l’avons dit, les mathématiques enseignées à Jean-Jacques et Élizabeth sont directement issues de la tradition moyenâgeuse des arithmétiques commerciales, elle même héritée des Arabes, qui la tenaient en partie des Grecs, dont les influences étaient à la fois égyptiennes et mésopotamiennes. On trouve des exercices du type de ceux posés à Jean-Jacques et Élizabeth dans des manuels de toutes les époques, et de toutes les civilisations. Dans ces conditions, comment pourrait-on démontrer que tel exercice vient directement d’un manuel particulier ?

Certains cas sont flagrants. Voyez le premier exemple de Jean-Jacques pour la règle d’alliage. Il s’agit d’un marchand qui concocte un mélange de quatre épices, chacun à un certain prix et présent en une certaine quantité. À droite, la même situation chez Barrême. Les noms des épices, ainsi que les quantités sont identiques. Seul le prix du poivre est passé de 1 à 2 sous l’once. Il n’y a donc guère de doute : le maître d’école au moins, sinon l’élève, avait sous les yeux l’arithmétique de Barrême.

Voici maintenant un exemple de la règle de compagnie chez Élizabeth. Différents officiers devraient percevoir une certaine solde, mais les subsides attendus n’étant pas parvenus, il s’agit de répartir la somme disponible, proportionnellement aux soldes dues. Comparez avec la même situation chez Le Gendre : les mêmes officiers, avec les mêmes sommes à répartir. Mais Élizabeth a oublié une ligne, celle de l’Aide-major. Cela ne l’empêche pas de trouver la même somme que Le Gendre.

Voici l’exemple qui suit chez Élizabeth, comme chez Le Gendre. Cette fois-ci, tout coïncide, les grades, les soldes et les calculs. Remarquez le mot « anspessade », mot rare qui désigne un grade subalterne. Il devait nécessiter une explication de texte, pour Élizabeth autant que pour nous !

La seule citation que l’on trouve chez Élizabeth, est l’occasion d’un exercice curieux. En voici l’énoncé, qui est précédé du titre « Exemple pris du digeste » :


Il est dit dans le digeste lib. 28 T.2 p. 13 qu’un faisant son testament, y fait insérer que si sa femme accouchait d’un fils, ce fils aurait les 2/3 de 3600 livres et la mère l’autre 1/3 ; que si elle accouchait d’une fille, la mère aurait les 2/3 de cette somme et la fille l’autre 1/3. Il arriva néanmoins que la mère accoucha d’un fils et d’une fille. Comment distribuera-t-on cette somme pour suivre l’intention du testateur ?

L’exercice est clairement inspiré de Le Gendre ; mais celui-ci ne cite pas le « digeste ». De quoi s’agit-il ? D’un imposant recueil de droit romain, censé remonter à l’empereur Justinien. En fait une compilation de préceptes de droit, à laquelle chaque génération a ajouté sa contribution. Dans le volume 16 de la traduction de Hulot, au livre 28 titre 2 en bas de la page 309, on trouve effectivement un énoncé approchant :


Qu’arrivera-t-il si le testateur avait institué le fils et la fille qui naîtraient après son testament, savoir le fils pour les deux tiers et la fille pour un tiers, sans leur donner de cohéritiers, ni les substituer l’un à l’autre ? L’enfant qui sera né, de quelque sexe qu’il soit, sera seul héritier en vertu du testament.

Il est peu probable qu’Élizabeth ait eu le digeste comme livre de chevet. Il s’agit plus vraisemblablement d’une réminiscence de la formation juridique que son maître Jean Joseph Ambard a dû recevoir à Aix.

Que Ambard, se soit inspiré, au moins en partie, du manuel de Le Gendre, ne fait aucun doute. C’est aussi le cas de l’instituteur de Jean-Jacques : même si nous y avons trouvé un exercice directement tiré de Barrême, d’autres parties du cahier proviennent clairement de Le Gendre. C’est flagrant entre autres pour les tables de conversion de poids entre différentes villes. Le Gendre n’est pas l’auteur de celles qu’il développe sur huit pages et qui sont reproduites en partie par Jean-Jacques. Elles remontent au moins à 1571, avec le Tariffe et concordance des poids de plusieurs provinces de Mammes Gissé.

Un critère de comparaison des influences respectives de Barrême et Le Gendre est l’utilisation de la preuve par neuf : Barrême a des mots assez péremptoires pour la fustiger, tandis que Le Gendre l’enseigne et la recommande. Les traces de preuve par neuf chez Élizabeth, existent mais sont plutôt rares. Elle écrit systématiquement le mot preuve à la fin d’un calcul. Le plus souvent, cette preuve a été obtenue en refaisant le calcul à l’envers à partir de la solution pour remonter aux données. Quant à Jean-Jacques, il ne semble pas utiliser couramment la preuve par 9, mais en expose une autre, plutôt originale, qui ne figure ni chez Barrême, ni chez Le Gendre. Pour vérifier sa multiplication de 3456 par 72 (à gauche), il effectue celle de 3456/2=1728 par 144=72×2 (à droite). On ignore si c’est ironiquement, qu’il a illustré cette page par une procession religieuse.

Contexte politique et local

Nous l’avons déjà observé, les unités de mesure utilisées dans chacun des deux cahiers sont liées au contexte local, et caractérisent assez précisément une région d’origine. Y a-t-il d’autres détails dans les énoncés qui évoquent leur provenance ? Ce n’est pas le cas chez Élizabeth, à part peut être des cerises à 1 denier la livre dont on commande 7598 livres (quelques tonnes tout de même) et des figues à 2 ou 3 deniers la livre : il en faut 6448 livres, pas une de moins !

Nous avons vu que les illustrations de Jean-Jacques étaient fortement inspirées de sa région et de son vécu. Qu’en est-il de ses énoncés ? Quand Le Gendre donne des exemples de lettres de change, ses voyageurs vont de Paris à Toulouse, Lyon ou Bordeaux. Pour Jean-Jacques, bien sûr :


Quelqu’un voulant aller de Marseille à Paris donne 3400 livres à un banquier pour avoir sur Paris une lettre de change du restant de la somme. Le change prélevé à 2 1/2 pour cent, on demande de combien sera la lettre.

Mais il ne s’agit que de rendre plus parlant un exemple standard. L’exercice suivant est plus nettement connoté :


Le deux du mois dernier partit du port de Marseille une barque pour aller à la Corse. Avant le départ, il fut arrêté, par une paction entre le patron & l’équipage, que du profit du voyage, le patron en aurait 7 parts, l’écrivain 4, le dépensier 3, les 6 mariniers ou matelots 2 chacun, et le mousse 1. Ladite barque, étant arrivée heureusement à sa destinée, sa cargaison ayant été très avantageusement vendue, a été de retour ce matin dans ledit port avec 985 livres de bénéfice. Maintenant il s’agit de diviser cette somme d’une manière précise et d’indiquer à chaque voyageur la proportion qui doit lui échoir dudit profit, eu égard à son intérêt convenu.

Quid maintenant du contexte politique ? En 1788, Jean-Jacques n’a pas encore vécu des événements aussi dramatiques qu’Élizabeth en 1794. Pour autant, la région de Marseille n’est pas des plus paisibles. Son histoire a été soigneusement étudiée par Cyril Belmonte. À Allauch, la décennie précédant la Révolution, c’est-à-dire l’enfance de Jean-Jacques, a été le théâtre de plusieurs affrontements plus ou moins violents ; notamment celui qui a opposé le bourg d’Allauch aux velléités d’indépendance de Plan-de-Cuques pendant plusieurs décennies. Surtout, en 1783, le conseil de communauté s’était opposé au pouvoir marseillais, au point qu’en septembre avait eu lieu une véritable sédition, les manifestants ayant sorti « drapeaux et tambourins ». Quelle connaissance le petit Jean-Jacques a-il pu avoir de ces troubles ? Forcément, sa famille était au courant, et il est probable que l’enfant en entendait parler quotidiennement. Sur son acte de naissance de 1775, son père Étienne est qualifié de « bourgeois de ce lieu », c’est-à-dire qu’il fait partie de la classe sociale de roturiers la plus aisée, juste en-dessous de la noblesse ; c’est celle qui fournit l’essentiel des dirigeants de la communauté. D’ailleurs, Étienne Ollive appose une signature fort lisible sur l’acte, ainsi que le parrain et la marraine, ce qui était plutôt rare à l’époque.

Ce que Cyril Belmonte qualifie d’affrontements clochemerlesques, et dans lesquels il voit un indice de la grande lutte qui s’annonce, a-t-il laissé une trace dans le cahier d’arithmétique de Jean-Jacques ? Certes, bon nombre de ses illustrations représentent des hommes armés (militaires ou chasseurs). Ce duel sanglant au sabre entre « les deux ennemis » : Jean-Jacques y a-t-il assisté ? Ce n’est pas sûr. Les deux hommes sont torse nu et portent le bonnet à poil des grenadiers de la garde royale. Peut-être après tout n’est-ce que le produit de l’imagination fertile d’un adolescent de 13 ans.

Avant de nous demander quelle perception Élizabeth a pu avoir de la Révolution à Brignoles, rappelons très brièvement quelques événements dont elle a dû entendre parler. La date qu’elle fait figurer sur la première page de son cahier est le 22 vendémiaire an III (12 octobre 1794). La Terreur vient de s’achever par la chute de Robespierre (27 juillet), au grand soulagement de l’immense majorité des provençaux. L’exécution de Louis XVI avait eu lieu le 21 janvier 1793, celle de Marie-Antoinette le 16 octobre. La même année, les mouvements contre-révolutionnaires en Provence avaient été férocement réprimés par Paul Barras, futur membre du Directoire en 1795, mais ci-devant noble provencal, qui n’avait pas hésité en tant que représentant en mission de la Convention, à ordonner des centaines d’exécutions de ses compatriotes : environ 400 à Marseille et 800 à Toulon. Pris par les royalistes pendant l’été 1793, le port de Toulon avait été livré aux anglais. Le siège par les troupes de la Convention avait été mené victorieusement par un jeune lieutenant-colonel de 24 ans, promis à un certain avenir : Napoléon Bonaparte. Blessé lors de l’attaque du 16 décembre, il ne semble pas avoir pris part à la répression sanglante, du 19 au 31 décembre.

Avant ces événements tragiques, une réunion marquante avait eu lieu en mai 1790 : l’« assemblée de Brignoles ». Les fédérés des 250 communes provençales représentées, s’étaient « engagés à se secourir mutuellement contre les efforts incessants de l’ancienne aristocratie ». On avait établi trois bureaux : Digne, Lambesc et Fréjus. « En cas d’attaque imprévue de l’étranger, ou de quelque mouvement intérieur, le bureau avisé le premier avertira les autres et les communes environnantes, en indiquant le lieu de réunion des milices. Chaque municipalité fera marcher aussitôt le plus d’hommes possible avec vivres et munitions ». Dans un article des Annales des Basses Alpes, H. Brun présente l’assemblée de Brignoles comme « un curieux mélange d’un sentiment religieux atavique et d’une ardeur révolutionnaire qui en conduirait beaucoup à persécuter l’Église ».

Élizabeth était née dans une famille modeste : sur son acte de naissance de 1783, elle est « fille à Louis, travailleur ». C’est-à-dire que son père est employé agricole sur les terres des autres. Il est sans doute illettré car il ne signe pas l’acte. Pour autant, il n’est pas imaginable que les événements rappelés ci-dessus ne lui aient pas été connus ; ils étaient même probablement discutés en famille. D’ailleurs les multiples symboles révolutionnaires dont nous avons déjà parlé, sont la preuve qu’Élizabeth avait parfaitement assimilé le discours officiel de la « République une et indivisible ». Mais au-delà de la symbolique, à quoi avait-elle assisté, et comment cela s’est-il traduit dans son cahier ?

Parmi les énoncés d’exercices d’Élizabeth, beaucoup mettent en scène des militaires. Nous avons vu que ses applications de la règle de compagnie à des distributions de soldes étaient tirées de Le Gendre, donc antérieures à la Révolution. On trouve ailleurs dans le cahier, « une batterie de quatre mortiers devant le fort de Saint-Philippe ». Cela fait référence à la bataille de Minorque, menée par l’escadre française de Toulon contre les troupes anglaises en 1756, donc longtemps avant la naissance d’Élizabeth. Au bilan, aucun des énoncés de son cahier ne peut être directement rattaché aux guerres révolutionnaires.
Pourtant, Élizabeth les a forcément connus, ces soldats de l’an II, ces volontaires accourus de toutes les régions de France pour défendre « la patrie en danger » (11 juillet 1792). Dans les actes d’état-civil de Brignoles pour 1793, on trouve, presque à chaque page, les traces de leur destin tragique : plusieurs fois par semaine, le « recteur de l’hôpital de cette commune » vient déclarer un décès de volontaire. Le plus souvent, le nom, le grade, le numéro de brigade, la ville et le département de naissance sont donnés. Mais beaucoup trop de ces soldats sont restés pour toujours anonymes.

Quand Élizabeth dessine une guillotine, il ne s’agit pas que d’un symbole. L’exécution du roi avait été très largement relayée par voie d’estampes et de gravures. Les massacres de Marseille et de Toulon étaient forcément connus à Brignoles. Élizabeth savait donc ce qu’était une guillotine. Pourtant il n’est pas sûr qu’elle en ait vu fonctionner : les actes d’état-civil de Brignoles sous la Terreur ne mentionnent pas d’exécution capitale sur la commune.

En le dessinant, Élizabeth connaissait sans aucun doute le sens symbolique attaché à l’arbre de la liberté (voir Erik Fechner). En avait-elle effectivement vu planter un en 1792 à Brignoles ? avait-elle assisté à sa décoration et à la fête qui avait suivi ? C’est possible, mais je n’en ai pas trouvé la trace.

Conclusion

Il m’est déjà arrivé, dans cette même revue, d’entonner la rengaine du « c’était mieux avant » : une fois suffit ! Il n’est pas question de regretter les manuels de Le Gendre et Barrême : vive le système décimal, vivent les calculatrices ! Tout de même, par simple curiosité scientifique, je vous poserais bien une question. Voici l’énoncé d’un exercice correctement résolu en 1794 par Élizabeth Lion (11 ans).


Si 200 personnes vivent deux mois et 7 jours avec 58 charges de blé et 6 panaux, combien de temps 500 hommes vivront avec 676 charges et 3 panaux ?

Rappelons que le panal est le dixième de la charge. Voici ma question : avez-vous lu la Note d’alerte no2 du CSEN de septembre 2023, intitulée « une inquiétante mécompréhension des fractions à l’entrée en sixième » ?

J’ai encore une question, et cette fois-ci mon logiciel de calcul ne m’a pas donné la réponse. Une large majorité des « livres d’arithmétiques » manuscrits du XVIIIe dont j’ai trouvé la trace, provenaient du Midi. D’autre part, presque tous les traités d’algorisme produits sur le sol français au XIVe et XVe siècles venaient des abords de la Méditerranée. Peut-être les échantillons sont-ils trop restreints, mais peut-être y a-t-il un rapport ?

Ah ! Encore une dernière remarque : que les deux manuscrits de Jean-Jacques et Élizabeth, écrits il y a deux siècles et demi à 50 km l’un de l’autre, se retrouvent aujourd’hui conservés si loin de la Provence à seulement 10 km de distance, c’est une sacrée coïncidence, vous ne trouvez pas ?