par Sébastien Hache
Le projet Sésaprof (www.sesaprof.net) a été initié par Sésamath en Juin 2008. Fruit d’une longue réflexion, il diffère assez sensiblement des autres projets de l’association dans les objectifs et la mise en œuvre. Sésaprof est en quelque sorte un « métaprojet », dans la mesure où sa vocation première est de susciter et d’accompagner de nouveaux projets dans le cadre des communautés de pratiques. L’objet de cet article est de donner quelques éléments et pistes de réflexion sur la genèse de Sésaprof, son mode de fonctionnement et sur quelques effets attendus.
Pourquoi Sésaprof ?
A l’origine de Sésaprof, un double constat :
– Les ressources pédagogiques diffusées par Sésamath, initialement prévues pour les seuls enseignants, sont de plus en plus utilisées directement par les élèves et parents. Consciente de ce phénomène, l’association essaie d’adapter la présentation et l’organisation de ses ressources aux différents publics rencontrés. En particulier, les ressources spécifiques aux enseignants (corrections, livres du maître...) nécessitent un accès restreint (après identification) : Sésaprof est d’abord et avant tout cet espace protégé. De la même façon, une réflexion pour un accès dédié aux élèves est en cours (en particulier dans le cadre de l’accompagnement éducatif).
– Créer des ressources est une chose, accompagner leur utilisation en est une autre. Sésamath a toujours cherché à favoriser les échanges autour des manuels et des logiciels qu’elle diffuse ; cela a bien fonctionné dans un cadre restreint (pour les 500 professeurs qui gravitent directement autour de l’association) mais finalement à une échelle qui reste très modeste (plus de 10 000 professeurs sont inscrits à la lettre Sésamath et bien plus encore utilisent les ressources de l’association). La création d’un espace dédié (Sésaprof) est une tentative pour généraliser la réflexion sur les usages et augmenter considérablement le périmètre du travail collaboratif.
Le travail collaboratif ne se décrète pas... mais on peut essayer de favoriser son épanouissement et parfois même tenter de le catalyser. A ce niveau, la difficulté d’un projet comme Sésaprof est d’être à la fois un laboratoire sur les pratiques collaboratives, mais aussi un lieu pour leur mise en œuvre. Cette dualité oblige à une observation très fine des processus en cours et à une très grande réactivité. C’est sans doute l’une des grandes particularités de ce projet par rapport à d’autres réalisations de l’association : le cahier des charges s’écrit au fur et à mesure que le projet avance.
Quelles sont, schématiquement, les conditions qui peuvent favoriser l’émergence de communautés de pratiques dans Sésaprof ?
– Le nombre d’inscrits à Sésaprof est un élément important. En effet, pour que le travail collaboratif puisse prendre forme, il est indispensable qu’il y ait suffisamment de personnes intéressées et prêtes à se lancer. Pour un projet collaboratif très spécifique (par exemple sur l’utilisation de tel ou tel logiciel ou sur tel niveau scolaire à faible effectif...), une communauté de base importante peut permettre de dégager un groupe d’intérêt en son sein. Il y a souvent des phénomènes de seuil à atteindre : si les communautés sont trop réduites, la dynamique peut avoir du mal à émerger. L’avantage de Sésaprof est de s’appuyer sur une très large communauté existante, celle des utilisateurs des ressources de Sésamath. Ainsi plus de 2000 professeurs de Maths étaient déjà inscrits sur Sésaprof un mois après le lancement du site (en dépit de la nécessité de s’inscrire avec son adresse mail académique). Ce nombre va sans doute augmenter encore très fortement en 2008/2009.
– La vitalité du site est également un élément déterminant. Construire une autoroute à multiples voies, en y aménageant des aires de travail collaboratif, est une chose, encore faut-il que cette autoroute soit régulièrement utilisée. Autrement dit, la notion de flux est importante. La dynamique collaborative en elle-même est génératrice de flux, mais il y a un certain nombre de seuils à atteindre. Une nouvelle fois, Sésamath agit comme un puissant aimant. En particulier, les ressources protégées (corrections des manuels, livres du maîtres...) ainsi que tous les documents et logiciels en phase de tests... incitent les collègues à se connecter. En plus de leur intérêt personnel, toutes ces ressources sont aussi un prétexte pour créer les conditions d’un possible travail coopératif d’envergure. Par ailleurs, Sésaprof est un lieu d’information (centralisation des nouvelles concernant l’enseignement des Maths, textes officiels...) et d’échange : utilisation de forums mais aussi possibilité de contacter directement des responsables de projets dans Sésamath. Autrement dit, Sésaprof ne manque pas d’atouts pour atteindre le flux minimal à partir duquel le flux s’alimente lui-même.
– Pour filer la métaphore autoroutière, il est clair qu’à partir d’un certain niveau de trafic, il est important de réguler. Cette régulation n’est pas évidente car elle s’opère souvent en temps réel. Pour bien réguler, il faut des personnes qui s’en occupent spécifiquement (c’est le cas pour ce projet) avec des outils d’aide à la régulation : outils statistiques, suivi des échanges... tous ces éléments permettent de valider certaines hypothèses ou de formuler des conjectures. Autrement dit, ces indicateurs sont davantage des outils au service d’une régulation plutôt qu’une fin en soi. Sur une autoroute, on sait l’importance d’une bonne signalisation et on voit apparaître de multiples vecteurs d’informations. De même pour Sésaprof, cet aspect très difficile est essentiel. Pour bien signaliser, il faut à la fois bien préciser la logique du système (et donc la maîtriser) mais aussi toute l’ergonomie de la signalisation elle-même.
– Concernant les projets coopératifs, il est nécessaire de maîtriser leur écologie. Cela veut dire par exemple : détecter les projets naissants, les aider à se formuler puis amener progressivement les outils (Wikis, listes de diffusions, interfaces collaboratives...) et la communication leur permettant de croître et embellir. L’une des difficultés est qu’il n’y a pas nécessairement de règles et en tous cas pas de règles infaillibles. En revanche, on peut postuler que plus la gamme des outils est progressive et adaptée, plus les chance de réussite sont grandes. Par ailleurs, suivant les projets, les critères de réussite ne seront pas nécessairement les mêmes. Clairement, tout un travail de réflexion et d’observation reste à faire pour voir comment ces projets vont vivre et se développer.
Quelles perspectives ?
A ce stade, il est difficile de dire comment le site Sésaprof va évoluer dans les prochains mois. Ceci dit, on peut déjà formuler quelques remarques :
– Dans la mouvance du Web 2.0, Sésaprof pourrait progressivement devenir un des éléments du bureau virtuel du professeur de Maths. Dans la logique des Espaces Numériques de Travail, Sésaprof pourrait à la fois être une clé d’entrée unique vers d’autres applications (et en particulier toutes celles de Sésamath nécessitant une identification), mais aussi un espace de travail individualisé : ce sera par exemple le cas quand le serveur d’exercices Open Office sera intégré à Sésaprof ;
– L’une des forces de Sésaprof pourrait être sa capacité à susciter des projets qui n’auraient pas pu naître ailleurs, car ils demandent des conditions particulières d’émergence et de viabilité. Par exemple, les projets de Sésamath sont souvent très structurés et généralement assez massifs dès leur lancement. Un espace plus souple et décentralisé pourrait faire émerger d’autres types de coopération. Ceci reste évidemment à vérifier.
– Toujours dans cette idée de décentralisation, Sésaprof pourrait permettre de favoriser les échanges de pair à pair (une forme de peer to peer pédagogique), non seulement sous forme électronique, mais pourquoi pas aussi dans le monde bien réel. Chaque inscrit sur Sésaprof est par exemple répertorié sur Google Map : il est ainsi très facile d’entrer en contact si d’autres « Sésaprofiens » exercent près de chez soi.
– Un dernier élément, et sans doute pas le moindre ; l’inscription à Sésaprof se fait actuellement par le mail académique. Autrement dit, des profs de Lettres, de Musique... des profs des écoles (il y en a déjà un certain nombre) peuvent tout à fait s’inscrire et participer. Ainsi Sésaprof pourrait aussi être un lieu d’échange et susciter des projets inter-cycles ou inter-disciplinaires.
– Les chercheurs en didactique des mathématiques pourraient trouver en Sesaprof un observatoire des pratiques des professeurs de la discipline : nature et qualité des informations, des échanges, émergence et travail des communautés de pratiques en son sein. Il ne serait pas étonnant que de jeunes chercheurs y trouvent leur sujet de thèse...