par Caroline Poisard, Estelle Moumin, Françoise Valdivieso
Les autrices de cet article :
- Caroline Poisard, Université de Brest, CREAD
- Estelle Moumin, Académie de Rennes
- Françoise Valdivieso, Académie de Rennes
Résumé : Nous présentons et analysons deux séquences de mathématiques dont le point commun est d’utiliser l’anglais en classe. La séquence 1 est un jeu de bataille des multiplications en anglais au CM2. Après avoir expérimenté en classe pendant plusieurs années des ateliers des jeux, nous avons retenu un jeu de cartes auto-correctif pour travailler les mathématiques en anglais. Nous présentons le jeu pour s’entraîner pour l’apprentissage des mathématiques et montrons comment des séances en anglais peuvent être mises en œuvre en classe. La séquence 2 porte sur l’étude de la numération orale anglaise pour comprendre les langues du monde au CM1/CM2. Ce travail montre que la prise en compte des langues du monde en classe de mathématiques constitue une ouverture culturelle riche pour les apprentissages mathématiques. Nous prenons l’exemple des numérations orales qui permettent de travailler en anglais et également avec les langues connues par les élèves.
Mots-clés : didactique des mathématiques, ateliers de jeux, éveil aux langues, anglais, cycle 3
Introduction
L’interdisciplinarité est une question importante pour l’enseignement et l’apprentissage de mathématiques. Dans un monde plurilingue et pluriculturel, les langues permettent un travail d’ouverture intéressant. Plusieurs publications de la revue Mathématice soulignent ce point, en particulier un article récent (El-Halougi, 2023) présente le réseau ScratchPals qui permet aux professeurs de mathématiques d’initier des échanges entre classes du monde entier sur le thème de la programmation avec le logiciel Scratch. Les sessions de six semaines concernent des élèves de 7 à 14 ans. L’auteur atteste de l’implication de ses élèves de Sixième lors de ces sessions de classes internationales qui permettent des apprentissages en programmation mais également de découvrir les aspects culturels des pays (organisation scolaire, fêtes, localisation, etc.) et de renforcer le travail en langues (l’anglais étant souvent la langue commune). D’ailleurs, l’auteur précise que les échanges se poursuivent en dehors des sessions proposées sur ScratchPals !
Notons également un article qui présente le portail eTwinning qui encourage la coopération pédagogique et facilite la création de partenariats entre établissements scolaires en Europe (Ruhlman, 2008). L’auteur présente plusieurs activités mathématiques pour le collège rédigées en anglais qui ont été le sujet d’échanges entre plusieurs classes et précise que ce type de projet valorise les interactions culturelles mais aussi entre les disciplines ainsi que l’implication des élèves.
Pour notre part, nous proposons un texte issu d’une conférence donnée aux journées Plurimaths de décembre 2023. Le groupe Plurimaths s’intéresse aux pratiques du plurilinguisme et à l’enseignement des mathématiques. Ce dynamique réseau international est composé de chercheurs en didactique des langues et en didactique des mathématiques (Hache & Mendonça Dias, 2022). Dans cet article, nous présentons et analysons deux séquences de mathématiques dont le point commun est d’utiliser l’anglais en classe.
La séquence 1 a été produite par le groupe MAREL (Mathématiques en ateliers : ressources et enjeux ludo-éducatifs) de l’IREM de Brest. Elle présente un jeu de bataille des multiplications en anglais en CM2. Après avoir expérimenté en classe pendant plusieurs années des ateliers de jeux, nous avons retenu un jeu de cartes auto-correctif pour travailler les mathématiques en anglais. Nous présentons le jeu pour s’entraîner pour l’apprentissage des mathématiques et montrons comment des séances en anglais peuvent être mises en œuvre en classe.
La séquence 2 est un travail du groupe CLEAM (cultures et langages pour l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques) de l’INSPE de Bretagne. Elle porte sur l’étude de la numération orale anglaise pour comprendre les langues du monde en CM1/CM2. Ce travail montre que la prise en compte des langues du monde en classe de mathématiques constitue une ouverture culturelle riche pour les apprentissages mathématiques. Nous prenons l’exemple des numérations orales qui permettent de travailler en anglais et également avec les langues connues par les élèves.
Ainsi, l’usage de la langue anglaise est présent dans la séquence 1 pour communiquer à l’oral lors du jeu de bataille des multiplications. Dans la séquence 2, l’étude de la numération orale anglaise permet aux élèves une ouverture sur les langues qu’ils connaissent, en particulier l’arabe et le russe. Les notions mathématiques portent sur la numération décimale de position et l’analyse de numérations orales (propriétés additives et multiplicatives et commutativité en particulier). Aussi bien les ateliers mathématiques que les langues et les cultures du monde constituent des ressources (Adler 2010, Trouche et al 2023) pour faire des mathématiques.
Notre hypothèse est que ce type de séance est motivante pour les élèves et permet ensuite au professeur et aux élèves de travailler de manière précise sur des savoirs en langues et en mathématiques (Poisard et al 2018, Poisard et al 2022a). Les ateliers mathématiques en classe utilisent des jeux de cartes et des jeux de société, notre travail à ce sujet porte sur les conditions dans lesquelles en classe, ces séances peuvent être efficaces pour l’apprentissage des savoirs scolaires (Poisard et al 2021, Poisard et al 2022b, Poisard et al 2022c).
Ces groupes de recherche sont des groupes collaboratifs (chercheurs, formateurs, professeurs) qui discutent et mettent en œuvre des séances en classe. Les données recueillies sont des films des séances, des audios, des travaux d’élèves, des entretiens avec les élèves et les professeurs ainsi que des questionnaires. En plus de la diffusion de ce travail par la recherche, nous proposons des ressources pour la classe sous la forme de mallettes de ressources pour la classe accessibles en lignes (Poisard 2022a et 2022b). Pour ces deux séquences, certains supports sont disponibles dans les mallettes. La séquence qui porte sur l’étude de la numération orale en anglais a été une ressource importante pour la mise en œuvre de chacune des deux séquences.
Notre questionnement concerne les points suivants :
- Quelle progression en mathématiques et en anglais peut permettre la mise en œuvre d’une séance du jeu de bataille des multiplications en classe ? Quels apprentissages sont alors effectifs ? (séquence 1)
- Quelle progression sur l’étude des numérations orales en classe peut permettre de travailler avec les langues connues des élèves de la classe ? Quels apprentissages sont alors effectifs ? (séquence 2)
1. Séquence 1 : le jeu de bataille des multiplications en anglais au CM2
1.1. Présentation de la séquence mise en œuvre en classe
Cette séquence a été mise en œuvre dans une classe de CM1/CM2 durant l’année scolaire 2021/22. Depuis plusieurs années, la professeur met en place des ateliers mathématiques en classe utilisant des jeux. Durant l’année scolaire 2020/21, la professeur a expérimenté le jeu de cartes auto-correctif ( Cartatoto des multiplications , Fundels) en classe et également à la maison avec une fiche de suivi (pour des détails voir Poisard et al, 2021). Lors de cette première année, le jeu de la bataille des multiplications a été proposé en français et c’est l’année suivante que la professeur intègre des séances en langue anglaise pour le niveau CM2. Les cartes possèdent sur une face deux facteurs et sur l’autre face le résultat c’est-à-dire le produit. Le jeu consiste en une bataille : la carte qui a la valeur la plus élevée permet au joueur de remporter le tour. À chaque tour, les cartes remportées sont mises de côté et en fin de partie le joueur qui a le plus de cartes gagne la partie. Ce jeu peut se jouer à partir de deux joueurs. Les élèves doivent ainsi énoncer le produit puis comparer les deux produits. Par exemple, si un joueur possède comme carte « 5×9 » qui donne 45 et l’autre « 6×3 » qui donne 18, comme 45 est plus grand que 18, c’est le premier joueur qui remporte le tour. (Figure 1). Dès la rentrée de septembre, une progression en mathématiques et une autre en anglais ont été mises en place dans l’objectif de pouvoir jouer à ce jeu en anglais à l’automne. Chaque élève a reçu un jeu de cartes fabriqué avec les tables de multiplication de six, sept, huit et neuf afin de pouvoir s’entraîner en travail personnel à la maison. Des entrainements sur les tables sont aussi proposés en classe. Ceci permet de s’assurer que les élèves maitrisent bien les tables en français pour ensuite s’entrainer en anglais. Pour travailler sur la numération orale en anglais, la professeur a consulté les ressources pour la classe de la mallette CLEAM (Poisard 2022a).
Concernant la progression en anglais, un rituel quotidien sur la date du jour pour savoir dire et écrire la date en anglais permet de travailler sur les nombres de 1 à 31. En anglais, la date est dite en utilisant les nombres ordinaux (« first, second, third, fourth », etc.) ce qui introduit des différences de termes et de prononciation. En octobre et novembre, en début des séances d’anglais c’est-à-dire deux fois par semaine, les élèves travaillent sur la comptine numérique orale. Les séances étendent le champ numérique progressivement : jusqu’à 30, puis 50, puis 80, puis 100. À la suite de ces quatre séances, trois autres révisent la comptine orale jusqu’à 100. À partir de fin novembre et jusqu’en mars, une activité de dictée de nombres est proposée. La professeur énonce oralement des nombres en anglais et les élèves les écrivent en chiffres. Tout d’abord, les nombres proposés sont en ordre croissant, puis dans le désordre et enfin le calcul est dicté et le produit est à écrire en chiffres. Une dizaine de dictées de nombres est ainsi proposée aux élèves (Figure 2). Par exemples, en novembre la dictée propose les nombres suivants : « 8, 11, 13, 16, 18, 20, 24, 27, 30, 35 » et en mars « 106, 112, 227, 546, 660, 836, 1 001, 1 981, 2 051, 5 758 ». La particularité culturelle de la graphie manuscrite des chiffres en anglais pourrait être introduite. L’écriture des chiffres en script est : « 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 » ainsi le 1 et le 7 ne possèdent pas de barre et les autres chiffres s’écrivent « sans boucle ».
Parallèlement, le jeu de bataille des multiplications est réalisé en classe en anglais. La première séance (29/11/21) fait suite à la première dictée de nombres. Les élèves sont répartis en binômes et le jeu est réalisé à l’oral en anglais. Par la suite, le jeu sera repris lors d’autres séances d’anglais. Un affichage au tableau du nom des nombres en anglais jusqu’à 100 peut être consulté par les élèves lors des séances (Figure 3).
1.2. Éléments d’analyse de la première séance de jeu en anglais
La première séance de jeu de bataille en anglais en classe de CM2 a été réalisée en novembre avec 16 élèves. Nous avons recueilli la vidéo de la dictée de nombres et de la présentation collective du jeu, deux audios de binômes d’élèves lors du jeu et un questionnaire élèves que nous détaillons ici.
Pour ce jeu en classe, il est demandé aux élèves de verbaliser la question et la réponse. Par exemple : « six times three are eighteen ». En effet, lors de la première séance de jeu de bataille, la professeur précise aux élèves :
« Je vous demande de dire le calcul. Par exemple, two times seven are fourteen. C’est un jeu de bataille tout simplement. Je vous demande de dire le calcul en anglais puis le résultat, mais pas simultanément, l’une après l’autre. Et après bien sûr, vous pouvez retourner la carte, vérifier que vous ne vous êtes pas trompés. » (Transcription de la vidéo du 29/11/21)
Nous avons transcrits les audios des deux binômes d’élèves. Le binôme 1 (Lison et Alicia) a un très bon niveau scolaire, et le binôme 2 (Élise et Charlène) a un niveau plus hétérogène. Dans les extraits suivants, nous avons choisi d’écrire les nombres en chiffres pour plus de clarté, ceux-ci ont été énoncé en anglais par les élèves.
La partie de cartes entre Lison et Alicia a duré 6 minutes 50, le contenu des échanges est le suivant :
Tour de partie | Transcription d’une partie de jeu entre Lison et Alicia, 29/11/22 Le prénom en gras est celui du joueur qui gagne le tour. | ||||||
1 | Alicia : 6 times 6 are heu heu ben 36. Lison : 2 times 9 are heu 18. | ||||||
2 | Alicia : Heu 5 times 7 are heu 35.Lison : 5 times 9 are 45. Alicia : C’est toi qui gagnes. | ||||||
3 | Alicia : 9 times 9 are heu 81. Lison : 7 times 9 are 63, 63. Alicia : C’est moi qui gagne. | ||||||
4 | Alicia : 2 times 7 are heu 14. Lison : 6 times 7 are 42. Comment on dit gagner en anglais ? | ||||||
5 | Alicia : Heu, je sais pas. 10 times 8 are 80. Lison : Alors, 5 times 6 are 30, 35 ? Heu 30. Alicia : Bon, j’ai gagné. | ||||||
6 | Alicia : 4 times 9 are heu heu 36. Lison : 3 times 7 are 21. | ||||||
7 | Alicia : Heu 7 times 8 are heu 56. Lison : 10 times 7 are 70. | ||||||
8 | Alicia : 9 times 8 are 72. Lison : 8 times 8 are 64. | ||||||
9 | Alicia : 1 times 9 are 9. Lison : 1 times 7 are 7. Alicia : Gagné ! | ||||||
10 | Alicia : Alors, 8 times 9 are 72. Lison : 2 times 6 are 12. | ||||||
Fin | Alicia : 9 times 6 are… Professeur : On va s’arrêter puisque ça va être bientôt l’heure. [Fin du jeu] Alicia : Bon, là on compte combien on a eu. One, two, three, four, five, six, seven, eight, nine, ten, eleven, twelve, thirteen, fourteen. |
Comme demandé, Lison et Alicia énoncent les facteurs et le produit associé en anglais. Les tables sont connues et la structure de phrase « 5 times 6 are 30 » est réinvestie. Les hésitations (« heu ») sont plus nombreuses en début de jeu et concernent essentiellement les résultats des multiplications qui sont des nombres plus grands et moins connus que les facteurs (de zéro à dix) qui sont eux mieux maîtrisés à l’oral. Nous notons un oubli à l’oral de la prononciation du « s » final de times , ce qui sera précisé par la professeur les séances suivantes. La prononciation entre le « ty » et le « teen » sera aussi revue en classe. Il nous semble souhaitable de fournir aux élèves des formulations supplémentaires en anglais. Ceci fait même partie de leur demande qu’elles formulent en début de partie : « Comment on dit gagner en anglais ? ». Les élèves ne disent pas à l’oral quel nombre est le plus grand ( bigger than ) car ceci sera introduit plus tard. Il nous semble qu’avec quelques phrases supplémentaires pour ce binôme, la partie aurait pu se jouer totalement en anglais. À la fin de la partie, Alicia conclut : « Bon, là on compte combien on a eu. One, two, three […]. ». Ainsi, le comptage des cartes (pour savoir qui en a le plus) se fait spontanément et sans hésitations en anglais jusqu’à 14 qui correspond au nombre de cartes gagnées par Alicia (sept tours gagnés contre trois pour Lison). Les séances d’entraînement faites en classe sur la comptine numérique en anglais semblent avoir été efficaces. Concernant les résultats des tables de multiplication, nous n’observons aucune erreur ni de résultat, ni de traduction. Pour les petits nombres, il est possible que certains élèves n’aient pas besoin de traduire en anglais mais pour les résultats de tables, nous pensons que les élèves passent par la traduction du français vers l’anglais, ce qui correspond aux hésitations « heu » relevées dans la transcription.
Pour le second binôme, la partie a durée 5 minutes entre Élise et Charlène :
Tour de partie | Transcription d’une partie de jeu ente Élise et Charlène, 29/11/22Le prénom en gras est celui du joueur qui gagne le tour. | ||||||
1 | Élise : 7 times 3. Ça fait combien déjà ? 20, heuu, 21. À toi !Charlène : 7 times 6 are… [Élise souffle en français 42 et Charlène répète en anglais] 42. Élise : Tu as gagné ! | ||||||
2 | Élise : 9 times 9 are 81. Charlène : 5 times 7 are 35. Élise : J’ai gagné, j’ai gagné ! | ||||||
3 | Charlène : 1 times 7 are 7. À toi. Élise : 8 times 9 are 72. Charlène : Tu as gagné. Élise : J’ai gagné ! | ||||||
4 | Élise : 3 times 6 are...Charlène : 81 [Charlène répond en anglais à la place d’Élise en faisant une erreur de traduction car la réponse est 18] Élise : Mais attend, mais je voulais réfléchir ! Bon à toi du coup !Charlène : 4 times 7 are 28. Élise : Tu as encore gagné, mais ça c’est de la chance en fait ! [Le bon résultat de 3 fois 6 est considéré ici]. | ||||||
5 Bataille |
Charlène : 9 times 7 are 63 [prononcé six-three]. Élise : Attends, c’est pas ça, c’est sixty… sixty-three [Élise corrige Charlène.] Charlène : Mais on est à égalité ! [Élise a le produit 7 fois 9 sur sa carte]. On est à égalité, maîtresse, qu’est-ce qu’on fait quand on est à égalité ? Professeur : C’est comme une bataille, vous reposez une autre carte par dessus et vous recommencez. Élise : 8 times 8 are 64. Charlène : 9 times 8 are 72. Élise : Mais tu as encore gagné, j’en ai marre ! | ||||||
6 | Élise : 5 times 9 are 45. Charlène : 10 times 6 are 60. Élise : Tu as encore gagné ! J’en ai marre. | ||||||
7 | Élise : 7 times 7 are heu fourty...49 [Charlène répond en même temps qu’Élise]. Mais je voulais dire. Charlène : 7 times 8 are 56. Élise : Tu as encore gagné, c’est trop de la chance. | ||||||
8 | Charlène : 3 times 8 are 22 heu 24. Élise : 5 times 6 are 30. C’est la première fois que je gagne !Charlène : Non, tu as déjà gagné une fois. [Élise a gagné déjà deux fois]. | ||||||
9 | Charlène : 4 times 8 are heu j’arrive pas à le dire…Élise : C’est 32. Charlène : Ah oui ! 32, ben attends.Élise : 2 times 7 are 14. | ||||||
Fin | Professeur : On va s’arrêter puisque ça va être bientôt l’heure. [Fin du jeu] Charlène : J’ai gagné. [Pas de comptage nécessaire ici, Charlène a gagnés seize cartes et Élise seulement six cartes]. |
Nous observons que le déroulement de la partie est assez différent de celui pour le premier binôme. L’enjeu de gagner est très présent ici avec des exclamations du type « T’as gagné encore, trop de chance ! » qui ralentissent la partie. Pour Élise, l’enjeu de gagner la partie est important et elle l’exprime en français. Les élèves sont moins à l’aise dans les apprentissages, en particulier en anglais et à l’oral. Charlène semble avoir des difficultés pour traduire les résultats en anglais (et non des problèmes avec les tables). Au tour 4, elle répond à la place d’Élise et traduit 18 par 81, ceci semble être un problème de traduction car ensuite c’est 18 qui est considéré pour comparer les deux produits. Deux autres moments confirment cette hypothèse pour Charlène : au tour 8, le produit de 3 par 8 est énoncé en anglais 22 puis corrigé immédiatement par 24 ; et au tour 9, elle énonce un résultat en français : 32 en précisant qu’elle n’arrive pas à le traduire. Nous expliquons la forte motivation d’Élise à gagner car c’est elle qui aide Charlène à plusieurs reprises pour traduire les produits. Mais Élise ne mène pas le jeu car elle tire des cartes plus faibles que Charlène. Pour Élise et Charlène la lecture en anglais des facteurs donc des nombres de zéro à dix est maîtrisée, tout comme la structure de phrase « 6 times 3 are 18 ».
Nous complétons ces données par un questionnaire soumis aux élèves de CM2. Nous avons recueillis seize questionnaires qui ont été distribués en fin de séance sur la dictée de nombres suivie du jeu de bataille des multiplications. Les quatre questions suivantes ont été proposées aux élèves :
1) Comment as-tu trouvé cette séance ?
2) Qu’as-tu trouvé le plus difficile ?
3) Qu’as-tu trouvé le plus facile ?
4) As-tu des remarques ?
Les questions étaient ouvertes et nous avons classé, reformulé et regroupé les réponses des élèves afin de les analyser. Ainsi, pour les élèves, la tâche la plus facile est « lire en anglais les facteurs sur les cartes » (13 élèves). Ces treize élèves se divisent en deux sous-groupes : ceux pour qui la tâche la plus difficile est « trouver le produit et l’énoncer en anglais » (8 sur 13) et ceux pour qui « écrire en chiffres les nombres dictés à l’oral en anglais » est la tâche la plus difficile (5 sur 13). Effectivement, la tâche de dictée de nombres peut poser des difficultés pour certains élèves en regard de la contrainte de temps pour y répondre. Pour les trois élèves restants : deux élèves n’ont rien trouvé de difficile alors que pour la tâche facile, un a précisé « tout » et l’autre la « dictée de nombres » ; le dernier élève a trouvé que « trouver le produit et l’énoncer en anglais » est difficile et que tout le reste est facile. Nous comptons donc neuf élèves pour qui la tâche « trouver le produit et l’énoncer en anglais » est la tâche la plus difficile de la séance. Les élèves ont de bonnes connaissances sur les automatismes des tables de multiplication et le jeu de cartes leur permet de continuer à s’entraîner tout en proposant une activité en langue anglaise. Les réponses aux questions 1 et 4 montrent que la séance a été appréciée : cinq élèves trouvent la séance « bien, très bien ou super », sept élèves la trouvent « bien », trois la jugent « intéressante et un seul élève « bof ». Notre hypothèse est que l’élève qui trouve la séance moyenne rencontre encore des difficultés dans la mobilisation des résultats des tables. En effet, les élèves les plus avancés ont beaucoup apprécié la séance qui leur permet de travailler de nouvelles compétences. Enfin, nous retenons les réponses des sept élèves suivants qui montrent que la séance du jeu des multiplications en anglais est appréciée des élèves qui se rendent compte du travail dans les deux disciplines :
- « C’était un peu marrant.
- On devrait le faire plus souvent !
- J’ai trouvé bien cette séance, en plus on a fait des maths et de l’anglais en même temps.
- J’ai aimé faire ses tables en anglais.
- Cette séance est intéressante car ce n’est pas une séance habituelle.
- J’ai bien aimé les maths en anglais.
- J’ai adoré dire le calcul ! » (Exemples des réponses d’élèves au questionnaire)
Le travail préparatoire sur l’apprentissage des tables de multiplications et de la numération orale en anglais a permis que l’objectif de jouer au jeu de bataille des multiplication en anglais soit atteint dès la première séance en classe. Ce jeu sera repris plusieurs fois dans l’année pour poursuivre l’entrainement en mathématiques et enrichir l’oral en anglais.
2. Séquence 2 : étude de la numération orale anglaise pour comprendre les langues du monde en CM1/CM2
2.1. Présentation de la séquence mise en œuvre en classe
Pour cette seconde séquence que nous présentons, la professeur qui a mené les séances est conseillère pédagogique. Les séances se sont déroulées sur l’année scolaire 2020/21 dans une classe de CM1/CM2. La séquence porte sur les numérations orales (ou parlées) dans le monde et comporte quatre séances mises en œuvre en novembre 2020. La classe comporte vingt-trois élèves et appartient à un réseau d’éducation prioritaire (REP) [1]. Cette séquence a un objectif d’éveil aux langues et aux cultures du monde et de la classe (voir Poisard et al 2018, Poisard et al 2022 pour d’autres exemples). Dans cette classe, la plupart des élèves parle une langue -voire deux langues- à la maison autres que le français. C’est à partir de l’analyse des numérations orales en français puis en anglais que les élèves sont amenés à décrire les numérations orales dans les langues qu’ils connaissent. La séquence possède quatre séances : S0, S1, S2 et S3. La séance S0 permet de faire le point avec les élèves sur les langues qu’ils parlent ou entendent à la maison et les langues dans lesquelles ils savent compter. La séance S1 est l’étude de la numération orale en français afin de vérifier les acquis en numération (écriture des nombres en chiffres, différence entre nombre et chiffre, particularités de la numération orale française). La séance S2 porte sur l’étude de la numération orale en anglais. Lors des séances S1 et S2, les élèves comparent spontanément les numérations orales à l’étude en classe avec celles qu’ils connaissent. La séance S3 est une ouverture sur les numérations orales en breton et en maori sous forme d’énigmes. Pour cette séquence, la professeur utilise des fiches comme supports des discussions. Ces fiches font partie de la mallette de ressources pour la classe CLEAM disponible en ligne (Poisard 2022a) .
2.2. Éléments d’analyse de la séquence
Les séances se sont déroulées de manière rapprochée dans le temps : 19, 20, 23 et 26 novembre, ce qui permet aux élèves de se rappeler du contenu des séances d’un jour à l’autre. Les quatre séances ont été filmées puis transcrites afin de mener l’analyse que nous présentons maintenant. Les transcriptions comportent des nombres écrits en lettres et en chiffres afin de rendre la lecture plus aisée.
Tout d’abord, grâce à la discussion engagée par la professeur lors de la séance S0, nous pouvons cartographier les langues de la classe. Ainsi, seulement trois élèves (sur vingt-trois) ne parlent que le français à la maison. Plus précisément, quinze élèves entendent une autre langue que le français à la maison : sept élèves pour l’arabe, trois élèves pour le turc, et un élève pour chacune des cinq langues suivantes : anglais, congolais, haïtien, indonésien, vietnamien. Cinq élèves sont en contact avec deux autres langues à la maison en plus du français : deux élèves pour l’arabe et l’espagnol, un élève pour les couples de langues suivants : arabe et italien, arabe et somalien, arménien et russe. Cette diversité linguistique (douze langues autres que le français) est considérée comme une richesse dans la séquence que nous décrivons et analysons. Dans cette séquence (Figure 4), l’objectif est de maîtriser les numérations orales en français et en anglais en comprenant la signification mathématique des nombres et en les comparant à d’autres langues. Par exemple, quatre-vingt-dix signifie 4×20+10 alors que ninety signifie 9×10. L’anglais correspond donc à la signification mathématique de neuf dizaines alors que le français utilise la base vigésimale. Les élèves vont spontanément utiliser les langues qu’ils connaissent pour faire des comparaisons et verbaliser les significations des nombres. L’objectif n’est pas de devenir expert dans les langues de la classe mais de s’ouvrir à d’autres manières de compter. Il faut alors considérer qu’il est possible que les élèves produisent des approximations ou des erreurs quand ils introduisent une langue en classe.
Séquence sur les langues du monde | Les langues utilisées | |||||||||
S0 | Les langues de la classe | Douze langues (autres que le français) sont recensées dans cette classe : arabe, turc, anglais, congolais, haïtien, indonésien, vietnamien, espagnol, italien, somalien, arménien et russe. | ||||||||
S1 | La numération orale en français | Un élève fait référence à la numération orale en arabe. | ||||||||
S2 | La numération orale en anglais | L’arabe et le russe sont utilisées par les élèves en lien avec l’apprentissage de l’anglais. | ||||||||
S3 | Les énigmes en breton et en maori | Deux autres langues (breton et maori) sont proposées par le professeur sous forme d’énigmes. |
Pour la professeur, la séance S1 a pour objectif de revenir sur des notions de cycle 2 en numération pour s’assurer que la séquence se déroulera dans de bonnes conditions pour les apprentissages. La séance débute par un travail en numération sur les mots proposés par les élèves : « numéros, chiffres, nombres, numération ». Puis, à nouveau à partir de la proposition d’un élève, la professeur détaille l’exemple du nombre 1 257 au tableau. La différence entre « chiffre des unités » et « nombre d’unités » est rappelée. Le travail s’engage ensuite à partir d’une fiche projetée sur la numération orale en français (Figue 5).
À partir du tableau des nombres de 10 à 19, le travail en mathématiques porte sur « ce que l’on entend » et sur la signification mathématique associée. Les extraits de transcription suivants concernent une discussion sur les nombres 17 puis 20 :
- Professeur : Fermez les yeux et écoutez « dix-sept » [17]. Quand je dis « dix-sept », à quoi pensez-vous ?
- Moktar : Je vois 10 et 7.
- Professeur : Et quand tu dis « 10 et 7 », quelle opération tu fais ?
- Moktar : Ben, 10+7.
- Professeur : Bien, je repose ma question. Quand je dis « vingt » [20] que voyez-vous ?
- Nasser : Ben rien, on voit deux et zéro [2 et 0] mais on ne sait pas que c’est 2 fois 10.
- Professeur : En français donc il y a des nombres qui disent ce qu’ils sont comme 17, 19, mais il y a des nombres qui se cachent derrière le mot. « Vingt » par exemple, on le connaît quand on a appris qu’il valait 2 fois 10.
- Kahina : Et 21, 22, 23, 24 on sait par contre que c’est 20+1, 20+2… C’est pareil pour tous après.
- […]
- Nasser : En arabe aussi c’est pareil 20 c’est « ashrïin ». Et 21 c’est « wahid wa ashriin » mais on dit « 1 et 20 », et 22 on dit « 2 et 20 » : « tnin wa achriin ». Et la suite c’est pareil avec « 3 et 20 », « 4 et 20 » (Extraits de transcriptions de la séance S1)
Nous voyons donc que Nasser utilise spontanément le recours à la langue arabe pour expliquer le « vingt » et les nombres suivants. Surtout, il propose une analyse de la signification des nombres en arabe. L’ordre des mots est différent entre les deux langues. En arabe, les unités sont énoncées puis les dizaines alors que le français commence par les dizaines puis les unités ensuite. Suivant les langues, ces deux manières apparaissent et sont expliquées par la commutativité de l’addition : 20+1=1+20.
La professeur poursuit ensuite dans le domaine numérique et c’est un peu une révélation pour Yann qui « entend » le quatre-vingts :
- […] [A propos de 80 quatre-vingts]
- Yann : Ah ouais, j’entends 4 fois 20 ! ! (Extraits de transcriptions de la séance S1)
En effet, l’usage quotidien des nombres à l’oral nous éloigne de la signification de leur composition. Cette séance permet aux élèves de se questionner, de redécouvrir leur signification. Nous notons que la professeur demande aux élèves de fermer les yeux et d’écouter les nombres ce qui est très efficace pour se focaliser sur l’oralité et se distancier de l’usage courant des nombres. La professeur conclut la séance S1 en proposant aux élèves de poursuivre sur les numérations orales avec leurs parents, à la maison et avec les langues qu’ils connaissent :
- Professeur : La prochaine fois, nous reprendrons la fiche et nous travaillerons sur la numération en anglais, mais aussi dans la langue que vous connaissez. Je vous laisse voir cela avec vos parents si vous avez besoin d’aide. (Extraits de transcriptions de la séance S1)
Pour cette séance S2, la professeur engage la discussion à partir de la présentation d’une fiche sur la numération orale en anglais de 10 à 19 qui est similaire à celle étudiée précédemment en français (mallette CLEAM, Figure 6). Ensuite, les élèves reçoivent une fiche à compléter pour les dizaines. La professeur demande de compléter deux colonnes : les mots-nombres en anglais et la signification mathématique associée. Le travail s’organise en groupes et avec l’aide possible du cahier d’anglais. À partir des justifications étudiées de 0 à 19 (par exemple « sixteen » signifie 16=6+10), les élèves produisent les justifications pour les dizaines en anglais (par exemple « twenty-one » signifie 21=2×10+1). L’objectif est de travailler sur la signification du « teen » (+10) et de celle du « ty » (×10). Après ce travail sur fiche, une discussion collective s’engage à ce sujet :
- Professeur : Alors que pouvez-vous dire sur la numération en anglais ?
- Yann : Pour « eleven », c’est comme « onze » on ne sait pas trop si c’est 1 et 10.
- Professeur : C’est vrai, que peut on dire pour « twelve » ?
- Moktar : « Twelve », c’est comme « douze » on peut deviner que c’est 2 et 10. Parce qu’on voit « two » dans « twelve » comme on voit « deux » dans « douze ». Enfin, on peut dire ça je crois.
- [...]
- Kahina : C’est plus facile pour les autres après car « thirteen », « frteen », on entend vraiment que y a « trois » et « quatre » en anglais.
- Professeur : Oui mais qu’est-ce qui signifie « dix » alors ?
- Amy : C’est « teen ». (Extraits de transcriptions de la séance S2)
L’extrait suivant poursuit sur les dizaines, nous voyons à partir de l’anglais, Moktar compare avec l’arabe et Misha avec le russe.
- Professeur : Maintenant, seventy« seventy, eighty, ninety ».
- Moktar : Ben là, c’est plus facile. C’est comme en arabe « achriin, t’laatiin, rabiin ». Le « iin » c’est comme le « ty » en anglais.
- Misha : Oui, en russe aussi c’est ça. On dit pour 20, 2 fois 10 et les autres aussi. 30 c’est comme 3 fois10. Mais 40 [qu’il prononce aussi en russe] ce n’est pas 4 fois 10, c’est un autre mot.
- Professeur : Mais en russe quelle différence tu fais entre 12 et 20 ?
- Misha : 12 c’est двенадцать (dvienatsat). [Misha l’écrit sur sa feuille et donne la version phonétique au professeur]. 2 plus 10.
- Professeur : Mais est-ce que le mot en russe signifie vraiment « 2 plus 10 » ? Ou « 2 et 10 » ? Comme l’a dit Moktar en arabe où le mot est vraiment « et ».
- Misha : Je ne crois pas. C’est un mot qui dit pas « en plus » mais « presque au-dessus », tu comprends ? (Extraits de transcriptions de la séance S2)
Avec Moktar, nous avons l’exemple de la comparaison entre l’arabe et l’anglais pour le suffixe qui signifie multiplier par dix : « Le « iin » c’est comme le « ty » en anglais. » Ensuite Misha indique que c’est la même structure de mots en russe mais pas pour le quarante. Et enfin la professeur relance Misha pour préciser la signification du mot de liaison en russe pour douze. Ainsi, nous observons que le travail mathématique en numération française puis anglaise permet une ouverture vers les langues parlées par les élèves. Le travail porte sur la compréhension du nom des nombres (ce que l’on entend) dans l’objectif d’en écrire la signification mathématique (l’opération en jeu). Pour l’apprentissage des langues, la numération anglaise est connue de certains élèves et plus laborieuse pour d’autres. L’écriture des nombres en lettres en anglais est un nouvel apprentissage qui s’est engagé ici en séance S2. Enfin, cette séquence d’éveil aux langues de la classe permet effectivement de travailler sur d’autres numérations en particulier l’arabe et le russe.
La séance S3 propose de travailler sur des énigmes de numérations (mallette CLEAM, séquence énigmes, Figures 7 et 8). Ce type de travail est toujours très motivant pour les élèves.
daou | tri | pevar | ugent | daou-ugent | tri-ugent | pevar-ugent | |
a. | 2 | 3 | 4 | 20 | 40 | 60 | 90 |
b. | 2 | 3 | 4 | 20 | 40 | 60 | 80 |
c. | 2 | 3 | 4 | 20 | 30 | 40 | 50 |
whitu | tekau ma whitu | rua tekau ma whitu | whitu tekau | kotahi rau ma whitu | kotahi rau tekau ma whitu | rua rau ma whitu | |
a. | 7 | 17 | 27 | 70 | 107 | 117 | 207 |
b. | 7 | 17 | 27 | 80 | 107 | 117 | 207 |
c. | 7 | 17 | 27 | 70 | 107 | 157 | 207 |
La question est : « Selon toi, quelle est la bonne réponse parmi les trois propositions ci-dessous ? » La professeur insiste sur l’importance de justifier les choix tout en rappelant comment cela a été fait aux séances précédentes :
- Professeur :Vous devez justifier votre choix. Par exemple : « selon moi c’est la proposition petit a », mais vous devez choisir et justifier pourquoi c’est cette proposition et pas une autre. Rappelez-vous quand on demande de justifier, c’est comme ce que nous avons fait la dernière fois dans la colonne « signification mathématique ». Par exemple, pour « soixante » qu’avions nous dit ?
- Kahina : 6 fois 10.
- Professeur : Oui et pour « quatre-vingts » ?
- Moktar : 4 fois 20.
- Professeur : Très bien. (Extraits de transcriptions de la séance S3)
Nous notons les nombreux rappels faits par la professeur sur le contenu des séances précédentes et les objectifs d’apprentissage qui sont très explicites. La séquence mise en œuvre permet une réelle progression et c’est à partir des justifications utilisées en français, anglais mais aussi arabe et russe que les élèvent vont pouvoir rédiger leurs propres justifications pour le breton et le maori. Celles-ci incluent des écritures du type : 40=2×20 ; 60=3×20 et 80=4×20 pour le breton, et celles pour le maori : 17=10+7 ; 27=2×10+7 ; 70=7×10 ; 107=1×100+ ; 117=1×100+17=100+10+7 et 207=2×100+7.
Nous observons que pour cette séquence sur les numérations orales, le travail sur le français a permis aux élèves de bien comprendre les objectifs d’apprentissage en mathématiques et en langues. Ils réinvestissent les significations mathématiques des nombres afin de justifier leurs propositions au fil des séances. L’ouverture culturelle et linguistique est effective par l’implication de certains élèves de la classe qui partagent ici leurs connaissances d’une langue « de la maison » pour la partager et l’analyser en classe.
Conclusions
L’analyse des deux séquences dont le point commun est l’usage de l’anglais pour faire des mathématiques, montre une progression possible qui prenne en compte les objectifs mathématiques et les objectifs en langues pour les apprentissages au cycle 3. La progression de la séquence 1, aussi bien en mathématiques (tables de multiplication) qu’en anglais (numération orale), a abouti dès la première séance à pouvoir jouer en anglais pour tous les binômes d’élèves. Nous soulignons que ce travail de préparation est nécessaire : les élèves commencent à s’entraîner en français et progressent aussi lors des dictées de nombres en anglais. Lorsque les apprentissages sur les tables et les noms des nombres en anglais sont assez avancés, la séance de jeu en anglais peut alors se dérouler.
Le double objectif de mathématiques et anglais a bien été perçu et même apprécié par les élèves. Cette séance a la particularité de mettre les élèves en situation de communication orale en anglais. Pour sa part, la progression de la séquence 2 permet très rapidement aux élèves qui savent compter dans d’autres langues que celles introduites par la professeur, de nommer certains nombres et de préciser leur signification mathématique (21=1+20 en arabe par exemple en séance S1). Le travail préparatoire en mathématiques porte sur des rappels sur la numération orale et écrite en français. La séance d’introduction S0 est également nécessaire pour que les élèves et le professeur visualisent le contexte des langues de classe. En anglais, l’objectif est que les élèves apprennent la numération orale et sachent écrire les nombres en lettres.
Pour les autres langues de la classe, c’est un éveil aux langues qui permet de travailler également en mathématiques par comparaison des langues. Ce partage des langues est une ouverture aux autres effective dans cette séquence. Enfin, la séance sur les énigmes réinvestit les justifications sur la signification des nombres (par exemple 80=4×20=8×10) en introduisant deux autres langues : le maori et le breton. Enfin, pour les deux séquences, nous soulignons que les objectifs d’apprentissage en anglais pourraient être étendus en terme de vocabulaire sur la numération et le calcul (« count, number », etc.) ainsi que des éléments de langage pour les échanges entre élèves (« your turn », etc.).
La règle du jeu et les consignes pourraient aussi être proposées et étudiées en compréhension écrite globale pour les élèves. Enfin, des éléments culturels sur la graphie manuscrite des chiffres en anglais en script peuvent s’insérer dans ce type de séances.
Remerciements : Nous remercions Martine Kervran pour sa relecture éclairante, les membres des groupes CLEAM et MAREL (Delphine D’hondt, Élodie Surget, Philippe Le Guen, Gwenaëlle Riou-Azou, Rozenn Robin) ainsi que les élèves et les professeurs pour tout leur travail.
Références
Adler, J. (2010). La conceptualisation des ressources. Apports pour la formation des professeurs de mathématiques. In Gueudet G., Trouche L. (Eds.). Ressources vives. Le travail documentaire des professeurs, le cas des mathématiques (p.23-37). Rennes : Presses Universitaires de Rennes et INRP.
El-Halougi, L. (2023). Programmer en Scratch dans un contexte d’échanges internationaux par le truchement de Scratchpals (MIT). Revue Mathématice, 86. http://revue.sesamath.net/spip.php?article1573
Hache, C. & Mendonça Dias, C. (2022). Plurilinguisme et enseignement des mathématiques. Éditions Lambert Lucas.
Poisard, C., D’hondt, D., Moumin, E., & Surget, E. (2022a). L’éveil aux langues pour travailler sur la construction du nombre à l’école. In C. Hache, & C. Mendonça Dias. (dir). Plurilinguisme et enseignement des mathématiques. Éditions Lambert Lucas.
Poisard, C., Valdivieso, F., Robin, R., Riou-Azou, G. et Le Guen, P. (2022b). Des ateliers mathématiques dans les classes : manipuler et jouer pour apprendre. Mediterranean Journal of Education , 2-2, 47-57.
Poisard, C., Riou-Azou, G., Valdivieso, F., Robin, R., et Le Guen, P. (2022c). Éléments d’analyse de deux expériences d’ateliers mathématiques : en fin d’école primaire et en formation des professeurs. Revue MathemaTICE 79.
Poisard, C. (2022a, dir). Mallette de ressources pour la classe CLEAM. Carnet de chercheur : https://fabricamaths.hypotheses.org/mallette-cleam
Poisard, C. (2022b, dir). Mallette de ressources pour la classe MAREL. Carnet de chercheur : https://fabricamaths.hypotheses.org/mallette-marel
Poisard, C., Le Guen, P., Riou-Azou, G., Robin, R. & Valdivieso, F. (2021). Les « fiches élèves » lors d’ateliers de jeux en classe de mathématiques : contraintes et objectifs de l’institution scolaire. Communication dans les actes du 47e colloque de la Copirelem , Grenoble, France.
Poisard, C., Kervran, M., Surget, E. & Moumin, E. (2018). Étudier des numérations orales en classe : quels savoirs mathématiques et langagiers ? Au Fils des maths , 528, 38-45.
Trouche, L., Adler, J. & Remillard, J.T. (2023). Conceptualizing teachers’ interactions with resources in crossing languages and cultures. ZDM Mathematics Education 55, 497–519.