L’auteur se propose de décrire son expérience de l’utilisation de ressources numériques avec des élèves de SEGPA.
par David Feisthauer
À l’heure où l’institution nous demande une individualisation de plus en plus poussée dans des classes toujours plus hétérogènes, trouver une organisation fonctionnelle permettant à tous les élèves de progresser devient de plus en plus compliqué. Cette problématique est d’autant plus présente lorsque l’on enseigne en SEGPA (Sections d’Enseignement Général et Professionnel Adapté). Il y a deux ans, je me suis présenté à l’examen du CAPA-SH option F et me suis penché plus précisément sur l’utilisation des ressources numériques comme outil de remédiation aux difficultés graves et durables que peuvent rencontrer les élèves en mathématiques [1]. Ainsi je me suis lancé durant une année dans l’expérimentation de nouvelles pratiques pédagogiques dans lesquelles le numérique tient une place essentielle. Je vais vous présenter dans cet article le fruit de mes recherches ainsi que les apports que j’ai pu observer.
Bien que ma réflexion se soit essentiellement portée sur des élèves de SEGPA, celle-ci est transférable à l’ensemble des élèves en difficulté.
Une appétence des élèves pour l’informatique
Le numérique est souvent source d’intérêt chez nos élèves : avant d’être appréhendé sous forme d’outils pédagogiques, ils l’utilisent comme une source de loisirs (pour écouter de la musique, jouer aux jeux vidéos, surfer sur le web…). Ainsi l’entrée dans les activités proposées se fait plus naturellement, avec plus de curiosité et surtout plus de motivation. L’environnement numérique leur est en effet plus familier et peut-être plus rassurant que les autres supports de travail employés en classe.
Le matériel informatique étant fourni par l’école, la problématique du cahier oublié, de la trousse vide disparaît.
Le travail sur l’ordinateur va permettre un rendu soigné. En effet, le rapport à la feuille « papier » est souvent difficile pour ces élèves dont le soin n’est généralement pas un point fort. Ici il est possible et autorisé de se tromper, mais également simple de revenir en arrière sans laisser de traces de gomme, d’effaceur, de correcteur blanc… « L’erreur » n’est plus aussi visible et discriminante qu’avant, et cela même si l’enseignant peut voir combien de tentatives ont été nécessaires et quelles erreurs ont été faites. L’important ici est la réussite et le rendu final et ce, quel que soit le parcours entrepris par l’élève.
Démarche générale
Mes recherches ont mis en évidence que malgré un équipement informatique aujourd’hui souvent convenable, celui-ci n’est encore que pas ou peu utilisé au quotidien. Les usages qui en sont faits ne consistent souvent qu’à adapter des méthodes traditionnelles avec des outils nouveaux…
Or, « la technologie à l’école sera nouvelle que si la pédagogie qui l’emploie est nouvelle ».
Il est donc essentiel de reconsidérer ses pratiques afin qu’elles soient innovantes et surtout que l’apport de ces nouveaux outils numériques constitue une réelle plus-value du point de vue des apprentissages.
Ma démarche a été la suivante : je suis parti d’évaluations diagnostiques me permettant de cibler, à partir des paliers de compétences du socle commun, celles qui n’étaient pas maîtrisées par mes élèves, et surtout, lesquelles étaient prioritaires d’un point de vue empirique, lesquelles pouvaient être un obstacle dans de nouveaux apprentissages. Le but affiché est d’aller chercher l’élève « là ou il en est » et ainsi, essayer de le remettre dans une spirale de la réussite et de lui faire acquérir de nouvelles compétences.
À partir de ces évaluations j’ai divisé la classe en groupes ayant des objectifs similaires. J’ai ensuite suivi l’organisation pédagogique suivante : j’intervenais directement avec un groupe de besoin, à l’aide ou non d’outils numériques afin de pouvoir travailler avec lui de manière spécifique sur une compétence qu’il semble urgent d’acquérir afin de poursuivre les apprentissages dans de bonnes conditions. Pendant ce temps les autres élèves travaillaient en autonomie sur un ensemble d’exercices choisis en fonction des compétences ciblées. Il ne s’agit cependant pas d’une activité occupationnelle, celle-ci doit s’intégrer dans le cadre plus large des progressions. Selon les besoins de chaque groupe, un roulement est mis en place de façon à ce que chaque élève puisse bénéficier de l’aide de l’enseignant lorsqu’elle devient nécessaire.
La découverte des principaux outils
LaboMEP et Calcul@tice proposent un panel d’exercices important et permettent de mettre en place des situations d’apprentissage sur un grand nombre de thèmes. Les élèves de la classe y sont référencés et l’on attribue à chaque élève ou groupe d’élèves le travail demandé.
De plus il est également possible de personnaliser les exercices en jouant sur la durée, la valeur des nombres, mais également sur des options autorisant ou non le retour en arrière…
L’individualisation apparaît également au niveau du rythme de travail. L’élève peut prendre le temps qui lui est nécessaire pour réaliser une tâche et ne subit pas le rythme du groupe classe. On en revient au sens étymologique du mot « école » : c’est un lieu où l’on peut essayer, se tromper, revenir en arrière. L’élève n’arrive pas avec le savoir, il y vient pour le découvrir.
Ainsi l’outil informatique permet de systématiser la notion abordée avec une plus grande souplesse pédagogique.
L’un des avantages indéniable est le suivi du travail en temps réel. Que celui-ci soit réalisé en classe ou à la maison, l’application LaboMEP permet de suivre la progression de l’élève au fil de ses exercices. Il suffit pour cela d’être connecté à l’application en tant que formateur.
Le temps de correction pure est remplacé par un temps d’analyse des erreurs de l’élève par l’enseignant.
Les différents types d’exercices
Un exerciseur est un logiciel pouvant être installé sur un ordinateur ou bien disponible en ligne via un navigateur internet et proposant des exercices en mesure de valider ou d’invalider de manière interactive la réponse de l’élève. Ainsi, ce dernier dispose d’un retour immédiat (rétroaction) sur la qualité de son travail, sur la pertinence de sa démarche, aspect traditionnellement reporté au moment de la correction.
La plupart de ces exerciseurs sont de type « répétiteur » : la même tâche est répétée un certain nombre de fois. Ceux-ci ont l’avantage de proposer un cadre rassurant pour l’élève qui est guidé dans son travail. Ils sont idéals lorsqu’il s’agit de systématiser une notion. Ils permettent par exemple de s’entraîner aux techniques opératoires.
Voici un exemple d’exercice permettant de s’entraîner à la technique opératoire de la multiplication :
Ici la démarche de l’élève semble être valide, l’erreur provient vraisemblablement d’une faute d’inattention puisqu’il a oublié de tenir compte d’une des retenues. Celle-ci étant mise en évidence, l’élève est capable de s’auto-corriger et d’obtenir la réponse appropriée.
Avec ce type d’exercices, l’élève peut travailler seul, la tutelle de l’enseignant étant substituée par celle du logiciel. Cependant le guidage est important et laisse peu de place à la prise d’initiative. L’élève est donc en quelque sorte « formaté » à un type d’exercice particulier et risque d’être perturbé s’il rencontre une nouvelle forme d’exercice faisant appel aux mêmes notions mais avec une présentation différente.
Le deuxième type d’exercices est appelé « vérificateur ». Il s’agit ici de proposer un énoncé et de valider ou non une réponse finale avec la possibilité dans certains cas, de guider l’élève lors d’étapes intermédiaires. Ceux-ci s’adaptent parfaitement à la résolution de problèmes ou encore à la construction de figures géométriques. L’élève est libre de ses démarches ce qui favorise les prises d’initiatives. Ils permettent donc de développer l’autonomie de l’élève. Le cadre étant beaucoup plus ouvert, le recours à l’aide de l’enseignant peut être nécessaire.
Ces éléments doivent être pris en compte lors du choix des exercices au moment de la création d’une séance. Il est primordial d’identifier les compétences qui sont à travailler afin de les mettre en adéquation avec le type d’exercices appropriés.
Les principaux apports observés
Il aurait été utopique de penser qu’un changement de vecteur allait changer le profil des élèves. Ceux-ci continuent à être « eux-mêmes ». Malgré tout j’ai noté un bon nombre de points positifs que voici :
- Les élèves entrent plus facilement et plus naturellement dans l’activité. Dans la classe il est parfois difficile de leur faire sortir trousse et cahiers, alors qu’arrivés en salle informatique, ils allument automatiquement leur poste et se connectent à l’application demandée et…
- … ils y restent également plus longtemps. Une journée de travail peut sembler très longue à un élève, en particulier relevant de la SEGPA. Il est souvent très difficile de rester concentré et en activité à tout moment. Cependant le caractère ludique de certaines activités permet de les « accrocher » plus longuement. De plus, en classe, certains ont tendance à attendre le temps de la correction. Ici elle n’apparaît que lorsque l’élève a produit un travail.
- Contrairement à l’humain, l’ordinateur ne porte pas de jugement de valeur ; il se contente d’indiquer les éventuelles erreurs de l’élève. Celui-ci s’en rend rapidement compte. Ce rapport peut se révéler plus confortable lors de l’entraînement.
- Certains élèves, y compris ceux en grande difficulté, ont la particularité d’être persévérants. Les exercices de type répétiteurs sont particulièrement adaptés à ce type d’élèves car en plus d’un guidage fort, ils leur permettent de s’entraîner aussi longtemps que nécessaire avec des valeurs à chaque fois différentes, afin de ne pas avoir à refaire constamment le même exercice.
- Le sentiment de fatigue, de lassitude apparaît moins rapidement. Pour certains de mes élèves le passage à l’écrit relève de l’épreuve de force. Ici on contourne le problème et l’ont peut continuer de travailler.
En conclusion
L’utilisation d’outils numériques a permis à mes élèves fortement marqués par un manque de motivation, de se remettre dans une dynamique positive de travail et surtout de progresser et d’acquérir les compétences qui leur faisaient défaut. Ce protocole m’a également permis de travailler de façon particulièrement efficace avec des petits groupes d’élèves sans pour autant délaisser le reste de la classe.
L’usage de ces outils ne relève cependant pas de la solution miracle. N’allons en aucun cas croire que le numérique permet d’effacer les difficultés rencontrées par nos élèves. Il faut être conscient de ses limites, conserver son pragmatisme et rester « utile » à ses élèves. L’usage de l’outil doit d’être pertinent et non systématique. Il reste cependant un moyen qui me semble efficace, que les élèves comme l’enseignant doivent s’approprier.
La place de l’enseignant dans ce processus reste centrale ! Jamais son expertise ne pourra être remplacée par une machine comme le représente cette carte postale du XIXème siècle. La création de séquences et de séances doit impérativement être réfléchie, permettant l’articulation entre les phases de découverte, de systématisation, de remédiation… Il est important de ne pas tomber dans un piège consistant à se contenter de proposer à l’élève une batterie d’exercices d’entraînement. Son rôle se retrouve également dans le suivi du travail des élèves. Certaines applications sont capables de proposer ce suivi sous la forme d’un résultat brut. Ceci n’est pas suffisant puisque l’enseignant va devoir les analyser et s’appuyer sur la verbalisation de l’élève dans le but de comprendre des procédures parfois défaillantes afin de les corriger et remédier aux difficultés.
Le travail réflexif réalisé m’amène à penser que les opportunités inhérentes à ces outils sont grandes et amenées à se développer fortement dans le futur. Ils apportent une plus-value indéniable, notamment auprès d’élèves souffrant de difficultés graves et durables aggravées d’un manque de motivation.
ANNEXE
On lira avec intérêt, pour aller plus loin, le mémoire de David Feisthauer :