Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Maths et Jeux, un site et une chaîne vidéo pour faire aimer les maths au collège

Juliette Hernando organise avec Patrick Raffinat une visite guidée de son site et de sa chaine vidéo Maths et Jeux

Article mis en ligne le 27 janvier 2021
dernière modification le 20 décembre 2022

par Juliette Hernando, Patrick Raffinat

Après

voici le troisième article réalisé à distance à partir d’un canevas de questions auquel les auteurs de sites ont répondu très librement, sous forme d’entretien oral retranscrit ou en répondant par écrit aux questions posées.

Nous allons proposer cette démarche très efficace à d’autres auteurs de sites pour que nos lecteurs puissent comprendre pourquoi des sites aussi extraordinaires peuvent naître et ce que leurs auteurs en attendent.

Nous espérons que de nombreux collègues intégreront ces sites à leur enseignement avec les élèves, leur donnant ainsi un écho multiplié.

(Voir aussi)

Juliette Hernando, professeure de collège, répond à une interview de MathémaTICE réalisée par Patrick Raffinat.
Les images figurant dans l’article sont cliquables, à commencer par celle ci-dessous qui renvoie vers son site web MathsEtJeux.

Bravo pour ton site web, dont le contenu et l’esthétique ont dû te demander beaucoup de travail et de persévérance ! Quand as-tu démarré et qu’y avait-il la première année sur ton site ? Quelles étaient tes intentions au départ ?

Merci, c’est un vrai plaisir de répondre à votre interview.

Créer un site est pour moi un loisir. J’aime organiser les rubriques, choisir les mises en page, inventer des illustrations, mélanger des couleurs ou simplement partager une activité qui a bien fonctionné avec mes élèves. J’espère donner une image positive des mathématiques et rendre leur apprentissage ludique. J’ai vu tellement d’élèves et de parents persuadés que cette matière était réservée à une élite, qu’il me paraît important de casser cette idée fausse.

J’ai démarré en 2004 : je travaillais avec une équipe très dynamique et en recherche constante d’innovation. Ils m’ont intégrée dans leurs projets et ensemble nous avons inventé des activités, des itinéraires de découvertes, en associant nos disciplines et en travaillant avec des intervenants extérieurs. Les cours étaient ouverts aux collègues et aux parents. J’ai appris énormément ces premières années.
J’ai créé le site pour partager quelques-uns de nos projets. Mes élèves ont tout de suite vu d’autres utilisations possibles et nous l’avons fait évoluer ensemble.

Le design est vraiment très pro : l’as-tu choisi pour une plus grande efficacité pédagogique (avérée avec le recul ?) ou aussi en fonction de « tes penchants artistiques » ? As-tu reçu une aide académique ou de la part de collègues ?

Merci ! J’aime dessiner et, si je suis loin d’être une professionnelle, le site est une bonne excuse pour continuer ;-).

La présentation assez proche de l’univers de mes élèves leur donne envie d’aller y faire un tour, même en dehors de la classe. Quand quelque chose nous plaît, on apprend plus facilement.

Pour la partie technique, j’ai la chance d’avoir un frère informaticien à l’université de Bordeaux. Lui et mes deux neveux, m’apportent toute l’aide dont j’ai besoin. Pour la partie artistique, ce sont mes élèves qui bien souvent me donnent des astuces pour améliorer mes dessins.

Ta rubrique GeoGebra est très fournie, avec notamment de nombreux personnages ou animaux à dessiner. D’où t’est venue cette inspiration et pourquoi accordes-tu autant d’importance à ces activités, que tu continues d’ailleurs à perfectionner en ajoutant une auto-correction ?

Lorsque l’utilisation d’un logiciel de géométrie dynamique a fait son apparition dans les programmes, j’ai été très enthousiaste. Je me suis rapidement lancée en classe : quelques explications techniques et nous sommes passés à une activité permettant de faire une conjecture à l’aide du logiciel, suivie d’une démonstration guidée sur papier. Et cette première séance a été mémorable : une vraie catastrophe ! J’ai dû courir d’un élève à l’autre pendant toute l’heure, pour régler essentiellement des problèmes techniques.

Après cette expérience, j’ai décidé de créer des progressions GeoGebra par niveau pour recentrer les questionnements des élèves sur des problèmes mathématiques et non techniques.

Il me fallait des fichiers avec des apprentissages progressifs des outils du logiciel, mais pas seulement : ces exercices devaient permettre de visualiser ou manipuler les propriétés mathématiques et finalement amener les élèves à suffisamment d’autonomie pour résoudre un problème ou faire une conjecture grâce au logiciel.

Pour repérer les erreurs des élèves, j’ai pensé à des animaux ou à des personnages (exemple) : on reconnaît les formes à distance et on peut repérer plus facilement les problèmes de construction.

Les exercices sont rangés dans l’ordre croissant de difficultés : jusqu’à récemment, les élèves passaient à l’activité suivante lorsque je validais leur construction en classe. Grâce à Jean-Yves Labouche, Noël Lambert et Maxime Belliard, la plupart des fichiers sont maintenant autocorrectifs : les élèves sont stoppés dans la construction s’ils font une erreur et la validation finale se fait sans l’intervention du professeur. Les séances en présentiel gagnent en efficacité et les élèves absents peuvent rattraper leur retard à la maison. L’intégration des fichiers dans un Genially [1] permet désormais de travailler sur tablette ou sur ordinateur sans télécharger le logiciel.

De quelle(s) façon(s) utilises-tu ton site avec tes élèves à la maison et en présentiel ? Et à quelle fréquence ? Comment as-tu intégré ce site dans ton enseignement ?

Le site est une aide supplémentaire, les élèves décident de l’utiliser ou pas. Pour ceux qui n’ont pas d’équipement informatique, le collège propose un créneau libéré en fin de journée au CDI. Lors de la réunion de rentrée, je donne aux parents le lien vers le site et je leur explique où retrouver les progressions (lien).

Les élèves peuvent anticiper le travail fait en classe s’ils le souhaitent ou revoir des notions déjà abordées. Les parties du site qui sont le plus utilisées cette année sont :

  • Les questions flash :
  • On fait les exercices en classe, au moins une fois par semaine, ils peuvent être préparés à l’avance ou refaits à la maison. C’est une partie qu’on avait créée avec mon amie Hélène Pellé pour préparer les élèves au calcul mental. On a regroupé les questions par thème, et les thèmes se sont élargis avec le temps (géométrie, méthode, …), transformant ce « calcul mental » en travail mental, puis en questions flash.

  • Les salles de classe virtuelles (nouveauté en 6ème et 5ème de cette année) :
  • Les élèves y retrouvent la leçon, les questions flash, les feuilles d’exercices, ils peuvent s’entraîner sur des exercices ou des jeux interactifs.

    En classe, nous faisons ensemble les certaines activités au TBI. Il y a souvent des débats intéressants et c’est un bon support pour travailler l’oral. Voici deux exemples qui ont bien fonctionné : voir exemple 1 et exemple 2.

    D’autres activités permettent aux élèves de manipuler et visualiser des objets mathématiques chez eux, comme cette classe virtuelle sur les solides (lien), faite avec Loïc Bodelot.

    Et enfin, les élèves apprécient particulièrement de voir leur travail sur le site comme ces exercices sur les aires qu’ils ont inventés : exemple.

    L’intégration des exercices de CoopMaths MathALEA permet à certains élèves de compléter leurs révisions et plaît beaucoup aux parents. Et pour les adeptes des Escape Game, on retrouve des créations de Marie Darif et d’autres collègues du Coin boulot des professeurs de mathématiques.

    Quelle place assignes-tu à la chaîne Youtube née du premier confinement ? Comment complète-t-elle le site ? Quels changements durables cette chaîne va-t-elle entraîner dans ta façon d’enseigner ?

    Au moment du confinement, avec mes collègues Isabelle Guillot, Anne Juigné et Audrey Jolas, nous avons mutualisé nos ressources et adapté nos progressions pour varier au maximum les supports proposés à nos élèves et éviter les décrochages.

    J’avais envie de me lancer dans les vidéos depuis les journées « Mathématiques et Numérique » de l’académie d’Orléans-Tours. Dans l’urgence de la situation, j’en ai donc enregistrées beaucoup, destinées à nos élèves, avec plus ou moins de succès. Très vite, j’ai reçu des messages via la chaîne YouTube pour m’aider à les améliorer sur la forme et sur le fond (merci en particulier à Anne-France Acciari), me proposer des contenus et des idées.

    Yvan Monka m’a donné de précieux conseils et m’a présentée aux personnes de sa liste sur Twitter : une aide incroyable, je n’ai jamais autant échangé avec des collègues que pendant le confinement ! Après cette période, nous avons fait un bilan dans nos classes : grâce au travail de l’équipe de maths, une majorité d’élèves a réussi à maintenir un rythme de travail régulier et à assimiler les nouvelles notions. Le retour sur les vidéos a été positif, les élèves sont habitués à YouTube et ils ont pu revoir le cours quand ils le souhaitaient, au calme et autant de fois que nécessaire.

    Ces vidéos apportent une aide supplémentaire indéniable, j’ai donc envie de poursuivre cette chaîne YouTube. Elles sont là si les élèves souhaitent les utiliser, mais je ne suis pas encore prête pour la classe inversée : elles ne remplacent pas le cours pour le moment.

    J’aime construire mes séquences à partir des travaux d’Yves Chevallard. Dans le cahier de leçon, on retrouve des activités, les traces écrites de recherche d’élèves, la rédaction de types de tâche, de technologies… J’ai d’ailleurs rencontré un réel problème au moment du confinement pour poursuivre le Parcours d’Etude et de Recherche sur l’introduction des nombres relatifs avec mes élèves de 5ème. On avait débuté en octobre, si je continuais sans tenir compte des conditions particulières de l’enseignement à distance, j’aurais perdu la moitié de mes élèves. J’ai trouvé une solution qui ne me satisfait pas entièrement, mais qui a permis à une majorité d’entre eux de suivre.

    Il me reste beaucoup à apprendre pour donner plus de place à ces vidéos dans mes cours. J’espère progresser en échangeant avec les collègues et en participant à des ateliers comme ceux du CLIC 2020 qui m’ont déjà beaucoup apporté.

    Ton site montre que tu aimes l’innovation pédagogique. Est-ce que ça a été aussi le cas quand est arrivé Scratch lors de la réforme de 2016, avec des motivations pédagogiques pas toujours évidentes à cerner ? Et comment as-tu procédé pour choisir les activités Scratch disponibles sur ton site ?

    J’ai appris à programmer en première année d’université et mes débuts ont été très chaotiques : je n’ai pas compris un mot des cours théoriques pendant tout le premier mois. Je passais des heures à noter des contenus vides de sens. Tout s’est finalement éclairé lorsque j’ai vu s’exécuter mes premières lignes de codes lors d’un TP. J’ai pu réorganiser les contenus de mes cours et leur donner du sens. J’ai donc une idée très précise des blocages que peuvent rencontrer mes élèves.

    Quand Scratch est apparu avec la réforme, j’ai eu envie de créer des fiches pour aider les élèves dans mon cas. J’ai été rejointe par Hélène Pellé puis par Stéphane Hélaine : les fiches ont été améliorées et les progressions complétées. Lorsque le programme officiel a été publié, j’ai trié les activités par niveau et j’ai mis de côté celles qui n’avaient pas de lien avec les attendus.

    Ces parcours doivent encore être retravaillés en introduisant des exercices Genially auto-correctifs (voir exemple), avant de passer à la programmation Scratch. L’intérêt pratique de Genially par rapport à une approche totalement débranchée est ici que les élèves peuvent valider leur raisonnement (ordonner des « briques algorithmiques » pour décrire la construction d’une figure donnée) sans devoir faire appel au professeur : en effet, Genially leur affichera un message de félicitations dès que les « briques algorithmiques » seront déposées au bon endroit. Tous les jeux et exercices autocorrectifs sont possibles uniquement grâce aux fabuleuses extensions créées par le collectif S’Cape.

    Il y a sur ton site d’autres rubriques dont nous n’avons pas encore parlé. Par exemple, pourrais-tu nous présenter celle intitulée « problèmes ouverts » où on voit aussi des travaux de groupes ?

    J’ai eu la chance de faire partie du groupe de formateurs de l’académie d’Orléans-Tours et, dans le cadre de l’accompagnement aux programmes de 2008, nous avons travaillé sur les problèmes ouverts. Ce sont des problèmes qui incitent les élèves à élaborer des stratégies pour les résoudre. Ils développent le goût de la recherche, contrairement à des problèmes classiques qui visent plutôt à réinvestir des connaissances déjà étudiées. L’énoncé est court et simple, il n’induit ni la méthode, ni la solution et permet à chaque élève de s’engager dans une démarche en développant ainsi sa capacité à chercher.

    Les élèves sont encouragés à faire des essais pour trouver une conjecture, puis à la tester et à recommencer jusqu’à ce que la conjecture soit validée. L’IREM de Lyon propose de nombreuses ressources sur les problèmes ouverts, les situations problèmes et les narrations de recherche.

    J’ai découvert les activités de groupe ma première année d’enseignement, grâce à l’un de mes formateurs, André Pressiat. Ces activités rendent les élèves actifs : ils confrontent leurs différents points de vue sur un problème donné.

    Dans ma salle de classe, les tables sont regroupées en îlots et les élèves sont habitués à travailler ensemble. Ils sont ainsi amenés à considérer des situations sous différents angles. Au-delà des objectifs mathématiques, c’est l’occasion de travailler une autre compétence essentielle : communiquer.

    Qu’est-ce qu’une « tâche complexe » ? Quelle est la vertu pédagogique de cette activité particulière ?

    Les tâches complexes sont préconisées depuis l’institution du socle commun en 2005. Elles permettent aux élèves de construire des compétences et, pour cela, ils doivent mobiliser des connaissances, des capacités et des attitudes. L’énoncé a les mêmes caractéristiques que celui d’un problème ouvert, mais on ajoute des conditions supplémentaires. Il doit être :

    • concret : un exemple de la vie courante
    • incomplet : l’élève doit repérer les informations manquantes et mettre en place les démarches pour les trouver.

    On parle de « tâche complexe » non pas dans le sens « tâche difficile », mais parce que le problème est construit de façon à ce que l’élève coordonne plusieurs tâches simples (non précisées) pour le résoudre. Ces tâches complexes sont l’occasion de travailler en groupe. Elles se font sur plusieurs séances (répartition des rôles et des tâches à accomplir, recherches en classe et en dehors de la classe, résolution du problème en groupe, exposé oral de la solution à la classe avec pour support une affiche ou d’un diaporama).

    Voici, par exemple, l’une des tâches complexes :

    Au retour des vacances, un gigantesque bouchon bloque l’autoroute d’Orléans. Personne ne circule entre les sorties « Olivet » et « Orléans centre » en direction de Paris. Combien de personnes sont immobilisées ?

    Les élèves vont rechercher le nombre de voies et la longueur de la portion d’autoroute entre les deux sorties. Mais ils vont aussi devoir estimer la longueur moyenne d’un véhicule, le nombre moyen de personnes par véhicule, la distance entre les voitures, le nombre de camions, de bus, etc.

    Faire une vidéo pour inciter les élèves à rédiger des fiches de cours, ça détonne un peu par rapport aux autres vidéos. Est-ce que ça s’est révélé efficace pour promouvoir cette méthode de travail très ancienne, mais qui demeure néanmoins indispensable pour progresser ?

    Voilà typiquement une vidéo faite pour éviter d’avoir à répéter la même chose à toutes mes classes en début d’année ;-). Avec toutes les activités, traces de recherche, exemples, définitions, propriétés, … qui sont dans le cahier de leçon, la fiche de cours est indispensable pour repérer ce qui est à retenir. C’est d’autant plus important pour les élèves de sixième qui souvent, n’ont pas eu à faire ce travail avant : à l’école, ce qui était à retenir était mis en évidence par le professeur. A nous de leur apprendre progressivement au collège à dégager les informations importantes. C’est l’une des étapes à franchir pour qu’ils deviennent suffisamment autonomes pour le lycée.

    Pour les y aider, je leur propose les fiches méthodes : c’est un outil qui me paraît efficace et qui semble leur convenir car ils continuent souvent d’eux-mêmes après avoir quitté le collège.

    Envisages-tu l’utilisation par des collègues de ton site et de ta chaîne dans le travail avec leurs élèves ? As-tu eu des retours de leur part ? Quelles recommandations leur ferais-tu ?

    Je suis ravie que le site et la chaîne soient utilisés. Je reçois beaucoup de mails encourageants, d’autres me signalant des erreurs et certains me donnant des idées : ça me fait à chaque fois très plaisir.

    Mais c’est surtout grâce au « Coin boulot des professeurs de mathématiques » et à Twitter, que j’ai pu partager, échanger et apprendre avec de nombreux collègues, parfois à l’autre bout de la planète. Cette période de confinement m’a permis de les rencontrer et de faire évoluer mes pratiques. J’ai appris plus en quelques mois qu’en plusieurs années, et je les remercie de m’avoir invitée à participer à autant de projets collaboratifs.