Laurent Praly explique comment il corrige les copies dématérialisées de ses élèves et le parti qu’il tire des vidéos personnalisées qui commentent les copies de ses élèves.
par Laurent Praly
L’auteur de l’article, Laurent Praly, est enseignant de mathématiques depuis 2005 et investi dans l’enseignement de l’informatique et des sciences du numérique.
L’exercice de correction dématérialisée des épreuves écrites du baccalauréat en 2013 dans la zone Asie-Pacifique, avec Viatique, plateforme expérimentée dans le réseau des établissements français à l’étranger fut une énorme surprise : passionné par les usages numériques, je n’imaginais a priori aucun intérêt pédagogique à une telle démarche.
Cette première mise en situation me prouve le contraire. L’ergonomie de travail est très bonne d’autant plus que le travail d’annotation est réduit lors d’une évaluation certificative. La consultation des copies est aisée. L’intégration du barème et le calcul automatique offrent une vue d’ensemble sur le travail de correction ainsi que des traitements statistiques clé en main. Le travail prend aussi une dimension collaborative avec un forum pour échanger et harmoniser notre pratique.
Deux questions se sont donc imposées à moi : Quelles seraient les plus-values de dématérialiser le travail de correction pendant l’année ? En pratique, quelle forme pourrait prendre un tel dispositif ?
Dans la suite de cet article, je vous partage mon dispositif le plus abouti : la capture vidéo du travail de correction des copies, partagée ensuite avec chaque élève à l’aide d’un dossier de partage ou une plateforme collaborative.
A l’aide d’une tablette (pour moi, une surface pro), je travaille sur les copies numérisées, c’est-à-dire un fichier pdf, qu’il est aisé d’annoter à l’aide d’un stylet. Je garde ainsi tout le confort du travail manuscrit. Mais plutôt que de développer mes commentaires et conseils à l’écrit, j’utilise un logiciel de capture d’écran, comme pour réaliser un tutoriel ou une capsule vidéo et j’enregistre le travail de correction. Je parcours la copie à l’écran, commentant à l’oral la copie et soulignant le propos à l’écrit. La copie corrigée, j’obtiens une vidéo fruit de ce travail et un fichier pdf de la copie corrigée. La copie des élèves reste vierge de tout commentaire.
Cette modalité de travail a complètement transformé ma pratique. Le temps passé en correction solitaire s’est transformé en un travail d’explicitation des démarches et d’aide personnalisée. Le temps de correction en classe n’a jamais été aussi court et efficace. Plus largement, et cela tient peut-être à l’oral, l’évaluation est plus facilement perçue comme formative par les élèves, accompagnant leur apprentissage.
Les trois temps du travail :
– Numérisation des copies
La clé est la fonction scanner des photocopieurs disponibles dans la salle des profs : cela se résume à déposer le tas de feuille dans le bac supérieur puis lancer la numérisation (simple ou recto-verso) vers une clé USB ou un dossier réseau.
La procédure est très simple à condition d’avoir banni les copies doubles ou les agrafes !
En effet, il faut s’assurer que les élèves composent sur un support adapté pour que la numérisation par lot soit efficace, sans bourrage, ni découpe fastidieuse des copies doubles. Je distribue donc des feuilles A4 aux élèves sur lesquels ils rédigent leur réponse. Pour être précis, ces feuilles sont lignées, avec des marges de 1,5 cm tout autour et un cartouche d’en-tête pour que l’élève s’identifie et les numérote.
A ce stade, notons déjà un premier bénéfice : l’enseignant n’a plus besoin de la copie originale. Il est possible de les rendre dès la numérisation effectuée. Elles participent aux échanges très riches qu’ont les élèves entre eux à l’issue d’une évaluation.
– Correction des copies par l’enseignant
La simple annotation des copies au format pdf présente des avantages comme la lisibilité des appréciations, la disponibilité des copies dans le temps, … mais cela rend surtout le travail plus chronophage encore.
C’est donc une piste que j’ai rapidement abandonnée, choisissant plutôt d’allier les annotations réalisées au stylet et les commentaires audio.
Voici trois exemples de production :
- Cette première capsule est un travail assez ancien. La correction est réalisée sans lecture préalable de la copie, une capture live en quelque sorte. Ce mode de réalisation reste satisfaisant, bien qu’à l’usage, les vidéos obtenues ont tendance à être longues et pour des élèves fragiles peu constructives.
- Dans ce deuxième exemple, le QCM a été corrigé avant l’enregistrement. C’était plus rapide ainsi et je développe à l’oral un conseil méthodologique pour ce format d’exercice. D’autre part, il est très simple d’ajouter d’autres éléments dans la copie de l’élève, comme l’insertion de la grille d’évaluation en fin de copie. Cela me permet de faire un bilan, l’équivalent d’une appréciation générale de la copie.
- Dans cette troisième capture, deux fenêtres sont juxtaposées à l’écran : la copie est en vis à vis avec la grille d’évaluation et les critères de réussite. L’idée est de gagner en clarté sur ce qui est évalué et ce qui constitue une réussite complète ou partielle.
En terme d’équipement, j’utilise :
- une surface pro, ici comme tablette et pour d’autres tâches comme ordinateur portable.
- le logiciel Drawboard pdf pour annoter la copie. Il présente l’avantage d’enregistrer une palette de style en accès rapide. J’ai ainsi une trousse à ma disposition.
- Screencast-O-matic ou OBS studio pour réaliser la capture d’écran.
A l’issue de ce travail, je dispose de deux productions :
- un fichier pdf correspond à la copie numérisée et annotées,
- un fichier vidéo contenant la correction commentée.
En pratique, je travaille donc sur un unique fichier pdf rassemblant toutes les copies, affiché à l’écran de la tablette :
- Je lance l’enregistrement vidéo et commence la correction.
- Je parcours la copie, commentant à l’oral et annotant.
Quelques pauses d’enregistrement sont utiles pour disposer d’un temps pour comprendre un raisonnement, trouver la source d’une erreur et éviter ainsi les temps morts ou les flottements. A ces exceptions, je vise une prise unique et j’exclus les montages vidéo, trop chronophage. J’assume donc des imprécisions possibles, des bruits extérieurs ou de me corriger “en direct” dans la mesure du raisonnable. - La correction achevée, je stoppe la vidéo et la sauvegarde dans le dossier de l’élève directement. Il s’agit d’un dossier partagé auquel seul l’élève accède. J’enregistre aussi les pages pdf correspondant à la copie de cet élève dans son dossier.
L’ENT des établissements d’exercice était alors Gsuite - Education et la question du traitement des données personnelles serait à préciser. En particulier, et tout en étant conscient des lacunes le concernant, je travaille à la mise en conformité avec le RGPD. - La sauvegarde de la vidéo occasionne un temps mort de 2-3 minutes. Cela me permet de faire un premier survol de la copie suivante. Ce travail est d’autant plus important pour les élèves fragiles, pour lesquels j’attache beaucoup d’importance à pointer des aspects positifs et à prioriser les erreurs à retravailler. Le risque est grand de produire une vidéo très longue et peu encourageante pour l’élève.
– Rendu des copies en classe et travail avec les élèves
J’ai testé de multiples configurations pour « rendre le devoir » aux élèves.
Il était d’abord tentant de laisser les élèves visionner la correction seul à la maison, mais l’expérience fut peu probante. Les élèves fragiles évitent naturellement cette confrontation. C’est donc devenu un rituel de classe, en salle informatique, avec un temps dédié et annoncé pour que les élèves se présentent muni d’un casque et de leur copie (restée vierge). Les élèves accèdent à un dossier privé et partagé avec moi à l’année, dans lequel j’enregistre au fur et à mesure mes corrections.
Pendant le temps nécessaire au visionnage, l’enseignant est en quelque sorte assis simultanément à côté de chacun de ses élèves, lui apportant des conseils personnalisés. C’est un temps très riche, à commencer par la surprise dès mes premiers essais en classe de voir les élèves se saisir naturellement de leur copie originale et de l’annoter.
La dynamique de groupe et la ritualisation de ces corrections contribuent efficacement à l’adhésion des élèves. Et je me consacre aux deux ou trois élèves les plus fragiles pour lesquels l’exercice reste difficile. Même avec un discours positif et constructif, il est difficile d’entendre énuméré pendant 5 min un ensemble d’erreurs ou de lacunes dans ses connaissances.
Plus-values pédagogiques
D’abord quel plaisir de rentabiliser tout le temps passé en correction solitaire. Les élèves prennent la mesure du temps de travail que représente une correction et ils sont associés au processus. Cela favorise une atmosphère de travail et de correction autonome, questionne les élèves sur leurs erreurs. L’explicitation des objectifs d’apprentissage et les critères de réussite aide l’élève à mieux se situer dans son parcours.
Dans mon exercice professionnel, cela m’a permis de me saisir de l’évaluation comme un levier d’accompagnement des élèves dans leur apprentissage, de mieux faire dialoguer évaluation, enseignement et apprentissage au quotidien. C’est exigeant puisque très explicite, mais les échanges avec les élèves sont très féconds et plus apaisés.
Je vous soumets aussi d’autres avantages :
- Une fois scannées, les copies ne sont plus utiles pour l’enseignant. Elles peuvent être rendues très vite aux élèves et être le support d’échanges entre pairs dans les heures qui suivent le devoir.
- L’oral donne beaucoup de liberté, de richesse aux explications données. Au travers de la vidéo, les élèves se retrouvent associés au travail de correction. Ils sont plus critiques face à leur propre travail.
- L’oral revêt aussi un caractère moins définitif que l’écrit. Les élèves sont ainsi plus réceptifs aux conseils donnés.
- Les copies d’élèves étant vierges, les élèves corrigent volontiers leurs erreurs aux fils des conseils donnés en vidéo.
- En mathématiques, un sujet de devoir est souvent composé de plusieurs exercices indépendants. Puisqu’il n’y a plus de contrainte sur le rendu de la copie, on peut imaginer corriger seulement l’un d’entre eux pour toute la classe et réaliser sa correction en classe dès que possible. Puis corriger un autre exercice, faire le retour en classe ensuite, ... Il est donc possible de fragmenter les temps de classe dédiés à cette correction. Un devoir de quatre exercices pourra donc être corrigé en quatre occasions étalées sur une semaine ou dix jours, plutôt que d’être corrigé intégralement une semaine plus tard.
Bien que l’accès à une salle informatique restera souvent un préalable pour une telle stratégie, l’usage des smartphones des élèves pourrait aussi être une piste à explorer. - Le dispositif s’adapte parfaitement à la correction d’autres supports, en particulier numérique (code informatique, présentation, …).
Quel coût pour l’enseignant ?
J’ai déjà détaillé plusieurs plus-values du dispositif : richesse des commentaires, oralité qui favorise le questionnement des élèves sur les attendus, qualité des conseils et remédiation, …
A mon échelle, cela a donné corps à une évaluation formatrice. Mais ces nombreux bénéfices sont à mettre en regard avec l’investissement de l’enseignant.
Avec de la pratique, mon temps de correction est équivalent à celui passé sur feuille. La principale difficulté touche aux habitudes de travail et plus particulièrement à l’espace numérique personnel de travail. Il s’agit donc de :
- fournir aux élèves les feuilles sur lesquelles ils composeront.
- limiter les prises et exclure tout travail de montage des vidéos réalisées.
- numériser les copies. C’est une formalité dès qu’un photocopieur moderne est à disposition.
- être au calme pour commenter la copie. C’est un exercice aussi plus spontané : il faut accepter de se reprendre, de s’embrouiller dans une explication sans refaire la prise.
- faire évoluer son matériel pour corriger sur un ordinateur. Difficile d’annoter avec une souris, on cherchera à retrouver le confort et la souplesse du stylo. Cela peut prendre plusieurs formes : utiliser une tablette, investir dans une tablette graphique, ou prévoir de renouveler son ordinateur par un modèle hybride.
- développer sa culture numérique et être agile dans les va-et-vient entre logiciels.
- dans le prolongement des deux points précédents, repenser son espace personnel de travail numérique, c’est-à-dire rechercher un maximum d’ergonomie et de cohérence entre le matériel, les logiciels, l’ENT de l’établissement et notre pratique numérique.
L’expérience est pour moi très concluante, avec des bénéfices largement supérieurs au temps investi. Ce dispositif s’est construit sur plusieurs années, jalonnées de nombreux réglages et d’ajustements. C’est un temps long qui m’a permis de développer ma pratique numérique. Aussi j’espère que ce partage vous permettra de tenter l’aventure et ainsi de vous faire votre propre idée, de construire votre propre dispositif si vous le souhaitez.
Laurent Praly laurent.praly@ac-lyon.fr