par Hervé Milliard
Vouloir écrire un article complet sur le tableur est un défi que je n’essaierai pas de relever.
Autre article de l’auteur dans MathémaTICE.
Note à propos du titre : [1]
Au-delà des poncifs que l’on peut entendre ici ou là, entrer dans un niveau de compréhension acceptable demande beaucoup de connaissances, d’analyse de ce qui a été produit et de compréhension de la logique qui sous tend ce logiciel peut être le plus répandu dans le monde.
Connaître l’histoire de son apparition et de son développement, l’entrée en force d’Excel qui fait toujours grincer pas mal de dents dans le monde éducatif, est une étape incontournable pour comprendre en quoi il peut être utile, et en quoi il peut poser des problèmes.
De très nombreux ouvrages papiers ou numériques ont été produits sur cette histoire du tableur, sur son utilisation dans l’enseignement, sur les erreurs qu’il peut générer, sur la justification d’une approche constructiviste dans l’apprentissage etc.
Beaucoup d’auteurs, la plupart anglo-saxons, ont produit une abondante littérature (Baker, Lee, Sugden, etc.) mais aussi en Europe, et très tôt, c’est en mathématiques que l’on va exposer des analyses sur l’utilisation du tableur à l’école, son intérêt dans la compréhension des concepts.
Il ne faut pas le cacher : L’utilisation du tableur dans l’enseignement a fait débat dès son entrée effective dans les classes. L’utilisation d’un produit commercial comme l’est Excel a déclenché quelques guerres de religion, bien que tout livre ou calculatrice acheté pour l’enseignement ait le même statut.
C’est peut être la formation « attachante » à l’individu, bien au-delà de son initiation qui pose de réels problèmes.
Il est donc intéressant de faire un petit point résumé à l’usage des enseignants qui utilisent le tableur et souhaitent avoir un peu de recul sur cet objet nommé abusivement « Excel » comme le frigidaire avait remplacé le réfrigérateur.
I. Un petit bout d’histoire pour mieux comprendre
– Etape 1
Le tableur n’a pas d’inventeur, ni de date d’invention. Depuis les bouliers, les fameuses Spreadsheet, ces immenses feuilles de papier qui servaient à établir les comptes des entreprises, les premières simulations faites En 1961 à Berkeley par Richard Mattesich, les premières feuilles de calcul informatisées de par Pardo et Landau, qui déposent le brevet
correspondant en 1970, on pourrait de manière un peu arbitraire dire que la première forme moderne du tableur apparut en 1978 avec le premier « VISIBLE CALCULATOR » (Visicalc) .
Ce premier logiciel que nous appellerons maintenant « Tableur » mérite un peu d’attention : C’était la première fois qu’on pouvait utiliser un logiciel sans savoir en rien programmer !
Le tableur allait basculer du monde restreint des informaticiens vers le monde immense de l’entreprise : une révolution incommensurable.
Ceci reste un fait très important dans le débat actuel, même et surtout pédagogique, et en particulier représente un problème pour les informaticiens :
Comment peut-on utiliser intelligemment un logiciel alors qu’on ne le programme pas ? Qu’on ne sait expliquer quel est son mode de fonctionnement ? Qu’on ne peut donc en maîtriser les problèmes possibles issus de son utilisation ?
L’histoire (sûrement légendaire ?) raconte que c’est un jeune étudiant Daniel Bricklin, brillant étudiant à Harvard, qui, plutôt que de calculer à la main, préféra programmer « un tableau noir et une craie électronique ».
Et après avoir vu effaré son professeur recommencer au tableau une immense feuille de calcul suite à une erreur !
Qu’elle soit vraie ou pas, elle est indéniablement vraisemblable. Le besoin se faisait pressant d’automatiser les feuilles de calcul. L’histoire est en marche.
Début 1979 Bricklin créè Software Arts Corporation ; en mai 1979, la société Personal Software de Fylstra, nommée plus tard VisiCorp, lança la commercialisation.
Ceci est une deuxième et forte raison de rejet de la part de nombreux enseignants : Le tableur est né non pas pour des raisons pédagogiques, mais uniquement pour des raisons utilitaires.
– Etape 2 : De Mitch Kapor à Bill Gates.
L’épopée du tableur était lancée et la course à l’automatisation et à l’ergonomie allait s’accélérer :
- 1980 : Après avoir été éconduit par sa société Personal Software qui ne croyait pas à son produit, Mitch Kapor se lance :
Il créa Lotus Development Corporation en 1982 et lança Lotus 1‐2‐3 en 1983. Avec de réelles avancées et des améliorations spectaculaires comme la création facile de graphiques ; mais le futur géant Microsoft, né en avril 1975, à Albuquerque, du besoin de deux étudiants américains, Bill Gates et Paul Allen, était déjà à l’affut à la même époque et il lance à la même date son premier tableur « Multiplan » qui fera un flop ne parvenant pas à toucher le dominant Lotus.
- Mais en 1984, le Mac et ses puissantes possibilités graphiques, son ergonomie nouvelle et exceptionnellement aisée offre à Microsoft sa planche de salut :
La version Excel pour Mac a un succès immédiat, comme la version de 1987 pour PC qui propulsera Microsoft vers ses futurs sommets.
Le sucès d’Excel n’est pas seulement du au hasard ; il concurrencera Lotus qui résistera bien jusqu’en 1989, mais ce dernier va sombrer malgré une exceptionnelle résistance face à une concurrence acharnée de nombreux tableurs produits par différentes sociétés.
Excel renforce la possibilité de construire des applications produites par l’utilisateur, et la souris a facilité la sélection des plages de cellules et la propagation des formules par glissement du pointeur.
Liebowitz et Margolis, 1999
De la suite office produite par Microsoft dès 1987, et qui comporte les logiciels indispensables de bureautique, Excel est de loin le meilleur produit.
– Etape 3 : La réaction de la concurrence ne se fait pas (trop) tarder.
- 1980 : Une entreprise allemande crée la suite star office de bureautique,
- 1999 : Rachat de l’entreprise par Sun microsystem
- 2000 : Sun annonce que le code source sera désormais disponible sous licence General Public Licence.
- 2001 : Naissance du projet OpenOffice.org francophone.
Cette nouveauté est capitale car elle commence avec succès une extension alors originale du mode de développement communautaire écrit en langue native par les participants.
Cette suite obtiendra un réel succès, sans inquiéter toutefois le géant américain, il atteindra en Europe de 15 à 20 % de part de marché et a pénétré le marché des entreprises qui souhaitent utiliser des formats de fichier standards et stables dans le temps.
Selon les affirmations de Sun, le logiciel a franchi fin 2009 la barre des 100 millions de téléchargements depuis le lancement de la version 3.0. C’est un succès notable, affiché par une société qui n’a rien, malgré tout, de philanthropique.
Comment et pourquoi le tableur de Microsoft a-t-il pris la part essentielle ?
Cela mériterait un long exposé, mais pour faire bref, on peut exposer les affirmations les plus intéressantes ;
« Il est important de noter qu’Excel a été conçu d’emblée pour un système d’exploitation graphique. Selon Bill Jelen, Excel l’emporte sur ses concurrents, Lotus et Quattro, en termes
de fonctionnalités dont beaucoup restent probablement encore inconnues des utilisateurs actuels, mais apparaît beaucoup plus lent à cause des machines qui ne sont pas encore suffisamment performantes. Ainsi, un article de Jared Taylor paru en décembre 1987 dans PC Magazine65, décrit Excel comme « bien plus puissant que Lotus 1-2-3, mais souligne le fait que nombre d’utilisateurs ne sont pas prêts à payer le prix élevé d’une machine assez puissante pour le faire tourner. »
– Etape 4 : la guerre fait rage. 2010 :
- Après ses séries Office 2000, Xp, 2007, Microsoft lance sa suite Office 2010 avec des nouveautés pour Excel comme les web applications pour le partage des fichiers, et l’annonce de la fin (enfin !) des multiples problèmes avec les classeurs partagés.
- La suite bureautique OpenOffice.org 3.2 débarque en version finale, en intégrant des fonctionnalités proches d’Excel, avec l’introduction de la sélection multiple pour la définition des bordures sur les cellules, d’une meilleure prise en charge des cellules fusionnées et des fonctions de statistiques.
- La révolution Google est en marche. Le géant américain a lancé une attaque frontale contre Excel dès 2006 (Rachat de JotSpot, un site hébergeur de wikis intelligents comportant des pages de tableurs et d’agendas collaboratifs, et d’ Irows, Tableur en ligne du type Google Spreadsheets)
Cette introduction d’un tableur en ligne, prévue depuis déjà longtemps à l’encontre de l’autre géant vieillissant qu’est Microsoft, est la première étape d’une marche puissante qui va dans le sens de l’histoire. Ceux qui ont acheté les versions successives d’Excel (et donc mobilisé des sommes importantes) et réinstallé l’ensemble à la suite de problèmes d’ordinateur personnel, subi les multiples problèmes de compatibilité de format, et de difficultés de travail collaboratif vont enfin pouvoir respirer. - Le tableur est accessible en ligne, et il n’y a donc aucun programme à télécharger,
- Les fonctionnalités standard d’un tableur classique sont présentes, mais ne disposent, loin s’en faut, de fonctions aussi avancées que celles d’Excel.
- Tous les fichiers sont enregistrables sur un serveur extérieur à l’ordinateur personnel et donc accessible en ligne de n’importe quel point de connexion internet.
- Le travail collaboratif devient donc possible avec toutes ses fonctionnalités : Tout partenaire qui dispose de l’autorisation du créateur de la base peut modifier le document en temps réel.
- Les participants peuvent aussi dialoguer en temps réel, au fur et à mesure de la modification du document.
- Le format est celui du Web ; le problème ne se pose qu’au moment de l’importation des données pour les utiliser sur un « tableur-machine »
Ces 2 formats d’importation sont :- Le format CSV, (« Comma-separated Values »), c’est-à -dire les valeurs sur des lignes successives avec un séparateur entre elles : c’est un format ouvert et aussi le format le plus simple ;
- le format XLS, d’Excel, dont il faudra vérifier la compatibilité avec les différentes versions ;
- Le format HTML est possible pour conserver les informations en tant que page Web avec des tableaux, avec tous les avantages d’un format ouvert.
Le danger de cette introduction qui va dans le sens de l’histoire est vite compris par Microsoft qui va réagir en lançant en 2009 Windows Live et Office Live, deux produits, jusqu’à maintenant distincts, et qui feront bientôt partie de la suite Google Apps.
Ainsi, Microsoft regroupera en un seul produit ses solutions de messagerie, ses services de courriel et de blogue, comme sa suite bureautique en ligne.
Qui financera ces outils gratuits ? Sans nul doute la publicité, d’une façon ou d’une autre…
II. Le tableur dans l’enseignement français
Si, parfois, l’utilisation du tableur fait débat,, ce n’est quasiment pas dans l’enseignement primaire, du collège, du lycée où il est unanimement accepté. Il fait partie des programmes, des consignes de commentaires de programme, de la pratique enseignante, de la pratique élève dans des conditions et des fréquences d’utilisation très variable, c’est certain.
Le rejet se fait dans l’enseignement supérieur, à beaucoup de niveaux de celui-ci, et avec parfois une véhémence de mes collègues qui me surprend encore.
Petite analyse des commentaires officiels qui montre aisément que ce n’est plus un débat, mais des consignes claires d’utilisation fréquentes :
– Le tableur dans le primaire :
Un excellent travail à ce sujet a été publié dans la revue MathémaTICE.
Très bon résumé de ce qui doit se faire, de ce qui peut se faire, et de ce qui se fait avec des exemples très intéressants.
– Le tableur au collège :
Je laisse la place à quelques consignes et commentaires du programme car ils montrent au fil des phrases une ligne directrice claire, avec les grandes orientations, comme les objectifs ponctuels :
« Le tableur grapheur fait l’objet d’une initiation dès la classe de cinquième et doit être largement utilisé. »
« L’utilisation d’outils logiciels est particulièrement importante et doit être privilégiée chaque fois qu’elle est une aide à l’imagination, à la formulation de conjectures ou au calcul. »
(Extrait programme collège) «
« [..] Le tableur grapheur dès la classe de 5ème donne la possibilité de traiter de situations réelles, présentant un grand nombre de données et étudiées, chaque fois que c’est possible, en liaison avec l’enseignement des autres disciplines dont les apports au mode de pensée statistique sont multiples et complémentaires. »
« [..] L’utilisation du tableur-grapheur est intimement liée au travail de traitement des données dans la mesure où il permet non seulement d’exécuter les différents calculs nécessaires dans des conditions favorables mais aussi d’obtenir directement les représentations graphiques souhaitées. C’est donc une nécessité de débuter l’apprentissage de cet outil dès la cinquième (le niveau auquel on commence à construire de l’information) ! »
« [..] Consolider la maîtrise des fonctions de base d’un environnement informatique, plus particulièrement dans un environnement en réseau, constitue un premier objectif. Ensuite, par une première approche de la réalisation et du traitement de documents numériques, l’élève comprend l’importance des données saisies ou capturées et de la nature du logiciel sur le résultat obtenu : utilisation d’un tableur, »
« [..] Le travail en classe proprement dit doit être complété par des séances régulières en
salle informatique où l’élève utilise lui-même les logiciels au programme (tableur, grapheur, logiciel de géométrie). »
« [..] ..pour faire constater d’une part la perte d’information et d’autre part le confort et la fiabilité qu’apporte l’utilisation d’un tableur pour effectuer un tel calcul. »
Utilisation du tableur en mathématiques au collège
Le but n’est pas de faire monter le niveau technique d’utilisation du tableur par les élèves.
Ces logiciels sont complexes dès qu’on pousse dans l’apprentissage et de plus leur évolution les tourne de plus en plus vers un niveau professionnel au détriment de logiciels plus « grand public »
La question de fond est bien posée par un document issu d’une recherche d’un groupe d’enseignants : (Académie de Nantes. Document rédigé par Stéphane Percot)
Quelles sont les savoir-faire techniques utiles aux élèves pour faire des mathématiques avec un tableur ?
La réponse n’est pas simple et pourrait varier beaucoup trop fortement selon le pédagogue interrogé.
Mais une réponse peut être :
C’est le niveau tel que l’élève peut choisir le tableur à bon escient, et travailler en autonomie avec pour résoudre plus vite un problème d’ordre mathématique.
« Il présente un grand intérêt pour gérer et étudier un grand nombre de données numériques. Il donne donc la possibilité de confronter les élèves à des situations plus riches, et plus motivantes, sans que les obstacles au niveau de la maîtrise des calculs ou au niveau du temps nécessaire pour le traitement de ces données ne parasitent la réflexion. Le grapheur, qui lui est en général associé, facilite aussi la présentation des données sous des formes variées (nuages de points, tableaux, diagrammes). En découle la possibilité de laisser aux élèves le choix de la représentation la mieux adaptée pour répondre à la question posée. »
– Le tableur au lycée :
« L’objectif de ce programme est de former les élèves à la démarche scientifique sous toutes ses formes pour les rendre capables de :
- modéliser et s’engager dans une activité de recherche ;
- […]
- utiliser les outils logiciels (ordinateur ou calculatrice) adaptés à la résolution d’un problème ;
[…] L’utilisation de logiciels (calculatrice ou ordinateur), d’outils de visualisation et de représentation, de calcul (numérique ou formel), de simulation, de programmation développe la possibilité d’expérimenter, ouvre largement la dialectique entre l’observation et la démonstration et change profondément la nature de l’enseignement.
En particulier, lors de la résolution de problèmes, l’utilisation de logiciels de calcul formel peut limiter le temps consacré à des calculs très techniques afin de se concentrer sur la mise en place de raisonnements.
[..]L’utilisation régulière de ces outils peut intervenir selon trois modalités :
- par le professeur, en classe, avec un dispositif de visualisation collective adapté ;
- par les élèves, sous forme de travaux pratiques de mathématiques ;
- dans le cadre du travail personnel des élèves hors du temps de classe
Diversité de l’activité de l’élève
- chercher, expérimenter, en particulier à l’aide d’outils logiciels ;
- appliquer des techniques et mettre en œuvre des algorithmes ;
- raisonner, démontrer, trouver des résultats partiels et les mettre en perspective ;
[..] Algorithmique (objectifs pour le lycée)
La démarche algorithmique est, depuis les origines, une composante essentielle de l’activité mathématique. Aucun langage, aucun logiciel n’est imposé.
L’algorithmique a une place naturelle dans tous les champs des mathématiques et les problèmes posés doivent être en relation avec les autres parties du programme (fonctions, géométrie, statistiques et probabilité, logique) mais aussi avec les autres disciplines ou la vie courante.
À l’occasion de l’écriture d’algorithmes et de petits programmes, il convient de donner aux élèves de bonnes habitudes de
- rigueur et de les entraîner aux pratiques systématiques de vérification et de contrôle.
- Instructions élémentaires (affectation, calcul, entrée, sortie).
- Les élèves, dans le cadre d’une résolution de problèmes, doivent être capables :
- d’écrire une formule permettant un calcul ;
- d’écrire un programme calculant et donnant la valeur d’une fonction ;
- ainsi que les instructions d’entrées et sorties nécessaires au traitement.
- Boucle et itérateur, instruction conditionnelle
- Les élèves, dans le cadre d’une résolution de problèmes, doivent être capables :
- de programmer un calcul itératif, le nombre d’itérations étant donné ;
- de programmer une instruction conditionnelle, un calcul itératif, avec une fin de boucle conditionnelle.
Le tableur, horreur pédagogique ?
Ce logiciel fait à l’usage des entreprises, les rapports la comptabilité et les déclarations fiscales a t’il une place dans l’enseignement ?
Beaucoup de pays dont la France ont répondu oui, et pourtant les critiques sont nombreuses :
Comme l’écrivent Bruillard Éric. Blondel François-Marie en 2007 :
« On a fourni une sorte d’ardoise magique pour les calculs. Mais n’a-t-on pas transformé des utilisateurs en apprentis sorciers, donnant des outils professionnels à des non-professionnels, ou plutôt à des non-programmeurs ? Cela ne va-t-il pas provoquer des désastres ? La sonnette d’alarme a déjà retenti [..] : »
Mauvaise compréhension de ce qu’on fait, logiciel sans direction essentiellement construit selon un processus darwinien où les essais sont multiples et où seul ce « qui marche » subsiste, peu de possibilités de boucles ou d’itérations, etc.
Le constat sur le terrain a montré que de très nombreuses feuilles de calcul contenaient des cellules erronées ( ?)
L’utilisateur n’aurait, en général, aucune idée du contrôle des erreurs et il est peu conscient des conséquences d’une erreur lorsqu’elle survient.
Pour le programmeur, c’est un logiciel sans méthode rigoureuse de développement. L’utilisateur de tableur construit en général par empilement à partir d’une structure de base qu’il modifie jusqu’à ce que « ça marche ». Ce qui explique une fois de plus en partie la défiance de ces derniers à l’égard d’un logiciel qui ne permet que de la « programmation fouillis ».
Les célèbres macros sont utilisées comme des boîtes magiques qui rendent difficile une construction cohérente.
Selon Michel Volle, La sociologie de l’entreprise confère donc au tableur un rôle ambigu : c’est un outil de travail commode mis à la disposition de tous, mais il est générateur d’erreurs et difficile à entretenir. Il est lu par des personnes qui ne le maîtrisent pas et ne sont donc pas capables de comprendre les formules qui mènent aux résultats exposés.
III. Pourquoi utiliser dans l’enseignement ce logiciel ?
Une des premières réponses, bien qu’évidente, doit être clairement exposée :
Puisque le principal reproche est que les utilisateurs de tableurs, formés « sur le tas » utilisent des outils mal maîtrisés, il convient de les éduquer et de leur exposer les grands principes de fonctionnement du logiciel.
Quelques chiffres, issus d’une enquête de 2006 (Dartmouth College USA) :
Dans les entreprises, Excel est utilisé à plus de 99 %, et plus de 90% des utilisateurs du logiciel affirment avoir une solide expérience ou une maîtrise de niveau expert.
Or, ils reconnaissent en même temps à presque moitié n’avoir eu aucune formation pour cela !
La deuxième réponse vient du fait que le principal utilisateur de tableur dans l’enseignement sont les mathématiques et à moindre niveau la physique, les sciences de la vie et de la terre.
Or cette discipline n’a pas vocation à former des informaticiens de métiers, mais doit faire dès la seconde une solide formation à l’algorithmique, exposant les principes fondamentaux, donnant même les types d’instruction de base, les itérations, les boucles.
L’apport du logiciel est incontestable en tant qu’outil et seulement cela :
Statistiques et manipulation de données en grand nombre, simulation en probabilités, construction de graphiques dynamiques, et peut être ce qui m’impressionne le plus, malgré un aspect moins spectaculaire : la possibilité d’essai en grande quantité pour apporter une aide souvent déterminante dans la recherche de la solution.
A ce sujet, un exemple révélateur : un élève de terminale S de niveau très correct ne sait répondre au problème suivant :
On considère une suite définie par son premier terme U0 appartenant à l’intervalle I=[0 , 1] et l’expression : Un+1=Un2-1
Cette suite est elle convergente ?
Si on le laisse expérimenter sur un tableur, il constate assez rapidement que les suites extraites de rang pair et de rang impairs n’ont pas la même limite (-1 et 0). (sauf cas constante)
L’idée de la démonstration que cette suite est divergente sauf pour deux valeurs de l’intervalle s’impose alors à l’élève.
Cet exemple se veut générique : il ne s’agit pas de faire des spécialistes du tableur, mais des apprenants qui peuvent faire plus de mathématiques, plus difficiles et plus approfondies avec un tableur que sans.
Les autres gains sont multiples et demanderaient chacun de longs développements ; citons en vrac :
- La très grande facilité de travail sur un grand nombre de données (tri, recherche, extraction, etc.)
- Les puissantes possibilités de représentation graphique en 2D ou 3 D,
- Faciliter le processus de modélisation en vue de la résolution de problèmes,
- Favoriser l’éclosion de conjectures évoluées et faciles à pré-tester en faisant varier les paramètres,
+* Aider à la formulation des hypothèses, - Permet de clarifier des notions comme les variables, d’aborder de façon dynamique les relations fonctionnelles,
- L’aide à la prise de décision : un tableur contient des données et des règles qui éclairent la façon dont les mécanismes de calcul fonctionnent.
- Procéder à des estimations et faire les calculs, corréler les variables, faire des prédictions,
- Problèmes d’optimisation etc.
Beaucoup de travaux écrits principalement en langue anglaise montrent que l’utilisation du tableur dans l’enseignement permet de renforcer et de structurer le fonctionnement cognitif.
Cette structuration de la pensée passe par les étapes classiques de la recherche : imaginer, concevoir, mettre en forme, tester, améliorer, mouvoir les variables, choisir entre plusieurs alternatives etc.
La grande majorité des enseignants de la maternelle au lycée rend compte de ces apports.
IV. Quelques exemples en classe à télécharger
– La suite Un+1=Un2-1
– Un exemple de traitement de données réelles
– Le célèbre exemple des deux dés
D’autres exemples paraîtront dans le prochain numéro.