Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Mais où est donc le petit côté ?
Réfraction de la lumière et illusions d’optique.
Article mis en ligne le 2 avril 2010
dernière modification le 27 août 2022

par Xavier Caruso

Cet article propose une réflexion pédagogique de Xavier Caruso sur l’utilisation en classe du film « Mais où est donc le petit côté ? » dont il est l’auteur avec Jos Leys. Ce film pourrait trouver une place centrale dans le futur module « Méthodes et pratiques scientifiques » en Seconde (thème science et vision du monde).

Le film Mais où est donc le petit côté ? est visible ici : [https://www.youtube.com/watch?v=mK57opHz98s]

La réfraction de la lumière est un phénomène physique très important qui intervient évidemment dans de nombreuses questions de science (je pense notamment à l’optique ou à la chimie), mais aussi dans l’explication de certaines observations de la vie de tous les jours.

Conformément au programme en vigueur, on enseigne de nos jours la réfraction de la lumière, ainsi que quelques unes de ses utilisations en science, en classe de seconde. Cependant, le programme ne fait pas mention de ses manifestations dans la vie quotidienne, et ces dernières ne sont de ce fait pas souvent abordées. Bien sûr, on connaît tous l’exemple de la paille qui se casse lorsqu’elle est plongée dans un verre d’eau, mais il est plus rare que cet exemple soit réellement étudié(je veux dire, pas seulement évoqué) en classe. De même, le phénomène de mirage n’est pas souvent mentionné. Pourtant, nous pensons que ces exemples pourraient intéresser plus facilement certains élèves qui pourraient les reproduire en rentrant chez eux voire, pour les plus motivés, briller fièrement devant leurs parents [1] en leur donnant des explications.

C’est notamment dans l’idée de donner une place plus importante dans l’enseignement de la réfraction de la lumière à ces illustrations plus terre à terre qu’avec Jos Leys, nous avons réalisé un film d’animation d’une demi-heure intitulé« MAIS OU EST DONC LE PETIT COTE ? » et téléchargeable gratuitement depuis ma page web. L’approche choisie tout au long du film suit d’assez près la démarche expérimentale scientifique classique :

1. observation

2. modélisation

3. utilisation du modèle pour dériver des résultats ou des précisions

4. confrontation des résultats à la réalité.

Ainsi, en plus de son but premier, il nous semble que notre film peut servir de support pour un professeur qui souhaiterait expliquer et illustrer le fonctionnement de cette démarche expérimentale.

Pour illustrer mon propos, j’aimerais ci-dessous décortiquer le film scène après scène et montrer que chaque nouvelle scène correspond à une nouvelle étape de la démarche expérimentale. J’aimerais montrer, en plus de cela, comment il me semble possible à un professeur d’utiliser ce cadre pour mettre en place une discussion en temps réel avec les lycéens. L’expression « en temps réel » signifie la discussion pourrait avoir lieu non pas une fois le film terminé, mais plutôt au fur et à mesure que l’on découvre la problématique.

Cette approche serait selon moi plus intéressante car elle permettrait aux élèves, d’une part de ne pas oublier le contenu du film au fur et à mesure, mais aussi de mieux participer à la réflexion.

Scène 1 : La description des phénomènes

Il s’agit de l’étape d’observation. Dans cette première scène, on se contente de montrer les trois phénomènes qui vont nous intéresser :

– premièrement, le lego scaphandrier qui paraît plus gros lorsqu’il est immergé dans un bocal ;

– deuxièmement, le phénomène très classique de la paille qui paraît se briser lorsqu’elle est plongée dans un verre d’eau ;

– troisièmement, la piscine qui ne paraît pas avoir la même inclinaison selon l’angle sous lequel on la regarde.

Après avoir vu visionné cette scène, il est déjà possible d’entamer une discussion. Tout d’abord, bien que les phénomènes présentés ne revêtent pas de difficulté particulière, il convient de s’assurer que toute la classe a bien compris de quoi l’on parlait.

Une fois ce point acquis, on peut déjà commencer à se demander comment il faudrait faire pour apporter

une explication à ce que l’on vient de constater. En particulier, même si cela peut paraître évident, le film

insiste bien sur le fait que le lego ne grossit pas réellement, la paille n’est pas réellement cassée, et la piscine est en réalité bien droite... que tout ceci ne sont que des effets d’optique. à partir de là, on peut conclure —et il me semble intéressant de discuter de ce point avec la classe—que l’explication du phénomène doit faire intervenir à un moment certaines caractéristiques de l’observateur (c’est-à-dire ici l’humain, ou plus précisément encore l’oeil humain) : sans observateur, il n’y aurait pas de phénomène (ou plus exactement, le phénomène serait différent). Bien sûr, comprendre le fonctionnement de l’oeil humain ne sera pas suffisant puisqu’il faudra bien aussi à un moment analyser le rôle perturbateur de l’eau, mais c’est quand même un point dont on ne peut pas faire l’économie.

Ainsi, à l’issue de cette première scène, il pourrait se dégager d’une discussion avec les élèves qu’il y a deux points essentiels à étudier qui sont (1) le fonctionnement de l’oeil humain, et (2) le rôle perturbateur de l’eau. La suite du film ne les décevra alors pas (à moins qu’ils ne préfèrent les scénarios à rebondissements) car c’est exactement ce qui va être fait.

Scène 2 : Le fonctionnement de l’oeil

On commence avec cette scène la modélisation qui est incarnée dans le commentaire du film par l’intermédiaire de la phrase « bien que l’oeil soit un organe d’une complexité immense, connaître tous les détails de son anatomie est loin d’être nécessaire si l’on souhaite seulement comprendre le mécanisme de la vision ; à vrai dire, il suffit même de raisonner sur un oeil simplifié à l’extrême comme celui-ci [...] ».

En paraphrasant, l’œil est quelque chose de trop complexe pour qu’on puisse l’étudier dans sa totalité, mais cependant pour ce que l’on souhaite faire il sera suffisant de dégager seulement quelques caractéristiques essentielles et de se focaliser sur celle-ci ; c’est exactement ce que l’on appelle une modélisation. Dans notre cas, par exemple, on retient simplement que l’oeil est une sphère formée d’une rétine et d’un petit trou, la pupille, qui laisse entrer la lumière tandis qu’on ne tient pas du tout compte du fonctionnement des capteurs lumineux qui peuplent la rétine, ni de la fac¸on dont ceux-ci transmettent l’information recueillie au cerveau.

D’un point de vue scientifique, cette étape qui consiste à isoler les caractéristiques pertinentes pour le problème étudié est à la fois primordiale et difficile. Il s’agit de quelque chose d’essentiel en science (et même ailleurs) qu’il est, je pense, judicieux d’aborder régulièrement avec des lycéens. Ce film, et plus particulièrement cette deuxième scène, pourrait être l’occasion d’une discussion à ce sujet. Quelques questions pourraient également être prévues, par exemple « pensez-vous que la forme sphérique de la rétine joue un rôle important pour ce que l’on veut faire ? ».

Par ailleurs, cette scène, restant volontairement floue ou imprécise sur un certain nombre de points, pourrait conduire à un certain nombre de questions des élèves (notamment en ce qui concerne les couleurs). Dans ce cas, mon avis est qu’il convient de leur répondre mais tout en restant vigilant à ce que le débat ne dérive pas trop. La question des couleurs, par exemple, est certes très intéressante en elle-même mais elle mériterait un autre film entier à elle seule !

Enfin, on pourra faire remarquer, si cela n’est pas apparu spontanément dans la discussion, que cette scène a montré que la lumière jouait un rôle fondamental dans l’affaire (puisque c’est elle qui transporte l’information). à partir de là, il devient envisageable d’amener les lycéens à découvrir d’eux-mêmes que le plus raisonnable est de penser que l’eau exerce son rôle perturbateur en agissant sur le comportement de la lumière (en effet, l’eau n’entrant jamais directement en contact avec l’oeil, il semble peu probable qu’elle modifie directement le fonctionnement de celui-ci). On a, comme ceci, à nouveau anticipé sur la suite du film et le contenu de la scène suivante ne devrait surprendre personne.

Scène 3 : La loi de la réfraction de la lumière

Dans cette scène, on souhaite comprendre l’effet de l’eau sur le comportement de la lumière, et pour cela on applique à nouveau la démarche expérimentale. Primo, on mesure (d’abord avec un rapporteur, ensuite avec un règle quand on se rend compte que l’on arrive dans une impasse si l’on se contente de mesurer les angles). Secundo, on cherche une formule mathématique qui colle aux mesures ; c’est, si l’on veut, en même temps l’étape de modélisation (i.e. écrire une formule qui rend compte de—qui modélise—le phénomène) et celle de vérification (i.e. s’assurer que la formule que l’on a écrite est bien en accord avec les mesures).

Ici, les deux dernières étapes sont réduites à leur strict minimum et donc il est difficile (voire, pour les plus sceptiques, tiré par les cheveux) de les distinguer. Mais il pourrait exister d’autres modèles du phénomène de réfraction (comme par exemple le modèle de Fermat qui stipule que la lumière suit toujours le chemin le plus rapide, ou encore le modèle de Huyghens) pour lesquels les deux étapes reprennent tout leur sens. Je dirais que cela ne vaut probablement pas le coup de s’attarder sur les subtilités précédentes à une classe de seconde, mais dans tous les cas, il y a un autre débat en lien avec cette scène qui mérite d’être mené ; c’est celui de la distinction qualitatif/quantitatif. Dans la première série de mesures, celle avec les angles, on a obtenu une courbe dont on peut se demander l’intérêt ; en effet, dans le film, on s’en débarrasse tout de suite, en admettant qu’il s’agit certes d’une jolie courbe mais que ce n’est pas pour cela qu’on sait l’exploiter. Et, en effet, trouver une formule précise et concise à partir de la courbe seule n’est pas aisé : je ne sais pas vous, mais moi spontanément, je ne pense pas à écrire :

B = arcsin(0,75 · sinA).

Cependant la courbe obtenue n’est pas dépourvue d’intérêt puisqu’on peut notamment en tirer un certain nombre d’informations qualitatives. Par exemple, lorsque l’angle A augmente, il en est de même de l’angle B. Ou bien, l’angle B ne dépasse jamais une certaine valeur limite. Ou encore, en s’approchant un peu plus du quantitatif sans toutefois y être entièrement, on peut remarquer que pour des angles A et B pas trop grands, la courbe ressemble à une droite et il y a donc presque proportionnalité. Ces informations, même si elles ne sont pas aussi précises que la loi de Snell-Descartes, ont quand même leur intérêt. Par contre, étant donné qu’elle se résume à une droite, la deuxième courbe présente de surcroît une information quantitative. Il est à noter également, que réussir à déduire une information quantitative à partir d’une courbe n’est en général possible que lorsque celle-ci est une droite, et c’est la raison pour laquelle on est particulièrement content lorsque l’on en rencontre. Si certains de vos élèves sont frustrés de devoir tracer plus souvent des droites que de jolies courbes rondelettes (pour reprendre le thème d’une chanson de Francis Reynes), vous pourrez leur expliquer maintenant d’où vient leur frustration ; tout simplement du désir de quantifier.

On peut d’ores et déjà remarquer [2] que la formule de Snell-Descartes sera certainement utile si l’on veut faire des calculs précis, mais qu’à vrai dire, nous sommes en fait plutôt intéressés par des informations d’ordre qualitatif (le bonhomme grossit, la paille se casse, etc.) et donc que la première courbe (qui ne requiert pas de penser à introduire les sinus des angles, et donc sans doute un peu moins de génie) devrait nous suffire amplement. Faire comprendre aux élèves que, bien que très importante, la formule mathématique n’est pas le seul contenu de la loi de Snell-Descartes devrait trouver sa place à ce niveau de l’échange.

Scènes 4 à 6 : Les explications

Maintenant que nous avons mis au point notre modèle (à la fois du fonctionnement de l’oeil humain et du rôle perturbateur de l’eau), il faut passer à l’étape de vérification et c’est exactement le contenu de ces trois scènes d’explication qui forment en fait un tout du point de vue de la démarche scientifique. Pour chacune des trois situations, on applique à la lettre le modèle que nous avons proposé et nous vérifions en guise de conclusion que le résultat qu’il donne correspond bien à ce que l’on observe.

Il n’y a sans doute pas énormément à épiloguer (du point de vue de la démarche scientifique, j’entends) en ce qui concerne ces trois scènes d’explication. Selon l’humeur et l’ambiance du moment, l’enseignant pourra toutefois revenir un instant sur la distinction qualitatif/quantitatif car s’il est vrai, comme on l’a déjà souligné, que l’on ne s’intéresse au final qu’à une information qualitative, la vérification est d’autant plus convaincante quand elle fait intervenir des informations quantitatives. En effet, on aurait été certes satisfait si l’on avait simplement conclu que notre modèle prévoyait bien la cassure de la paille ou l’infléchissement de la ligne de la piscine, mais on l’est encore plus lorsque le calcul (qui a été fait par ordinateur, et qui est certes un peu passé sous silence dans le film) donne exactement la bonne cassure ou la bonne déformation.
Scène 7 : Conclusion

Un point essentiel, à ne pas oublier, dans toute démarche scientifique (et aussi, littéraire) est bien sûr la conclusion dans laquelle on reprend la finalité de l’argumentation (ici, c’est le fait que la loi de Snell-Descartes s’applique parfaitement aux trois phénomènes étudiés) et où, éventuellement, l’on explique en quoi cela est important, inattendu et/ou original (ici, c’est le fait qu’il ne semblait pas clair a priori que les trois phénomènes, qui semblaient différents, étaient régis par une même loi). Profitez de ce moment pour dire à vos élèves (au moins à ceux qui n’ont pas fui dès que la sonnerie a retenti) de ne jamais oublier de conclure leur démonstration en disant qu’ils ont bien montré ce qu’il fallait — et par la même occasion en vérifiant pour eux-mêmes que c’est bien le cas. Si vous avez l’esprit taquin, vous pouvez ajouter que, généralement, cette unique phrase ne suffit pas à avoir les points.

Suivant mon propre conseil, je termine donc cet article pour une courte conclusion dans laquelle j’aimerais dire, qu’à l’issue de mon analyse, j’espère vous avoir convaincu, non seulement que le film suit de très près la démarche scientifique classique, mais que par ailleurs il peut être intéressant de présenter le film à une classe en le commentant (ou en invitant les élèves à le commenter) selon ce point de vue. Malgré tout, d’autres angles d’attaque restent bien sûr envisageables, et dans l’idée de vous donner aussi un peu de grain à moudre dans ces autres directions, laissez-moi vous renvoyer à cette notice dans laquelle on évoque un certain nombre de sujets (physiques et mathématiques) en lien direct avec ce qui est traité dans le film.

Bonne lecture.

Xavier Caruso

19 février 2010