Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Enseigner les mathématiques via l’algorithmique : une expérience et un ensemble de ressources pour l’école élémentaire
Article mis en ligne le 22 juin 2025
dernière modification le 23 juin 2025

par Pierre Tchounikine

Cet article présente les résultats de travaux portant sur l’enseignement de notions mathématiques à l’école élémentaire (division Euclidienne + multiples et diviseurs, décomposition additive, fractions, repérage et aire) via l’algorithmique et la programmation. Les ressources produites (plans de séquence, fiches élève, fichiers Scratch, vidéos de formation, retours d’expérience) sont à la disposition des enseignants sur le site expire.univ-grenoble-alpes.fr. L’article décrit les objectifs du projet, les principes didactiques et pédagogiques des séquences d’enseignement, leur évaluation scientifique et les recommandations qui en résultent pour les enseignants qui souhaitent les utiliser.

1. Contexte et objectifs

Le raisonnement sous-tendant les travaux est le suivant : depuis 2015, les programmes de cycle 3 stipulent que les élèves doivent bénéficier d’une initiation à l’informatique ; les enseignants ont souvent peu de connaissances en informatique mais également, pour certains, peu de motivations et/ou de temps ; il est donc utile de leur proposer, outre des éléments d’initiation (cf. par exemple ici) ou de réflexion (cf. par exemple ici et ) sur l’enseignement de l’informatique à l’école, des ressources « clés en main » et qui font sens pour eux ; proposer des séquences d’enseignement qui permettent à la fois d’initier les élèves à l’informatique et de pratiquer les mathématiques « autrement » est une option qui peut intéresser un certain nombre d’enseignants ; afin que ces enseignants puissent faire des choix informés il faut cependant comprendre si/comment ces ressources (1) sont facilement utilisables sans connaissances informatiques spécifiques et (2) permettent l’apprentissage des mathématiques.

Ce sont ces idées qui ont guidé les projets Expire (Expérimenter la Pensée Informatique pour la Réussite des Élèves, 2017-2021) puis Expire II (2022-2024), dont les principales actions ont été : élaboration de séquences d’enseignement ; formation d’enseignants, qui ont ensuite utilisé ces séquences en classes ($\sim$120 écoles, $\sim$200 enseignants différents et $\sim$6.000 élèves impliqués au total) ; analyse des effets sur les apprentissages des élèves ; amélioration de certains aspects pédagogiques et écologiques des séquences d’enseignement et de leur documentation via des groupes mixtes mêlant enseignants, formateurs Inspé/Rectorat et chercheurs ; affinement de la compréhension des gestes professionnels favorisant les apprentissages mathématiques, notamment en ce qui concerne l’explicitation des liens entre algorithmes, formules mathématiques et résolution des problèmes.

Du point de vue de l’informatique, l’utilisation de ces ressources est cohérent avec les programmes en application au cycle 3 à la rentrée 2025 : «  Au cycle 3, les élèves découvrent [la pensée informatique] à travers des activités en lien avec les mathématiques, pouvant être réalisées avec ou sans machine. Ces activités permettent de développer des compétences dans les domaines de l’algorithmique, de la logique ou encore de la résolution de problèmes complexes, tout en sensibilisant les élèves aux enjeux du numérique. Un lien peut être établi avec le cadre de référence des compétences numériques  ». Alors que les exemples/ressources permettant cette initiation sont généralement des activités « à la Logo » de déplacement d’un robot ou d’un objet à l’écran, les séquences proposées ici ont été conçues pour enseigner des notions mathématiques et, dans ce contexte, proposer une initiation à l’algorithmique. L’affinement de la séquence « division Euclidienne » conduit en 2024 résonne avec l’évolution des programmes donnant plus de place à la thématique « multiples et diviseurs ».

Principes didactiques et pédagogiques

Les séquences d’enseignement ont été élaborées par un travail pluri-disciplinaire mêlant didactique des mathématiques et informatique : des séquences « classiques » ont été retravaillées pour, notamment, passer d’une manipulation directe à une manipulation algorithmique.

La Figure 1 présente l’idée directrice sur l’exemple des multiples et de la division Euclidienne. Dans la situation papier-crayon habituelle, les élèves travaillent les multiples sur une bande numérique (a) avec des exercices type « Aller sur 24 en effectuant des sauts de 3 » : l’élève pointe successivement 3, 5, 8 ... jusqu’à 24 (b). Dans la situation informatique (c), la bande numérique papier est remplacée par un fond d’écran (d), et la manipulation directe (faire avancer le doigt ou un jeton) est remplacée par l’écriture d’un programme Scratch à l’aide de blocs ad hoc comme ’Avancer de 3’ (e), ce qui conduit à des solutions comme (f). L’élève peut tester sa solution en lançant le programme : le cercle repère se déplace alors selon les blocs utilisés (ici, il va avancer de 3 unités, s’arrêter un bref instant pour montrer le pas puis avancer de nouveau, jusqu’à 24). L’exemple en (g) montre une solution à l’exercice plus complexe « Aller sur 97 par pas de 7 avec un joker » (i.e., un dernier saut de longueur libre). Grâce aux blocs ad hoc proposés aux élèves (ici, des blocs ’Avancer de 1’, ’Avancer de 2’, ... ’Avancer de 10’) et au bloc prédéfini ’Répéter’ le code Scratch que doivent composer les élèves est extrêmement proche de ce que serait une écriture algorithmique en Français structuré, si bien que dans cet article ’algorithmique’ et ’programmation’ seront utilisés comme des synonymes.

Figure 1. Situation de travail sur les multiples et la division Euclidienne

La partie « sur ordinateur » d’une séance consiste à lancer Scratch puis à ouvrir le fichier contenant les exercices. Un premier exercice s’affiche (d) ainsi que, dans la zone de programmation, les blocs prédéfinis (e). Les élèves n’ont besoin d’utiliser que ces blocs (ce qui leur évite d’aller se perdre dans la longue liste de blocs proposés par Scratch, et évite aux enseignants d’avoir à gérer cela : comme les élèves, l’enseignant n’a besoin de connaître que les blocs utiles à l’exercice). Les élèves peuvent travailler en binôme ou tout seuls, au choix de l’enseignant. Faire un exercice consiste à agencer les blocs, lancer le programme et voir s’il fait ce qui est prévu (ici, si le cercle repère va au bon endroit). Un sélecteur d’exercice permet de passer à l’exercice suivant (chaque fichier en contient plusieurs, ce qui aide à gérer les différences de rythme entre les élèves). Les séances et les exercices suivent une progression, par exemple pour cette séquence (cf. Figure 2) : exercices sur les multiples simples, exercices avec des « bombes » à éviter (pour inhiber certaines valeurs) ou cachant une partie de la bande numérique (pour inhiber certaines procédures d’essais-erreurs), puis les exercices cibles (grands nombres demandant de faire des calculs sur papier pour trouver la solution, le pas est indiqué mais il faut trouver le « joker », i.e., le reste).

Figure 2. Progression (division Euclidienne)

Le passage de l’algorithmique vers les mathématiques se fait via un processus de verbalisation et de décontextualisation dont le principe est présenté en Figure 3 (cf. les plans de séquences et les recommandations aux enseignants pour les détails). Les séquences comportent des séances avec ordinateurs et d’autres sans ordinateurs.

Figure 3 : De l’informatique aux maths

De façon plus abstraite, les principes pédagogiques communs à l’ensemble des séquences sont :

    • La tâche de l’élève consiste à construire un algorithme qui permet d’obtenir un comportement cible, qui est stipulé par l’énoncé de l’exercice.
    • L’écriture de l’algorithme nécessite la mobilisation des notions enjeux d’apprentissage.
    • L’algorithme attendu est une explicitation de la procédure de calcul que l’on cherche à enseigner (les élèves construisent une solution dans un registre algorithmique, i.e., à l’aide des blocs Scratch ; l’enseignant les aide ensuite à passer au registre algébrique).
    • L’exécution de l’algorithme permet de visualiser la procédure proposée par l’élève.
    • Les propriétés des exercices impliquent différentes variables didactiques (par exemple, pour la division Euclidienne : taille du nombre cible ; taille des sauts libre / imposée ; reste nul / non nul ; trace visuelle des sauts ; présence de cases interdites ; masquage de la bande numérique).

La Figure 4 montre l’application de ces principes dans la séquence des fractions. Un exercice présente un rectangle (a) qu’il faut mesurer en construisant un programme à l’aide de blocs spécifiques (b) qui, à l’exécution, tracent des segments (cf. en (c) le résultat du programme ’reporter u’, ’reporter un tiers de u’, répéter 3 fois ’reporter un dixièmes de u’). Il est possible de construire plusieurs programmes de mesure du même rectangle, ce qui conduit à différentes écritures fractionnaires d’une même grandeur (d) qui peuvent ensuite être discutées lors des phases de verbalisation et de décontextualisation (e).

Figure 4 : Travail sur les fractions

La ressource proposée aux élèves (i.e., l’environnement Scratch + les blocs de programmation ad hoc + la boucle ’Répéter’) leur permet de construire et tester leur programme, et rien de plus. Dit autrement, il s’agit d’un environnement support à l’activité (à la manipulation), et pas un système tuteur : c’est à l’élève et/ou l’enseignant d’évaluer si le programme respecte les contraintes et fait ce qu’il doit faire (il ne se passe rien si le cercle-repère passe par une case « bombe » ou si l’algorithme mesure mal le rectangle). Il y a cependant eu des cas d’utilisation où des enseignants ou formateurs ayant récupéré les exercices sur le site les ont modifiés pour que le système indique à l’élève si son programme donne le bon résultat ou pas.

Techniquement, un exercice correspond à un ’arrière-plan’ Scratch ; le passage d’un exercice à un autre se fait par un sélecteur ’basculer sur l’arrière plan ...’ ; et les instructions ad hoc proposées aux élèves (par exemple, ’Avancer de 3’) sont construites comme des ’blocs’ (des procédures) Scratch et « cachées » tout en bas de la zone de programmation pour que les élèves ne les voient pas. Le principe est le même pour tous les exercices (Multiples, Division Euclidienne : blocs type ’Avancer de 3’ ; Fractions : blocs type ’Reporter un demi de u à droite’ ; décomposition additive : blocs type ’Ajouter 10’ ; Aires : blocs type ’Déposer un carré’). L’approche peut probablement se décliner sur d’autres notions et, par exemple, un enseignant et un conseiller pédagogique ont créé, à partir de la séquence sur les fractions, une séquence sur les capacités faisant travailler les équivalences entre différentes unités (il faut certes un peu « rentrer dans le code » pour créer les nouveaux arrières-plans et les nouveaux blocs, mais quelques bases de programmation Scratch suffisent ; cette séquence a été ajoutée au site du projet, comme le seront les suivantes s’il y en a). Il est également possible de créer différentes déclinaisons des exercices. Ainsi, suite aux remarques d’enseignants et de formateurs, une version des exercices sur les fractions où l’élève peut construire et visualiser plusieurs mesures simultanément est maintenant proposée.

Il est possible d’effectuer les exercices sur des ordinateurs ou sur des tablettes avec clavier (sans clavier, l’écran devient vraiment trop petit). Pour mémoire, le logiciel Scratch est gratuit. Les utilisations spontanées (i.e., hors projet et hors formation) des exercices informatiques incluent une variété de cas : utilisation pour introduire le sujet avant d’enseigner la notion mathématique selon l’approche habituelle de l’enseignant, pendant et pour l’enseignement de la notion (comme pratiqué dans le projet), ou plus tard (rappel, réinvestissement) ; APC ; activités de délestage ; activité d’accueil/implication d’élèves allophones ; etc.

Les versions initiales des séquences ont été conçues pour le contexte expérimental du projet et, pour cette raison, prennent en compte des contraintes qui ne s’appliquent pas nécessairement pour un usage standard en classe (cf. Section 3). Pour la division Euclidienne et les fractions, les travaux de groupes mêlant enseignants, formateurs Inspé/Rectorat et chercheurs ont conduit à proposer une seconde version enrichie et affinée (déclinaison des séquences sur plusieurs séances –et extension au CE2 pour la division Euclidienne–, explicitation du processus d’institutionnalisation, anticipation des procédures élèves, productions fictives pour les enseignants, proposition de parcours différenciés, simplification et explicitation de la tâche élève, développement de nouveaux supports informatiques). Bien entendu, toutes ces ressources sont des propositions qu’il est possible d’utiliser en partie seulement (e.g., certaines séances ou exercices uniquement), en l’état ou en les adaptant.

2. Formation et retours d’utilisation

La page du site Web présentant ces ressources mathématiques propose successivement 3 vidéos introductives (le projet, les ressources proposées, les principes de l’approche), les recommandations aux enseignants (cf. Section 4), une séance de familiarisation à Scratch (vidéos de présentation pour l’enseignant et pour les élèves, fichier Scratch, points d’attention), puis les éléments spécifiques à chacune des séquences mathématiques (vidéo de présentation pour l’enseignant, plan de séquence, fiche élève, fichiers Scratch). Les plans de séquence précisent notamment les principes et attendus (idée générale, considérations didactiques, contraintes, prérequis, nombre de séances indicatif) et une description détaillée de chaque séance (description des situations envisagées, vocabulaire, caractéristiques des exercices, consignes pour les élèves, tableau de synthèse des exercices et des procédures attendues, déroulement détaillé).

Lors de la première phase du projet, les enseignants impliqués ont bénéficié de formations déployées dans le cadre standard (plan Académique de formation ; 9h). L’essentiel du temps était en fait consacré aux aspects mathématiques, la prise en main de la dimension informatique étant très rapide. Depuis la mise en ligne des ressources et des vidéos de formation, les utilisations spontanées par des enseignants et/ou conseillers pédagogiques montrent qu’une préparation de quelques heures permet d’utiliser ces séquences de façon autonome, y compris pour des enseignants sans connaissance préalable en algorithmique-programmation. A ce niveau, l’un des points clés est que les enseignants ont juste besoin de savoir lancer Scratch et de connaître les blocs spécifiques aux exercices, ce qui est très différent de l’investissement nécessaire pour « savoir programmer en Scratch » de façon autonome ou, pire encore, devoir l’enseigner (même si, techniquement, ce que font les élèves c’est bien de la programmation en Scratch). Pour les enseignants l’enjeu important est la maîtrise disciplinaire et didactique des notions mathématiques enseignées, pas les connaissances informatiques.

Les analyses, séances de debriefing avec les enseignants et le travail en ’constellations’ de plusieurs écoles ont permis d’identifier des comportements (erreurs, incompréhensions, ...) récurrentes des élèves et des pistes pour la conduite de l’enseignement, cf. le document ’Points d’attention’ et la section ’Retours d’expérience’ sur le site Web du projet.

Les principaux enseignements tirés des questionnaires proposés aux enseignants impliqués dans le projet en 2017 (une centaine d’enseignants volontaires) sont les suivants : de façon générale, ils pensent que les élèves sont motivés pour les séances avec ordinateur (2% de ’pas d’accord’) ; que les élèves développent plus de motivation pour les séances de maths avec ordinateur que pour des séances de maths traditionnelles (7% de ’pas d’accord’) ; que les séances de maths avec informatique permettent de travailler le sens des notions mathématiques (7% de ’pas d’accord’) ; qu’il est possible de conduire des séquences avec ordinateur en classe entière (seuls 15% des enseignants pensent que ce n’est pas le cas), mais que le format demi-classe est le plus adapté (accord à 100%), et qu’il l’est plus que le format atelier type APC de quelques élèves (en raison de l’intérêt des échanges lors des phases collectives, cf. Figure 4-e) ; ou encore que les séances avec Scratch présentent l’intérêt spécifique d’amener certains élèves en difficulté à s’impliquer dans des activités scolaires (2% de ’pas d’accord’). Les échanges lors des ateliers de débriefing ont notamment souligné l’adhésion des élèves (enthousiasme, motivation, appropriation rapide ; remarques négatives ponctuelles : excitation lors des premières séances, élèves démotivés quand ils échouent) ; l’intérêt spécifique de ces séquences pour amener certains élèves en difficulté à s’impliquer dans les activités scolaires ; que le support est très riche, mais que le transfert informatique / mathématiques se fait parfois mal (cf. Section 3) ; que la possibilité d’utiliser un vidéoprojecteur est un atout clé.

A titre informatif, cette population d’enseignants volontaires présentait les caractéristiques suivantes : très peu d’enseignants avaient une formation initiale en maths (2%) ou informatique (4%) ; 22% des enseignants ne se sentaient pas très à l’aise avec les mathématiques ; bien que presque tous les enseignants savaient utiliser les outils de bureautique (96%), la plupart des enseignants ne se sentaient pas à l’aise avec l’informatique (46%) ou moyennement seulement (30%) ; la plupart des enseignants ne savaient pas du tout (66%) ou très peu (14%) programmer ; la majorité des enseignants utilisaient l’informatique en classe (seuls 11% ne le faisaient pas du tout), mais peu d’enseignants utilisaient l’informatique pour les maths (71% pas du tout ou rarement) ; la plupart des enseignants ne savaient pas programmer en Scratch et ne l’utilisaient pas en classe (86%).

Cette enquête et les expériences d’utilisations encadrées ou spontanées des ressources en ligne suggèrent qu’un enseignant sans connaissance préalable en informatique, capable d’installer (ou de faire installer) Scratch sur un ordinateur (il est possible d’utiliser Scratch 2 ou Scratch 3), et prenant le temps nécessaire pour regarder les vidéos de formation et les plans de séquences, peut utiliser ces séquences en classe sans difficulté (il est également possible d’utiliser Scratch en ligne, mais cela suppose de disposer d’une connexion Internet et de gérer les risques afférents, ou encore une version Linux de Scratch, mais là cela devient plus compliqué à installer). Outre les enseignants habitués à tester de nouvelles approches, un cas d’utilisation fréquent est de se lancer dans l’aventure « en équipe » (à plusieurs classes, en impliquant un référent maths et/ou un conseiller Tice).

Il doit être possible d’articuler ces ressources avec des approches/méthodes d’enseignement spécifiques et il y a notamment eu des retours indiquant un lien possible avec la méthode MHM, mais ce point n’a pas été exploré encore (n’hésitez pas à prendre contact pour partager des expériences).

3. Évaluation des apprentissages mathématiques

L’évaluation des effets d’un enseignement fondé sur des ressources pédagogiques spécifiques est un sujet complexe. Cette section synthétise les évaluations menées et leurs résultats (cf. les articles indiqués en bibliographie pour plus de détails).

Une évaluation comparant un groupe-test et un groupe témoin a été menée selon le protocole général suivant : tirage aléatoire de 2 groupes d’écoles, l’un déployant les séquences d’enseignement avec informatique présentées ici et l’autre déployant des séquences équivalentes mais dans une modalité papier-crayon ; formation des 2 groupes d’enseignants (l’un aux dimensions informatiques et didactiques des séquences avec informatique, l’autre aux dimensions didactiques des séquences papier-crayon) ; enseignement des séquences par ces enseignants (sans intervention des chercheurs) avec, pour chacune, l’administration de tests aux élèves avant puis après la séquence (des exercices de résolution de problèmes).

L’analyse des pré- et post-tests réalisés par les élèves ayant suivi les séquences avec informatique (n = 1520 élèves) et papier-crayon (n = 953 élèves) a montré que les gains d’apprentissage en mathématiques étaient globalement proches pour les deux groupes d’élèves, mais légèrement plus faibles (entre 0.1 et 0.2 écart-type) pour le groupe avec informatique. Par ailleurs, les analyses montrent une certaine variabilité intra-méthode. Ainsi, pour la séquence Division euclidienne, si l’on prend les 91 classes dont les données ont été exploitées et que l’on segmente en 3 tiers selon les meilleurs gains d’apprentissage, on trouve 17 classes ayant pratiqué les séquences avec informatique (soit 30% des classes de ce groupe) dans le tiers supérieur, et 23 classes dans le tiers inférieur (soit 41% des classes de ce groupe).

Cette analyse fournit une information sur l’effet moyen de l’enseignement qu’ont reçu les élèves de la part de leurs enseignants sur la période concernée (3-4 semaines par séquence). Il y a comme toujours un écart entre l’enseignement prévu (celui qu’il était suggéré de pratiquer et qui a été présenté lors des formations) et l’enseignement réel, mais cet écart et ses effets éventuels sont inconnus. Des analyses didactiques qualitatives d’un petit échantillon de classes ont cependant permis de repérer des pratiques enseignantes différentes, notamment sur la présence ou l’absence de problématisation des niveaux mathématiques et algorithmiques présents dans l’activité, l’exploitation des représentations issues des séances la programmation, la présence ou l’absence de conversion vers l’écriture mathématique, et la qualité et la quantité des actions didactiques visant à institutionnaliser les aspects mathématiques émergeant de l’activité. Les contraintes expérimentales ont par ailleurs, et comme toujours, imposé des choix : les 2 groupes d’enseignants ont bénéficié d’une formation, et il n’est donc pas possible de savoir comment les élèves ayant suivi les séquences avec informatique ont performé par rapport à ceux d’une classe standard (sans formation spécifique de l’enseignant) ; les apprentissages des élèves du groupe informatique ont été mesurés par les mêmes tests que ceux de groupe témoin, et il n’y a donc pas de mesure de ce qu’ont appris les élèves autrement que via le registre écrit des exercices papier-crayon (et par ailleurs, pas de mesure de leur apprentissage en informatique) ; enfin, les enseignants du groupe informatique ont utilisé les séquences proposées à la place des séquences papier-crayon qu’ils utilisaient habituellement (ce qui n’est pas l’esprit recommandé pour une utilisation hors-expérimentation, cf. Section 4).

Il y a différents types d’hypothèses pouvant expliquer tout ou partie de (1) la différence de résultat entre le groupe informatique et le groupe papier-crayon (risque de perte de gain d’apprentissage, en moyenne, faible, mais qui doit être compris et travaillé) et (2) pourquoi certaines classes du groupe informatique ont des résultats supérieurs/inférieurs à la moyenne : la durée et la qualité du temps passé à l’explicitation du lien algorithmique/mathématique (aspect jugé fondamental d’un point de vue didactique) ; de façon plus générale, la qualité de la mise en œuvre des séquences ; la nature des activités (double-tâche informatique + mathématiques côté élève ? triple-tâche encadrement des aspects informatiques + enseignement des mathématiques + gestion du lien algorithmique/mathématique côté enseignant ?) ; ou encore l’absence d’expérience des enseignants, qui utilisaient des séquences avec informatique pour la 1ère fois.

Les travaux complémentaires menés en 2024 sur 40 nouvelles classes se sont focalisés sur la 1ère hypothèse et les conditions susceptibles de favoriser le passage informatique/mathématiques. L’expérimentation a consisté à tester un niveau « fort » et un niveau « faible » d’explicitation des deux points suivants : (1) le lien entre le registre algorithmique et le registre algébrique, notamment lorsque les élèves travaillent sur ordinateur et (2) le passage de la situation d’apprentissage des algorithmes et des formules algébriques à la situation de résolution de problèmes, c’est-à-dire au moment où les élèves passent aux exercices mathématiques « classiques » au format papier-crayon (les exercices type « Antoine veut confectionner des bracelets identiques à partir d’un fil. La longueur de ce fil est de ... Si la longueur des bracelets est de ..., combien de bracelets obtient-on ? »). Il apparaît qu’une explicitation soutenue du lien entre l’algorithme et la résolution de problème (et pas simplement du lien entre l’algorithme et la formule mathématique), au moment où les élèves passent aux exercices mathématiques « classiques », a un effet significatif sur les résultats des élèves en difficulté. Par ailleurs, bien expliciter les liens entre informatique et mathématiques tout au long des séances a (en moyenne) un effet positif sur la satisfaction des élèves.

4. Conclusions

Les séquences d’enseignement présentées rapidement dans cet article permettent, ainsi que le préconise le programme de cycle 3, une initiation à l’algorithmique et la programmation et, par ailleurs, de faire des maths « autrement » (et de faire cela en sortant des habituels exercices de géométrie « à la Logo »).

En l’état actuel des travaux d’évaluation (qui laissent encore de nombreuses questions ouvertes), les recommandations aux enseignants et/ou formateurs d’enseignants souhaitant utiliser ces séquences sont les suivantes. De façon générale, ces séquences doivent être comprises comme des ressources, et non comme une nouvelle méthode remplaçant les enseignements habituels. Il est suggéré de commencer par les utiliser comme des activités complémentaires, ou encore en intégrant certaines séances (après adaptation si nécessaire) dans les enseignements habituels. Comme les raisons d’utiliser ces séquences peuvent être multiples et de différentes natures (apprentissage des mathématiques, initiation à l’informatique, ambiance de classe, motivation des élèves, engagement dans la tâche de certains élèves en difficulté, ...), il faut prendre soin de dissocier les différents objectifs d’enseignement poursuivis et, pour chacun, de mesurer les apports effectifs. Pour ce qui est de la contribution aux apprentissages mathématiques, il est important de suivre les principes d’enseignement sous-tendant ces séquences (cf. les vidéos, plans de séquence et recommandations). En particulier, le fait que les élèves fassent les exercices proposés sur machine ne suffit pas : il faut absolument travailler, très explicitement, (1) le lien entre les algorithmes et les formules mathématiques ainsi que (2) le lien entre les algorithmes et les situations de résolution de problèmes, et s’assurer que le transfert algorithmique / mathématiques se fait bien. Il faut également faire attention à l’activité effective des élèves lors des séances sur ordinateur (algorithmique, mathématiques, amusement).

De façon plus générale, ces travaux suggèrent que l’algorithmique est une ressource pour l’enseignement de notions de maths qui présente différents intérêts pour les élèves et pour les enseignants (initiation à l’algorithmique et à la programmation, qui peut être l’occasion de démystifier ce qu’est un ordinateur ; exploitation de l’attrait des élèves pour les ordinateurs permettant de créer des dynamiques positives ; découverte d’une approche différente des maths, qui peut se révéler utile pour certains élèves et/ou à certains moments ; réflexion sur ses pratiques d’enseignement des maths et différents aspects didactiques ; etc.), mais dont il faut identifier les conditions favorables.

Le site du projet a vocation à héberger les ressources prolongeant ces travaux (nouvelles séquences, retours d’expériences, liens utiles), n’hésitez pas à prendre contact.

Financement et remerciements

Le projet Expire I (2017-2021) était une opération soutenue par l’État dans le cadre du volet e-FRAN du Programme d’investissement d’avenir, opéré par la Caisse des Dépôts. Le projet Expire II (2022-2024) était une opération soutenue par l’État dans le cadre des programmes e-FRAN via une aide gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030. Les travaux de recherche ont été menés par l’Université Grenoble Alpes et ont notamment impliqués Julien Ailloud (post-doctorat), Pascal Bressoux, Hamid Chaachoua, Rosa Crisci (doctorat), Marie-Caroline Crozet, Manon Laurent (doctorat), Laurent Lima, Carolane Mascle (post-doctorat), Cécile Nurra, et Pierre Tchounikine. La ville de Grenoble, le CCSTI « La Casemate », l’Académie de Grenoble et l’Espé/Inspé de Grenoble étaient également partenaires du projet Expire I. Certaines actions du projet Expire II ont été conduites en partenariat avec le pôle PEGASE (« Pôle éducation-recherche de l’académie de Grenoble sur les apprentissages fondamentaux pour lutter contre les inégalités à l’école »). Les travaux et résultats ont bénéficié de l’investissement de très nombreux enseignants, formateurs, conseillers pédagogiques, référents maths, inspecteurs et personnels de l’Académie de Grenoble.

Bibliographie

Chaachoua H., Tchounikine P., Crisci R. (2018). L’algorithmique et la programmation pour la construction du sens de la division euclidienne. In EMF2018 (colloque de l’Espace Mathématique Francophone), Paris, France.

Crisci R. (2018). La manipulation d’objets mathématiques dans l’environnement Scratch. Conférence COPIRELEM’2018 (Commission Permanente des IREM sur l’Enseignement Élémentaire, 45e colloque international sur la formation en mathématiques des professeurs des écoles), Blois, France.

Laurent, M., Crisci, R., Bressoux, P., Chaachoua, H., Nurra, C., de Vries, E., Tchounikine, P. (2022). Impact of programming on primary mathematics learning. Learning and Instruction (82).