L’article cherche à situer la place des TIC dans les objectifs du socle, en particulier dans le domaine mathématique. Partant d’une recherche sur les besoins des jeunes adultes qui n’auront pas validé le socle à l’issue de la scolarité obligatoire l’article précise les objectifs et propose des pistes pour l’évaluation.
par Antoine Bodin, groupe Socle-École de la 2de chance – IREM d’Aix-Marseille
Dans le cadre d’une recherche effectuée à l’IREM d’Aix-Marseille, notre équipe s’intéresse plus particulièrement à ce que nous appelons l’opérationnalisation évaluative du socle, en ce qui concerne le domaine mathématique.
Les connaissances et les compétences du socle sont définies par des textes officiels (décret et directives de la Degesco), mais, on le sait, cela ne suffit pas pour qu’une évaluation objective soit possible.
L’idée de Socle pour tous, donc de connaissances et de compétences nécessaires, voire indispensables, à tous les individus à partir de la fin de la scolarité obligatoire, s’accorde mal avec une évaluation dont les critères et les attentes seraient trop dépendants du contexte et du niveau réel des individus concernés.
Le fait que notre équipe soit composée en partie de professeurs de lycées professionnels et que notre recherche s’effectue, pour une part, dans le cadre de l’École de la deuxième chance de Marseille, nous a permis d’aborder la question du socle par l’aval, et, ainsi, d’échapper aux problèmes d’enseignement auxquels sont confrontés les enseignants de collège.
Notre question est donc : qu’est-ce que, finalement, les adultes, tous les adultes, jeunes et moins jeunes, doivent savoir et être capables de mettre en oeuvre pour répondre aux attentes du socle et comment peut-on s’assurer que leur niveau de maîtrise par rapport à ces objectifs est bien conforme aux attentes.
Notre premier souci est de permettre l’extension de la problématique du socle au delà de la scolarité obligatoire pour les jeunes qui n’auraient pas « validé » le socle avant cette échéance. Cela concerne au moins, chaque année, 150 000 jeunes en France, tandis que pour l’ensemble de l’Europe, c’est aujourd’hui 70 000 000 de personnes qui seraient concernées.
Nous pensons cependant que notre travail peut être utile au niveau de la scolarité obligatoire. En effet, le socle est défini comme ce qui est immédiatement nécessaire pour une bonne insertion sociale, mais aussi comme ce qui est nécessaire à tous dans la perspective d’un « apprentissage tout au long de la vie ». Il ne peut donc pas y avoir de contradiction entre les objectifs poursuivis au cours de la scolarité obligatoire et ce qui est, ensuite, considéré comme indispensable pour tous (cela ne signifiant évidemment pas que l’enseignement obligatoire ne doive avoir que le socle comme horizon).
De ce fait, nous prenons totalement en compte les textes officiels français (décret et documents d’application), même si nous nous réservons le droit d’en critiquer certains aspects et de proposer des aménagements. Par définition même, le socle doit s’adapter aux évolutions des sociétés et de ce fait, il ne peut être considéré comme figé. De plus, nous intégrons à notre réflexion les travaux et recommandations de la commission européenne et de l’OCDE (et en particulier les cadres de référence et les résultats des études PISA), ainsi que les expériences menées dans d’autres pays que la France.
Les compétences clés - les piliers du socle et la place des TIC
Le socle français reprend et adapte la définition des « compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie » définies conjointement par le Parlement Européen et par le Conseil de l’Europe (JO de l’UE du 18 décembre 2006).
Le texte de l’UE est lui-même directement issu d’un cadre conceptuel clé élaboré il y a plus de 10 ans par la Commission Européenne et l’OCDE (programme DeSeCo).
[Les compétences clés y sont définies comme] un ensemble de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes appropriées au contexte. Les compétences clés sont celles nécessaires à tout individu pour l’épanouissement et le développement personnels, la citoyenneté active, l’intégration sociale et l’emploi.
Le concept de compétence ne renvoie pas uniquement aux savoirs et savoir-faire, il implique aussi la capacité à répondre à des exigences complexes et à pouvoir mobiliser et exploiter des ressources psychosociales (dont des savoir-faire et des attitudes) dans un contexte particulier. Ainsi, pour bien communiquer, les individus doivent posséder des connaissances linguistiques et des savoir-faire pratiques , en informatique par exemple , et être capables d’adopter les attitudes adéquates à l’égard de leurs interlocuteurs.
En fait, les TIC sont présentées comme un élément essentiel de la littéracie génerale. Comme les autres éléments de la littéracie (lecture, littéracies mathématique, scientifique, humaniste, technologique,...) et en articulation avec elles, la littéracie informatique est transversale et susceptible d’intervenir dans toutes les classes de situations.
L’une des difficultés liées à l’évaluation du socle tient dans le fait que les compétences visées ne sont pas disciplinaires. Dans le cadre scolaire, toutes les disciplines ont vocation à contribuer au développement de chacune des compétence et chacune des compétences doit pouvoir être mobilisée dans des situation variées.
À peine modifiées, les compétences clés en question sont devenues les piliers de notre socle comme elles sont, peu à peu, devenues les éléments de base de la plupart des systèmes éducatifs.
Ce n’est que pour des raisons de bonne gestion scolaire que la présentation en piliers semble donner une prérogative à la notion de discipline. L’idée de socle ne s’oppose évidemment pas à celle de discipline, mais elle les met au service de finalités qui les transcendent. Citons encore l’étude DeSeCo :
Le cadre conceptuel du programme DeSeCo classe [les compétences clés] dans trois catégories. En premier lieu, les individus doivent pouvoir se servir d’un large éventail d’outils pour entrer en interaction à bon escient avec leur environnement. Il s’agit non seulement d’outils matériels, comme ceux associés aux technologies de l’information , mais aussi d’outils socioculturels comme le langage. Ils doivent parvenir à une maîtrise suffisante de ces outils pour être capables de les adapter à leurs besoins, c’est-à-dire de s’en servir de manière interactive .
En deuxième lieu, dans un monde de plus en plus interdépendant, les individus doivent pouvoir s’engager dans des relations avec autrui. Et comme ils rencontreront des individus de tous horizons, il est important qu’ils soient capables d’interagir dans des groupes hétérogènes.
Enfin, ils doivent pouvoir prendre des responsabilités pour gérer leur vie, se situer dans un contexte social plus vaste et agir de façon autonome.
Ces catégories sont interdépendantes, même si chacune se distingue par un point focal particulier....
Les TIC dans le socle
Pour le pilier 3 (connaissance des principaux éléments des mathématiques, et la maîtrise d’une culture scientifique), le décret n’évoque les TIC qu’à propos du recours aux logiciels : « capacité d’utiliser des outils (tables, formules, outils de dessin, calculatrices, logiciels) ».
Les connaissances et autres capacités relatives aux TIC sont en fait concentrées dans le pilier 4 (maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication). Les spécifications sont celles du B2I. Il y est précisé :
Les élèves doivent maîtriser les bases des techniques de l’information et de la communication (composants matériels, logiciels et services courants, traitement et échange de l’information, caractéristiques techniques, fichiers, documents, structuration de l’espace de travail, produits multimédias...).
En particulier, l’élève doit être capable d’utiliser les TIC pour :
- s’approprier un environnement informatique de travail ;
- créer, produire, traiter, exploiter des données ;
- s’informer, se documenter ;
- communiquer, échanger.
En ce qui concerne le domaine mathématique, les grilles produites par la Degesco sont plus prolixes ; il y est en particulier précisé que l’élève doit être capable de :
- Mener à bien un calcul instrumenté avec une calculatrice ou un tableur.
- D’effectuer des traitements de données à l’aide d’un tableur-grapheur (présentation de données, calculs d’effectifs, de fréquences et moyennes, création de graphiques et de diagrammes).
- D’effectuer des constructions géométriques simples en utilisant un logiciel adapté.
On lit encore dans la partie « Mise en oeuvre d’une démarche scientifique ou d’une résolution de problèmes » qui concerne aussi le domaine mathématique :
- Participer à l’écriture d’un algorithme simple et mettre en oeuvre le programme correspondant.
- Évaluer la pertinence d’un algorithme, d’un programme simple.
(Voir les détails des attentes dans le fichier Grille socle TIC)
Si, en plus de ces objectifs, on prend en compte les objectifs du pilier 4, la conception à la fois opératoire et transversale des compétences du socle, et le souci de pouvoir s’adapter aux situations de la vie réelle, il est clair que ces capacités devront pouvoir s’exercer dans le cadre de la gestion de données, en particulier statistiques, ne relevant pas strictement du domaine mathématique.
Ainsi, Les TIC, en mathématiques comme dans les autres disciplines, apparaissent comme un lieu privilégié d’interdisciplinarité, et de développement des compétences clés dans toute leur ambition
La recherche de l’IREM d’Aix-Marseille
Le lecteur trouvera sur le site de l’IREM d’Aix-Marseille un référentiel d’évaluation précisant de façon séparée les connaissances et les compétences attendues, accompagné d’une base de questions d’évaluation ainsi que d’autres documents concernant le travail de notre groupe.
Précisons d’abord le sens que nous donnons à certains mots :
- Avoir des connaissances , signifie pour nous : connaitre des faits, des définitions, des règles, des procédures. Il est entendu ici que « connaître » suppose compréhension et capacité à reconnaître ou appliquer dans les cas ne demandant pas une mobilisation personnelle. Par exemple, connaître une procédure suppose de savoir la mettre en œuvre dans les cas triviaux.
- Avoir des compétences , signifie pour nous : avoir des connaissances ET être capable de mobiliser ces connaissances dans des situations qui ne les appellent pas directement (par exemple, organiser son espace de vie, y prévoir la place du mobilier, met en jeu des connaissances de nature géométrique mais ne les appelle pas directement).
Ces définitions ( a minima ) ne cherchent pas à régler la question, mais, simplement, à réduire, au sein de notre équipe et dans nos relations avec l’extérieur, le flou, pour ne pas dire la confusion générale qui prédomine. Elles se veulent opératoires en matière d’évaluation et c’est dans l’opérationnalisation que l’on verra si les différences suggérées sont pertinentes ou non.
Ainsi que le fait PISA, nous avions un moment envisagé de n’évaluer que des compétences (au sens que nous donnons à ce mot), toutefois plusieurs raisons nous ont convaincus de la nécessité d’évaluer aussi, séparément, les connaissances. En effet :
- Cela correspond aux attentes de la société.
- Cela correspond aux attentes des jeunes, qui, ayant été en échec à ce niveau, éprouvent le besoin d’être rassurés.
- Les jeunes adultes ont à faire face à des tests ou entretiens d’embauche, éventuellement à des tests d’entrée dans des formations complémentaires, qui portent largement sur les connaissances.
- En n’évaluant qu’au niveau des compétences on perd de vue les connaissances manquantes ou insuffisantes et il est alors difficile de s’assurer d’une maîtrise suffisante de l’ensemble du référentiel, ou encore de pouvoir proposer les compléments de formation qui sont nécessaires.
Le « testing » adaptatif
Comment positionner en un temps raisonnable une personne par rapport aux demandes du socle ? Il s’agit là d’un vrai défi. Soit on pose quelques questions censées échantillonner l’ensemble des connaissances du socle et on risque alors de laisser de côté des points essentiels et d’oublier la question de l’intégration des connaissances dans les compétences. Soit on propose quelques situations susceptibles de mobiliser certaines compétences sans pouvoir tenir compte de la grande variété des situations possibles et en perdant de vue les connaissances dont nous avons dit plus haut que l’évaluation nous paraissait nécessaire. Soit, encore, on fait un mixte des deux démarches sans pour autant parvenir à une évaluation satisfaisante.
Dans tous ces cas, c’est l’individu qui doit s’adapter à l’évaluation, au point de devoir s’ennuyer à mort en répondant à une série de questions qu’il maîtrise parfaitement et dont il ne voit pas l’intérêt, soit en se désespérant devant ce qui lui apparaît comme un nouveau signe d’échec.
L’évaluation du socle doit pouvoir s’accompagner, pour chaque individu, d’un positionnement et d’un profil précisant, le cas échéant, les lacunes qui resteraient à combler. Pour cela, il n’est pas raisonnable de faire passer les mêmes épreuves à des individus ayant eu des parcours variés.
la solution du testing adaptatif nous est apparu comme une solution pour contourner en partie ces difficultés.
La démarche consiste à construire une banque de questions aussi riche que possible, recouvrant les connaissances visées et les compétences dans une assez grande variété de manifestations possibles. Ces question doivent être pré-calibrées lors de la phase expérimentale, et ensuite calibrées en continu au fur et à mesure de leur utilisation.
L’utilisation de la théorie des réponses aux items (IRT - méthode utilisée das les études internationales) permet alors en cours de passation du test d’estimer, à tout moment, le score de la personne qui passe le test, avec un intervalle de confiance qui se réduit au fur et à mesure du déroulement du test.
Pour tout n, la nième question posée à cette personne est fonction de la suite de ses réponses aux n ‑ 1 premières questions. La longueur N du test dépend alors, à la fois de la personne et de l’intervalle de confiance fixé pour le score global. Les questions successives sont choisies en tenant compte des paramètres des questions de la banque, calculées par l’IRT et des dépendances observées entre les questions par l’analyse implicative. L’analyse implicative permet de faire l’économie des questions b et c, par exemple, lorsque l’on a observé, à un degré de confiance suffisante, l’implication statistique $a \Rightarrow b \Rightarrow c$.
On le voit, les ressources actuelles de l’informatique permettent à la fois d’envisager des banques de questions calibrées et recouvrant un grand nombre d’objectifs et des procédures d’évaluation totalement individualisée.
Pour le moment les questions sont en cours de développement en WIMS, mais une grande partie d’entre elles sont consultables sur notre site.
Mais il s’agit là de l’utilisation des TIC pour l’évaluation et non de l’évaluation des TIC.
L’évaluation des TIC du socle
Le socle est ambitieux mais nous souhaitons rester réalistes. Là encore, il s’agit d’un défi, sinon d’une contradiction. Nous avons parlé de situations riches ; certains parlent aussi de situations complexes. Il ne s’agit cependant pas d’introduire de la complexité par principe ou des difficultés pour le plaisir. Les situations du monde réel apportent leur dose de complexité sans qu’il soit besoin d’en rajouter mais nous ne devons garder à l’esprit que les questions d’évaluation du socle devraient, à terme, être à la portée de tous.
Il ne s’agit donc pas de confondre les situations de formation qui peuvent être à la fois riches et complexes, génératrices de nouveaux apprentissages et les situations d’évaluation. D’autant que dans le cas du socle, la compensation entre les thèmes ou les piliers est interdite. Une absence de compétence dans le domaine des TIC par exemple, ne peut pas être compensée par un point fort dans un autre domaine. Certes des accommodements devront être trouvés, sinon, aujourd’hui, peu d’entre nous se verraient valider le socle tel qu’il est défini (c’est à dire pour l’ensemble de ses 7 piliers), mais c’est un principe qu’il est bon de garder à l’esprit et qui oblige à repenser totalement les démarches d’évaluation.
Les questions mettant en jeu les TIC doivent simplement traduire les objectifs rappelés en 2. Ces questions n’ont pas être originales mais simplement permette de savoir si le sujet sait faire telle ou telle chose ou s’il sait employer ce savoir en situation.
Exemples de telles questions :
- Une feuille de calcul étant donnée avec une facture commencée, compléter cette facture.
- Trouver les valeurs de ac +bc + ac pour différentes valeurs (décimales) de a, b et c.
- Une statistique étant donnée sur feuille de tableur, produire un diagramme résumant cette statistique.
- Une figure géométrique simple étant donnée sur papier, la reproduire sur écran.
- ...
Notre opérationnalisation de l’utilisation des TIC est en cours, mais comme pour les autres domaines de l’évaluation, la description des objectifs est précisée dans notre référentiel et les questions correspondantes sont intégrées au fur et à mesure dans notre banque.
De plus, des épreuves utilisables avec les élèves seront mises en ligne au fur et à mesure de leur production et de leur expérimentation.
Le tout est consultable sur le site groupe socle-E2C de l’Irem de’Aix-Marseille
N’hésitez pas à nous faire part de vos remarques, éventuellement à nous proposer des questions d’évaluation ou à vous proposer pour participer à l’expérimentation (ce qui ne suppose que de faire passer une ou deux épreuves à des élèves de troisième ou de quatrième - épreuves non nécessairement centrées sur le TIC, et laissées au choix de l’expérimentateur).
De notre côté, nous ne manquerons pas de tenir les lecteurs de Mathematice au courant du déroulement de notre projet.