Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Jeux bicolores de type Nim
La carte des cartes

Les graphes orientés étiquetés rendent plus accessible la construction des surréels par Conway.

Article mis en ligne le 3 mars 2023
dernière modification le 16 avril 2023

par Alain Busser

Le livre On Numbers and Games, écrit en quelques jours par John Conway, a la réputation d’être peu accessible, car il traite d’un sujet abstrait : la construction des nombres et la notion de nombre surréel. Les graphes permettent de rendre plus visibles certaines notions abordées dans ce livre, comme

  • les nombres
  • le signe (positif ou négatif) d’un jeu
  • l’addition

et les techniques mathématiques utilisées par Conway pour ses preuves. Par exemple pour comparer A et B, Conway étudie le signe de A+opposé(B) : si ce signe est positif, c’est que A est supérieur à B, s’il est négatif, c’est que A est inférieur à B, et s’il est nul, c’est que A=B.

Les activités décrites dans cet article seront testées dans 4 établissements scolaires lors de la semaine des mathématiques à La Réunion. Certaines productions des élèves seront alors ajoutées en complément à l’article.

Licence Creative Commons
Cet article est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

Jeu à un pion

Le jeu se joue sur un graphe orienté, dont les arêtes sont coloriées en bleu ou en rouge, comme ici :

Comme l’évoque le titre ci-dessus, il n’y a qu’un seul pion à partager entre les deux joueurs : chacun son tour bouge le pion. Mais :

  • si c’est à Bleu de jouer, il ne peut déplacer le pion, que le long d’une flèche bleue (s’il y en a une : sinon Bleu a perdu le jeu)
  • si c’est à Rouge de jouer, elle ne peut déplacer le pion que le long d’une flèche rouge (s’il y a une flèche rouge partant de la position actuelle du pion : sinon Rouge a perdu)

Avant de jouer, le pion est sur le sommet étiqueté « départ » (ci-dessus, un pion y est dessiné). Le pion a la forme d’un ballon, en effet le sommet d’arrivée, avec son double cercle, évoque un panier, et le gagnant est celui qui amène le pion dans ce panier, puisqu’ensuite le prochain joueur ne peut plus jouer (il n’y a ni flèche rouge, ni flèche bleue émanant du panier ou du but) et a donc perdu le jeu.

Avec l’exemple ci-dessus, si les bleus jouent en premier, ils marquent le but et gagnent donc ce jeu :

Alors que si les rouges jouent en premier, ce sont eux qui marquent le but, et gagnent le jeu :

Gagner signifie ici, avoir une stratégie gagnante. On peut avoir une stratégie gagnante et perdre quand même, par ignorance de cette stratégie. Voici un exemple où l’apprentissage du jeu n’est pas terminé puisque le joueur Bleu joue mal :

En effet, il aurait pu, en avançant le long de la flèche bleue courbe (en haut à gauche), marquer le but et gagner le jeu. Au lieu de cela, il avance le pion le long de l’autre flèche bleue ce qui permettra aux rouges de marquer le but juste après. En fait, il semble que le joueur n’ait pas bien vu cette flèche bleue courbée, d’ailleurs il s’est plaint de l’abondance de flèches près du but. Il faut préciser qu’il est en moyenne section et ne sait pas encore lire.

signe d’un jeu

Une notion fondamentale dans l’étude des jeux combinatoires est celle de signe d’un jeu. Selon la classification de Conway :

  • un jeu est positif (ou à l’avantage des bleus) si
    • si les bleus commencent alors les bleus ont une stratégie gagnante
    • si les rouges commencent alors les bleus ont une stratégie gagnante
  • un jeu est négatif (ou à l’avantage des rouges) si
    • si les bleus commencent alors les rouges ont une stratégie gagnante
    • si les rouges commencent alors les rouges ont une stratégie gagnante
  • un jeu est nul (ou à l’avantage du second joueur si
    • si les bleus commencent alors les rouges ont une stratégie gagnante
    • si les rouges commencent alors les bleus ont une stratégie gagnante

Le jeu ci-dessus est tel que le premier qui joue, gagne le jeu. Il n’est donc ni positif, ni négatif, ni nul. En particulier, ce n’est pas un nombre.

Les jeux positifs sont peu intéressants à jouer, parce qu’ils avantagent trop un joueur (les bleus) par rapport à l’autre. Les jeux négatifs sont également peu intéressants, parce qu’eux aussi avantagent trop un joueur (les rouges) par rapport à l’autre. Un « bon » jeu est donc, ou bien nul, ou bien non numérique, ou bien suffisamment proche de 0 pour qu’on ait du mal à trouver la stratégie gagnante.

Noter que le gagnant peut gagner sans forcément marquer un but. Par exemple, s’il n’y a que des flèches bleues, les rouges perdent avant que le ballon ait pu faire son chemin vers le but, et les bleus gagnent par abandon.

La pratique du jeu à un seul pion est intéressante dès le cycle 1, et fait travailler la reconnaissance de lignes, qui peut s’avérer utile pour l’apprentissage de la lecture [1].

Pour le cycle 1, il faudrait donc établir une collection de graphes orientés à deux couleurs, abordables par les jeunes joueurs (et intéressants à jouer : éviter par exemple qu’il y ait une fléche allant directement du départ à l’arrivée) de manière que les élèves apprennent à attendre que l’autre joueur ait joué, avant de jouer soi-même. Cette collection de graphes orientés sera idéalement constituée par des apports d’élèves de grande section.


Voici le début de cette collection. On commence par des productions de collégien.ne.s.

Collège de Terre-Sainte

Voici des créations d’élèves de 6e réalisées durant la semaine des mathématiques 2023 :

Cette élève a réinventé une des cartes du jeu (le nombre 1,5) :

Cette autre élève a réinventé une autre carte du jeu (le nombre -1,5) :

L’étoile est déjà présente dans le jeu, mais pas sous cette forme inédite :

Ce jeu est appelé par Conway 1 contre -1. Si 1 était inférieur à -1, ce serait un nombre. Mais 1 étant supérieur à -1, ce n’est pas un nombre :

Conway appelait switch ce genre de jeu, qu’il qualifiait de brûlants (chaque joueur est pressé d’y jouer). Voici un autre switch inventé par des collégiens :

Conway le note 2 contre 1. Et une élève de 6e a inventé le switch 3 contre 0 :

Ce graphe n’était peut-être pas considéré comme une somme mais plutôt comme 3 jeux dessinés sur la même feuille :

Toujours est-il que vu comme une somme, deux de ses termes sont opposés (somme de 1 et de l’étoile, somme de -1 et de l’étoile ; l’étoile est son propre opposé), et que la somme est donc égale au troisième terme, qui est le nombre 0,5.

Le jeu ci-dessous est la somme de

  1. 0
  2. 2 contre -2
  3. 1/2
  4. 3 contre -3 :

Un collégien a passé un temps impressionnant à créer ce jeu :

Il y a 3 pions au départ (3 départs possibles) donc le jeu est la somme de 3 termes :

  1. 0 (en bas à gauche)
  2. La somme de 2×up et de l’étoile (en bas à droite ; c’est un infinitésimal positif)
  3. Le jeu appelé miny-1 (en haut) qui est un infinitésimal négatif.

Pour en savoir plus sur up, voir en bas de l’article.

Comme miny-1 est infiniment petit par rapport à up, la somme est donc positive. Les bleus ont donc une stratégie gagnante à ce jeu. Elle consiste à jouer en priorité le pion du haut.

Collège de Montgaillard

Des élèves pas spécialement scolaires ont utilisé le canal kinesthésique pour produire des jeux comme ceux-ci :

Un élève a réinventé le nombre 1 :

Un autre a inventé le jeu up (infiniment petit positif !) :

Collège Jules Reydellet

Les élèves les plus intéressants ont été ceux qui, d’emblée, ne voulaient pas dessiner : dys, TSA, TDAH, allophones...

Par exemple un élève pressé de quitter l’activité a finalement créé un graphe presque équitable (il n’est que légèrement à l’avantages des rouges) :

Un élève allophone a créé ce graphe encore plus équitable (c’est l’étoile de Conway, un infinitésimal qui n’est ni positif, ni négatif) :

Et maintenant, voici des cartes inventées par des élèves de grande section (de l’école Jean Albany du Grand Tampon) :

  • une élève a eu du mal avec les flèches (et semble l’avoir assez mal vécu) :

On constate qu’il manque certaines pointes de flèches, mais aussi que celles qui sont dessinées ne sont pas toujours cohérentes.

Des élèves ayant du mal à se concentrer, on produit des graphes similaires :

  • le nombre -1 (à l’avantage des rouges) :

  • le jeu plus ou moins 2 (à l’avantage de celui qui joue en premier) :

Un élève a compris la consigne mettre des flèches entre les sommets au pied de la lettre :

Il ne faut pas s’étonner de l’aspect soigné des sommets du graphe : les mêmes élèves avaient durant l’heure précédente, suivi une activité sur le coloriage de graphes.

Comme l’activité s’appelle la carte des cartes, des élèves ont tenu à dessiner les bords des cartes. Par exemple ce jeu est la somme de deux jeux (le deuxième terme étant là pour compenser le premier) :

La forme canonique de ce jeu est :

  • les bleus peuvent aller à la somme de -2 et de l’étoile (qui les fait perdre)
  • les rouges peuvent aller à la somme de -3 et de l’étoile (qui les fait gagner).

La somme reste à l’avantage des rouges (puisqu’elle est négative) donc le jeu n’est pas équilibré. Il n’est pas certain que la créatrice de cette somme soit lectrice (on est en grande section !) mais il semble qu’elle ait manqué de temps...

Deux des élèves de la classe disent savoir bien écrire (leur prénom) mais pas lire. Cette dernière affirmation est étonnante si on voit leurs productions :

  • en fait il y a deux départs possibles donc on peut considérer ce jeu comme une somme :

Chaque terme de la somme est l’étoile de Conway donc leur somme est nulle : l’élève a produit le jeu le plus équitable possible pour un jeu d’une seule carte.

Ce jeu a fait l’objet de retouches (parce que la version initiale n’était pas équitable) :

La créatrice de ce graphe s’est arrêtée à un jeu appelé par Conway 0 contre -2. Ce jeu est plutôt à l’avantage des rouges. On remarque le style assez personnel des pointes de flèches (en forme de harpon).

Les lectrices désirant créer leurs graphes de ce genre, et ne disposant pas de crayons bleu, noir et rouge ainsi que de la très nécessaire gomme, trouveront peut-être leur bonheur avec cet outil en ligne.


Un graphe où il n’y a que des flèches bleues correspond à un jeu positif, donc peu intéressant en temps que jeu à un pion. Mais il peut se rendre utile comme composante connexe d’un graphe sur lequel on joue à plusieurs pions (un pion par composante connexe). Par exemple, voici un jeu créé par des élèves de CM2 :

Comme il y a 3 composantes connexes, il y a 3 positions de départ des pions, et le jeu se joue avec 3 pions. Le gagnant n’est pas celui qui marque le plus de buts, mais celui qui marque le dernier but. En fait, plus précisément, le premier qui ne peut plus jouer, alors que c’est à son tour de jouer, est le perdant du jeu. Ci-dessus ce sont les rouges puisque les bleus marquent le dernier but et les rouges n’ont plus de possibilité de mouvement après cela. En fait si les bleus avaient joué en premier, c’est eux qui auraient perdu.

Un jeu à plusieurs pions obtenu en juxtaposant des jeux à un pion, s’appelle somme de ces jeux, et l’opération consistant à construire un jeu à plusieurs pions en juxtaposant des jeux à 1 (ou plusieurs) pions, s’appelle addition des jeux. Le jeu obtenu à partir du jeu B en échangeant les couleurs rouge et bleue, s’appelle opposé de B.

Signe d’une somme

Pour comparer deux jeux, on étudie le signe de leur différence. Pour cela, Conway définit une soustraction de jeux, de manière assez intuitive : la différence entre A et B est la somme de A et de l’opposé de B.

  • si cette différence est positive (c’est-à-dire que les bleus ont une stratégie gagnante, indépendamment de savoir qui joue en premier) alors A est supérieur à B,
  • si A-B est négatif (ce qui signifie qu’il y a une stratégie gagnante pour les rouges, peu importe qui commence à jouer) alors A est inférieur à B,
  • si A-B est nul (ce qui signifie l’existence d’une stratégie gagnante pour celui qui joue en deuxième) alors A est égal à B.

C’est cela qui justifie les noms donnés aux cartes ci-dessous.

Notion de nombre

Soit J un jeu. Si

  • les positions auxquelles les bleus peuvent arriver en glissant un des pions le long d’une flèche bleue sont toutes des nombres A, B, C, ...
  • les positions auxquelles les rouges peuvent arriver en glissant un des pions le long d’une flèche rouge sont toutes des nombres X, Y, Z, ...
  • chacun des nombres A, B, C, ... est plus petit que chacun des nombres X, Y, Z, ...

alors J est un nombre [2]. Cette définition récursive tient debout, parce qu’elle s’applique également au cas où un des joueurs ne peut plus bouger, en particulier lorsqu’aucun joueur ne peut bouger (dans ce cas, le nombre est 0).

Dans le jeu ci-dessus, les CM2 ont aligné trois jeux à un joueur :

  • un jeu où il n’y a qu’une flèche rouge et où les rouges ont donc un coup d’avance sur les bleus : ce jeu est le nombre -1 (il est négatif puisqu’à l’avantage des rouges),
  • une autre copie de -1,
  • un jeu à deux flèches bleues consécutives, et dans lequel les bleus ont deux coups d’avance sur les rouges : ce jeu à un pion est 2.

Et en jouant, ils constatent que la somme -1+(-1)+2 est nulle. C’est la preuve par le jeu, que 2-(1+1)=0, soit que 1+1=2.

Pour jouer à additionner des jeux, ce jeu de cartes a été conçu (en cliquant sur l’image, on peut télécharger un pdf des cartes) :

Si vous avez des élèves daltoniens ou ne disposez pas d’imprimante couleur, vous pouvez remplacer les bleus par des dodos et les rouges par des geckos dans le jeu « les dodos et les geckos » :

Cette fois-ci on fournit aux joueurs des pions en quantité suffisante, des cartes comme celles ci-dessus (chaque carte est un jeu à un pion) et une feuille blanche : la carte des cartes.

  • Dans un premier temps, les joueurs se mettent d’accord pour poser des cartes sur la carte des cartes (choisir des termes à additionner) ;
  • ensuite ils testent le jeu qu’ils ont ainsi créé pour évaluer sa qualité (c’est-à-dire sa proximité avec 0 : un jeu trop positif ou trop négatif est jugé mauvais parce que trop inéquitable) ;
  • au besoin ils modifient la carte des cartes pour améliorer le jeu (par exemple si la somme est trop positive, soit on remplace un terme positif par un terme plus petit, soit on enlève un terme positif, soit on ajoute un terme négatif) ;
  • ils testent à nouveau le jeu créé dans un processus à boucle de rétroaction, jusqu’à ce qu’ils aient un jeu de qualité.

En cycle 2, on peut très bien n’utiliser que des nombres entiers. Le seul jeu équitable est alors le nombre 0, qu’il est possible d’atteindre de plusieurs manières.

En CE2, on voit ici que 3+1=2+2 :

En CM2, on vérifie en jouant, que 0+0+(-1)+1+(-2)+2=0 :

Autrement dit, que 1+2=2+1 [3]

En CM2, on vérifie que (-3)+(-2)+(-1)+(-1)+1+1+2+3=0 :

En cycle 3

En cycle 2, on peut déjà découvrir beaucoup de choses en additionnant des nombres entiers (relatifs). En cycle 3 on peut commencer à ajouter des fractions, ce qui permet une analyse plus fine des intuitions en jeu. Par exemple, pour compenser le caractère trop négatif du nombre -1, des élèves de CM2, qui ne voulaient pas aller jusqu’à 0 (en ajoutant 1), on commencé par ajouter 1/2 et comme cela ne leur suffisait pas, ils ont ajouté 1/4 à cette somme. Le résultat est toujours négatif (-1+1/2+1/4=-1/4) donc à l’avantage des rouges, mais cet avantage est plus faible qu’avant et en plus les rouges ne trouvent peut-être pas facilement la stratégie gagnante dont ils disposent. Ainsi, si c’est à eux de jouer, ils n’ont pas intérêt à jouer dans le terme -1 car alors ils perdent :

En effet, avancer le pion qui est sur -1, revient à transformer -1 en 0, et de ce fait la somme -1+1/2+1/4 en 0+1/2+1/4 qui est positive et permet donc aux bleus de gagner. On peut considérer ce terme -1 qui est injouable par les bleus comme un atout que les rouges n’ont pas intérêt à jouer trop tôt dans la partie.

Même si les rouges commencent par jouer dans le terme 1/2, ils vont le transformer en 1, ce qui aura pour effet de transformer la somme en -1+1+1/4 qui, là encore, est positive et les bleus gagnent :

Ainsi, parmi les 3 premiers coups que peuvent jouer les rouges, le seul leur permettant de gagner est de jouer dans le terme 1/4, le transformant en 1/2 donc la somme en -1+1/2+1/2=0 qui fait perdre les bleus :

Ce jeu, inventé par des élèves de CM2, est donc intéressant quoique (faiblement) négatif : la stratégie gagnante dont disposent les rouges ne saute pas aux yeux, et c’est ce qui donne de l’intérêt à ce jeu.

Étude de la fraction 1/2

  • En regardant comment est faite cette fraction, on constate que, depuis le point de départ,
    • les bleus accèdent à 0 qui fait perdre les rouges
    • les rouges accèdent à 1 qui fait gagner les bleus

Comme 0 est plus petit que 1, 1/2 est un nombre

  • Comme dans ce jeu, les bleus gagnent, 1/2 est positif
  • En étudiant le jeu -1+1/2, on constate que les rouges ont une stratégie gagnante, autrement dit, que -1+1/2 est négatif : 1/2 est inférieur à 1
  • En étudiant le jeu -1+1/2+1/2, on constate qu’il y a une stratégie gagnante pour celui qui joue en second : -1+1/2+1/2 est nul, autrement dit, 1/2+1/2=1.

Et après ?

Le jeu sans nombre en cycle 1, les nombres entiers en cycle 2, les fractions en cycle 3, que faire alors en cycle 4 voire après ? Un terme dans lequel le prochain joueur est le gagnant, n’est ni positif, ni négatif, ni nul, et n’est donc pas un nombre. En particulier, on trouve des infinitésimaux, qui sont intéressants à étudier per se mais aussi en tant que termes d’une somme :

Théorème (Conway) : lorsque l’un des termes d’une somme de jeux est un nombre, aucun des deux joueurs n’a intérêt à jouer d’emblée dans ce terme.

Ce théorème (number avoidance theorem) indique donc une stratégie gagnante : éviter de jouer dans un nombre. Plus généralement, jouer au mieux (gagner si on peut, sinon limiter l’avantage de l’adversaire) signifie souvent faire durer le plaisir.

Infinitésimaux

Le number avoidance theorem s’illustre bien par les infinitésimaux. En voici un qui est, à l’évidence, positif :

En effet, si Bleu joue, il marque le but et gagne. Si Rouge joue, c’est Bleu qui marque le but juste après.

On a donc là, un jeu positif. Mais en lui ajoutant -1 :

on constate que la somme est à l’avantage des rouges, autrement dit, négative, ce qui prouve que le jeu positif en question est inférieur à 1. Et si on ajoute une copie de ce jeu étrange :

la somme reste à l’avantage des rouges (ils gagnent en jouant ailleurs qu’en -1, tant que c’est possible), et même si on additionne à -1, trois copies du nouveau jeu :

On devine ici un schéma répétitif : quel que soit le nombre de copies de ce jeu (pourtant positif) que l’on additionne, la somme sera inférieure à 1. Le jeu positif découvert ici (que Conway ne considérait pas comme un nombre) est donc un infiniment petit positif. Ce jeu s’appelle « up ».

Noam Elkies a découvert ce jeu dans une finale du jeu d’échecs. Plus précisément, une finale de pions.

  • Il y a un Zugzwang mutuel appelé trébuchet où le prochain qui bouge perd son pion et la partie, le pion adverse pouvant être promu à dame ce qui assure la victoire de celui qui joue en deuxième. Cette position vaut donc 0 puisque le prochain perd.

Donc aucun des joueurs n’ayant intérêt à se précipiter sur ce trébuchet, le jeu se joue d’abord entre pions, ailleurs que sur le trébuchet.

  • Si deux pions sont dans la même colonne, sur deux cases voisines (par exemple un pion blanc en a3 et un pion noir en a4) ils se bloquent mutuellement et leur position vaut 0 (le prochain perd).
  • Si les deux pions sont à une case de distance (par exemple un pion blanc en a3 et un pion noir en a5) alors le prochain qui joue bloque l’autre et gagne.
  • Si les deux pions sont séparés par 2 cases (par exemple un pion blanc en a3 et un pion noir en a6) alors le prochain qui joue vient à la position précédente et fait gagner son adversaire : c’est le nombre 0.
  • Mais si le pion blanc est en a2 et le pion noir en a5, alors le pion blanc (si c’est à lui de bouger) peut avancer directement de 2 cases et bloquer le pion noir directement. On obtient alors le graphe

qui se simplifie en

(on a enlevé la flèche bleue allant du départ a2-a5 au sommet a3-a5 qui est en bas à gauche, parce que les blancs -ou bleus- jouent au mieux)

Le sommet en bas à droite représente les deux pions face à face, se bloquant mutullement ; le sommet en bas à gauche représente les deux pions à 1 case de distance, et le sommet en haut représente la position initiale a2-a5.

Le jeu a été testé lors de la semaine des maths 2023 (thème : les maths à la carte !) voire avant, dans le premier degré en tout cas.