Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Témoignage, constats et suggestions d’un professeur confiné

Dans le cadre de l’enseignement à distance rendu populaire par le confinement, Olivier Jaccomard réfléchit aux outils qu’il faudrait pour le rendre possible simplement.

Article mis en ligne le 28 mars 2020
dernière modification le 6 mai 2020

par Olivier Jaccomard

L’auteur de cet article, Olivier Jaccomard, est professeur de mathématiques dans l’Académie de Nantes.
Aymeric Picaud, professeur de mathématiques dans l’Académie de Besançon complète l’article (et le nuance) dans une courte annexe.

Cet article peut être librement diffusé et son contenu réutilisé suivant la licence CC-by-sa http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/fr/legalcode

Ceci est un simple témoignage, parmi d’autres, dans cette période atypique de confinement. Je me suis décidé à rédiger cet article, en constatant plusieurs phénomènes et réactions, qui m’ont interpellé :

  • des professeurs qui trouvent que la technologie ne remplacera jamais un « vrai » cours ;
  • des professeurs, encore, qui sont un peu désarçonnés pour aider leurs élèves et envoient leurs cours, puis la correction, en espérant que leurs élèves seront suffisamment autonomes ;
  • des médias qui parlent d’enfants qui s’ennuient à la maison (France Inter, RTL,...), ce qui, tout de même, fait croire une fois de plus que les enseignants ne savent pas les intéresser, ni les encourager à travailler ;
  • des ENT qui, pour la moitié d’entre eux, en France, ont été défaillants (par exemple, e-lyco, dans les pays de la Loire) lors de la brusque montée en charge liée au confinement (et, pour certains d’entre eux, le sont encore à l’instant où j’écris ces lignes) ;
  • des institutions qui font le silence sur des ressources disponibles (et utilisées à grande échelle dans les classes) qu’ont conçues et mises en ligne depuis de nombreuses années, des professeurs en exercice dans l’Éducation Nationale... (par exemple les ressources gratuites et libres de Sesamath, (voir aussi) - que je connais bien en tant que membre de l’association).

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J’écris donc ce bref témoignage, fort de mon expérience d’enseignant, pour dire qu’il n’y a peut être pas besoin d’un ENT entier, mais bien plutôt de « briques » que l’on y pourrait proposer aux enseignants pour travailler plus efficacement. J’y reviendrai en fin d’article.

Précisons ma pratique :

Ce que j’ai mis en place nécessite quelques compétences, à la portée de la majorité d’entre nous.

 Tout d’abord, un rendez-vous quotidien, fixe, pour que les élèves ne soient pas livrés à eux-mêmes, et qu’un rythme de travail se mette en place : je donne rendez-vous tous les jours, une heure, à toute la classe, sur un salon audio virtuel . J’utilise pour l’instant Discord, principalement pour deux raisons : les élèves qui jouent à des jeux vidéos le connaissent bien, ce qui permet un appui technique, et il dispose de « bot », dont un, particulièrement précieux : on peut effectuer des sondages à la volée pour savoir, par exemple si tout le monde a fini un exercice. De plus, je demande aux élèves d’être en « Press-to-Talk », c’est à dire d’appuyer sur une touche pour pouvoir parler. Enfin, ils peuvent passer par le canal écrit s’ils le souhaitent. En revanche, Discord a un inconvénient majeur et très problématique : il ne respecte pas la vie privée. D’où ma question : ne faudrait-il pas que l’éducation nationale fasse un logiciel analogue (une des « briques » à disposition des professeurs), mais RGPD-compatible ? Non seulement les élèves ne demandent pas mieux que d’avoir le même type de logiciel qui respecterait leur vie privée, mais nous, les professeurs, sommes évidemment aussi demandeurs de ce service.

 Deuxième dispositif (utilisé en même temps que Discord) : une tablette Wacom associée à un tableau virtuel : donner des explications en mathématiques, sans rien écrire, est une gageure. Les mathématiques s’expriment de façon condensée (expressions algébriques, équivalence, systèmes d’équations…) ce qui nécessite un tableau. Écrire des mathématiques sur un clavier, à la vitesse de la pensée, n’est pas non plus faisable. Donc j’utilise une tablette de dessinateur, sur laquelle, après un entraînement de deux heures, on est capable d’écrire tout en regardant l’écran (il faut apprendre à dissocier la vue - qui regarde l’écran - du mouvement du stylo - qui est à la place de la souris). Pour le tableau virtuel, j’ai trouvé Miro. Là encore, un tel outil serait utile à la communauté éducative, car Miro est un logiciel privé.


 Troisième dispositif : une fois la communication bien établie, il faut faire en sorte que les élèves fassent un travail personnel. Et pour que ce travail personnel soit efficace, il faut suivre trois principes :

  • un travail différent pour chacun, afin que les élèves ne fassent pas un « copier-coller »,
  • un site sur lequel ils trouvent toutes les informations utiles.
  • et une méthode d’évaluation dont le principal objectif est de les motiver.
  • Pour le premier principe, j’utilise DocAlea, une extension de mon cru, facilement installable dans LibreOffice.
  • Pour le deuxième, j’ai mis en place un simple site wordpress (avantage : il est facilement accessible et modifiable - inconvénient : il est peu sécurisé. Donc éviter les extensions, mettre un mot de passe fort, le changer régulièrement).
  • Pour le troisième, je leur demande de me renvoyer une photo des exercices, par mail de préférence, une fois par semaine, que je n’évalue que de façon très souple : si toutes les questions sont traitées, on a la moyenne, de toute façon, même si les réponses sont toutes fausses. En fait, je fais ce que je faisais en présentiel quand je contrôlais le travail personnel : la note reflète surtout le sérieux du travail, pas sa compréhension. Pour cette dernière, je passe par le canal audio et écrit de Discord, qui reste ouvert dans la journée, et les mails. Pour renforcer ces périodes d’entraînement individuel, j’utilise Labomep, là aussi en donnant une série d’exercices par semaine, et en récupérant à chaque fois le meilleur bilan.

Cet ensemble de dispositifs satisfait mes élèves, pour au moins 90% d’entre eux (je leur ai demandé leur avis). Certains m’ont même dit préférer cette façon de travailler à celle faite en cours. En Terminale, petit à petit, tous mes élèves sont venus au rendez-vous. En seconde, j’en suis à 27 élèves sur 32.

Cette période nous oblige à réfléchir à nos pratiques, et cela m’enthousiasme. Elle met aussi nos habitudes à l’ « épreuve du feu », comme on le voit pour les ENT.

Je constate cependant que mes besoins ne sont pas en adéquation avec ce que proposent les espaces numériques de travail : pas de salon audio, pas de tableau virtuel, pas de site intégré simple et éditable, un cahier de texte lié à l’emploi du temps (alors que j’ai changé le dit emploi du temps), une messagerie défaillante, la constitution d’envois groupés impossible (pour constituer un groupe, il faut sélectionner les élèves un par un dans une liste qui en contient 800…).

Nous, professeurs et élèves, n’avons besoin que :

  • d’une identification qui prouve notre identité et celle des élèves et parents (ce qu’on appelle un serveur CAS)
  • d’un cahier de textes, avec possibilité d’envoi de documents non limités à 1 Mo quand on sait que les photos prennent facilement 6 Mo…
  • d’une messagerie, avec envoi de pièces jointes possibles et taille max de 10 Mo.
  • d’un salon audio.
  • d’un site Internet avec édition facile d’articles, et stockage facile de pièces jointes.
  • d’un tableau virtuel.

Avec ces outils, j’ai en tout cas l’impression de faire un « vrai » cours, et même mieux : les élèves peuvent me poser des questions sans que les autres le sachent, par exemple. Avec ces sondages, j’attends, mieux qu’en classe, que tout le monde ait compris. La relation aux élèves s’en trouve plus sereine et plus confiante. La difficulté d’évaluer à partir de photos m’a aussi obligé à prendre mes distances vis à vis des notes, et à en faire davantage un outil de motivation, quitte à trouver une autre solution, éventuellement plus tard, pour juger du fond. Le rythme plus régulier des cours que dans l’avant-confinement me permet aussi de mieux gérer mon temps. Bref, finalement, la situation n’a pas que des inconvénients !

Annexe : un complément à l’article, par Aymeric Picaud (Académie de Besançon)

Le témoignage d’Olivier Jaccomard est intéressant. Notre ENT (ENOE) qui vit ces dernières heures -de gloire-, permet la quasi totalité des fonctionnalités demandées par Olivier (avec une limite de taille de fichiers supérieure). À la rentrée prochaine, nous passons sous ECLAT-BFC qui est une solution éditée par Kosmos. Kosmos est l’ancien éditeur d’e-Lyco [1], ENT ayant été remplacé assez récemment par e-Lyco [2], édité désormais par itsLearning, dans l’académie de Nantes. Ils ont connu, comme d’autres sans doute, des problèmes de charge sur leurs serveurs au moment de la mise en place massive de cours à distance.

Je vais donc bien évidemment regretter ENOE, qui malgré un certain manque d’ergonomie s’appuyait sur le regroupement au sein d’un portail, d’applications issues du libre (Roundcube, Moodle, Cdt [3], Etherpad, GRR, Balado,...), ainsi que sur une infrastructure serveur [4] répartie.

Pour ce qui est de l’équivalent de Discord+Miro, version Éducation Nationale, l’offre de classe virtuelle du CNED me semble satisfaisante, pour le vivre au quotidien (une collègue d’anglais de ma connaissance l’utilise énormément). Je l’utilise ponctuellement avec les élèves.
On peut partager un tableau, des fichiers, de l’audio (microphone) et de la vidéo (webcam). Il y a une demande de prise de parole, on peut attribuer des rôles aux participants. La limite est celle de la charge des serveurs, mais elle paraît robuste.

ENOE répondait à un cahier des charges des académies et non des collectivités. Il s’appuyait sur un groupement d’intérêt public basé à Dijon (EOLE). Le problème majeur avec les éditeurs d’ENT plus classiques et commerciaux, c’est que la principale fonctionnalité à laquelle ils pensent au départ est un connecteur Pronote. Je caricature un peu, mais je ne suis pas loin de la réalité. Ce sentiment est renforcé par la valse des ENT s’étant produite dans les deux dernières années. Les ENT bien implantés à l’Ouest de la France passant à l’Est et vice-versa.

Il me semble que trop peu d’enseignants de terrain ont été associés au cahier des charges de notre nouvel ENT et au prototypage. C’est bien le problème...

Aymeric Picaud